Défier le récit des puissants : C’est le titre du livre du cinéaste engagé Ken Loach, palme d’or au festival du film de Cannes en 2016. Jamais titre ne fut plus approprié pour décrire ce qui se passe dans le monde occidental ces jours-ci. Après les référendums [1] danois, irlandais, français, néerlandais rejetés par les peuples mais fourgués à ce vulgum pecus par voie parlementaire ou en les faisant revoter, c’est comme si les peuples avaient décidé de s’attaquer au cœur de l’Empire. Si la surprise du Brexit s’apparentait au rat qui quitte le navire, la commotion de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis donne peut-être l’impression que c’est le capitaine lui-même qui abandonne le navire. Qu’en est-il réellement ?
Quand la classe moyenne arrive sur la scène politique pour faire valoir son point de vue, cela s’appelle une révolution. On l’a vu au Québec en novembre 1976 lorsque le Parti Québécois a pris le pouvoir. Le visage du Québec s’en est trouvé profondément, et à jamais, modifié. C’est ce qui s’est passé le 8 novembre 2016 dernier lors des élections américaines. Contre toute attente, malgré un battage médiatique sans précédent pour diaboliser le candidat Donald Trump, la classe moyenne étasunienne a fait entendre sa voix. Elle a surgi sur l’échiquier politique pour défier le récit des puissants, avec une clairvoyance politique qu’on ne soupçonnait pas, et rejeter le néolibéralisme globaliste et guerrier incarné par la candidate du système, Hilary Clinton. Jamais on n’avait vu une telle campagne de « salissage » à l’endroit d’un candidat. Même la candidature du très libéral McGovern en 1972 [2] était très loin d’avoir suscité une telle hystérie de dénigrement. Aucun média mainstream, à part le Los Angeles Times et le cinéaste Michael Moore, aucun gouvernement occidental n’avait envisagé la défaite de la candidate néolibérale. Personne ne voulait assumer qu’un personnage aussi clownesque, grossier, raciste et xénophobe que Donald Trump pourrait devenir President of the United States. Aussi, jamais on n’avait vu, au moment de la défaite de la candidate du système, une classe politique aussi frappée de stupeur devant ce qu’elle considérait comme un revirement de situation inattendu. Le modèle premier de cet état de sidération est sans conteste l’allocution du Président de la France, François Hollande. D’abord, on nous apprend qu’il n’avait envisagé qu’une issue possible à la présidentielle américaine et n’avait, en conséquence, préparé qu’un seul discours de félicitations adressées à Hilary Clinton. On imagine l’ampleur de sa stupeur à l’annonce de la victoire de Donald Trump ! Et jusque devant les caméras il était encore sonné, l’air hagard, tout bredouillant, énonçant une déclaration maladroite qui ne sied pas à la posture diplomatique quand il dit que la victoire de Trump « ouvre une période d’incertitude [3] ». Comme si la voie néolibérale était la seule possible. Tout en laissant entrevoir également leur désarroi face à cette élection, les présidents de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et du Conseil européen Donald Tusk l’affirment sans détour, telle une foi quasi religieuse, dans une lettre adressée à Donald Trump lorsqu’ils lui rappellent les « valeurs communes que sont la liberté, les droits de l’homme, la démocratie et une croyance en l’économie de marché [4] ». D’ailleurs, depuis Margaret Thatcher, on nous l’a assez répété : There is no alternative.
Mais pourquoi le peuple en a-t-il décidé autrement ? Depuis le 8 novembre, on parle beaucoup du candidat mais très peu de ceux qui l’ont élu, comme s’ils n’étaient pas dignes d’intérêt, comme s’ils n’étaient que des pauvres idiots manipulés par un populiste, comme si leur jugement était dénué d’intelligence, de raison et de discernement, comme si, pauvres débiles, ils devaient être éclairés [5], comme si leur vécu n’avait aucune importance, comme si, peuple invisible qu’il faut dissoudre, leurs voix ne comptaient pas. Or, Le néolibéralisme tant vanté a-t-il produit les résultats qu’il avait promis ? Il faut bien reconnaître que non. Les délocalisations des entreprises ont fait augmenter le chômage, précipitant les classes laborieuses dans un appauvrissement sans précédent. Les politiques néolibérales ont apporté l’austérité, coupant ainsi dans les services sociaux et faisant perdre aux plus pauvres leurs retraites et leur mince filet de sécurité, les aspirant dans une spirale de pauvreté sans fin. Aux Etats-Unis, la crise hypothécaire de 2008 a jeté bien des ménages à la rue et les vingt dernières années, 90% des travailleurs ont vu leurs salaires diminuer [6] en moyenne de 10% après une action concertée des employeurs [7] ; et cette baisse ne tient pas compte de l’inflation, si bien que la perte réelle de pouvoir d’achat est bien plus importante. Même si ces dernières années la reprise économique a fait baisser le taux de chômage à 5,6%, cette baisse est due au vieillissement de la population active, à l’abandon de la recherche d’un emploi par des chômeurs découragés et à l’augmentation des emplois à temps partiels [8]. L’avenir paraît sombre et celui des enfants bien hypothétique. De plus, les peuples rejettent cette mondialisation uniformisante. Ils s’opposent aux jet-sets des grandes villes - banquiers, industriels, traders, artistes etc...