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L’extermination programmée du peuple haïtien

La journée du 28 novembre dernier vient d’illustrer en lettres majuscules le degré de putréfaction du mal dont souffre le pays. Définitivement, rien ne marche pour le système en place, en décomposition. Dans les annales historiques des élections en Haïti, aucun processus n’a été plus scandaleux que celui du 28 novembre, jamais. Et pourtant, 29 millions de dollars américains avaient été mobilisés pour réaliser cette mascarade. S’agit-il du « mal de René » qui frappe les élites haïtiennes ou de l’extermination programmée de tout un peuple ?

En observant l’acharnement avec lequel l’Internationale s’était lancée dans l’organisation des dernières élections haïtiennes laisse la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations. Tout observateur lucide avait mis l’Internationale en garde contre l’organisation prématurée de ces joutes, parce qu’elles allaient conduire le pays vers une crise politique sans pareille. De façon obstinée, sourde elle a lancé le pays dans cette aventure sans issue, et voilà maintenant qu’on a eu des émeutes occasionnant plusieurs morts et transformant le pays en un baril de poudre prêt à sauter à n’importe quel moment.
L’Haïtien est très pessimiste par rapport à l’avenir de son pays. Les promesses non tenues, les rendez-vous manqués et la mauvaise presse accablent les esprits les plus positifs. Nous sommes à moins d’un mois du 12 Janvier 2011, soit un an après le séisme, la situation générale n’a pas changé d’un iota. Les réunions internationales se succèdent dans toutes les capitales du monde, les appels à l’aide de l’ONU se multiplient, les manifestations de bonne volonté s’accumulent…mais où sont passées les actions concrètes promises par Barak Obama et autres maîtres du monde ? Le peuple se meurt et vit son chemin de croix quotidiennement et en silence, parce qu’il n’a plus de voix et il est trop faible pour crier secours. Voilà le décor presqu’un an après le 12 janvier 2010.

Est-ce une extermination programmée du peuple d’Haïti ?

Donc, le décor actuel tel que décrit plus haut n’est pas susceptible de s’améliorer. Toutefois, l’indécence reste toujours inacceptable dans un monde dit « civilisé ». D’abord l’obstination des dirigeants internationaux et de leurs valets locaux à organiser des élections dans un contexte pareil peut être interprétée comme un cynisme rare de la part des hommes se réclamant du Christ. Il était prévisible par tout esprit sain que ces élections allaient être un fiasco total, n’empêche que les dirigeants poursuivaient son organisation. De ce fait, il y a lieu de considérer les responsables, d’abord, les valets locaux.

Ils ont à leur tête le président René Préval, qui, d’après les documents rendus publics par « Wikileaks », visitait très souvent un bar à Petion-ville pour consommer avidement de l’alcool, à en croire les révélations de Mme Janet Sanderson, ancienne ambassadrice des Etats-Unis en Haïti. Les vieilles habitudes ont la vie dure. En d’autres termes, la capacité de Preval à prendre des décisions responsables allant dans le sens des intérêts du pays est assurément sévèrement affectée par l’usage abusif de la dive bouteille.

D’après les informations qui nous sont parvenues, sur les 29 millions de dollars alloués aux élections, la contribution du gouvernement haïtien est de 7 millions. Le 6 juin de cette année, le président Vénézuélien, Hugo Chavez, annulait la dette de 395 millions de dollars liée au fond Petrocaribe, ce pour faciliter la reconstruction d’Haïti après le séisme du 12 janvier. De cette somme, 197.5 millions ont été dépensés sans que les instances étatiques sous le gouvernement de l’ancien Premier ministre Michelle Pierre-Louis aient jamais produit les pièces justificatives exigées par la loi. D’après certains observateurs haïtiens, l’argent de Petrocaribe a été raflé dans l’objectif de pouvoir financer la candidature du poulain de René Preval aux élections présidentielles, Jude Célestin.

