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Isolement collectif, suite du 11 Janvier.

J’ai été surpris de l’onde que mon court texte a provoqué dans ma petite sphère. Hormis mes très très proches, dont je n’ai pas douté du soutien, et de quelques sites marginaux qui font respirer internet, les réactions ont été agitées, allant de la rigidité laconique à l’indignation agressive, et cela tous bords politiques confondus ; mais peut être n’y en a-t-il plus qu’un…

J’ai écouté, et à vrai dire, je n’ai pas vraiment défendu ma vision. J’avoue tenir, avant tout, à ma tranquillité quotidienne et à la délicatesse que cela requiert. Et puis, j’ai senti quelque chose de plus important que les arguments et les adhésions du moment ; une ambiance, une atmosphère, un ébranlement. Bref : une énergie particulière que je souhaite décrypter. Pour ce, j’ai surtout écouté et réfléchi sur cette ambiance, en me connectant à notre psychologie d’êtres humains pris dans une foule. Pas facile ! Le recul, à la fois émotionnel et idéologique, devient particulièrement ardu dans notre période, où l’information est passée au peigne fin, où les idéologues nous retournent littéralement le cerveau, où on est surchargé de multiples tâches à faire et à penser, et où le champ politique est plus déprimant qu’autre chose. Bon. Pour sentir et comprendre un peu mieux, j’ai récolté des infos, grâce à mes amis têtes-chercheuses d’internet, fermé les yeux et les oreilles aux médias (regarder le sol dans la rue, mettre ses écouteurs dans les cars, se rendre aveugle aux msn d’internet, etc), mis de côté les continuelles relances administratives, et profité des quelques répits que nos enfants concèdent (surtout quand ils dorment…). Je vous livre mes réflexions en cours, qui ne sont que des pistes.

Mon ton léger d’une part, et mon analyse sur la récupération radicale de l’événement d’autre part, ont été mal reçus. Pourquoi ? « Parce que nous avons sincèrement participé avec nos tripes ! » Les tripes n’aiment ni le sarcasme, ni la récupération. Je me suis alors demandé, pourquoi peut-on rire des religions et pas de la laïcité, pourquoi peut-on dénoncer la propagande des pays extérieurs, mais beaucoup plus difficilement, celle de l’intérieur ? Mauvaise question ! Les tripes ne se sentent ni légères ni manipulées. C’est sérieux et on y croit. Ok. Changement de cap. Nous sommes dans l’émotion et la croyance profondes. D’où viennent cette émotion et cette croyance ? Replaçons le contexte. Il y a eu à Paris, un événement punitif fait par des terroristes, avec des morts civiles français, journalistes et policiers.

Avant le théâtre : Cela fait un certain temps qu’il n’y a pas eu d’attentats. Ces morts violents font irruption : coup de poing. La guerre, devenue une réalité abstraite, l’est un peu moins. Pour un court instant. En même temps, cet acte de guerre se pose contre la liberté d’expression, qui est un des fondements de nos valeurs, surtout quand en plus, elle passe par des caricatures, du blasphème, et de la dérision, traditions françaises par excellence. Tout le monde n’apprécie pas cette tradition : stupéfaction. Quoi de plus naturel quand on ne sait plus ce qu’est la guerre, avec ses morts violents, et quand on ne se penche pas vraiment sur le contenu politique d’un message, même s’il utilise la parodie. J’ai vécu dans les favelas où les morts violentes sont presque quotidiennes, en Afrique, où la politique est ostensiblement liée aux intérêts d’un groupe, en Israël où les couvre-feux sont imposés par un gouvernement religieux-national-colonial. Ce genre d’actes est pris différemment : l’horreur qu’ils inspirent est la même, mais avec moins de surprise. C’est ça que j’ai entendu : « Nous avons été surpris ». Surprise de la guerre et de la politique. Surprise du réel, car pour nous, la guerre est abstraite, et la politique se limite à un principe formel de liberté d’expression qui semble neutre. Ni mort, ni contenu. Je crois que dans un premier temps c’est cette surprise qui a créé un élan. Une surprise et un élan devant le réel qui fait une irruption inouïe. Descendre dans la rue c’était vivre ce choc et son désarroi. Cela, c’était beau, comme une princesse qui se réveille d’un long sommeil, qui ouvre les yeux, et qui constate brutalement, que son matelas n’est pas si moelleux, que l’air est plus vicié qu’il n’y paraît, et que les sept nains ont été mordus par des zombies. Grand moment ! La princesse s’est réveillée ! Combien de temps va-t-elle garder les yeux ouverts ?

