La Commission a confirmé les conclusions des rapports précédents sur les inégalités en matière de santé entre les différents pays mais également au sein d’un même pays. Elle a confirmé que les pauvres sont plus mal lotis que ceux qui sont moins défavorisés, que les moins défavorisés sont plus mal lotis que ceux qui ont des revenus moyens, et ainsi de suite jusqu’au sommet de l’échelle sociale. Elle a confirmé que ces différences existent dans tous les pays, même dans les pays riches. Elle a aussi confirmé que l’égalité devant la santé ne peut pas être garantie uniquement par les systèmes de soins médicaux.
Les maladies dues à l’eau ne sont pas provoquées par un manque d’antibiotiques mais par la pollution de l’eau, cela parce que les pouvoirs sociaux, politiques et économiques ne se soucient pas de fournir de l’eau non polluée à la population ; les maladies cardiaques sont provoquées non pas par le manque de services de cardiologie mais par la vie que mènent les gens qui est conditionnée par l’environnement dans lequel ils vivent ; l’obésité n’est pas due à des problèmes psychiques mais à l’excès de graisses et de sucre dans les produits alimentaires industriels.
Aucune de ces conclusions n’est nouvelle. Les études sur les inégalités face aux problèmes de santé remontent à la Révolution Industrielle du XIX°s et ont provoqué l’essor du mouvement pour la santé publique.
On attribue généralement la paternité de la médecine sociale à Rudolf Virchow (1821-1902), médecin progressiste et défenseur de la santé publique. Néanmoins, je pense que c’est à Frederick Engels (1820-1895), ami et collaborateur de Karl Marx, que revient ce mérite.
Engels a été le premier à relier un grand nombre de problèmes sociaux et médicaux à la façon dont le capitalisme est structuré. Entre septembre 1844 et mars 1845, Engels a travaillé sur l’impact qu’a eue la révolution industrielle sur les êtres humains en Angleterre. Et il a publié ses conclusions dans : "La situation de la classe laborieuse en Angleterre" (1845).
Au cours de ces 163 ans, il y a eu beaucoup de changements. Les Etats-Unis sont devenus le centre du monde industriel à la place de l’Angleterre. Les niveaux de vie plus élevés ont prolongé l’espérance de vie et fait baisser le taux de mortalité infantile dans beaucoup de pays. Et pourtant, beaucoup de choses sont restées pareilles, et d’autres sont devenues pires.
Comme l’indique le rapport de l’OMS, les inégalités face à la santé continuent d’aller de pair avec les inégalités de salaires, et les deux se sont aggravées. En 1980, le PIB des pays les plus riches était 60 fois plus élevé que celui des pays les plus pauvres. En 2005, cette différence avait plus que doublé. La population mondiale connaît actuellement les nombreux problèmes sociaux et médicaux qu’avait décrit Engels à l’époque concernant l’Angleterre : la pauvreté extrême, la pollution environnementale, le manque d’hygiène, l’alimentation malsaine, les maladies évitables et les morts prématurées.
En lisant le rapport de l’OMS, je me suis demandé ce qu’en aurait pensé Engels. Et j’ai donc imaginé une interview dans le but de comparer ses conclusions avec les conditions actuelles.
Les propos d’Engels tirés de son livre sont soulignés. Le reste de cette conversation fictive est de moi.
Classes sociales et santé
SR : Votre livre montre bien que classe sociale et santé sont étroitement liées dans le pays qui était à l’époque le pays le plus riche du monde.
Engels : Oui, à Liverpool, en 1840, la longévité moyenne de l’aristocratie, la petite noblesse, la bourgeoisie, etc. était de 35 ans ; celle des commerçants et des artisans les mieux lotis, de 22 ans ; et celle des ouvriers, des manoeuvres et des employés des services, de 15 ans seulement
SR : Aux Etats-Unis, actuellement le pays le plus riche de la planète, les taux de mortalité ne sont pas répertoriés selon les classes sociales. Cependant, les adultes les plus pauvres du pays sont 5 fois plus susceptibles d’être de santé "médiocre ou mauvaise" que les plus riches, et pour chaque tranche de revenu, le groupe supérieur le plus aisé est en meilleure santé que le groupe inférieur. Et ces différences existent pour tous les groupes ethniques.
