En ces beaux jours de septembre Jean Birnbaum, du Monde, est confronté à une cruelle situation.
En effet, cette rentrée aurait logiquement dû être celle de la consécration de Nicolas Sarkozy, soigneusement préparée à grands renforts de communiqués et de dépêches AFP, annonçant le prochain outing du messie autoproclamé de la droite, en fait le non-événement par excellence, à savoir l’annonce, que tous savaient inexorable, de sa candidature officielle à la présidence de l’UMP. Or, il se trouve que les Français n’en ont que faire : le kidnapping des deux journalistes occupe les devants de l’actualité, la rentrée scolaire s’ouvre sur fond des menaces terroristes quant à la loi sur la laïcité, la prise d’otage en Ossétie du Nord émeut les esprits, et l’affrontement des candidats à la présidentielle américaine nourrit les commentaires de la presse. Bref, la tâche est rude pour M. Birnbaum : devant cet embouteillage médiatique, comment donner du lustre à la candidature de Sarkozy ? Comment utiliser la brosse à reluire pour faire briller convenablement les chaussures de M. le président (de l’UMP pour l’instant, rassurez-vous ...) ? Et surtout, comment transformer la banale (et énième) lutte pour le pouvoir d’un politicien rompu aux basses manoeuvres, en une mise sur orbite programmée depuis sa naissance ? Comment faire d’un non-événement, mieux qu’un événement, l’avènement de l’enfant-roi de la droite et du prochain Président français ? C’est ce coup de force, visiblement inspiré par la rigueur journalistique et le sens de l’objectivité la plus austère, que tente M. Birnbaum dans le monde du 2 septembre 2004, avec l’article intitulé « Comment les idées viennent à Sarkozy » ...
(voir ici même sur le site du Monde : www.lemonde.fr/web)
« Nicolas n’est pas quelqu’un qui se complaît dans l’intellect ... »
Tout exercice de sarkoflatterie se heurte à un premier problème de taille : M. Sarkozy n’est pas un intellectuel. Il n’a pour lui ni la hauteur (de vue) d’un De Gaulle, ni la culture d’un Mitterand, ni même le vernis d’intelligence qu’essaie d’affecter Chirac entre deux matchs de sumo. Il n’a écrit que trois livres dont l’audience a été, pour le moins, médiocre. Il n’est ni énarque ni polytechnicien. Ce qui ne constitue pas, en soi, un handicap pour faire de la bonne vieille politique politicienne, mais ce qui devient gênant pour le hisser au rang d’homme fort et incontournable de la droite. Qu’à cela ne tienne : M. Birnbaum, ne pouvant faire de Sarkozy un intellectuel, va faire de nécessité vertu, en essayant de liquider toute valeur de l’intellect pour faire une place à Sarkozy.
Extrait choisi :
« De fait, à la figure classique de l’intellectuel-à -la-française, Nicolas Sarkozy ne
semble accorder aucun statut d’exception : "Nicolas n’est pas quelqu’un qui se complaît dans l’intellect, assure le préfet Claude Guéant, directeur de cabinet place Beauvau, puis à Bercy. J’ai beaucoup côtoyé Jean-Pierre Chevènement. Il lisait de la philosophie jusqu’à 2 heures du matin, c’était toute sa vie, les idées prenant parfois le pas sur l’action. Nicolas,
lui, est d’abord un homme d’action. Quand il bavarde avec Lance Armstrong ou avec un jeune de banlieue, il a vraiment le sentiment d’en tirer quelque chose. Dès qu’il monte en voiture, la radio se met en marche. Il aime les choses simples, les variétés, la télévision. En cela, il exprime une certaine modernité. Les Français ne passent pas leur temps à lire de la
philosophie..."
On remarquera ici l’application de la première règle de toute sarkoflatterie (ou sarkorègle 1) : Tout ce qui semble constituer un défaut chez Sarkozy, est en fait une qualité.