Par contre, nous savons que ce qui reste du fond « petrocaribe », soit 175 millions de dollars, s’est volatilisé au moment où l’on agitait des problèmes de fonds pour l’organisation de ces élections. Cela rappelle étrangement les 197.5 millions de dollars dépensés sans pièces justificatives sous l’administration de l’ancien Premier ministre Mme Michelle Pierre-Louis. Donc, si ces informations sont confirmées, le candidat du président Préval a de quoi s’acheter beaucoup de votes, si ce n’est leur totalité, ce dans la perspective d’un second tour. Les valets locaux sont plus cyniques parce qu’il y a une compétition permanente entre eux ; pour conserver une position il faut se surpasser sinon, le risque de se voir rétrograder à une place inférieure guette l’intéressé au prochain virage.

J’avais déjà écrit que René Preval « est prêt à tout ». Il est frappé par le mal endémique qui a toujours atteint tous les chefs d’État haïtien en fin de règne : s’assurer que leur successeur soit toujours dans la ligne du « vive le roi après le roi » afin de protéger leurs arrières en cas d’éventuels démêlés avec les lois du pays. René Préval a lancé dans la course, le père de son petit-fils afin de poursuivre l’oeuvre obscure du prévalisme.

Cependant, la scène politique haïtienne souffre d’un trop grand équilibre des forces en présence, ce que je qualifie de « Nivellisme ». Mis à part le parti d’Aristide, « fanmi lavalas », toutes les forces politiques sur l’échiquier sont à égalité de force. Donc, l’exclusion de ce parti-là a produit un effet de boomerang, bannissement dont le pouvoir et l’opposition s’étaient réjoui. L’absence d’une force politique motrice capable de trancher lorsqu’il y a exequatur ou impasse s’est fait terriblement sentir après les élections du 28 novembre dernier.

En fait, c’est le résultat de la politique tutrice mise en place par l’Occident après le départ de Jean-Claude Duvalier en 1986. Elle consistait à décourager la participation populaire dans des activités civiques et politiques afin de stopper l’influence du mouvement de gauche haïtien. Ainsi, Le Devoir, quotidien canadien, eut à déclarer à l’époque que « le marxisme est enseigné avec un art consommé en Haïti », illustrant ainsi la peur qui assaillait le Département d’État. L’église catholique, par l’intermédiaire de la conférence épiscopale et d’autres instances internationales influentes, avaient combattu l’engagement citoyen dans des organisations politiques. En lieu et place d’instruments politiques viables, on a vu de préférence l’émergence de personnalités politiques dans les médias que les ambassades s’empressèrent d’utiliser au moment où le système faisait face à de fortes résistances populaires. Donc, au cours des élections en Haïti, on ne vote pas pour des partis ou des organisations politiques mais pour des individus. Il est plus facile de trouver des accords avec un homme qu’avec un groupe d’hommes, surtout lorsqu’il s’agit de coups bas contre l’intérêt national. D’autre part, l’unité de la nation haïtienne fait peur aux « maitres d’Haïti », ils ne veulent pas être témoins de la réédition d’un 1er janvier 1804en ces temps modernes.

La crise postélectorale qui menace de plonger non seulement le pays mais toute la région dans une spirale de crise humanitaire sans précédent, retient l’attention de tous les acteurs. Ainsi, la Maison Blanche a organisé une importante réunion le weekend écoulé à laquelle prenait place le président américain lui-même, sa Secrétaire d’État, Mme Hillary Clinton et l’ancien président Bill Clinton, afin de décider de la nouvelle crise née des élections du 28 novembre 2010. Ce n’était pas la première réunion, ce ne sera sans doute pas la dernière, mais les résultats resteront les mêmes parce que c’est l’implication de l’Internationale dans les affaires haïtiennes qui est le problème.