Premier acte : on entend parler de deuil. Difficile à comprendre. Faire un deuil pour des gens qu’on n’a pas connus, et dont on n’appréciait pas forcément les productions, bien discutables sur de nombreux points... il faut suivre. Non : en fait le deuil se porte, non sur les morts, mais sur ce qu’ils représentent. OK. Ils représentent la liberté d’expression. D’accord. Deuil pour la liberté d’expression ? Ben non ça marche pas. Ca voudrait dire qu’elle est morte et qu’on en fait le deuil. Trop bête. Non. On change. Deuil ça signifie : digestion émotionnelle d’un événement inouïe, et affirmation de la défense pour la liberté d’expression. Ca marche ! Entre temps, on n’interroge pas le lien entre l’événement et ses causes, entre le contenu du message et la réponse mortelle. Et pour cause : on a trop à faire avec la surprise et avec la réaction à cette surprise. On est fier, on se braque : « Même pas peur, on dit ce qu’on veut ! » Quoi de plus naturel, quand on est surpris mortellement, d’avoir peur et de réagir en affirmant qu’on a pas peur. C’est plutôt sain comme reprise de soi ; du moins tant que le déni ne vient pas remplacer la réalité. Mais bien sûr la peur est là, bien trop là. Préparée de longue date par les médias. « Je suis Charlie » veut dire : « Je sens que je peux me faire buter moi aussi à n’importe quel moment, alors je suis solidaire et je n’ai pas même pas peur ». Mais sincèrement : qui n’a pas peur de se faire buter ? La descente dans la rue prend les allures d’une conjuration collective contre la peur, une recherche de courage face à une déstabilisation énorme. Et cela passe par l’affirmation très haute et très forte, arrogante même, qu’on est « Contre les attentats et pour la liberté d’expression ». Choc, réveil, peur, affirmation, rite, conjuration. Que d’émotions ! Entre le choc et l’affirmation, ou après l’affirmation, il y a, dans le meilleur des cas, une remise en question constructive, ou a minima, une réflexion. Mais cette fois : pas le temps !

Deuxième acte : les médias déferlent, les hommes politiques s’invitent. On sort les drapeaux, on chante la marseillaise, on embrasse les flics. « Allons enfants de la Patriiieeee ! » On remet une couche de médias et de caricatures. On congratule le pire d’Israël, de l’Ukraine, des USA et de l’U.E. Et l’islam ? Parlons en, ça fait tellement longtemps… ah oui… il y a un vrai problème : les banlieue-ghettos, la néo-colonisation, les guerres au Moyen-Orient… ah non pas ça !… on va juste dire qu’il y a un problème… un gros… très gros même… et qu’on osait pas en parler avant… et tout et tout… c’est vrai… ok. Mais encore une fois, pas question d’insister sur la complexité de l’islam, sur le nombre de musulmans qui participent pacifiquement au pays, et surtout, ah non ! Pas question : on va pas commencé à parler de ghettos, colonisation, guerre et tout le tintouin, et encore moins chercher à apporter des solutions, qui coûteraient chères en argent et en changements structurels... on s’arrête là : STOP ! Pour avoir travaillé 15 ans dans le 93, en tant que directeur artistique (animateur et propagateur de la social-démocratie serait plus juste…), j’avoue ne même plus écouter les déclarations d’intention concernant les banlieues.

Pourtant malaise : du choc premier, et de la spontanéité qui en découle, on se retrouve à chanter la marseillaise en face de dirigeants, qu’on n’aime pas forcément. Parce que, quand même, malgré ce moment d’exaltation inespéré, on peut pas dire que la France se porte comme un cœur. « Kesaco ? Mais pas du tout ! Vous doutez ? On est ici pour l’union nationale autour de gens morts pour la liberté (d’expression), ne l’oubliez pas ! Des martyres de la République ! » Ca commence même à devenir un peu plus menaçant : « Comment ça t’es pas Charlie ? T’es pas pour la liberté alors ? », « On va traquer les Non-Charlie pour les intégrer ». Et tiens prends ça : j’ t’ rajoute une couche de médias et j’régularise un sans-papier, histoire de rappeler qu’il faut être un Héros (ou un Martyre) pour mériter d’être français. Faut dire que si google, face-book, twitter, yahoo, microsoft, la planète Mars, et j’en passe, s’y mettent tous ensemble, c’est qu’ça doit être bien. Il faut au moins tout ça pour faire taire notre malaise.