Engels : Il y a une mortalité très importante chez les jeunes enfants de la classe ouvrière. La vulnérabilité d’un enfant l’expose davantage aux nuisances liées aux conditions de vie difficiles ; le manque d’attention dont il fait souvent l’objet, soit parce que ses deux parents travaillent soit que l’un des deux est décédé, se retourne vite contre lui, et pas étonnant qu’à Manchester plus de 57% des enfants de la classe ouvrière meurent avant l’âge de 5 ans, par rapport à seulement 20% des enfants des classes les plus favorisées et pas tout à fait 32% des enfants toutes classes sociales confondues.
SR : La mortalité infantile en Amérique est classée par lieu et par groupes ethniques, qui sont plus ou moins assimilés aux classes sociales. Dans les états plus pauvres, comme le Mississippi, le taux de mortalité infantile s’élève à plus du double de celui d’états plus riches comme le Vermont. Et le taux de mortalité global des nourrissons noirs est deux fois et demie plus élevé que celui des nourrissons blancs.
Vous avez découvert une étude effectuée sur les différences de taux de mortalités infantiles en fonction des rues où habitaient les enfants.
Engels : En effet. Le docteur P. H. Holland a réalisé une enquête dans une banlieue de Manchester. Il a classé les maisons et les rues en trois catégories, et a constaté que le taux de mortalité dans les rues de la deuxième catégorie est de 18% plus élevé et dans les rues de la troisième catégorie de 68% plus élevé que celui de la première catégorie ; que le taux de mortalité dans les maisons de la deuxième catégorie est de 31% plus élevé, dans celles de la troisième catégorie de 78% plus élevé que dans celles de la première catégorie ; que le taux de mortalité dans les rues délabrées a chuté de 25% une fois qu’elles ont été rénovées. Holland termine son rapport en faisant ce commentaire d’une franchise inhabituelle.
Quand on constate que le taux de mortalité est 4 fois plus élevé dans certaines rues que dans d’autres, et deux fois plus élevé toutes catégories confondues que dans d’autres catégories, et qu’on constate, d’autre part, qu’il est invariablement élevé dans les rues délabrées, et pratiquement invariablement bas dans celles où les conditions de vie sont satisfaisantes, on ne peut pas s’empêcher de conclure qu’une multitude de nos semblables, des centaines de nos voisins immédiats, sont décimés chaque année parce que les mesures de prévention les plus évidentes ne sont pas prises.
SR : Des études aussi détaillées sont rarement réalisées ici, mais j’ai bien l’impression qu’on en arriverait aux mêmes conclusions.
La médiocrité des aliments
SR : Vous indiquez la médiocrité des produits alimentaires consommés par la classe ouvrière.
Engels : Dans les grandes villes d’Angleterre on peut trouver les meilleurs produits, mais ils coûtent cher ; et l’ouvrier, qui doit entretenir une famille avec quelques centimes, n’a pas les moyens de faire des dépenses inconsidérées. Les pommes de terre qu’achètent les ouvriers sont de qualité médiocre, les légumes abîmés, le fromage trop vieux et de qualité inférieure, le bacon rance, la viande dure et provenant de vieilles vaches, souvent malades, ou qui sont mortes de mort naturelle, et de toute façon pas fraîche même là , et souvent à moitié avariée.
Le 6 janvier 1844 (si je ne me trompe pas) à Manchester, 11 bouchers ont été condamnés à payer une amende pour avoir vendu de la viande avariée. On a trouvé chez eux soit un boeuf ou un cochon entier, soit plusieurs moutons ou bien encore entre 25 et 30 kg de viande qui étaient avariés et qui ont été confisqués. Dans un autre cas, 54 oies de Noël farcies ont été saisies : déclarées impropres à la vente à Liverpool, elles avaient été expédiées à Manchester.