Ce n’est pas l’intellect qui rejette Sarkozy, c’est Sarkozy qui refuse de se complaire dans l’intellect ! Sarkozy ne lit pas de philosophie, il agit (à coup de flash-balls et d’expulsion en charters ...) Sarkozy ne vit pas dans l’abstraction, mais dans le concret : il bavarde même avec les jeunes de banlieues (mais Birnbaum oublie de mentionner que Sarkozy n’en « retire » pas grand chose, comme le samedi 31 janvier 2004, dans la quartier des Halles à Paris, où les jeunes de banlieues qu’il aime tant lui ont craché dessus et l’ont insulté avant de le courser jusqu’à ce qu’il trouve refuge dans un commissariat voisin ...). Sarkozy n’aime pas les choses compliquées, mais les choses simples : la radio, la télévision (qui bien sûr le lui rendent si bien, à force de sarkoflatteries). Bref, Sarkozy serait comme Monsieur Tout le Monde (la soif avide de pouvoir et les goûts de luxe de Cécilia Sarkozy en moins ...) Mais cette banalité revendiquée, cette basse stratégie marketing de complaisance envers le peuple n’a rien de populiste ou d’intéressé : bien au contraire, elle « exprime une certaine modernité », dans laquelle le messie de la droite courtise le bon peuple inculte, en attendant de l’épouser, pour le meilleur et pour le pire ...
« L’étoile montante de la droite française ... »
Le deuxième écueil auquel se trouve confrontée la sarkoflatterie est plus politique : il faut faire oublier que la carrière politique de Sarkozy est un mélange cynique d’opportunisme, de valse-hésitation et de trahison, notamment envers Chirac auquel il s’opposa en 1995 lors des législatives, pour soutenir un Balladur que les sondages donnaient vainqueur. Il faut transformer le cynisme d’un homme avide de pouvoir, qui mange à tous les râteliers, qui trahit ses alliés au gré du vent de l’opinion, en une irrésistible ascension, en une course naturelle vers les sommets de la politique, bref : en lumineux destin de présidentiable. Ce à quoi s’emploie M. Birnbaum, par une savante (et elliptique) biographie politique :
« Chez l’étoile montante de la droite française, ce n’est pas d’hier que la bravade se déploie dans l’énergie d’une parole proférée. En 1975, ne défiait-il pas déjà son grand aîné, un certain Chirac, à la tribune d’un meeting gaulliste, en dépassant d’un bon quart d’heure les cinq minutes de parole que le Premier ministre lui avait concédées ? Il avait à peine 20 ans. Depuis lors, sa course à l’Elysée n’a jamais cessé. D’où la préparation méticuleuse de chaque apparition télévisée. D’où, surtout, le soin apporté à ses interventions politiques, rédigées à la main, des heures durant ... »
Apprécions cette fabuleuse application de la deuxième règle des sarkoflatteries (sarkorègle 2) : Tout ce qui, dans la carrière politique de Sarkozy, sert son image de présidentiable, doit être accentué, le reste devant être omis.
Et voilà comment Sarkozy, hier encore taxé de traître opportuniste, se retrouve auréolé d’une origine gaulliste, d’un courage d’orateur précoce, et surtout d’une trajectoire continue vers l’Elysée, et ce depuis l’âge de vingt ans ... Remarquons néanmoins que, pour respecter la sarkorègle 2, M. Birnbaum est bien obligé d’écorner la sarkorègle 1 : tout à l’heure homme simple et moderne, homme d’action rejetant l’intellect, Sarkozy passe pourtant des heures à préparer ses interventions, et à planifier ses apparitions télévisées. Mais où est donc passée la spontanéité, la simplicité et la modernité de Sarkozy, qui semblait si proche des français en refusant de perdre son temps à penser ? Heureusement, M. Birnbaum a la solution : il lui suffit de citer son maître en la matière, à savoir Sarkozy lui-même, pour trancher miraculeusement ce dilemme : « "C’est vrai, j’écris comme je parle. Mais à quoi tout ceci se résume-t-il, au bout du compte, sinon à la capacité de faire vivre une histoire, de faire partager une émotion ?", s’interroge le ministre, par ailleurs grand lecteur de Céline. » Que le lecteur se rassure, donc : Sarkozy prépare ses discours et ses interventions télévisées pendant des heures, mais c’est seulement pour écrire comme il parle ! Et il ne s’agit surtout pas de convoquer l’intelligence de ses auditeurs, mais de leur « faire vivre une histoire » et de « partager une émotion » : bref, Sarkozy est plus proche de mère-grand au coin du feu que de l’orateur politique, et tout son talent consiste à savoir raconter des histoires au bon peuple, qui appréciera cet éloge à son esprit critique ... Mais qu’importent au final toutes ces contradictions, puisque Sarkozy bénéficie de la caution, comme on sait irréprochable, de Céline ...