- qui vivent dans un univers homogène et univoque, n’ont pas d’attache et se reconnaissent entre eux dans leur nomadisme tant identitaire que culturel tandis que les ouvriers et petits travailleurs appauvris réclament une vie décente ancrée dans les valeurs qui ont fait la réussite et la fierté de leurs parents, existence qu’ils ont connue, puis perdue et à laquelle ils aspirent de nouveau. C’est cette politique mortifère que le peuple a rejeté quand, en face, les privilégiés de Davos, les multinationales, les banques et leurs affidés politiques, médiatiques et hollywoodiens se gavent de libre-échange et s’en mettent plein les poches dans une gloutonnerie indécente. Les 1% les plus riches de la population mondiale possèdent davantage que les 99% restants. Et soixante-deux personnes concentrent en leurs mains une richesse équivalente à celle que possèdent les 3 milliards et demi d’individus les plus pauvres, soit autant que la moitié de l’humanité [9]. Ces chiffres donnent le vertige et on ne peut plus demander aux peuples de faire les frais de cette mondialisation productrice de si criantes inégalités. Le néolibéralisme n’est plus crédible. Il n’a rien à offrir aux populations sinon que des chimères et des mirages camouflés sous des mensonges. La démocratie est dévoyée par les multinationales et la haute finance qui ont capté dans leurs filets et soumis à leurs décrets : politiciens, médias mainstream et intellectuels charlatans. Et ce sont ces derniers qui sont mobilisés au moindre signe de lucidité que manifeste le peuple.
La stratégie néolibérale
Lors de la campagne présidentielle américaine, c’est d’abord la classe politique qui se dressa pour écarter celui qui portait les revendications du peuple. Puisqu’on ne peut pas « dissoudre le peuple [10] », il faut donc réduire au silence son porte-parole. Même s’il n’avait pas encore réussi à mobiliser les minorités [11], le progressiste Bernie Sanders aurait dû remporter l’investiture démocrate si ce n’était les coups bas, les tricheries et les manipulations de la machine du Parti qui favorisait la candidature de Hilary Clinton.
Dans un article paru le 21 avril 2016, Kshama Sawant montrait déjà les manipulations en faveur d’Hilary Clinton et plus généralement la nature anti-démocratique des primaires. Celles-ci ne sont pas faites pour favoriser les candidats issus des mouvements populaires, représentant les 99%, comme Bernie Sanders. Trois éléments fondamentaux attestent de cette nature anti-démocratique :
1. L’influence de l’argent et du big business (au Parti Démocrate comme au Parti Républicain)
Cet obstacle fut contourné pour la première fois par un candidat représentant les 99% grâce à un financement populaire. Et là était l’espoir de briser le monopole des deux Partis.
2. La manipulation de l’espace médiatique par l’establishment
« Les médias au service du big business sont fortement intervenus en appui à Clinton pendant tout le processus de la primaire. Tout d’abord avec un blackout médiatique en 2015, alors que Clinton fut dépeinte comme l’inévitable nominée et que Trump reçut plus de 20 fois la couverture médiatique [de Bernie Snders]. Lorsque Sanders arriva à se poser en tant que menace, l’establishment médiatique a tout fait pour tenter de le discréditer. Des attaques incessantes sur ses propositions de projets de loi par des importantes personnalités libérales comme Paul Krugman, jusqu’aux véritables assauts comme celle du Washington Post, le 1er mars, alors qu’un article anti-Sanders fut publié toutes les heures pendant 16 heures ».
3. Les leaders du Parti Démocrate se mettent systématiquement en travers de tous les candidats issus des mouvements populaires. Quand le 14 avril 40 sénateurs et 166 représentants de la Chambre avaient appuyé Hillary, un seul sénateur démocrate, Jeff Merkley, avait accordé son appui à Bernie Sanders.
4. Et quand tout ceci ne suffit pas à éliminer le candidat des 99%, la stratégie se déporte du côté de la manipulation du processus électoral, du vote lui-même. Kshama Sawant donne l’exemple de La Primaire de l’État de New-York. Que s’est il passé ?
– 27% des électeurs de l’État (3 millions) ont été exclus par la révocation du droit de vote des électeurs identifiés comme « inactifs ».
– Dans une circonscription de Brooklyn 10% des électeurs qui se sont présentés ont appris sur place que leurs noms avaient été effacés.
– Dans le Comté où se retrouve Brooklyn 125 000 électeurs ont été retirés des registres ce qui a mené à une chute de 14% d’électeurs éligibles.
– Dans le Nord de l’État de New-York les plages horaires de plusieurs bureaux de vote dans des régions favorables à Bernie Sanders ont été considérablement réduites.
– Une règle pratiquement inconnue de plusieurs stipulait que seuls les électeurs enregistrés en tant que démocrates depuis le 9 octobre avaient le droit de vote.
Et Kshama Sawant ajoute qu’en « Arizona, où les gens ont attendu jusqu’à cinq heures en file pour voter, p lusieurs personnes ont également vu leurs inscriptions au registre changer sans qu’ils en aient connaissance ».