Créer un large consensus. C’est ça que je commence à comprendre. Nous avons tous besoin de nous retrouver ensemble, de nous unir, de nous tenir chaud, de nous sentir « ensemble », même si les valeurs défendues sont à contenu variable. Pourquoi ? Parce que nous sommes chacun dans notre coin, sans empathie, saturés des besognes quotidiennes de plus en plus lourdes, et exaspérés par le voisin, qui lui-même n’en peut plus. Crise interne, indifférence, déréliction, désorientation, break-down. Imaginez un choc comme ces attentats, sur une crise sous-jacente comme celle-là. Ca fleurit. L’émotion explose. Il suffit alors d’amplifier l’événement avec les médias, afin de rassembler les gens, et puis de diriger, toujours avec les médias, toute cette émotion un peu trouble. Et cela est si bien fait, que ce sont les médias qui finissent par créer l’événement. L’émotion spontanée et la réflexion possible, se trouvent absorbées par les médias, porteurs du discours dominant. On a beau se dire que « J’étais pas tout à fait là pour ça »… trop tard ! Les médias ont inscrit leurs images, leurs figures et leurs valeurs. C’est la fusion entre une personne assommée par le quotidien et en carence d’empathie, avec le matraquage continuel des médias, sur fond d’absence de contre-pouvoir (ou plus modestement, de contre-pensée), qui a rendu possible cette récupération. Le décor a pris le pas sur le rassemblement, la liberté d’expression formelle sur son contenu politique réel.

Troisième acte : une scission a eu lieu. La personne ne s’identifie pas autant qu’on voudrait le faire croire, au discours dominant. Elle se sent embarquée, malgré elle, dans un événement préfabriqué. Et là c’est pas facile. Il se passe alors un désinvestissement de la scène politique de la part de la personne, et en retour, un surinvestissement de la part du discours dominant, notamment à travers les médias. On aboutit à un clivage : on parle à notre place. On ne dit rien, mais n’en pense pas moins. La situation devient de plus en plus dérangeante : on se retrouve à soutenir, malgré nous, des politiques qu’on n’approuve pas. Nous voilà pris dans un cercle très vicieux : on se rassemble, en suivant une émotion, qui est immédiatement reprise par le discours qui formate cette émotion, en lui donnant une valeur (liberté), une figure (le Président), un mot (Charlie). On n’est pas super content du formatage, alors intérieurement, on commence par se désinvestir chaque fois plus du rassemblement, et le discours envahit l’espace abandonné, avec encore plus de vigueur… et on se désinvestit toujours plus, et pas que du rassemblement, etc. C’est ainsi que tout l’espace se trouve récupéré et formaté. Autrement dit : plus on désinvestit l’espace politique, plus la récupération l’investit.

Mais ce formatage ne nous laisse pas indifférent. En effet, plus il y a consensus et matraquage, plus on a tendance à y croire à ce discours. Le consensus n’est pas une empathie, mais une production médiatique, avec un leurre d’empathie ; une empathie virtuelle. La récupération devient de plus en plus invisible, à la fois, parce qu’intérieurement, la personne croit pouvoir se mettre en dehors, et parce qu’avec le consensus (empathie virtuelle), même son intériorité finit par flancher. Elle pensera : « Je ne me suis pas fait récupérer, parce que je pense différemment, et en même temps, je suis quand même pas mal d’accord ». Il me semble que cette logique de fou est l’emblème de notre modernité. On pense qu’il suffit de penser pour être, même au milieu d’un rassemblement qui oriente différemment, et on pense que l’on est imperméable à cette orientation. Beaucoup de pensées pour cacher deux dénis de la réalité : d’une part un rassemblement décide de la couleur globale, et d’autre part, on finit par devenir la couleur dans laquelle on marche. Cette couleur, c’est le drapeau français. Entendez la couleur du nationalisme. Mais on l’a vu, ce processus fonctionne à partir du moment, où on ne va pas interroger les causes, et où on oriente les gens de manière la plus formelle possible. Ca va ensemble.

Je me suis alors demandé pourquoi y-a-t-il une telle négation de la réalité de la récupération. Réponse : parce que ce serait s’avouer son impuissance. Son impuissance face à la foule, malgré son intériorité, et son impuissance face aux medias, malgré ses doutes. Vous vous rendez compte, si on enlève à l’individu moderne sa puissance individuelle de liberté d’être et de penser, le narcissisme s’écroule : il ne reste plus qu’à se laisser aller à un burn out… D’ailleurs, quand on arrive à parler calmement, et que la réalité de ce processus est admise, on finit par conclure : « Bon c’est vrai, mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? » Et là, bien malin qui sait répondre. Alors chacun retourne dans son coin, un peu plus isolé, avec un souvenir un peu irréel de ce rassemblement, avec une vague peur qui rôde parce que le rite de la conjuration ça suffit pas, et pour couronner le tout, avec une crise identitaire latente. Pendant ce temps, le vice s’enracine : on désinvestit le champ politique, tandis que la récupération s’investit en nous.