« N’ayant aucun rapport à la théorie, il n’a jamais eu de gourou ... »
M. Birnbaum n’est pourtant pas encore au bout de ses peines, car la sarkohagiographie présente bien des difficultés, notamment pour faire passer sans encombres l’indigeste cocktail d’ultralibéralisme, de répression sécuritaire et de mesures antisociales qui constituent les références idéologiques majeures de Sarkozy. Il faut faire oublier que l’agitation médiatique de Sarkozy n’est que la pointe émergée d’un projet ultralibéral pour la France. Il faut faire oublier les récentes déclarations d’amour de Sarkozy à l’électorat du Front National, passer sous silence les accointances de Sarkozy avec l’aile dure du Medef dont son frère est vice-président, déguiser ses appétits de destruction à l’égard des acquis sociaux comme les 35 heures qu’il souhaite voir disparaître, la sécurité sociale qu’il souhaitait partiellement privatiser, le travail qu’il voudrait encore plus précariser et flexibiliser. Et ce n’est pas chose facile, dans une France manifestement hostile au libéralisme et attachée au service public et aux acquis sociaux, et qui a rejeté aussi bien dans la rue que dans les urnes l’amère potion libérale de Chirac-Raffarin. Bref, la tâche est presque impossible, mais M. Birnbaum va révéler ici des talents de prestidigitateur insoupçonnés :
« Ils se trompent, cependant, ceux qui croient que la machine Sarkozy ne carbure qu’à l’activisme médiatique. Si l’homme a pu surprendre jusqu’à ses pires ennemis, et ce d’abord sur le front des idées, c’est aussi qu’il sait s’entourer. "C’est une éponge, Nicolas", aime à répéter Cécilia, citant le premier cercle des proches : Martin Bouygues, l’essayiste Alain Minc, Pierre Mariani, son ancien directeur de cabinet, aujourd’hui à la BNP, qui lui a présenté l’économiste Nicolas Baverez. Pour autant, le ministre s’inspire de tous, sans appartenir à aucun, prévient son ami Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand : "Personne ne peut se targuer d’avoir une influence sur lui. N’ayant aucun rapport à la théorie, il n’a jamais eu de gourou. A la limite, il considère ses interlocuteurs comme des lieux pour tester ses idées. Il aime les propositions concrètes, et il est prêt à les recevoir, mais dans un cadre extrêmement opérationnel. " »
Extraordinaire exemple d’application de la sarkorègle 3 : Ne jamais mentionner l’idéologie ultralibérale de Sarkozy.