Le maire de New York, Bill de Blasio, n’a pas hésité à noter que : « La perception selon laquelle plusieurs électeurs ont possiblement été privés de leurs droits mine l’intégrité du processus électoral dans son ensemble, et doit être corrigée [12] ».
De plus, bien que Sanders avait, selon les sondages, toutes les chances de battre le candidat républicain à la présidentielle quel qu’il fut, l’establishment du Parti a choisi l’aveuglement et le mépris de sa base, du peuple, malgré la sanction de ce dernier contre leur candidate perçue comme corrompue, tricheuse et menteuse. Mais, puisque la candidate néolibérale appuyée par Wall Street et le complexe militaro-industriel était le choix du Parti, le peuple devrait l’accepter.
Mais un autre grain de sable allait s’infiltrer dans la machine néolibérale. L’autre face du néolibéralisme, le Parti Républicain, allait voir ses primaires dévoyées par un outsider excentrique au parler direct, souvent grossier, stigmatisant les minorités. Le milliardaire Donald Trump, candidat hors système, comme sorti de nulle part, va bousculer les autres prétendants de l’establishment à l’investiture et réussir à s’imposer comme candidat officiel du Parti Républicain. L’élection présidentielle américaine n’a donc pas été un concours de personnalité entre deux prétendants du même système mais une lutte interne à l’establishment entre deux options radicalement différentes pour la survie du système.
Et comme une bonne partie du peuple manifesta très tôt le désir de suivre cet outsider, la candidate de l’establishment a tout de suite tenté de les discréditer, les traitant, les électeurs de cet outsider, de déplorables [13]. Erreur. Le camp Clinton a rapidement compris que cette gaffe était un acte manqué, un lapsus qui révélait l’inconscient de son auteur, inconscient fait du mépris que le « 1% » entretient face à la plèbe [14]. Et elle dut s’excuser.
Ce sont alors, ensuite, les médias qui entrèrent dans la danse. Ils ont mené une campagne à sens unique en faveur de Clinton et toute opposée à Trump [15]. Tous les coups bas, tous les épithètes péjoratifs, tous les attributs dépréciatifs, tous les qualificatifs défavorables, rien n’était assez négatif pour décrire le candidat perturbateur. Sans expérience de la politique, Trump est un candidat qui détonne. Il parle directement, sans prendre de gants. Il ne connaît pas le politiquement correct et il n’a pas le temps pour ça, dit-il. Forte stature, coiffure pittoresque, comportement tapageur et des propos à l’emporte-pièce, le truculent Trump débarque dans cette présidentielle comme un éléphant dans un magasin de porcelaine ou comme un clown. Son style est grossier et faubourien. Il flatte les bas instincts des laissés pour compte de la société. Il est manichéen, direct, simple à comprendre. Il fustige Wall Street, il stigmatise les immigrants et il dénonce les médias aux ordres. Les angles d’attaque pour ces derniers sont donc aussi faciles que malhonnêtes. Malhonnêtes parce qu’on pourrait accuser la candidate de l’establishment des mêmes travers, mais d’elle pas un mot ne fut soufflé en ce sens. À partir de ses propres déclarations cassantes et irréfléchies, qu’ont-ils dit, les médias, de Donald Trump ? Qu’ont-ils dit de Trump qu’on ne retrouve également dans le camp adverse ?
1. Ils ont dit qu’il est raciste. Il s’en prend aux Mexicains, aux Musulmans, aux Africains et il a une attitude paternaliste envers les Afro-américains. C’est vrai, il l’est, bien sûr, et par son style gauche et brutal il attise les haines entre les minorités. Mais cette élite médiatico-politique qui l’accuse de racisme, depuis quand a-t-elle un problème avec le racisme ? Elle est elle-même raciste. Et ce, depuis la fondation du pays. Bill Clinton lui-même, qu’on ne peut soupçonner de racisme, a laissé parler l’Autre en lui, son inconscient profond. De ce 42è Président des Etats-Unis, la romancière noire et prix Nobel de littérature Toni Morrison a dit qu’il était le premier Président noir du pays : « Si l’on fait abstraction de la couleur de sa peau, Bill Clinton est le premier président noir des Etats-Unis [16] ». En effet, il en a toutes les caractéristiques sociologiques, celles attachées à la pauvreté : père alcoolique et violent, mère battue, parents divorcés, joueur de saxophone ayant fumé du hasch, tous les clichés accolés aux Noirs lui collent à la peau. Il a été gardé dans son enfance par des Mammy noires et a passé sa jeunesse dans des quartiers noirs de l’Arkansas. Ses meilleurs amis sont des Noirs [17]. Et pourtant, lors de la campagne électorale de 2008, quand sa femme briguait pour la première fois l’investiture démocrate face à Barack Obama, n’a-t-il pas laissé échappé que ce dernier « à une époque, [il] nous aurait apporté notre café [18] » ? Comme quoi, devant les intérêts surgissent et s’expriment les relents les plus vils de l’être humain ! Car le racisme sert bien le néolibéralisme. Il est facteur de division de la classe ouvrière qui, ainsi fractionnée, ne peut s’opposer au patronat. Devant la façade antiraciste, on laisse exploser - ou on provoque - des tensions entre Blancs et minorités. Les Noirs constituent 40% de la population carcérale alors qu’ils ne comptent que pour 13,6% de la population totale du pays. Les jeunes hommes noirs tués par la police sont 21 fois plus nombreux que les jeunes hommes blancs [19]. Et c’est sous Obama que les tensions raciales entre policiers et Noirs ont été les plus exacerbées.
