« Le XXIe siècle sera influencé par ce qui se passera non seulement à Rome ou à Moscou ou à Washington, mais aussi en Afrique. C’est la simple vérité d’une époque où nos connexions font disparaître les frontières entre les peuples. »
Barak Obama à Ghana, le 11 juillet 2009
Depuis quelques années, plus exactement au début du 21ème siècle, l’Afrique soudainement refait surface dans les médias de tous les pays riches de l’Occident. Cette fois-ci, le mobile n’est plus autour de l’aide pour combattre le SIDA, ou « blood diamond », la faim, la sécheresse et autres fléaux que la grande presse impériale utilise inlassablement pour définir toute une race d’hommes et de femmes. À présent, on parle de préférence du vaste marché africain. Les Chinois furent les premiers à se précipiter vers « la ruée vers l’or ». À un point tel que certains le qualifie de conquête chinoise, en fait une véritable bousculade dans les rues africaines à la recherche aveugle du profit. L’occident traditionnel proteste et contre-attaque. L’Afrique est à sa deuxième reconquête brutale. L’Africain est confus !
En octobre l’an 2000, s’était tenu la première grande conférence interministérielle sino-africaine à Beijing, Chine. Le forum a été rehaussé de la présence des deux plus grandes personnalités politiques du régime de l’époque, dont le président Jiang Zemin, le vice-président Hu Jintao et une pléiade de chefs d’État, de gouvernements et de ministres. Pékin dépensa une fortune à l’occasion de la réalisation de ce projet qui allait donner naissance à une puissante organisation d’échange du nom de « Forum China-Africa coopération », ayant pour sigle FOCAC.
De l’an 2000 à 2012, 5 sommets furent organisés, soit un sommet tous les 3 ans, pour renforcer l’organisation, multiplier ses actions et renforcer ses structures à travers tous les pays Africains. D’ailleurs, la coopération sino-africaine a presque vu ses avoirs doubler, de 5 billions en 2006 à 10 billions en 2010, sous formes de prêts et de dons. L’objectif de la FOCAC est « de renforcer les échanges et étendre la coopération dans une dynamique pragmatique. Et, promouvoir le dialogue politique et coopération économique tout en cherchant à s’entraider et coopérer mutuellement ».
Depuis lors, les états occidentaux qui font traditionnellement « main basse » sur le continent ont commencé à présenter visiblement des signes d’agacement. En particulier, les Etats-Unis d’Amérique. Jusqu’en 2009, les États-Unis furent le plus grand partenaire commercial de l’Afrique avant de se faire buter le cul par la Chine. Aujourd’hui, cette dernière a investi plus de 215 billions de dollars dans tous les domaines : économiques, financiers, touchant de plein fouet des pays comme l’Angola, le Zimbabwe, le Soudan, sous la baguette de 300 compagnies majoritairement venues du gouvernement chinois. L’occident a peur.
L’Afrique, encore une fois va sauver l’occident et l’humanité d’une crise économique et financière sans précédent, comme ce fut le cas au 15ème siècle. C’est la visée des rapaces. L’Afrique est perçue comme le poumon de l’humanité à cause du sous-développement industriel. On la voit surtout comme la nouvelle panacée à reconquérir, et ceci de façon précipitée. Si au 15ème siècle il y avait eu seulement des rapaces européens, de nos jours il y a les Étasuniens et surtout les chinois. Eux, que les occidentaux considèrent comme des lutins, en pointant du doigt l’agressivité et le pragmatisme avec lesquels ils opèrent.
Comme les Français, les Anglais, les Étasuniens…les Chinois sont tout aussi des rapaces. Ils investissent les lieux et occupent les terres. Donc, le continent est sur le point de vivre un autre pillage encore plus sévère que celui de l’esclavage, vue l’engouement et le nombre de voraces.
Rappelons que l’esclavage, comme catastrophe humaine, a fait plus de 15 millions de victimes, strictement dans le continent Africain, sans mentionner les filières sahariennes et Arabes, à un moment où la population mondiale était estimée à 500.000.000 d’habitants.
Aujourd’hui, à lui seul, le continent africain a une population estimée à 1 milliard d’âmes et, on prévoit un accroissement exponentiel de 2 milliards en 2050 et de 4 milliards de personnes en moins d’un siècle. De façon contradictoire l’Occident est stagnant ou marche à reculons sur le plan démographique.