Passons sur le déni initial d’activisme médiatique chez Sarkozy : on se saura jamais réellement pourquoi ceux qui accusent sous ce chef Sarkozy se trompent, sauf à faire valoir le principe suprême des sarkorègles, selon lequel toute critique de Sarkozy est absurde. En fait, si Sarkozy n’est pas un activiste médiatique, c’est parce qu’il a des idées (M. Birnbaum tient ici un scoop ...) Seulement, cette découverte rentrant en contradiction avec la sarkorègle 1, il faut que ces idées ne viennent pas de l’intellect de Sarkozy, mais d’ailleurs. C’est chose faite, grâce au premier cercle des proches : l’entrepreneur Martin Bouygues dont on connaît la philanthropie et le désintéressement politique, Alain Minc le libéral, grand conteur de fables sur la mondialisation heureuse, Pierre Mariani, responsable des activités financières de la BNP dont on devine le sens de la justice sociale et Nicolas Baverez, grand prophète du déclin de la France, selon l’argumentaire constant de la droite réactionnaire. Bref, du beau monde, qui donne une idée de la souplesse intellectuelle et de l’absence de parti pris idéologique de Sarkozy, en dessinant par faire-valoir interposés les contours ultralibéraux d’une doctrine politique rien moins qu’idéologique ... Sarkozy est donc, d’après les propres termes de sa femme, une « éponge » (dont on sait depuis Valéry qu’elles ont ceci de commun avec les idiots qu’elles adhérent ...), mais pas n’importe laquelle : une éponge à idées ultralibérales, imprégnée des thèmes classiquement réactionnaires et conservateurs dont ses amis sont les dépositaires. Mais Birnbaum se heurte alors à la sarkorègle 2, selon laquelle il faut à tout prix donner de Sarkozy l’image du présidentiable idéal, possédant donc une envergure intellectuelle et une indépendance d’esprit. D’où le tour de passe-passe verbal accompli par les bons soins de Séguela : Sarkozy est certes une éponge à idées, mais « il s’inspire de tous sans appartenir à aucun ». Drôle d’éponge à idées ! Est-ce à dire alors que les idées ultralibérales qu’affectionne Sarkozy lui viendraient de son propre intellect, en contradiction avec la sarkorègle 3 ? M. Birnbaum irait-il jusqu’à affirmer que Sarkozy est réellement porteur d’une idéologie politique ultralibérale ? Fort heureusement, le lâche recours à Seguela dispense encore une fois le lecteur de connaître la vérité sur Sarkozy : en bon contempteur de l’intellect, Sarkozy « n’a [bien sûr] aucun rapport à la théorie » et donc aucun « gourou » ( même si ses propositions semblent émaner directement de l’intellect d’Ernest Antoine Seillères ?) Bref, Sarkozy est un anti-intellectuel qui s’imprègne des idées (ultralibérales) des autres, sans appartenir à personne puisqu’il a ses propres idées, qui n’ont cependant rien à voir avec une quelconque théorie (réactionnaire ?), puisqu’il n’a pas de gourou. Saluons ici la clarté incantatoire de Birnbaum, qui a décidément du mal à respecter en même temps toutes les sarkorègles ! Pour faire tenir toutes ces contradictions dans une seule éponge sarkozienne, il faut alors tout le talent de la dernière remarque : en fait, Sarkozy « aime les propositions concrètes, mais dans un cadre opérationnel ». Manière de dire que Sarkozy accepte les idées de ses amis sans les accepter réellement, dans un cadre théorique qui n’est pas vraiment théorique ni idéologique, mais plutôt « opérationnel », pragmatique. En bref : Sarkozy n’est pas ultralibéral, et ses idées ne s’inscrivent dans aucune doctrine, mais seulement dans un cadre variable et pragmatique. Opération réussie : Sarkozy n’est donc pas ultralibéral, il est seulement ... sarkozyste !
« Adapter ses convictions à une réalité mouvante, telle est la recette déclarée du pragmatisme sarkozien »
Maintenant que Sarkozy a été purifié de son ultralibéralisme, un nouveau problème se pose au sarkohagiographe : que dire du programme politique sarkozien ? En effet, d’après la sarkorègle 1, Sarkozy ne peut avoir le défaut de penser une doctrine politique cohérente, mais seulement la qualité d’agir. Mais selon la sarkorègle 2, Sarkozy est nécessairement présidentiable, et doit donc posséder une politique pour la France. Cependant, d’après la sarkorègle 3, cette politique ne peut pas être ouvertement ultralibérale, et ne doit pas sembler idéologiquement bornée. De plus, d’après le principe suprême des sarkorègles, Sarkozy a toujours raison. Comment faire alors ? Dans un dernier coup de collier, M. Birnbaum, se voyant sans doute déjà faire partie des journalistes officiels du futur Président de la République, engage ses dernières forces d’illusionniste dans un suprême feu d’artifice, ou sarko-artifice, dans lequel il va faire porter sur les collaborateurs de Sarkozy les aspects les plus sinistres de sa politique droitière, pour réserver à Sarkozy l’éclat des mesures humanistes.