SR : Aujourd’hui encore, il y a des maladies dues à la contamination de la viande et des produits agricoles. En Grande Bretagne en 1986, est apparue une maladie cérébrale (l’ESB) parce que les vaches destinées à la consommation étaient nourries avec des farines animales. Plus d’une centaine de personnes en sont mortes et bien d’autres ont été contaminées. Les victimes étaient majoritairement des ouvriers qui achetaient du boeuf haché bon marché, qui est fabriqué industriellement avec des carcasses de diverses provenances.
Actuellement, la nourriture est produite et distribuée à une bien plus grande échelle qu’à votre époque, ce qui aggrave encore davantage le problème de contamination.
En 2003, la première vache contaminée a été signalée aux Etats-Unis, et avant que le diagnostic ait été confirmé, la viande provenant de l’animal contaminé avait été distribuée dans plus de huit états différents et sa moelle épinière avait été utilisée pour fabriquer de la nourriture pour animaux de compagnie, pour les cochons et les volailles.
Engels : Et quand on réfléchit aux nombreux cas qui échappent à toute détection, à cause du manque de contrôle des services vétérinaires (quand on imagine la tentation que cela doit être, étant donné les amendes ridicules qui ont été infligées dans les cas précédents ; quand on pense à l’état dans lequel il fallait que soit la viande pour être saisie par les services vétérinaires), on ne peut pas croire que les ouvriers ont, en règle générale, accès à de la bonne viande bien nourrissante.
SR : Nous avons, aujourd’hui, une réglementation des produits alimentaires bien plus stricte, mais elle est peu appliquée. On "fait confiance" aux industriels pour s’auto-discipliner. Quand des problèmes surgissent, le principal souci du gouvernement est de protéger les intérêts des groupes industriels. Après la découverte du premier cas de vache folle, le Ministère de l’Agriculture nous a rassurés en nous garantissant que "l’alimentation est totalement sans danger et les consommateurs peuvent être assurés que le boeuf de ce pays ne comporte aucun risque à la consommation". Quand il y a eu d’autres cas de vaches folles, le ministère de l’agriculture a annoncé qu’ils allaient réduire le nombre de tests de dépistage de l’ESB. Moins de dépistage, c’est moins de risque de détecter les animaux contaminés.
Engels : Les capitalistes ont fait des progrès dans l’art de cacher la misère de la classe ouvrière.
SR : Vous parlez également de fraudes sur les produits alimentaires
Engels : Les négociants et les industriels dénaturent atrocement toutes sortes de produits, et sans la moindre considération pour la santé des consommateurs. Mais ne me croyez pas sur parole, écoutez plutôt ce qu’en dit Liverpool Mercury (j’adore citer mes adversaires) :
Le beurre salé est présenté comme une motte de beurre frais et placé à côté du frais. Ou alors, une livre de beurre frais destinée à la dégustation est ostensiblement placée sur l’étalage, mais ce beurre n’est pas en vente ; Ou bien encore, le beurre salé, une fois lavé, est présenté en motte et vendu pour du frais … Du riz pilé et d’autres ingrédients bon marché sont mélangés avec du sucre et vendus au tarif des produits de monopole. Une substance chimique (les déchets des fabriques de savon) est également mélangée avec d’autres produits et vendue pour du sucre … Au cacao, on ajoute abondamment de la terre marron fine, en les amalgamant avec de la graisse de mouton … Des produits nocifs de toutes sortes sont mélangés au tabac quelle que soit la forme sous laquelle il se présente ensuite.
SR : Ce n’est guère différent de nos jours. Les nantis peuvent s’acheter des produits bio alors que l’alimentation des classes ouvrières est dénaturée. Il est pratiquement impossible de trouver des produits bon marché qui ne contiennent pas toute une série d’adjuvants pour améliorer la couleur, le goût, la texture ou la durée de conservation. Beaucoup de ces adjuvants sont indigestes ou dangereux pour la santé, mais ils rendent les produits alimentaires à faible coût très rentables. Ces produits alimentaires frelatés remplissent le ventre de la classe ouvrière, engendrant des troubles digestifs, la malnutrition, l’obésité et le diabète.