Il y a un autre aspect qui mérite d’être pris en compte aussi, même quand il n’est pas d’actualité. Dans les années d’avant 1960, trois institutions contrôlaient les citoyens des pays occidentaux : la famille (père et mère), l’école (instituteurs et professeurs) et les prédicateurs (catholiques et protestants). A partir de l’assassinat de John Kennedy, en Novembre 1963, dont tous les détails ont été suivis à la télé, par tout un pays, en direct, jusqu’aux funérailles. Les parents, éducateurs et prédicateurs s’étaient fait piteusement remplacés par la télévision. D’où la naissance d’une « génération super star », c’est-à-dire qui vit au rythme des vedettes de la télévision, du sport, du cinéma et de la musique. Une descendance individualiste et ingrate. Ce qui a marqué un tournant historique qui allait prendre plusieurs formes, dont la stérilité. L’Occident ne peuple plus. On dirait une affinité : « Autant une nation devient plus riche, autant elle peuple moins ». De là intervient la notion de l’immigration, où les populations des pays pauvres se sont expatriés à la recherche des biens volés par les « colons ». Cette fois, nous allons constater à une autre forte forme d’immigration, celle de l’occident vers l’Afrique, ou la richesse est sécurisée ou la pollution n’est pas aussi étendue. D’où la particularité de cette deuxième « ruée vers l’Afrique ».
Si aux 15ème et 16ème siècle, les Européens s’entendirent pour coloniser les pays africains, on n’a pas la garantie qu’on parviendra à un accord pareil au 21ème siècle, car les ” peaux jaunes ” se sont invités de la partie. Ils sont confiants, ambitieux, orgueilleux et puissants. De ce fait, il est fort probable qu’on revive les anciennes méthodes de la guerre-froide à l’intérieur des frontières africaines. Qui plus est, une reconfiguration sur mesure de l’espace géographique africain en fonction des méandres des puissants. Ou, la guerre meurtrière, tout court.
Sans vouloir me verser dans le cynisme ou la démagogie, l’Afrique sera peut-être le catalyseur inconscient et involontaire de la 3ème guerre mondiale : la plus effroyable et la plus sanguinaire des guerres, car les enjeux sont de taille.
Les projections sont très sombres. Les Occidentaux, en tête les Etats-Unis d’Amérique, dénoncent « l’invasion chinoise » en Afrique. Effectivement, ils sont plus de 200.000 à prendre résidence sur le continent. Ce qui inspire de l’effroi. Ils se renforcent diplomatiquement et culturellement. 18.000 bourses d’études sont à la portée des africains pour étudier en Chine, plus de 30.000 reçoivent des formations de base, tout cela pendant une période de deux ans. Les deux parties cherchent à renforcer leurs coopérations.
Jusqu’à présent, les Chinois n’expriment aucune velléité soutenue de s’immiscer dans les affaires politiques des pays où ils sont présents. Mais, pour combien de temps cette « politique apolitique » va-t-elle tenir ? French Howard, un ancien correspondant du « New York Times » pour l’Afrique, dans une interview accordée au « Newyorker » a opiné de cette façon : « Les Chinois sont apolitiques dans le sens qu’ils ne sont porteurs d’aucun projet axé sur un système de valeur (chinois), qu’ils tentent d’imposer dans les pays où ils en sont opération. Cependant, ils sont politiques en termes de stratégies adoptées conformément à la réalité de chaque pays africain (…) ». Ce que Howard French a négligé de mentionner, c’est que les Chinois pratiquent « l’art de la guerre » de Sun Tzu. L’économie et les finances d’abord, la politique ensuite. C’est-à-dire, laisser les Occidentaux s’empêtrer dans des conflits armés et religieux sans issus, tels que : coup d’état, génocide à la rwandaise, autant que possible, détruisant ainsi davantage leur crédibilité et leur position morale. Le Chinois s’imposera alors comme l’alternative du moment, en temps et lieu.
Les Chinois ne sont pas dans les rues africaines scandant des slogans maoïstes, ils travaillent avec d’autres objectifs. Profitant de ses succès économiques perceptibles, le régime chinois entend exploiter au maximum cette « manière de voir » son pays dans le monde. Pratiquement, la transition chinoise est réussie. Si on fait exception de la tache liée au « massacre de Tiananmen » en 1989, on peut dire que Deng Zao Ping a fait école. Tous les dirigeants d’après s’inspirent des idées de ce dernier. La Chine est en conquête. Les consignes des stratèges chinois sont simples. Sur le terrain, ils n’affrontent pas, ils sont mobiles et extrêmement rapides et tendent à s’unir aux africains comme « le poisson dans l’eau ». Ils avancent des pions jour et nuit. L’Afrique fait partie de cette stratégie globale de s’imposer comme le nouvel empire mondial.
« La période des chevauchées permanentes » refait surface comme doctrine de domination économique, politique, militaire et culturelle. Les victimes d’hier, sont les victimes d’aujourd’hui. D’où l’importance d’une « démarche mémorielle » pour contrecarrer la campagne psychologique impériale de reconquête africaine. Certains estiment qu’il est impossible de recoloniser le continent africain et imposer l’esclavage comme idéologie et mode de gouvernement. Ces penseurs oublient que le colonialisme n’a jamais été arrêté à aucun moment de l’histoire. Il a été reproduit en fonction d’un « colonialisme pour notre temps », ce qu’on appelle couramment le néocolonialisme. Au contraire, le colonialisme a dépassé les limites raciales pour devenir une affaire de classe, se démarquant ainsi de la dimension nationale. Aujourd’hui, il est au service de quelques familles multinationales. D’où la grande complexité à cerner cette réalité .
