Cela m’a pris pourtant assez tôt, oh ! pas sous une forme très nette. D’abord un vague sentiment de sympathie et de solidarité pour des manifestants ouvriers qui affrontaient les forces de l’ordre sous les fenêtres de la confortable demeure familiale par exemple ; une hostilité viscérale de lycéen à l’égard de la guerre que menait la France contre la lutte d’indépendance des Algériens.
Comme beaucoup de croyants je croyais... que sans religion il n’y avait pas de morale, jusqu’au jour où un camarade ferme dans ses convictions m’affirma le contraire. Et pfft ! d’un coup tout s’envola.
Et des années d’errance, sans foi ni d’autre loi que celle de la soumission prudente, encore que souvent délinquante à l’ordre qui s’imposait de lui même. J’ose à peine me remémorer l’état de profonde déliquescence de mon esprit, qui est toujours revenue chaque fois que par la suite j’ai quitté ce qui pourtant n’a jamais été une conviction permanente qui eût été présente du matin au soir et tout au long des années.
Bien sûr, j’avais lu le Manifeste, que l’on fait lire maintenant au Lycée, mais qu’on m’avait passé pratiquement sous le manteau. Ce qui m’avait intéressé mais ne m’avait pas spécialement marqué.
Un jour, dieu sait comment ! un camarade sans doute, je me retrouvai avec un exemplaire défraîchi de L’État et la révolution sous les yeux.
L’État est une machine qui entretient par la violence (directe ou larvée, légale ou sans lois) la domination d’une classe sur une autre. Cela fit du bruit dans ma tête, un bruit dont l’écho ne s’est pas encore assourdi.
Oublis, retours, rencontre de figures lumineuses. Un jeune professeur de philosophie normalien, cadre du PCF, un obscur instituteur qui se remettait aux études en sciences physiques. Bref des militants.
Adhésion, abandon, errance. Lectures et réflexion aussi. Alors que bien souvent la vie déposait son limon sous lequel tout paraissait étouffé, parfois pendant des années et même des décennies
Ma compagne qui, à défaut de dot, m’offrit Le Capital, publié en 8 volumes par les Éditions sociales, pour un anniversaire. Elle qui venait de ce qui était pire que le Front national aujourd’hui ; quelques fêtes de l’Humanité aussi.
Et maintenant, après toute une vie idiote parce que sans ligne constante et bien définie, que signifie : je suis un communiste ?
Sans doute que je ne crois pas aux billevesées sur la permanence du mal en l’homme, sur l’éternité de rapports qualifiés par euphémisme d’humains ; par lesquels il y aurait à jamais des gens honnêtes et des voleurs, des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités.
Certainement aussi j’ai compris que le mouvement historique et la connaissance qu’il a permis de faire naître chez les plus éminents représentants de la pensée sont ce qu’il y a de vital pour tous, et pour moi. Que sans ces phares, et sans la vie sociale qui fut leur socle, comme chaque fois que je les ai perdus de vue je serais à nouveau dans l’obscurité.
Et que si la civilisation consiste à simplement entretenir ce qui existe dans l’espoir que c’est éternel, je ne suis pas civilisé : jusqu’au jour où nos lointains descendants eux aussi ne le seront plus, civilisés, eux qui vivront dans la paix et la fraternité universelles.
Amen.
Dwaabala