Administration de drogues aux enfants
SR : Vous condamnez « l’habitude de donner de l’alcool aux jeunes enfants, et même de l’opium » pour les faire tenir tranquilles.
Engels : Un des médicaments commercialisés les plus dangereux est une boisson préparée à base d’opiats (à base d’opium - ndt), principalement le laudanum, sous la marque Godfrey’s Cordial. Les femmes qui travaillent à la maison, qui ont leurs enfants et d’autres à garder, leur administrent cette boisson pour les calmer et, comme beaucoup le croient, pour les fortifier. Elles commencent souvent à administrer ce produits aux enfants dés leur naissance et continuent ensuite sans connaître les effets de ce « calmant » sur le système de l’enfant, jusqu’à ce que les enfants meurent. Et si le corps de l’enfant ne réagit pas suffisamment à l’action de l’opium, on augmente les doses. Lorsque le produit n’agit plus, on administrera du laudanum seul, jusqu’à 15 ou 20 gouttes par prise. On peut facilement imaginer les effets produits sur les enfants. Ils sont pales, faibles, amorphes, et meurent généralement avant d’atteindre l’âge de deux ans. L’utilisation de ce produit est très répandue dans les grandes villes et les agglomérations industrielles du royaume.
SR : Aujourd’hui, l’administration de drogues aux enfants a atteint des proportions épidémiques, avec des millions de jeunes à qui ont prescrit des substances addictives pour les calmer et les faire tenir tranquilles.
Malgré les nombreux parallèles, les conditions des travailleurs dans les pays industrialisés sont généralement meilleures aujourd’hui qu’à votre époque. Vous le reconnaissez dans la préface de 1892 de votre livre, « les abus les plus flagrants décrits dans ce livre soit ont disparus, soit ont été rendus moins criants ».
Engels : La situation décrite dans mon livre, par bien des aspects, appartient au passé, du moins en Angleterre. Des apparitions régulières de choléra, de typhus, de variole, et autres épidémies ont convaincu la bourgeoisie britannique de l’urgente nécessité d’améliorer les conditions d’hygiène dans ses villes si elle veut être elle-même épargnée par ces maladies. De plus, les capitalistes comprennent de plus en plus qu’ils ne pourront jamais obtenir le contrôle total du pouvoir social et politique du pays sans l’aide de la classe ouvrière. Alors ils acceptent des réformes pour améliorer les conditions de vie des travailleurs.
SR : les problèmes les plus graves que vous décrivez peuvent désormais être trouvés dans les pays plus pauvres. Ce qui n’empêche pas les pays les plus riches de connaître une pollution de l’air, des aliments et de l’eau. Nous avons une science et une technologie suffisante pour protéger la santé, mais la recherche du profit nous empêche de les utiliser à bon escient. Votre livre couvre un domaine beaucoup plus vaste, et il y a tellement d’autres sujets que nous pourrions aborder, mais venons-en aux solutions.
Que faire ?
SR : pour réduire les inégalités en matière de santé, l’OMS recommande l’amélioration des conditions de vie et de travail ; et une redistribution plus équitable du pouvoir, de l’argent et des ressources. Et dans une série de « choses à faire », elle formule quelques propositions, dont :
- investir dans le développement de l’enfance et l’éducation des femmes.
- suppression des barrières qui empêchent les filles et les garçons d’entrer à l’école et d’y rester.
- fourniture d’eau propre, de système d’évacuation des eaux usées et d’électricité pour tous.
- garantir un travail correctement rémunéré, dans des conditions de sécurité, qui ne soit pas un travail saisonnier et qui respecte un équilibre en durée du travail et temps libre, pour tous.
- garantir un niveau de vie et de santé minimum sous lequel personne ne tomberait pour des raisons indépendantes de sa volonté.
- garantir un accès universel à des services de santé de qualité.
Engels : comment mettront-ils en oeuvre ces mesures ?
