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L’Enfer est pavé des bonnes intentions occidentales.

Dans le combat mené pour maintenir les opinions publiques occidentales assises à leur place, et les faire applaudir au moment où leurs gouvernements leur disent de le faire, comme dans ces jeux télévisés stupides, dans ce combat interminable et répétitif, les mots magiques sont à nouveau à l’honneur.

« Frappes ciblées ».
« Frappes chirurgicales ».
« Dommages collatéraux ».
« Zones d’exclusion aérienne ».
« Coalition internationale ».

Dans la réalité, il n’y aura point de frappe chirurgicale ou ciblée, mais des boucheries, et la coalition, si elle implique toujours les mêmes pays belliqueux, n’a pas l’assentiment de toute l’humanité que le mot international pourrait laisser supposer.

Mêmes prétextes fallacieux qu’en 1991, lors de la première guerre du Golfe, et qu’en 2001, pour l’Afghanistan, en 2003 pour la seconde invasion de l’Irak.

Le langage et la propagande sont les premières armes des agresseurs, les plus puissantes, avant les bombes et les missiles.

Les opinions publiques occidentales sont prises dans les filets du vocabulaire travaillé et des connotations orientées habituelles de leurs gouvernants, pendant que les Libyens tomberont eux sous le coup des armes de destruction massive occidentales.

Le peuple Libyen, les enfants, les femmes, les civils, les vrais, opprimés par le régime corrompu de Kadhafi, souffriront tout autant de l’intervention « humanitaire » de Nicolas Sarkozy et de ses alliés, vassaux des Etats-Unis.

Ils mourront tout autant de faim, souffriront de la misère et des maladies causées par les déplacements de population, les déportations, les confinements dans des camps improvisés.

Tortures, viols, destructions, exils, corruptions, exactions, pauvreté attendent les civils Libyens, ceux dont ces messieurs Sarkozy, Cameron, Obama ou de l’OTAN prétendent se soucier, à en croire nos journalistes disciplinés.

Comme toujours dans ce cas et depuis longtemps, nos journalistes sont au garde-à -vous.

Les laboratoires irakien et afghan permettent le mieux de prédire ce qui attend la Lybie, et tout autre pays sur la triste liste des interventions « humanitaires » occidentales ou de l’OTAN, qu’une caution de l’ONU soit obtenue ou non.

Plus personne, ou presque, ne le croit aujourd’hui, mais nous serions allés fièrement en Afghanistan et en Irak pour libérer leurs peuples, affranchir les femmes, protéger les enfants, et mettre dehors un affreux dictateur, un « gentil » tyran devenu subitement monstrueux, ou des intégristes, hier alliés et invités [1] en Occident, puis infréquentables du jour au lendemain.

Depuis, dix années ont passé en Afghanistan (2001), et huit en Irak (2003, seconde guerre du Golfe).

Vérifions les résultats des bonnes intentions occidentales, pour nous faire idée du sort futur des Libyens et de tous les peuples qui auront le malheur d’attirer la cupidité des dirigeants occidentaux.

Selon Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch (HRW),

« Huit ans après l’invasion américaine, les conditions de vie en Irak s’empirent pour les femmes et les minorités, tandis que les journalistes et les détenus subissent de graves violations de leurs droits. » [2]

Pour Human Rights Watch (HRW), qui a enquêté dans sept villes d’Irak en 2010 [3],

« […] la détérioration de la situation sécuritaire a encouragé le retour à certaines pratiques de justice traditionnelle et à un extrémisme politique à caractère religieux, qui ont eu un effet délétère sur les droits des femmes, tant au sein du foyer qu’à l’extérieur. »

« Diverses milices qui font la promotion d’idéologies misogynes ont pris les femmes et les filles irakiennes pour cible, recourant à des assassinats et à des actes d’intimidation afin de les empêcher de prendre part à la vie publique. De plus en plus, les femmes et les filles sont persécutées dans leurs propres foyers pour une diversité de transgressions supposées contre l’honneur de leur famille ou de leur communauté. La traite des femmes et des filles à des fins d’exploitation sexuelle tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays est par ailleurs répandue. »