Le peuple africain, sorti de la dépendance directe de l’Europe, au cours des années 1960, est victime de ce qu’Antonio Gramsci a qualifié de « fausse conscience ». Le fait que les habitants des pays africains n’ont pas pu arriver à former une « conscience africaine », qui aurait donné lieu à une « pensée africaine », aujourd’hui se manifeste une ambiguïté teintée de confusion par rapport à ce sujet d’importance capitale qu’est la « reconquête africaine ». On a fait ce même constat partout, les peuples se désintéressent des problèmes majeurs qui menacent l’existence humaine, tel que le réchauffement de la planète. Cette attitude est le résultat de « l’hégémonie culturelle » impérialiste, c’est-à-dire les médias, le système scolaire, la religion, pour ne citer que ceux-là. Au lieu de s’unir pour se défendre contre cette nouvelle reconquête, dirigeants politiques et intellectuels africains se battent entre eux. Premièrement, à l’intérieur d’un même espace géographique ou intra-étatique, sous forme de coup d’état, d’insurrection populaire, lutte armée. Deuxièmement, au niveau interétatique, l’Africain s’affronte en se déstabilisant l’un, l’autre. Les deux stratégies sont conceptualisées dans des laboratoires de pensée impérialiste pour asseoir en permanence leur autorité exclusive. Les élites « nationales », foudroyées dans des échanges techniques et culturels avec l’Occident, n’arrivent pas à compléter leurs missions historiques de « mémoire » du continent. Finalement, nous avons au pouvoir des présidents comme Laurent Gbagbo qui finance les élections de Jacques Chirac, président français, à coup de 3 millions de dollars. L’Africain défend les intérêts de l’oppresseur.
Si bien que le sénat français, par l’intermédiaire de la commission des affaires étrangères/de la défense et des forces armées, a publié un rapport de 500 pages dactylographiées sur les relations France/Afrique, dans lequel de nombreuses réflexions et propositions ont été faites à la nation, au pouvoir public. Dans cet important document, qui se présente comme un projet sociétal pour le continent africain à travers une vision de la politique extérieure française, les rédacteurs font montre d’un réalisme temporel frémissant lorsqu’ils invitent à, et je cite : « Se départir des préventions postcoloniales et assumer le fait que l’Afrique n’est pas seulement partie prenante de notre histoire, mais aussi un élément clé de notre avenir ». Le sénat français a insisté sur le retard accumulé par la politique française. Et met en garde pas seulement contre la Chine, « le démon rouge », mais aussi contre les autres pays émergeants, notamment le Brésil, qui sous la direction de l’ancien président Lula, a fait « une percée louverturienne » en Afrique. Encore une fois, l’avenir c’est l’Afrique.
Cependant, je ne constate pas encore le sursaut africain indispensable pour éviter une autre hécatombe. Il faut réaliser que tous les pays occidentaux, la Chine et les autres pays émergeants présentent une vision globale de l’Afrique. Cette dernière n’est pas prise sous forme morcelante de nationalités. Cela nous mène à la vision globale du « guide libyen » qui rêvait d’un gouvernement unique pour l’Afrique, Mouammar Kadhafi et bien avant lui, Kwameh Nkrumah du Ghana. Cela signifie que la résistance africaine doit être continentale. Aucun pays ne survivra seul l’assaut des rapaces. D’où la nécessité pour les États africains de se mettre ensemble pour présenter un front commun à travers une vision historique mémorielle et actuelle. C’est possible, parce que de l’Afrique du sud à la Tunisie, de l’Algérie au Mozambique, les problèmes que confrontent les peuples sont les mêmes. Donc, il est faisable d’imposer cette « pensée africaine » aux rapaces.
Nous sommes à la veille de grandes transformations mondiales. Le système imposé par l’impérialisme n’est plus acceptable. Les fissures sont internes et, il n’y a pas de solution réelle. Dans sa quête de le rafistoler, l’Afrique doit être immolée pour une seconde fois.
Aujourd’hui il y a plus de rapaces, il est impossible de satisfaire tous ces appétits. La confrontation parait inévitable entre les anciens et les nouveaux colons. Seule une société civile robuste en Afrique et ailleurs dans le monde peut contraindre à l’échec ces froids calculs mercantilistes. Encore une fois et comme toujours, les peuples restent les maitres de leurs destins. Ce qui se passera en Afrique va définir la nouvelle civilisation que John Lennon a décrit dans « Imagine ».
Joël Léon