2. Ils ont dit qu’il est misogynie et plein de mépris envers les femmes. Oui, il l’est. D’accord. À ce chapitre, nous laisserons encore une fois les Clinton répondre. Leur expérience est conséquente en ce domaine. Par ailleurs, Trump a engrangé 42% des voix des femmes et plus de la moitié des électrices blanches malgré ses propos fielleux sur les femmes et ses positions rétrogrades sur l’avortement. Parmi ces femmes, 62% n’ont pas de diplôme universitaire. Plus qu’un reflexe féministe il semblerait que les questions d’emploi et d’immigration aient été les éléments déterminants dans ce vote [20].
3. Ils ont dit qu’il est xénophobe. Il propose de construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique et d’expulser des millions de Mexicains clandestins qu’il insulte de surcroit, les traitant de « corrompus, de délinquants et de violeurs ». En voulant les expulser Trump les rend responsables de la misère et de l’exploitation que les États-Unis leur ont fait subir comme la femme violée qui se retrouve au tribunal accusée et coupable de l’agression qu’elle a subie. Oui, donc il est xénophobe. Oui, Donald Trump est odieux quand il soumet une telle proposition. On ne peut être plus odieux dans le mépris ! Mais qui a créé et profité de cet état de fait sinon les tenants du néolibéralisme qui masquent la vraie raison de l’immigration illégale sous le couvert de l’accueil généreux et de l’antiracisme ? Car pourquoi sont-ils aux États-Unis, tous ces Mexicains ? Parce qu’on est allé chez eux, on a volé leurs richesses et on les a appauvris. Puis on les a fait venir au Nord, soit légalement pour diviser la classe ouvrière et faire pression à la baisse sur les salaires, soit illégalement pour qu’ils acceptent des salaires encore plus bas, des salaires de misère. Il s’agit d’une délocalisation démographique tout bénéfice pour le patronat [21]. En plus, quand le quota de travailleurs clandestins est atteint, on stigmatise la dite « immigration subie » pour réclamer et entreprendre une « immigration choisie », vidant ainsi les pays du Sud de leurs cadres et de leurs cerveaux tout comme à l’époque de l’esclavage on vidait l’Afrique de sa force de travail et de sa main-d’œuvre.
Les raisons de la victoire
Ces déclarations et prises de positions de Trump ont le mérite et l’abjection d’être claires. En même temps qu’elles confortent dans ses émotions l’électorat peu éduqué, appauvri, découragé et déclassé, elles révèlent les dessous et les véritables intentions de l’establishment néolibéral qu’il n’a cessé de fustiger : « The system is rigged ». Tandis que la droite néolibérale se présente masquée, cachant ses véritables options sous couvert d’antiracisme, d’égalité entre toutes les diversités, d’ouverture au monde, de liberté individuelle mettant en avant des sujets sociétaux généreux qui font écran à la véritable finalité du néolibéralisme mais qui finit toujours par se révéler en détruisant les emplois, Donald Trump utilise les revendications de la classe moyenne pour l’associer à son projet et capter son vote. Et, bien des partisans déçus de Bernie Sanders ont donné leurs voix à ce candidat fantasque. Les revendications de la classe moyenne trouvent un écho dans les propositions de Trump, des propositions que les médias ont gardées sous le boisseau et n’ont jamais relayées durant la campagne électorale [22].
- Par exemple, l’autre versant de la délocalisation que Trump veut combattre, celle géographique des usines, notamment en Chine, lui est reproché parce que cela tuerait le « marché » et que le protectionnisme ferait chuter le commerce, ce qui provoquerait une récession. Or, ce n’est pas ce que l’électorat entend et comprend, lui qui a perdu ses emplois et assisté impuissant à la ruine du tissu industriel du pays : les dix dernières années, les États-Unis ont perdu 50 000 usines et depuis la crise économique de 2008 l’industrie américaine a perdu 5 millions d’emplois [23]. De plus, le pouvoir d’achat des Étatsuniens a considérablement chuté. James Turk [24] a montré, graphique à l’appui, cette destruction de la classe moyenne :
Ce tableau montre le salaire hebdomadaire moyen aux États-Unis, ajusté à l’inflation suivant deux méthodes utilisées par le gouvernement. La ligne rouge montre l’évolution des salaires en dollars constants, sur la base de l’inflation officielle. Même sur cette base, les salaires sont inférieurs à ce qu’ils étaient dans les années soixante et soixante-dix : il n’y a donc pas amélioration du niveau de vie. La ligne bleue est calculée par ShadowStats sur la base de la méthodologie utilisée par le gouvernement en 1990 pour calculer l’inflation. Elle montre ce qui se passe vraiment avec les salaires et le pouvoir d’achat du dollar. La différence entre les deux courbes résulte des modifications apportées par le gouvernement dans le mode de calcul de l’inflation dans le but de la minimiser [25]. On voit bien la chute réelle du pouvoir d‘achat de la classe moyenne et l’on comprend pourquoi le discours antisystème de Donald Trump a porté. Par ailleurs, l’espérance de vie des ouvriers blancs sans diplôme est inférieure de treize ans à celle des Blancs universitaires (67,5 contre 80,4) et chez les femmes, cet écart est d’un peu plus de dix ans (73,5 contre 83,9) [26]. Par contre, dans le même temps, l’espérance de vie chez les Hispaniques et les Noirs avait tendance à augmenter [27].