SR : la Commission souligne « le rôle primordial de l’état dans la fourniture de services essentiels à la santé (tels que l’eau/sanitaires) et dans la régulation des biens et services et ont le plus grand impact sur la santé (tels que tabac, alcool, et aliments). »
Engels : Quand est-ce que la classe capitaliste a jamais accordé une véritable attention aux revendications sociales ? Ont-ils jamais fait autre chose que financer une demi-douzaine de commissions d’enquête, dont les volumineux rapports sont condamnés à finir leurs jours sur des piles de papiers jaunis dans les archives du gouvernement ? Ont-ils jamais fait ne serait-ce qu’une compilation de tous ces rapports qui moisissent pour produire ne serait qu’un seul livre qui soit lisible, où tout le monde pourrait facilement trouver de l’information sur les conditions de vie de la grande majorité ? Non. Au contraire, ce sont des sujets dont ils n’aiment pas entendre parler.
SR : Comme vous l’avez dit, les capitalistes ont besoin de la coopération de la classe ouvrière et se maintenir au pouvoir, et les inégalités en matière de santé sont devenues si profondes et si répandues qu’on ne peut plus les ignorer. A présent nous avons une pile de rapports sur les conditions de la classe ouvrière, mais aucun ne met accusation le capitalisme pour les problèmes décrits. Tous en appellent à l’Etat pour freiner la cupidité de la classe capitaliste par des mesures de réglementation.
Engels : Des réglementations, on en a autant que l’on veut, ce n’est pas ce qui manque. Mais elles ne font que limiter les souffrances des travailleurs, elles ne peuvent pas les guérir. Dois-je vous rappeler que la classe capitaliste ne peut exister qu’en soutirant à la classe ouvrière le fruit de son travail ? C’est le principe même d’un système qui tend de plus en plus à diviser la société entre, d’un côté, quelques Rothschild et Vanderbilt, les propriétaires des moyens de production et de subsistance, et, d’un autre côté, un très grand nombre de salariés, les propriétaires de rien du tout sinon de leur force de travail. Ainsi sont générées des inégalités de toutes sortes, pas par telle ou telle injustice, mais par le système lui-même. Ce fait a été amplement démontré par le développement du capitalisme.
SR : le rapport de l’OMS n’est pas d’accord. Il nous affirme que « le secteur privé a beaucoup à offrir en termes d’amélioration des conditions de vie et de santé ». En particulier en améliorant les conditions de travail. Le rapport recommande aussi que « les activités et services du secteur privé (tels la fabrication et la commercialisation de médicaments vitaux, l’offre d’assurances santé) contribuent au lieu d’éroder l’égalité devant la santé ». Mais aucune de ces mesures ne représente une source de profits. Au contraire, toutes réduiraient les profits. C’est comme si on demandait au renard de ne pas manger la poule mais de prendre soin de sa santé.
Engels : Lorsqu’un individu inflige à un autre individu des blessures corporelles telles qu’elles entraînent la mort, on appelle ça un homicide. Lorsque l’assaillant savait à l’avance que les blessures seraient mortelles, on appelle ça un meurtre.
Lorsqu’une société place des travailleurs dans des conditions où inévitablement ils trouveront une mort précoce et non naturelle, une mort qui est tout aussi violente que celle provoquée par une lame ou une balle, lorsqu’elle prive des milliers de gens des besoins élémentaires de la vie, lorsqu’elle les place dans des conditions où ils ne peuvent vivre - lorsqu’elle les force, par le bras armé de la loi, à se maintenir dans ces conditions jusqu’à ce que mort s’ensuive et qui est la conséquence inévitable - lorsqu’elle sait que ces milliers de victimes doivent périr, et pourtant tolère leurs conditions, ceci constitue un meurtre au même titre que l’acte individuel ; un meurtre déguisé, cruel, contre lequel on ne peut pas se défendre, qui n’en a pas l’air parce que personne ne voit le meurtrier, parce que la mort de la victime parait naturelle, parce que le crime commis est plus le résultat d’une inaction que d’une action. Mais il n’en demeure pas moins que c’est un meurtre.
A chaque instant du jour le Capitalisme commet un meurtre social. Il a placé les travailleurs dans des conditions qui ne lui permettent ni de garder la santé, ni de vivre longtemps. Il sape progressivement la force vitale de ces travailleurs, petit à petit, et les entraine vers une mort prématurée. La classe capitaliste connait le danger pour la santé que représentent ces conditions de travail, en ne fait pourtant rien pour les améliorer.
