RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

De l’État de droit

« La chute n’est pas un échec. L’échec, c’est de rester là où on est tombé » (Socrate)

Socrate – Alors mon cher Glaucon, toujours En Marche !
Glaucon – C’est pas simple : le mouvement est d’une verticalité digne des partis sclérosés...
S – À trop vouloir suivre une illusion, on commence à connaître le désenchantement.
G – Comme d’autres, je me suis pris dans les rets des apparences...
S – Une nation est semblable à ces reclus de la caverne allégorique : ils grandissent dans un environnement imposé, dans des cadres établis, rigides, ils sont passifs dans un environnement en mouvement incessant, ils sont les sujets d’une « révolution passive », ils ne sont guère maîtres de leur destinée ; selon leur extraction, leur existence est déjà fortement déterminée.
G – Collectivement, ils connaissent des hallucinations, savamment entretenues par les fenêtres artificielles qui ne montrent que des ombres mouvantes...
S – Même si tu t’es trompé, tu as au moins retenu quelque chose...
G – L’ étrange tableau n’a pas changé, les prisonniers non plus : leur statut se confirme à mesure que croît la communication... la « pédagogie ».
S – Prisonniers des images, comme des mots.
G – Oui, les mots sont importants : on ne leur accorde pas l’attention qu’ils méritent. Avec des mots différents, une même image peut devenir son contraire.
S – Je vois que tu progresses : c’est normal, on apprend plus de ses erreurs...
G – J’ai encore tant à connaître. Derrière les mots, il est des concepts difficiles à cerner.
S – Un exemple ?
G – État de droit !
S – Une locution qui inspire la confiance.
G – Sans contredit.
S – L’État est par définition l’autorité souveraine.
G – Évidemment, c’est ici le bon sens du terme.
S – L’État de droit, c’est le contraire de l’arbitraire. L’État est alors assimilé à une personne morale qui est soumis au droit ; il y aurait donc respect du principe d’égalité vis-à-vis de la loi.
G – C’est heureux.
S – Disons que c’est souhaitable.
G – Bien sûr, il faudrait que la réalité des choses vienne confirmer le noble principe.
S – D’abord, il faut se souvenir que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ou par référendum » (1).
G – Louable rappel.
S – La souveraineté nationale n’a qu’une valeur totémique : si le Peuple « se trompe », s’il fait le « mauvais choix », on se passe de son avis comme pour...
G – ... la constitution européenne...
S – Et comme pour ton mouvement très vertical. Revenons à l’État. « L’État est un être énorme, terrible, débile. Cyclope d’une puissance et d’une maladresse insignes, enfant monstrueux de la Force et du droit. »
G – Il m’en souvient, Valéry a aussi écrit : « si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons ».
S – Il est fort avec les faibles et melliflue avec les forts.
G – Bien résumé.
S – La souveraineté du Peuple est bafouée. Qu’en est-il du principe d’égalité ?
G – Le corpus législatif est colossal. Difficile de s’y retrouver.
S – Pour ceux qui sont dans la caverne, c’est une tâche inaccessible ; pour ceux qui vivent dans un univers parallèle, le dédale juridique leur offre de multiples portes dérobées.
G – C’est vrai qu’ils peuvent se payer des experts...
S – Ils se payent aussi des experts qui œuvrent en toute discrétion afin d’orienter les décisions : ils fournissent clés en main des textes législatifs élaborés et inextricables pour le commun des mortels.
G – Les fameux groupes de pression...
S – Comme on peut poursuivre l’État, il est encore tentant de conclure au respect de l’État de droit.
G – Quand même.
S – C’est oublier qu’il faut des moyens, du temps et de l’argent, pour arriver à une petite victoire.
G – Mais on peut.
S – Rien ne te choque ?
G – Un problème d’apparence ?
S – L’État de droit respecterait le droit, mais qui écrit la loi ?
G – Le Parlement vote la loi.
S – Un exécutif fort, un imperium, écrit la loi. Le chef de l’État est le chef de l’exécutif. Il a en plus tendance à outrepasser ses compétences et à empiéter sur le gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation » (2). En majorité, les lois sont à l’origine des projets de loi portés par l’exécutif et « amendés » par un Parlement qui n’est en rien représentatif de la Nation.