2. Quand le candidat Trump propose de sortir de tous les traités commerciaux internationaux, cette proposition fait écho aux observations empiriques de cet électorat pauvre et marginalisé, lui qui a vu son appauvrissement directement relié aux délocalisations des entreprises et qui a fait les frais de l’explosion des inégalités sociales. Encore une fois, cette politique d’ouverture des marchés a bénéficié au système néolibéral, aux nantis mais pas à la classe moyenne. Ainsi, les 10% d’en haut ont reçu une bien plus grande part des salaires depuis 1980 [28].
3. Pourfendeur de Wall Street et partisan d’une augmentation des impôts sur les fonds spéculatifs, Donald Trump veut également assainir le secteur bancaire en rétablissant la Loi Glass-Steagall. Celle-ci avait été votée en 1933, pendant la Grande Dépression, pour protéger les dépôts des épargnants en séparant les banques de dépôt des banques d’investissement qui risquaient les dépôts de ces derniers. Cette loi avait été abrogée en 1999 par… Bill Clinton, grand artisan de la droitisation du Parti Démocrate.
4. Sur le plan international, Trump prend également à contrepied l’establishment néolibéral avec deux propositions iconoclastes : d’abord, il propose une désescalade avec la Russie et une entente avec celle-ci pour en finir avec le terrorisme au Moyen-Orient et, ensuite, il annonce qu’il mettra fin aux interventions tous azimuts à travers le monde, cette politique étant ruineuse pour l’Amérique déjà fortement endettée.
Ces propositions rencontrent les aspirations et font écho aux souffrances de la classe ouvrière américaine. Elles prennent à contrepied celles de l’establishment et impriment une direction nouvelle à l’Empire. Il s’agit de se délester des « colonies » trop coûteuses (OTAN, Changements de régime, changements climatiques, etc.), de rebâtir le tissu industriel du pays et de rétablir des frontières commerciales avec les autres pays dans le but de « make america great again ».
En même temps qu’on entend Trump parler le langage des suprématistes blancs, que les Noirs, les Latinos et les Musulmans devront bientôt raser les murs, la virulence de ses propos à l’égard de l’establishment laisse songeur. Son discours avait parfois des accents aussi radicaux que celui de Bernie Sanders, particulièrement l’allocution du 13 octobre 2016 en Floride [29], discours duquel fut tiré un clip d’environ deux minutes et diffusé deux jours avant le vote. Dans ce discours, il affirmait : « Notre mouvement existe pour remplacer un establishment politique corrompu par un nouveau gouvernement contrôlé par vous, le peuple américain… Pour ceux qui contrôlent les leviers du pouvoir à Washington et pour leurs intérêts spéciaux mondiaux, ils s’arrangent avec ces gens qui n’ont pas en tête votre bonheur… Ce même groupe est responsable de nos désastreux traités de commerce, de l’immigration illégale massive et de politiques économiques et étrangères qui ont saigné à blanc notre pays… Cet establishment a entrainé la destruction de nos usines et de nos emplois… C’est une structure de pouvoir mondiale qui est responsable des décisions économiques qui ont volé nos classes laborieuses, dépouillé notre pays de sa richesse et mis cet argent dans les poches d’une poignée de grandes entreprises… ».
Ce discours a bien ciblé les responsables à l’origine des décisions politiques et économiques qui ont mené à l’effondrement de l’économie aux dépens de la classe moyenne et au profit des multinationales. Il a fait ressortir la collusion et la complicité des élites […ils s’arrangent avec ces gens], mis en évidence leur rapacité [… ont volé nos classes laborieuses] dénoncé la captation privée de la richesse nationale [… mis cet argent dans les poches… de grandes multinationales] et montré la destruction de l’État visée par cette élite [… C’est une structure de pouvoir mondial], confirmant ainsi ce que la classe moyenne avait intuitivement perçu et qu’avait, sans ambages, affirmé David Rockefeller dans Newsweek en 1999 : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semble l’identité adéquate pour le faire [30] ». Alors, lorsque Donald Trump propose à cette classe moyenne de lui redonner son pouvoir […remplacer un establishment corrompu… par un nouveau gouvernement contrôlé par vous] essence même de la démocratie, il suscite l’adhésion de ceux, déclassés et appauvris, qui ont le sentiment d’avoir été floués par le système. Trump a su capter les angoisses d’une grande partie de la classe ouvrière, particulièrement cet électorat blanc, pauvre et peu éduqué qui espère des lendemains meilleurs et qui a massivement voté pour lui. Il a su porter ses revendications au sein même du système. Lorsqu’il dit « expulser les immigrants », elle comprend « récupérer nos emplois » ; lorsqu’il dit « déchirer les traités internationaux », elle comprend « rapatrier nos usines ». Ce sont ces mêmes ressorts qui avaient été utilisés lors de la campagne du Brexit. Depuis la crise de 2008, un vent de conservatisme souffle sur le monde occidental. Les populations désorientées se replient sur elles-mêmes et elles sont bien plus réceptives aux discours identitaires qui leur promettent protection économique et garde-fou pour l’avenir dans l’assurance que le futur gardera encore les traces du passé et les repères d’aujourd’hui, apaisant ainsi les angoisses du présent. À une autre époque, on a vu, en Europe, ce même genre de discours de repli sur soi et d’exaltation de la Nation déboucher sur l’installation de régimes fascistes et nazis. Ces périodes de crise sont des périodes de tous les dangers.
