Les négociations entre les FARC et le gouvernement colombien se poursuivent au milieu d’une trêve unilatérale déclarée par la guérilla.
« Ils en veulent à la propriété privée et vont nous exproprier. Et plus encore, ils ont dit que personne ne pourra disposer de plus de 100 hectares » [1] s’inquiète José Felix Lafaurie, président de la Fédération nationale des agriculteurs de Colombie (Fedegan). Interrogé par le journaliste Yamid Amat pour le quotidien El Tiempo, le représentant de cette puissante corporation voit d’un très mauvais oeil les pourparlers entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et la guérilla des FARC. Yamid Amat tente en vain de le rassurer lui expliquant que les faits cités ci-dessus « ne font pas partie d’un accord, c’est une pétition de la guérilla » ; « Oui mais ils ont dit que c’était ce qu’exigeait le peuple ! Voilà pourquoi ils exigent (les FARC) au Ministre de l’Agriculture, de façon irrespectueuse, qu’il se présente aux négociations à la Havane » [2]. José Felix Lafaurie illustre à lui seul la crainte qu’inspire ce spectre qui hante la classe dominante colombienne.
Publiquement entamé depuis l’automne 2012, le dialogue entre les FARC et Bogota semble être avancé à un niveau quasiment inédit dans l’histoire du conflit. A tel point que l’un des membres du parti de la U (parti au pouvoir) parlait déjà d’un « point de non-retour en direction de la paix » en novembre 2013 [3]. En guise de témoignage de ces avancées, les deux délégations ont accepté la publication, le 24 septembre 2014, des textes relevant les accords conclus entre les deux parties. Ceux-ci concernent trois thèmes : la question agraire, la participation politique des insurgés, et finalement la question du narcotrafic. Réélu en juin 2014 avec la promesse de poursuivre le dialogue jusqu’à obtenir la fin de la guerre, Juan Manuel Santos doit cependant faire face à sa propre famille politique, dont une partie (l’aile la plus droitière) est ostensiblement hostile aux négociations avec la guérilla. « Il est inquiétant que la paix soit considérée comme irréversible car l’Etat s’est mis d’égal à égal avec le terrorisme, les généraux sont mis au même niveau politique que leurs assassins et la thèse dominante de ces accords est la vision totalitaire, bien dissimulée, du Castro-chavisme » écrit l’ancien premier mandataire Alvaro Uribe dans une lettre adressé au gouvernement, refusant l’invitation à participer aux pourparlers [4]. Figure de proue des opposants au processus de paix, Alvaro Uribe s’est attiré les foudres de la propre délégation gouvernementale menée par Humberto De la Calle. « Uribe a publié de supposés compromis exigés par les FARC pour ré-entamer les conversations - écrit-il - Cela n’a même pas été envisagé par les FARC. Si cela avait été le cas, nous n’aurions pas accepté » [5]. « Comme le sénateur Uribe s’avère être un homme sérieux de par le rôle politique qu’il a eu dans le passé en Colombie, nous supposons que quelqu’un lui a rempli la tête de mensonges » ironise le chef négociateur [6]. Il est ici fait référence à la crise survenue durant le mois de novembre 2014 lorsque des unités rebelles ont enlevé le général Rubén Dario Alzate dans le département du Choco (nord-ouest du pas). Cette rétention a suspendu pendant un temps les négociations à la Havane ; celles-ci ont repris après la libération, sans condition, du général le 30 novembre.
Le 20 décembre 2014 les FARC entament un cessez-le-feu unilatéral et “indéfini” afin de faciliter le climat de dialogue. Initiative historique de la part de la guérilla qui cherche à démontrer ses intentions franches de trouver une issue politique au conflit. « Ce cessez-le-feu, dont nous souhaitons qu’il s’inscrive dans la durée, sera annulé uniquement dans le cas où nous constaterions des attaques de la Force Publique à l’encontre de nos structures militaires » ont elles annoncées [7]. Instruits par des années de guerre et plusieurs tentatives (avortées) de paix, les insurgés connaissent le prix (chèrement) payé d’une confiance trop aveugle octroyée au gouvernement. Un mois plus tard le propre état colombien, à travers l’institution “Defensoria del Pueblo”, reconnait qu’il n’y a pas eu de preuves de violation de la trêve de la part des FARC [8]. Celles-ci restent pourtant soumises à la pression militaire des forces armées nationales qui poursuivent leur offensive malgré les appels aux cessez-le-feu “bilatéral” de la part des insurgés et des secteurs de la gauche politique. Juan Manuel Santos a en effet refusé d’emboîter le pas à la guérilla bien qu’il ait parlé d’une volonté « d’atténuer » le conflit (« desescalar el conflicto »). « Le cessez-le-feu bilatéral sera discuté au moment venu » a-t-il annoncé [9]. Pourtant la délégation insurgée a révélé, selon elle, des agressions précises à l’égard de leurs unités, actes qui menacent de rompre la trêve unilatérale : « Les offensives militaires à l’encontre des unités de guérilla s’intensifient dans les Plaines Orientales et dans le Cauca (Sud du pays). Est-ce donc une volonté du gouvernement de poursuivre une guerre qui continue de générer encore plus de victimes et de douleurs ? Si vraiment le gouvernement est sérieux dans sa volonté de signer un accord final alors ses agissements doivent être en adéquation avec son discours sur la paix » [10]. Le propre commandant en chef du groupe insurgé, Timoleon Jimenez (Rodrigo Londoño Echeverri) a publié, le 11 janvier 2015, un communiqué visant à rappeler aux forces gouvernementales que les FARC sont encore en capacité de riposter militairement si la situation l’obligeait. « Un gouvernement qui ordonne quotidiennement la poursuite de la confrontation avec les insurgés nie sa volonté de baisser l’intensité de cette guerre », « Certains affirment, afin de nous soumettre à pression, que le cessez-le-feu unilatéral ordonné par le Secrétariat National des FARC-EP, met nos forces en situation de repos, ce qui, nécessairement, aboutirait avec le temps à une décomposition de nos structures de par l’oisiveté à laquelle elles seraient contraintes. Ceux qui s’empressent d’affirmer cela oublient que si nous sommes attaqués nous riposterons » [11].
Alors que dans les zones reculées du pays la guerre se poursuit la célèbre revue Semana annonce le 18 janvier 2015 : « Le gouvernement et les FARC commencent à discuter de la fin du conflit » [12]. Il s’agit là du « point numéro 3 » dans l’agenda des dialogues. Le processus de paix avance. L’espoir de voir se terminer un conflit qui dure depuis plus de cinquante ans ne semble jamais avoir été aussi proche. Pourtant l’issue de tout cela baigne dans une nébuleuse opaque d’incertitudes. L’histoire récente colombienne est parsemée de cimetières où gisent de vaines tentatives de paix passées. Trahies, assassinées.
Le mercredi 21 janvier 2015 le corps sans vie de l’activiste politique Carlos Pedraza (29 ans) membre du mouvement populaire “Congreso de los Pueblos” (Congrès pour les peuples), proche du secteur de la paysannerie, est retrouvé dans le département du Cundinamarca. Réagissant à l’assassinat du jeune leader les FARC, par la voix de Pastor Alape (négociateur à la Havane), affirme que cet acte « met notre patience à bout » [13]. Au beau milieu de ce clair/obscur, entre chien et loup, il est difficile de distinguer quel chemin va prendre le pays, si celui de la paix tant souhaitée, ou bien celui du retour à la guerre.
Loïc Ramirez.