SR : Votre livre interpelle la classe capitaliste et l’enjoint à « soit de poursuivre son exercice du pouvoir sous l’accusation incontestable de meurtre et de le poursuivre malgré cette accusation, soit d’abdiquer en faveur de la classe des travailleurs. Jusqu’à présent, elle a choisit de poursuivre. » Pensiez-vous réellement qu’ils allaient abandonner leur pouvoir ?
Engels : J’avoue que je n’avais que 24 ans lorsque j’ai écrit le livre et que j’étais politiquement immature lorsque j’ai affirmé que le socialisme concernait l’humanité et pas uniquement les travailleurs. Ce qui est assez vrai en théorie, mais absolument inutile, et parfois pire dans la pratique, tant que les classes possédantes non seulement refusent d’entendre parler de la moindre émancipation, mais s’opposent même à toute tentative d’auto-émancipation des travailleurs, tant que la révolution sociale devra être préparée et menée par la seule classe ouvrière.
Et ceux qui aujourd’hui, se basant sur « l’impartialité » de leurs hauteurs supérieures de point de vue, prêchent un Socialisme qui passerait très au-dessus les intérêts de classes et les luttes de classes, qui réconcilierait dans un humanisme supérieur les intérêts des deux classes antagonistes - ces gens sont soit naïfs, qui ont encore beaucoup à apprendre, soit ce sont les pires ennemis des travailleurs - des loups déguisés en moutons. J’ai expliqué ceci plus en détail dans « Socialisme Utopique et Socialisme Scientifique ».
SR : Je comprends pourquoi les capitalistes refusent de reconnaitre en vous le fondateur de la médecine sociale. Ils se braquent encore devant votre insistance à prétendre que la seule manière d’améliorer la santé et d’abolir les inégalités devant la santé c’est d’abolir les divisions de classe. Et pourtant, les éléments persistent à vous donner raison.
En 1998, une étude des villes étasuniennes a découvert que l’espérance de vie diminuait lorsque les revenus baissaient, et ceci dans toutes les tranches de revenus et pas uniquement chez les plus pauvres. En réduisant les inégalités de revenus pour les plus pauvres aux Etats-Unis on sauverait autant de vies que si on éradiquait les maladies cardiaques ou si on guérissait ou sauvait les vies de l’ensemble de tous les cancers du poumon, diabètes, accidents de voiture, morts du SIDA, suicides et homicides, réunis.
De plus, le rapport de l’OMS a calculé que si le racisme était aboli et si la longévité entre les étatsuniens blancs et noirs étaient les mêmes, 886.202 vies auraient été sauvées entre 1991 et 2000. Pendant la même période, seules 176.633 vies furent sauvées par les progrès en médecine. Et des millions de vies seraient sauvées dans les pays pauvres par l’amélioration de leurs conditions de vie.
Engels : A l’évidence, la pauvreté est plus grande que jamais. Mais tant que les travailleurs ne riposteront pas en tant que classe, il ne peut y avoir une amélioration.
SR : C’est vrai. Le rapport de l’OMS s’ouvre sur une déclaration explosive - LES INEGALITES TUENT A GRANDE ECHELLE - et se termine par un gémissement, un appel aux « volontés politiques » pour changer les choses. Merci de m’avoir consacré du temps.
Engels : Ne me remerciez pas. Organisez-vous !
Par Susan Rosenthal
2 septembre 2008
Susan Rosenthal médecin praticien et auteur du livre « POWER and Powerlessness (2006) » et « Class, Health and Health Care (2008) ». Membre fondatrice de « International Health Workers for People Over Profit » (litt. « travailleurs de la santé pour les gens plutôt que le profit » - ndt). Son site internet http://www.powerandpowerlessness.com
Traduction VD et des Bassines et du Zèle pour le Grand Soir
http://www.legrandsoir.info
ARTICLE ORIGINAL
http://www.dissidentvoice.org/2008/09/engels-and-the-who-report/