Malheureusement, dans les pays occidentaux, en Europe comme aux Etats-Unis, la gauche n’a pas su élaborer un discours audible et acceptable pour la classe ouvrière, ni en direction des minorités ni sur l’immigration, deux aspects liés. On a vu la difficulté de Bernie Sanders à rallier les minorités. On a vu aussi en France un candidat de gauche à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, avec une pensée claire et juste sur l’immigration incapable d’articuler un discours porteur qui rejoint les populations.
La gauche n’a pas su expliquer les vraies raisons de l’immigration, laissant la droite identitaire nationaliste profiter de ce vide, flatter le « angry white man » dans le sens du poil et par ricochet stigmatiser les immigrants et, par association, toutes les minorités, les rendant responsables de la crise économique. Elle n’a pas su expliquer que c’est le néolibéralisme occidental qui produit délibérément l’immigration par les guerres de pillage qu’elle mène sur tous les continents dans le but de contrôler les richesses mondiales. Les gouvernements des pays qui résistent doivent être abattus et remplacés : Irak, Côte-d’Ivoire, Lybie, Syrie… pour ne citer que les plus faibles mais aussi en ligne de mire, la Russie avec ses immenses richesses [31] et comme objectif final la Chine devenue atelier et première économie du monde.
L’immigration est liée au contrôle que les multinationales veulent avoir sur l’ensemble des ressources de la planète. Elles doivent pour cela asservir les peuples. Pour réaliser cet objectif, les gouvernements occidentaux ont été mis au pas et ils ont abdiqué leur pouvoir en faveur de ces multinationales. Ils ne sont plus que les relais, les caisses de résonnance de mesures politiques publiques destructrices de lien social qui leur sont dictées pour étrangler et enchaîner la classe ouvrière à des emplois boiteux et précaires. La présence d’immigrants participe de cette stratégie qui vise à fracturer et à atomiser la classe ouvrière, à découper la société en blocs communautaristes et/ou identitaires et à saper toute conscience citoyenne collective, rendant les classes laborieuses plus aisément taillables et corvéables dans les mains de ces multinationales.
La gauche n’a pas su montrer le lien structurel qui existe entre la destruction des emplois, la baisse du pouvoir d’achat de la classe ouvrière avec les guerres d’agression à l’extérieur et l’immigration massive et souvent illégale. Or, quand elle est régulée, l’immigration est source de richesses. Sur le plan économique, « l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui regroupe les 34 pays les plus développés, estime que l’immigration joue un rôle décisif dans la croissance économique à long terme. En France, par exemple les immigrés rapportent chaque année aux finances publiques la somme de 12,4 milliards d’euros [32] ». Sur le plan démographique, l’immigration comble un déficit marqué de natalité dans les pays occidentaux. Et sur le plan culturel, on ne peut nier l’enrichissement et la fécondité de la diversité : l’Amérique, elle-même, en est le fruit [33].
Ainsi, en étouffant la voix de son aile gauche, le Parti Démocrate a été le premier responsable de l’élection de Donald Trump [34].
Signification et conséquences de la victoire
Durant la campagne électorale, on a vu des Républicains, les Bush entre autres, désavouer Donald Trump et annoncer qu’ils voteraient pour la candidate démocrate, Hilary Clinton. Ce fait a mis en évidence que les deux grands partis politiques qui alternent au pouvoir ne sont que les deux faces d’une même médaille, celle de l’élite qui accapare les pouvoirs politique et économique et dont les membres sont interchangeables en fonction des stratégies économiques mises de l’avant. Elle a révélé la lutte interne qui se déroule au sein de l’élite sur les moyens à utiliser pour sauver l’Empire. Ce ne sont pas les partis qui constituent la ligne de démarcation entre les membres de cette élite mais leurs intérêts économiques. Par ailleurs, alors que tous les sondages, toutes les études donnaient une large victoire à Hilary Clinton, parfois à 45,9% contre seulement 39% [35], le 18 octobre, les projections réalisées par SatesPoll.com donnaient la victoire à Donald Trump [36]. C’était le jour du troisième débat télévisé entre les candidats. Et lors de ce débat, Donald Trump avait refusé de s’engager à respecter le résultat du scrutin dans l’éventualité d’une défaite [37]. Il n’en fallait pas plus pour que la classe médiatico-politique lui tombe dessus à bras raccourcis le traitant de « mauvais perdant », l’accusant de « mépriser la démocratie », affirmant qu’il ne respecte pas les « règles basiques de la démocratie » et qualifiant cette posture d’ « insulte à la démocratie américaine [38] ».