G – Il y a comme une contradiction, alors.
S – Un sophisme, avec la connivence comme complice... À cet imperium, il faut rajouter un fort pouvoir administratif, la potestas : la haute administration, comme Bercy, est un État dans l’État. Ici, on s’y connaît en pantouflage, en connivence.
G – On peut rajouter la raison d’État, le secret d’État invoqués pour mieux laisser de sombres manœuvres sous le boisseau. La Justice, dénuée de moyens, trouve souvent portes closes.
S – Le tableau n’est pas flatteur, mais il est encore incomplet.
G – L’État de droit est une notion qui cache une vaste tromperie...
S – Le tableau s’assombrit encore pendant que les citoyens se laissent happer par la folle sarabande des innovations techniques.
G – Des ombres mouvantes, sans lien avec la réalité des choses...
S – Les lois votées en toute hâte, au gré d’événements tragiques, entraînent les prisonniers de la Caverne vers toujours moins de liberté, toujours moins de clairvoyance, toujours moins de libre arbitre. Dans le même temps, le principe de séparation des pouvoirs est malmené et les perquisitions administratives deviennent des « visites domiciliaires ».
G – Mais on peut faire condamner l’État.
S – L’État est un multi-récidiviste, il se moque des condamnations. Regarde ce que deviennent les condamnations concernant les conditions carcérales.
G – C’est vrai, c’est indigne pour une démocratie, une République qui se revendique sociale (3).
S – Que reste-t-il de l’État de droit ?
G – Une vaste supercherie... au service exclusif des super-riches !
S – Que penses-tu de la notion de légalité ?
G – La légalité est juridiquement le caractère de ce qui est conforme aux lois.
S – C’est souvent le paravent pratique qui vient masquer les pires entourloupes. Dans une véritable démocratie, une mesure prise serait justifiée par tel Idéal, par tel principe.
G – Sans contredit. Dire que c’est légal tend à couper court à toute discussion.
S – L’optimisation fiscale est l’art consommé de flirter avec les limites fractales de la légalité...
G – Et pourtant, elle enfreint le principe de la contribution de chacun selon ses moyens.
S – Le moindre larcin est jugé répréhensible quand...
G – ... le vol à grande échelle est légal !
S – Terrible constat ! N’est-ce pas ?
G – À qui la faute ?
S – La passivité... « La démocratie est le plus mauvais système à l’exception de tous les autres ». Pour la faire grandir, pour la faire s’épanouir, il n’est pas besoin de clients, mais de citoyens à la hauteur...
G – « Vaste programme ! »

« Personne »,
pessimiste par la raison et optimiste par la volonté

24 brumaire an 226

(1) Art. 3 de la Constitution.
(2) Art. 20 de la Constitution.
(3) Art. 1 de la Constitution.

URL de cet article 32560
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
La télécratie contre la démocratie, de Bernard Stiegler.
Bernard GENSANE
Bernard Stiegler est un penseur original (voir son parcours personnel atypique). Ses opinions politiques personnelles sont parfois un peu déroutantes, comme lorsqu’il montre sa sympathie pour Christian Blanc, un personnage qui, quels qu’aient été ses ralliements successifs, s’est toujours fort bien accommodé du système dénoncé par lui. J’ajoute qu’il y a un grand absent dans ce livre : le capitalisme financier. Cet ouvrage a pour but de montrer comment et pourquoi la relation politique elle-même est (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’un des plus gros mensonges officiels de notre temps est que les États-Unis et le Royaume-Uni sont en guerre contre l’islam radical. De l’Afghanistan à l’Arabie Saoudite en passant par la Syrie et la Libye, les extrémistes islamiques ont été pendant des décennies un allié vital dans leur véritable guerre : contre l’indépendance, l’unité panarabe et la souveraineté économique au Moyen-Orient.

Matt Kennard

Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.