Toujours selon Joe Stork,

« Pour les femmes irakiennes, qui bénéficiaient avant 1991 des degrés les plus élevés de la région en matière de protection de droits et de participation sociale, cela a représenté une pilule extrêmement amère à avaler. »

Toujours selon HRW, en Irak, huit ans après l’invasion « pacificatrice » de l’Occident,

« […] Des milliers de personnes déplacées internes vivent désormais dans des bidonvilles sans accès à des besoins essentiels tels que l’eau potable, l’électricité et les installations sanitaires. »

Des tortures qui n’ont rien à envier à celles du régime de Saddam Hussein continuent d’être pratiquées sous le nouveau gouvernement irakien.
Ainsi [4], en 2010,

« Des Irakiens détenus dans un centre de détention secret à Bagdad ont été pendus par les pieds, empêchés de respirer, frappés à coup de poing et de pied, fouettés, soumis à des chocs électriques et sodomisés. »

Les bombardements ciblés, chirurgicaux, euphémismes dont raffolent nos médias télévisés et radiophoniques, sont un artifice de langage.

« Comme l’a rapporté en détail Human Rights Watch dans son rapport de décembre 2003 sur la guerre, les efforts américains pour bombarder des cibles abritant des responsables ont été un échec total. Le bilan de 0 succès pour 50 tentatives a reflété une méthode de ciblage se rapprochant d’un comportement à l’aveuglette, avec des bombes larguées sur la base de preuves suggérant à peine plus que la présence d’un responsable dans une communauté. Un tel comportement a causé, de façon tout à fait prévisible, de substantielles pertes civiles. » [5]

Pour un occidental assis bien au chaud devant le spectacle de ces feux d’artifice « chirurgicaux », on serait tenté de dire que tout est mieux plutôt que de vivre sous la tyrannie de Saddam Hussein hier, de Kadhafi aujourd’hui, mais malheureusement, il existe des scénarios bien pires. Aussi vicieux que furent ces régimes, le chaos, une guerre civile entraînant des abus se révéleront encore plus meurtriers, comme le montrent l’Irak et l’Afghanistan aujourd’hui.

La peine de mort a été réinstaurée en Irak avec 79 pendaisons en 2009, tandis que 900 condamnés y attendaient leur tour. [6]
En 2009.

Sabah Al Mukhtar, interviewé en 2010, nous dit,

« En apparence, tout va pour le mieux : on a 350 partis politiques, 26 satellites TV, 60 journaux. Des élections législatives auront lieu le 7 mars. Une femme va même s’y présenter. Mais en réalité, le pays est laminé, il n’y a plus aucune infrastructure, ni éducation, ni santé, ni sécurité. Quatre millions de réfugiés, deux millions de morts, des milliers de viols et d’emprisonnements […] » [7]

Plusieurs années après la « libération » et l’apport du « savoir-faire occidental »,

« L’effondrement des infrastructures en Irak a entraîné une pénurie d’eau qui ne fait que s’aggraver et qui tue un grand nombre d’Irakiens.

Une grande partie du pays souffre d’un manque d’eau aigu, et les faibles quantités fournies sont impropres à l’utilisation humaine.

Le 19 juillet 2007, l’ambassadeur des Etats-Unis, Ryan Crocker, a confirmé que les habitants de Bagdad n’avaient accès, en moyenne, qu’à une heure d’électricité par jour. Avant l’invasion menée par les Etats-Unis, ils en recevaient entre 16 et 24 heures [malgré l’embargo]. Or, sans électricité, on ne peut pas pomper de l’eau vers les habitations.

Un rapport publié le 30 juillet 2007 par l’ONG internationale Oxfam et NCCI, un réseau d’organisations d’aide qui travaillent en Irak, disait que huit millions d’Irakiens - presque un sur trois - avaient un besoin désespéré d’aide d’urgence. Ce rapport, intitulé Répondre au défi humanitaire en Irak déclarait que 70% des Irakiens n’ont pas des fournitures d’eau adéquates, alors qu’en 2003, année de l’invasion de l’Irak menée par les Etats-Unis, ce pourcentage était encore de 50%. Selon ce même rapport, environ 80% des Irakiens manquent d’infrastructures sanitaires.