A ce propos, il faut citer le diplomate brésilien Ricardo Seintefus, l’un des rares qui a cassé la corde traditionnelle diplomatique en critiquant ouvertement l’implication de l’Internationale en Haïti. Il a déclaré, et je cite, que : « s’il existe une preuve de l’échec de l’aide internationale, c’est bien Haïti ». Il poursuivait pour ajouter que « les coopérants sont pressés et Haïti est trop complexe pour des gens pressés ». Ce à quoi il faut ajouter que les coopérants agissent avec des recettes en poche, tandis qu’en sciences humaines les recettes conduisent toujours au désastre. L’échec de l’Internationale dans le continent africain, tels que : Soudan, Ethiopie, Centre-Afrique… et dans d’autres régions du monde est la conséquence de l’option facile, sans tenir compte des particularités régionale et nationale des peuples. On peut imaginer la suite, Mr Seitenfus va être convoqué par son chef hiérarchique afin de s’expliquer, il sera probablement démis de ses fonctions. C’est comme dans la Rome antique : « la femme de César doit être au-dessus de tout soupçon ».

Les valets locaux, quoique très présents, font face à une grave crise d’identité en tant que groupes sociaux. La bourgeoisie haïtienne, forte de ses descendants arabes et européens, a étalé au grand jour son égarement idéologique en tant que classe. Les riches, logiquement, devraient accompagner le candidat industriel Charles Henry Baker, dans sa marche vers la présidence. Cependant, dignes du mercenariat, ils se sont morcelés plutôt sous forme de mosaïque sans objectif de classe. L’important pour eux, c’est de se positionner stratégiquement afin de recueillir des dividendes du prochain pouvoir établi. Ils s’éparpillent chez tous les candidats ; certains ne jurent que par Jude Célestin, telles que les familles Baussan, Vorbe, Meys et Brandt ; d’autres s’alignent honteusement derrière Martelly, allias Tisimone, dont Tippenhauer, Colt, Bigio… pendant qu’une bonne partie finance la campagne de Lesly Voltaire, Jacques Edouard Alexis, Jean Henri Céant, Manigat…Donc, ils jouent à « qui perd, gagne ».

Ces dernières semaines, l’énervement constaté chez les bourgeois en Haïti incite à des réflexions pertinentes. Les émeutes de l’après-publication des résultats du premier tour n’étaient pas prévues avec cette ampleur, vu que lavalas n’était pas de la course, parti qui a une réputation de casseurs. Finalement, les gens se sont rendus compte que l’instabilité sociopolitique n’a rien à voir avec Aristide, mais bien avec le comportement d’un peuple qui en a marre de la crapulerie dont font preuve les classes dominantes et leurs alliés pour le tenir dans la crasse. Une bonne partie s’en est prise à Michel Martelly qui, d’après eux, a mis des milliers de partisans dans la rue à partir des textes de messages envoyés par-ci par-là par l’intermédiaire de l’une des compagnies cellulaires de la place dont il serait actionnaire. Brusquement, « Tisimone » est qualifié de « populiste de droite », pour répéter Nancy Roc, comme si vraiment celui-ci tenait compte du clivage idéologique gauche-droite.

Traditionnellement dépourvue de vision, la bourgeoisie s’accroche toujours au gagnant et a peur de tout pouvoir qui agite la question d’institutionnalisation de l’Etat. Elle n’a pas un plan d’épanouissement de classe, voir un projet national visant le développement du pays. La communauté internationale et les politiciens traditionnels s’en servent pour torpiller dans l’oeuf tout processus d’institutionnalisations dues, et paradoxalement l’USAID et l’Union Européenne dépensent des millions de dollars annuellement à travers des programmes dits de développement institutionnel. En fait, des artifices pour vider de l’argent à des responsables politiques alliés flanqués d’une organisation gouvernementale (ONG), par laquelle doit passer tout financement nécessaire à l’existence de ces groupes marginaux, qualifiés de partis politiques.

René Preval, qu’on le veille ou non, n’est pas bête. En déplaçant le contrôle des élections du CEP à l’Organisation des États Américains, l’OEA, il a fait un calcul diabolique mais « intelligent ». Les candidats à la présidence, Martelly et Manigat, sont dans leurs petits souliers. Tous, deux admirateurs de l’Internationale, sont coincés et susceptibles de se voir décrier de leurs bases politiques s’ils osent cesser de jouer en bon enfant. Myrlande Manigat a le nez fin, elle renifle le parachutage de Jude Célestin, elle crie que « c’est une crise haïtienne, ce sont les Haïtiens qui devraient en trouver la solution », et est contre toute solution « élaborée par l’étranger ». Trop tard, la crise a été créée et entretenue par l’étranger depuis 2004, donc l’étranger imposera sa solution.