Or, que se passe-t-il après la victoire de Donald Trump le 8 novembre ? Dès le lendemain on vu des manifestations anti-Trump dans plusieurs grandes villes des Etats-Unis qui dénonçaient son « racisme », sa « misogynie », sa « xénophobie » avec des pancartes refusant sa présidence « Not my President », l’insultant « F… Trump », ou même appelant à l’émeute « It is time to riot ». Ensuite, la suspicion, le doute sont instillés dans la tête de la population sur la possible défaite de Trump au collège électoral « Les grands électeurs américains vont-ils valider le résultat de l’élection et nommer Donald Trump président ? [39] » et plus précisément encore « Ses grands électeurs peuvent-ils ne pas voter pour Trump ? [40] » Puis nous avons vu apparaitre des titres suggérant des possibles recomptages qui pourraient donner la victoire à Hilary « Wisconsin : l’équipe Clinton participera au recomptage [41] » et faisant un pas de plus « Présidentielle américaine « et si Hillary Clinton pouvait encore battre Donald Trump [42] ? » Et quand ces recomptages eurent confirmé la victoire du 8 novembre, on a vu apparaître un vidéoclip de stars d’Hollywood qui appellent les grands électeurs à ne pas élire Donald Trump [43]. Et, sur le plan international, dans une volonté d’assurer la continuité de la politique néolibérale en place, on a vu Barack Obama mettre en garde Donald Trump contre toute réorientation de l’approche envers la Chine en ce qui concerne Taïwan ; on l’a entendu, sans fournir de preuve pour l’instant, accuser la Russie d’avoir influencé l’issue de l’élection présidentielle en faveur de Donald Trump par ses piratages informatiques et promettre des représailles, ce qui vise à maintenir une tension conflictuelle avec ce pays, contrairement à la politique de détente prônée par le Président élu ; et enfin en Syrie, d’une part, on a vu la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis laisser l’État islamique, qu’ils sont censés combattre, réoccuper la ville de Palmyre au sud quand Alep-est est libérée au nord, et d’autre part on a entendu le Président Obama lever les restrictions sur les livraisons d’armes, de munitions et de matériel militaire en Syrie [44], tout ceci bien sûr toujours dans le but de maintenir ce conflit que Trump souhaite liquider.
Face à ces expressions antidémocratiques qui refusent le verdict des urnes, nous n’avons entendu aucune protestation venue ni des médias, ni de la classe politique. Ces protestations sont en fait des mises en garde adressées au nouveau Président élu l’enjoignant de ne pas trop s’écarter des intérêts de l’élite sous peine de sanctions. Le camp, à l’intérieur de l’élite, qui a perdu les élections continue la lutte. En effet, on a vu aussi apparaître des titres qui assimilaient ces manifestations à une tentative de révolution de couleur [45]. La question qui se pose dès lors est de savoir si ces manifestations sont spontanées ou organisées ? Poser la question, c’est y répondre. En tout cas, c’est l’avis de certains médias de par le monde [46]. Car le programme de Trump prend à contrepied le néolibéralisme globalisant pour recentrer les Etats-Unis sur ses industries et reconfigurer ses relations commerciales et internationales. Son élection revêt donc une double signification :
1. Elle prend acte du déclin de l’Empire et consacre la fin du monde unipolaire. Un nouveau monde multipolaire va émerger et pour cela il faudra revoir les relations commerciales. C’est ce qu’a promis Trump. La conséquence de ceci est :
2. La reconnaissance de l’échec du néolibéralisme mondialisant et Trump a déjà annoncé sa volonté de déchirer les traités internationaux et même de sortir de l’OMC.
Ces deux aspects sont les deux piliers sur lesquels repose le néolibéralisme globalisant. Mais alors pourquoi le Parti Républicain n’avait-il pas mis tout en œuvre pour écarter la candidature de Trump comme le Parti démocrate l’avait fait avec Bernie Sanders ? C’est que Trump fait moins peur à l’establishment parce que lui-même fait partie des 1%. Il est du sérail. Malgré ses travers, et l’on a vu qu’au final ils sont partagés, Trump est « un des leurs ». Il appartient à cette caste dominante et ne diverge de ses opposants que sur les moyens de redresser la maison, même si ses moyens inquiètent. Trump, le milliardaire, a eu un extraordinaire écho auprès de la classe ouvrière. Outre son discours simpliste et manichéen, sa richesse même était un atout. Il est apparu comme le candidat anti-système par excellence. Il s’est présenté libre de tout lien avec les lobbies face à une Hilary Clinton soumise à leurs diktats et traînant de multiples casseroles de corruption derrière elle. Trump a financé lui-même sa campagne et ne doit rien à personne. Il apparaît comme incorruptible. Il se présente drapé dans le manteau de la vertu. Il peut dire : je fais cela pour le peuple et pour notre mouvement. Nous reprendrons ce pays pour vous, le peuple. Tiendra-t-il promesse ? En 2012, on a vu en France, le candidat à la présidentielle, François Hollande, jurer pendant la campagne électorale qu’il combattrait la Finance [47], ennemi du peuple de gauche, pour le voir virer casaque dès le lendemain de son élection et aller se prosterner aux pieds de la City. Verra-t-on pareille trahison de la part de Donald Trump ? Comme on dit cyniquement, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Cependant, ce que Trump n’a pas dit à ses électeurs, c’est que son programme fiscal reprend exactement celui de la droite du Parti Républicain qui prévoit d’opérer de sévères coupes budgétaires dans les programmes de lutte au chômage [48]. Comment concilier cet objectif avec la volonté de reconstruire le tissu industriel du pays et une politique des grands travaux ? Trump veut également augmenter le budget militaire afin de moderniser l’armée. Comment concilier cet objectif avec son désir de détente ? Autant d’incohérences qui laissent songeur.