Quatrième acte : Comment en est-on arrivé à une telle impuissance ? Il me semble que c’est la conjugaison de trois facteurs : psychologique, politique et médiatique.

Psychologique en ce sens où on fait confiance à nos gouvernants. Non plus à la manière naïve d’un amour du vote, mais à la manière cynique de citoyens dépités, et qui se résument en une phrase : « C’est encore le moins pire ». Et pour ce « moins pire », nous désinvestissons le champ politique décisionnaire, voire on laisse prendre des décisions contre notre volonté (le « non » à la constitution européenne, l’entrée dans l’OTAN sans consultation, les retraites etc), parce qu’en dernière instance, c’est quand même « moins pire » qu’ailleurs. Cette confiance est une sorte d’atavisme psychologique que nous avons tous, surtout en ces temps où la vie quotidienne nous demande tellement. Mais en plus, ce « moins pire » permet d’idéaliser la sorte de paix dans laquelle nous sommes en Occident ; c’est ce que l’on appelle le confort. Confort matériel de consommation. Et là encore, il s’agit d’un « moins pire » relatif, car si nous ne sommes pas plus heureux qu’avant ou qu’ailleurs, nous avons plus que les autres d’avant et d’ailleurs. C’est sûr que ramener le bonheur à du matériel, c’est pas très spirituel, mais c’est mieux que rien… En d’autres termes, nous nous rendons dociles, même si nous ne sommes pas contents. C’est là qu’intervient la liberté d’expression : « Plains-toi autant que tu veux, du moment que tu fais ce qu’on te dit de faire ». Et les français sont les champions olympiques dans ce marathon… Mais au fond, cette inertie psychologique prend racine dans une forme d’isolement. Un isolement qui se traduit par cet impératif de survie : faire en sorte que ce qui arrive à l’autre m’atteigne le moins possible, et surinvestir la sphère restreinte, qu’elle soit familiale, de l’ordre du loisir ou même du travail. C’est ainsi que toutes les routes mènent à Rome : désinvestissement du collectif.

ROME. Traité de Rome. Décidemment il porte bien son nom. Ca c’est le facteur économico-politique. Ces fameux gouvernants que nous avons élus, en rechignant certes, mais c’est le jeu, on a pas vraiment de choix, et quand même, ils représentent le « moins pire ». Eh bien leurs lignes directrices deviennent de plus en plus nettes avec les derniers événements. Au nom de l’U.E, on a réussi à foutre en l’air le système social, à continuer les guerres coloniales (Irak, Lybie, Mali, Nigéria, Cameroun etc), à se créer des inimitiés (Chine, Russie), à appauvrir les pays d’Europe, et à courir se soumettre, la langue pendante, au géant ultra-libéral et angoissé que sont les USA. Et il faut bien reconnaître, qu’en France, les gauches ont participé, avec conviction et ferveur, à cette soumission. Cette politique contribue à notre isolement, à la fois interne, entre citoyens, et externes, avec les autres pays. Il va finir par plus rester plus grand-chose, à part les USA qui, par ailleurs, nous méprisent « cordialement » (correct politically), loin de tout qu’ils sont, protégés par un océan Atlantique d’indifférence, et qui nous enverraient, sans remords, jusqu’au dernier, se faire tuer pour l’Ukraine. L’Ukraine qui selon eux, mérite, soit de passer sous milice américano-néo-nazi, soit de finir dans le chaos. Ca c’est la réalité. On peut encore se terrer dans un trou de bonne conscience, de paix toute relative, d’isolement narcissique tout-puissant, mais ce trou risque de finir en fosse commune pour autruches. Mais il ne faut surtout pas que les citoyens européens relèvent le nez. Sinon imaginez : ils risquent de voir l’entourloupe de l’UESA (néologisme U.E+USA ;-)) et de sortir de l’Union sacrée, ou pire, d’imaginer une autre sorte d’union, moins sacrée, mais plus indépendante. C’est là qu’interviennent les médias.

