Combien de cadavres sont-ils encore pris au piège dans ce navire de la mort qui a sombré jeudi au large de Lampedusa ? Hier, les secours ont repris leurs opérations, suspendues depuis vendredi pour des raisons climatiques, remontant ainsi à la surface une quinzaine de corps. Au total, cent vingt-sept dépouilles ont été récupérées des entrailles du bateau ou à proximité. Près de 155 migrants clandestins, principalement originaires de la Somalie et de l’Érythrée, ont eu la vie sauve mais le bilan de cette catastrophe pourrait être porté à au moins trois cents victimes. Samedi, la petite île italienne, nichée entre la Sicile, la Tunisie et la Libye, a rendu hommage aux femmes, hommes et enfants qui ont payé de leur vie leur exil vers l’Europe.
Le dispositif Frontex n’a jamais été dissuasif
Ce tragique épisode de l’immigration clandestine, un de plus, relance la polémique des politiques migratoires européennes. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, est attendu mercredi à Lampedusa afin qu’il « se rende compte par lui-même » de la situation, a précisé hier le chef du gouvernement italien, Enrico Letta. Les survivants sont désormais entassés avec un millier d’autres réfugiés dans un centre d’accueil pour migrants prévu pour deux cent cinquante personnes. « Nous avons le devoir de dire au gouvernement italien et à l’Union européenne que leurs structures et leurs politiques sont non seulement inadaptées mais qu’elles sont criminelles », s’est emporté Rosario Crocetta, gouverneur de Sicile, après avoir visité ce centre.
Mardi, les ministres de l’Intérieur des Vingt-Huit se réuniront au Luxembourg afin de débattre des moyens de prévention.
« La compassion ne suffit pas », a déclaré le premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, exhortant les dirigeants européens à « trouver la bonne réponse ». Pour l’heure, l’UE campe dans sa logique de durcissement du contrôle des frontières, notamment maritimes.
Or le dispositif Frontex n’a jamais été dissuasif. Il a eu pour conséquence d’aggraver les conditions de passage des migrants, contraints de s’en remettre aux mafias locales de l’immigration qui n’hésitent pas à les envoyer à une mort certaine.
« Les politiques migratoires, fragmentées, sont entre les mains des États membres et considérées à l’aune de préoccupations intérieures », a critiqué Michèle Cercone, le porte-parole de la commissaire aux Affaires intérieures, Cécilia Malmström.
Chaque drame de l’immigration met pourtant à nu les déséquilibres Nord-Sud et la responsabilité des pays riches.
La pauvreté, les conflits armés sont autant de raisons qui poussent chaque année des milliers de personnes à quitter leur pays. Ces causes originelles ne sont jamais prises en compte. À titre d’exemple, l’aide publique au développement est en recul de 4 % pour l’année 2012, soit un manque à gagner en prêts ou en dons pour les États de cinq milliards de dollars, selon l’OCDE. L’aide de la France a également reculé. Elle se situe à 0,45 % de la richesse nationale brute (RNB). Loin de l’objectif de la porter à 7 % du RNB d’ici à 2015.
Le cri d’alarme du PCF
« Combien faudra-t-il de morts pour que les gouvernements européens et l’Union européenne s’aperçoivent que l’Europe forteresse est une impasse ? Combien faudra-t-il de morts pour qu’ils s’aperçoivent que les murs, les barrières, pour empêcher l’immigration sont à la fois inhumains, coûteux et inefficaces ? » interroge Gilles Garnier, en charge des questions européennes au Parti communiste français.
Pour le responsable, la crise sert désormais de prétexte pour justifier « d’immenses reculs sociaux et démocratiques qui menacent la solidarité ». « La paix, la justice, la solidarité censées être aux fondements de l’Union européenne ne sont plus que des oripeaux qui cachent à peine la cruauté du marché et de la concurrence », dénonce-t-il.
Selon lui, il est au contraire urgent de mettre l’accent sur « la coopération ».
Cathy Ceïbe