Selon le rapport d’Oxfam : « le taux de malnutrition infantile, qui était de 19% avant l’invasion menée par les Etats-Unis en 2003, atteint maintenant 28%. » Le manque d’eau potable est à l’origine de la plupart de ces cas. » [8]

Et du côté de l’Afghanistan.

La presse française se demande si vis-à -vis des femmes afghanes, Hamid Karzai, l’homme placé par la coalition victorieuse, n’est pas pire que les talibans [9],

« Les talibans ne sont plus au pouvoir à Kaboul... mais "la situation des droits de l’homme en Afghanistan empire", s’alarme la Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay [10]. Et notamment pour les femmes.

Que dit cette loi exactement ? Elle ne laisse une liberté de mouvement aux femmes chiites afghanes que pour des raisons "légitimes". De ces raisons "légitimes", sont exclues des activités telles que travailler ou suivre des études, précise un communiqué de l’ONU.

Cette nouvelle loi "permet explicitement le viol conjugal, réduit le droit des mères à avoir la garde de leurs enfants dans le cas d’un divorce et rend impossible pour les épouses d’hériter des maisons et des terres de leur mari", poursuit ce communiqué.

En Afghanistan,

« Les chefs de guerre ont remplacé les talibans en adoptant des politiques similaires envers les femmes. » [11]

En attendant l’arrivée de l’équivalent Libyen d’Hamid Karzai, nous saurons dans quelques années comment le peuple de Lybie aura survécu à l’uranium et aux bombes humanitaires de l’Alliance occidentale, mais nous pouvons nous en faire une idée précise en observant le présent de l’Irak et de l’Afghanistan dévastés.

Pascal Sacré

[1] « Guerre et mondialisation », Michel Chossudovsky, Edition Le Serpent à Plumes, 2002, p. 134.

[2] Irak : Les citoyens les plus vulnérables sont dans une situation de danger,
http://www.hrw.org/fr/news/2011/02/21/irak-les-citoyens-les-plus-vuln-rables-sont-dans-une-situation-de-danger

[3] Ibid.

[4] Irak : Des détenus ont témoigné de tortures subies dans une prison secrète,
http://www.hrw.org/fr/news/2010/04/28/irak-des-d-tenus-ont-t-moign-de-tortures-subies-dans-une-prison-secr-te

[5] La guerre en Irak : tout sauf une intervention humanitaire,
http://www.hrw.org/fr/news/2004/01/25/la-guerre-en-irak-tout-sauf-une-intervention-humanitaire

[6] "L’Irak reste sans infrastructure, ni éducation, ni santé, ni sécurité"
http://www.infosud.org/spip.php?article7401

[7] Ibid.

[8] IRAK. Le manque d’eau tue
http://www.alterinter.org/article1151.html

[9] Femmes afghanes : Karzai pire que les talibans ?
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/femmes-afghanes-karzai-pire-que-les-taliban_751556.html

[10] Afghanistan : Pillay dénonce une loi restreignant les droits des femmes
http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=18841&Cr=Afghanistan&Cr1=femmes

[11] http://sisyphe.org/spip.php?article381
Le pouvoir des chefs de guerre met en péril la sécurité des femmes en Afghanistan


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Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l’Université de Louvain (Belgique). Il a notamment publié « Impostures intellectuelles », avec Alan Sokal, (Odile Jacob, 1997 / LGF, 1999) et « A l’ombre des Lumières », avec Régis Debray, (Odile Jacob, 2003). Présentation de l’ouvrage Une des caractéristiques du discours politique, de la droite à la gauche, est qu’il est aujourd’hui entièrement dominé par ce qu’on pourrait appeler l’impératif d’ingérence. Nous sommes constamment (…)
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