Pour assurer un pouvoir dominant qui joue à l’encontre des citoyens, il faut absolument contrôler les médias. Et là je le découvre chemin faisant. Pendant la première guerre d’Irak, où j’ai monté un groupe contre la guerre, j’ai vu la télévision et la radio être censurées sous mes yeux. Bon OK. Mes activités artistiques ont subi de nombreuses censures. Bon OK. Enfin pas OK, mais OK. Mais alors, réussir à embarquer internet, qu’on croyait le réseau libre, et à récupérer la masse des Français… dans la rue ! Alors là je dis chapeau bas. Quelle virtuosité ! J’ai rien vu venir ! Ils ont bien bossé ! On a pas eu le temps de dire ouf ! Consensus médiatique des partis et des citoyens, malgré le malaise de ces derniers. On finit même par se demander si nos politiques n’attendaient pas que cela, afin de plastronner et de refaire de l’Union à moindre coût (eux ils sont pas morts…)… Trop bien fait… Le poids des médias me rappelle ce que j’ai compris, en travaillant dans les majors musicales : d’abord, la mélodie doit être banale, les mots vides (amour et/ou révolte faciles selon les classes sociales), l’image léchée, et puis ensuite, -c’est le plus important- que cela passe en continue, partout, tout le temps. A la fin ça sonnera simple pour les auditeurs. Ils penseront que la mélodie est super naturelle, ils investiront les paroles creuses avec leur imaginaire et ils chanteront ta chanson sous leur douche. Franchement, on peut pas mieux dire sur la mise en scène hypnotique qu’on nous sert à propos du pacte républicain.

Et bien voilà le travail. Avec ces trois facteurs conjugués, on arrive à ce que chacun reste chez soi, avec une vague bonne conscience, un clivage accentué en soi, avec les gouvernements et avec les autres en général, et un repli narcissique morose.

Cinquième et dernier acte : premières conséquences prévisibles : un renforcement de la sécurité qui se traduit par l’augmentation du cyberg-contrôle, une omerta sur les causes profondes des troubles, une islam diabolisée pour essayer d’unir un peu les Français autour d’un bouc émissaire, une occasion de renforcer l’UESA (U.E/USA), une diversion pour faire en sorte que la Grèce ne questionne pas trop, une minimisation des autres guerres bien plus dangereuses, en terme de massacres et de géopolitique, notamment celle si proche, en Ukraine, et une politique identitaire sous-jacente, sur laquelle on espère compter, pour nous faire accepter l’inacceptable. Car au fond ces événements, qui braquent les franges identitaires et fanatiques de l’Islam, ont comme effet, convenu et souhaité, de braquer et de réveiller l’identité nationale française, autour d’un principe hypnotique de laïcité qui, tout rempli de stratégie politique, n’a plus rien de tolérant, et risque de devenir l’emblème de la prochaine guerre mondiale du bien contre le mal.

Alors je me répète toujours et encore cette phrase, qu’on finit parfois par me dire, en désespoir de cause : « Bon c’est vrai, mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? » Je prends un peu de distance et je sais bien que les êtres humains n’agissent que dans l’extrême limite. Et encore. La misère toute seule, ça marche pas. Il faut la conscience, l’occasion et la chance, la force de lutter, la confiance et le désir de changer. Ca fait beaucoup pour un saut dans l’inconnu. Ca marche comme ça chez nous les humains, c’est pas vrai ? Peut-être la Grèce qui, sortant de l’horreur de l’U.E, suivie de l’Espagne et des autres pays du sud, auront un impact sur nos âmes affaiblies. Peut-être une défaite de Kiev accélèrera une prise de conscience ; peut être faudra-t-il aller jusqu’au nationalisme et ses massacres humains, dans lesquels la gauche comme la droite, nous envoient avec une légèreté fascinante… Que doit-il arriver pour que la collectivité ne soit plus cooptée par des égoïstes et des partis hallucinés, qui jouent contre ceux et celles qu’ils sont censés représenter ? Que doit-il arriver pour pouvoir construire une Europe digne de ce nom, avec son ouverture à la Russie, à l’Asie, aux Amériques, à l’Afrique ? Bref, non une Europe réactionnaire et isolée, à la solde des USA sans pitié, et qui va droit dans le mur, et très fort, mais une Europe de l’ouverture au monde et à ses citoyens ? Que doit-il se passer pour sentir que l’Europe, c’est des peuples et non des gouvernants ? Que la force de l’Europe d’après-guerre, est précisément sa structure sociale, qui tend à se déliter sous le poids étouffant de l’hyper-égoïsme libéral ? Que faire pour que les gens reprennent confiance en eux et sortent de l’isolement ?

Je sais que le devoir de mémoire ne sert à rien et que la vie est une initiation, mais quel que soit le dénouement de toute cette histoire, je ne dirai pas que je n’ai pas vu les choses venir. Et ça, c’est fondamental pour moi et mon histoire.

Tristan Edelman

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