Pour conclure
Les quelques gestes posés par le Président élu depuis le 8 novembre ne permettent pas encore de juger de l’orientation qu’il prendra même si l’on sait que son programme n’est qu’une autre stratégie du libéralisme pour sauver l’Empire. Au niveau de sa garde rapprochée, il a nommé le raciste et complotiste Steven Banon haut conseiller à la Maison Blanche mais il a contrebalancé cette nomination par celle de Reince Priebus au poste de Secrétaire général de la Maison Blanche. Sur le plan intérieur, alors qu’il pourfendait les banquiers de Wall Street - « les pires banquiers… je les connais… ils exercent un contrôle total sur Hilary Clinton » - il confie à l’un d’eux, Steven Mnuchin, le Secrétariat au trésor avec le mandat de préparer sa politique de grands travaux. Et il a nommé Gary Cohn, toujours de Goldman Sachs, président de son conseil économique. Sur le plan international, ceux qui ont voté pour lui afin d’éviter une guerre mondiale que Hilary Clinton aurait sans doute déclenché en provoquant la Russie se sont d’abord réjouis de la nomination du général Michael T. Flynn, partisan de la détente avec Moscou, au poste de conseiller à la sécurité. Mais ils ont déchanté quelques semaines plus tard lorsque le général John Mattis, surnommé « l’enragé », fut désigné pour le poste de Secrétaire à la défense. Puis, soufflant le chaud et le froid, il nomme Secrétaire d’État le P.D.G. d’ExxonMobil, Rex Tillerson qui a déjà reçu l’ordre de l’Amitié des mains du Président Poutine de Russie. Et l’on a entendu Trump menacer la Chine [49] deux fois plutôt qu’une. De par sa position géographique et sa puissance nucléaire, la Russie est au cœur de l’équilibre militaire du monde. De l’est ou de l’ouest celui avec lequel elle s’associera l’emportera. Donald Trump veut-il la faire basculer dans son camp ou tout au moins s’assurer de sa neutralité dans un conflit avec la Chine ? La Russie reniera-t-elle son partenariat stratégique avec la Chine pour rejoindre l’occident ? Rien n’est moins sûr. Elle a été si longtemps méprisée et si souvent trompée par ce dernier qu’elle doit s’en méfier comme de la peste.
Par ailleurs, le parler décomplexé de Trump a libéré la parole raciste et l’on a vu, ce qui ne laisse pas d’inquiéter, des signes nazis apparaître chez ses supporteurs. Même si lors de son discours de victoire il a tendu la main à tous les américains, on ne l’a pas entendu clairement et fortement désapprouver ces gestes racistes. Et lors de la campagne électorale, il n’avait rejeté que du bout des lèvres l’appui du ku klux klan. Mais après la campagne électorale, dans les tournées de remerciement qu’il a faites, il a toujours, et en premier lieu, remercier les électeurs des minorités qui avaient voté pour lui.
Bref, jusqu’à présent Donald Trump souffle le chaud et le froid et Noam Chomsky [50] résume ses actions en un raccourci saisissant d’évidence : ce qui est prévisible chez Donald Trump c’est son imprévisibilité.
Selon William Engdhal [51], la présidence Trump n’est qu’un plan B de l’oligarchie néolibérale face à ses déboires sur la scène internationale, en vue de préparer la guerre. À voir. Une chose est certaine : le 8 novembre dernier, quelque chose a changé et le monde subira de nombreuses transformations. Le néolibéralisme, au moins sous sa forme actuelle, a probablement vécu. On assistera à une réinitialisation, une réorientation du système mais on ignore encore dans quel sens. Ignacio Ramonet voit l’émergence d’un monde fondé sur l’autoritarisme identitaire [52]. C’est l’un des scénarios probables et en ce cas, les associations antiracistes devront être vigilantes. Mais puisque les décisions prises par Trump jusqu’à présent relèvent de l’équilibrisme, il n’est que d’attendre. Il faudra l’évaluer à la pièce, le juger à ses actes. Trump a gagné les élections avec un programme économique axé sur le redressement de la classe moyenne et la réindustrialisation du pays, programme aux antipodes des choix dévastateurs du camp néolibéral et il a promis une désescalade militaire. Il est arrivé au gouvernement. Saura-t-il prendre le pouvoir ? Saura-t-il défier les puissants ?
Lyonel Icart
Montréal le 19 décembre 2016