C’est dommage de voir un si bel esprit dominé par un soi-disant « pragmatisme », s’avilir pour le pouvoir qu’il pouvait gagner en écoutant seulement la voix du peuple. Cela confirme ce que Nancy Roc avait révélé il y a deux semaines à « Metropolis » et ce que Lesly Manigat a confié à un ami : « s’il faut vendre sa mère pour prendre le pouvoir il faut le faire, on la rachètera après l’avoir conquis », fin de citation. Ce que le professeur a omis de comprendre, c’est qu’on peut liquider sa mère pendant seulement 4 mois de pouvoir, sans avoir le temps de la racheter parce que l’échéance est trop courte. Ou bien la mère peut être violée, torturée et même tuée…est ce que cela vaut le coup ?

L’Internationale, arrogante, a beaucoup d’explications à donner au peuple haïtien. D’abord, le phénomène du choléra qui s’étend au pays dans toute sa largeur et longueur. Les coins les plus reculés sont affectés de plein fouet par cette maladie venue d’ailleurs, disons du Népal. Des chercheurs de grand renom, notamment français et américains, ont retracé son origine à des troupes d’occupation. L’ONU, empêtrée, tourne en rond, veut se démarquer de sa responsabilité assassine contre un peuple qui était déjà à genoux depuis deux siècles d’exactions économiques, politiques et racistes, puis écrasé par le désastres naturel meurtrier du 12 Janvier 2010 et autres. Il semble qu’au lieu d’aider le peuple martyr d’Haïti à se relever, l’Internationale le condamne à mourir d’une diarrhée sévère jamais connue auparavant.

Déjà des soupçons pesaient sur le tremblement de terre du 12 janvier. Hugo Chavez, président de la république bolivarienne du Venezuela, avait retenu l’attention de l’opinion publique mondiale sur la possibilité que le séisme pût être provoqué par des manoeuvres militaires dans la zone. Ajouter à cela les études non-concluantes sur laquelle des failles avaient provoqué le désastre, alimentant ainsi les rumeurs les plus fantaisistes. Tantôt c’est celle de Leogane, tantôt celle de la République dominicaine, ou une autre faille jusque-là inconnue, ce qui ne facilite pas un rejet total de la thèse de complot contre Haïti. Il est fondamental à ce que les Nations-Unies produisent des explications claires sur la provenance du choléra, comment est il arrivé dans le pays, et pourquoi ?

Les circonstances particulières dans lesquelles les dernières élections se sont organisées dans le pays méritent d’être prises en compte dans toute analyse sérieuse. Coup sur coup, le pays est victime d’un rare tremblement de terre de 7.2 de magnitude, de sévères tempêtes tropicales, et le cholera importé des troupes d’occupation a déjà fait près de 3.000 morts et quelque 125.000 personnes infectées nationalement. Les dernières estimations parlent de 400.000 victimes pendant une courte période de 12 mois. Jusqu’à présent, plus d’un million d’âmes dorment sous des tentes où à la belle étoile dans la capitale, et des milliers d’autres déplacés dans les villes de province attendent dans l’impatiemment l’aide internationale et locale pour normaliser leur situation.

Malheureusement l’aide tarde à se matérialiser !

Joël Léon

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BOUQUIN, Stephen
Stephen Bouquin (coordination) Louis-Marie Barnier, José Calderón, Pascal Depoorter, Isabelle Farcy, Djordje Kuzmanovic, Emmanuelle Lada, Thomas Rothé, Mélanie Roussel, Bruno Scacciatelli, Paul Stewart Rares sont les romans, même de science-fiction, fondés sur l’invraisemblance. Il en est de même avec les enquêtes en sciences sociales. Il existe néanmoins des vraisemblances négligées. Les résistances au travail en font partie. Le management contemporain a beau exalter l’individualisme, (…)
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