Extraits :
Ce cadre opérationnel [la politique de Sarkozy], il revient aux membres du cabinet de le faire vivre, jour après jour. Souvent trentenaires et énarques, ce sont pour la plupart des techniciens dévoués [...]Parmi ses fidèles collaborateurs, certains présentent toutefois un profil plus idéologique : ainsi d’Armand Laferrère [...] ce conseiller référendaire à la Cour des comptes, qui vient de rejoindre le privé (Framatome), est également membre du comité de rédaction de Commentaire, revue dans laquelle il signe des articles à l’ironie glacée, en défense d’un libéralisme atlantiste et botté. Publié au printemps, le dernier en date s’intitule "Plaidoyer pour George Bush". [...]Plus discrète dans ses engagements, Emmanuelle Mignon, 36 ans, n’en affiche pas moins de solides convictions : "J’ai toujours été conservatrice, j’aime l’ordre. Je crois à l’initiative individuelle, à l’effort personnel et, en matière économique, à la main invisible du marché. Par exemple, je suis pour une privatisation totale de l’éducation nationale", confie cette juriste venue du Conseil d’Etat. [...] Tous ont dû apprendre une forme de souplesse, et accepter les décisions d’un chef imprévisible, excellant dans l’art du contre pied [...]Cas d’espèce : l’affaire Rose Bonbon [...]Sarkozy a mesuré les enjeux d’une interdiction et compris que c’était un mauvais combat. [...]C’est peu ou prou de cette manière, par exemple, que le dossier de la double peine a pu enfin émerger [...]De même, c’est en arpentant la ZEP de Montereau aux côtés du député Yves Jégo (UMP, Seine-et-Marne) que le ministre se serait convaincu des bienfaits de la "discrimination positive". C’est à la centrale de Chinon, enfin, et plus exactement dans le hall immense où se pressait une foule d’agents en colère, que se serait vraiment élaborée la réforme d’EDF ... »
On reconnaîtra ici l’application virtuose de la sarkorègle 4, selon laquelle : S’il faut parler du programme politique de Sarkozy, il faut faire porter à ses collaborateurs la responsabilité des tendances ultralibérales, et réserver au grand Nicolas toute mesure d’apparence modérée ou consensuelle, voire progressiste.
Ce qui permet de dévoiler les aspects les plus dangereux de la politique de Sarkozy, sans le mettre en cause : défense d’un libéralisme à l’américaine (dont on connaît les bienfaits pour le peuple américain, notamment en matière de justice sociale), plaidoyer pro-Bush (grand progressiste devant l’Eternel), « initiative individuelle » et « main invisible du marché » (euphémismes pour désigner l’arbitraire de la pure concurrence économique et de l’absence de protections sociales), « privatisation totale de l’école » (pour finir de détruire les services publics français ?), etc. Une fois les collaborateurs de Sarkozy ainsi chargés de ce que les Français ont en horreur, la place est libre pour promouvoir le messie Sarkozy : l’homme qui refusa d’interdire Rose Bonbon (mais pas les pistolets flash-balls destinés à mater les insoumis au nouvel ordre sécuritaire), celui qui mit fin à la double-peine (pour des profits médiatiques très rentables, et ce au moment même où il expulsait les réfugiés de Sangatte, durcissait les lois anti-immigration et draguait l’électorat FN), le promoteur d’une « discrimination positive » (dont personne n’a jamais vu la couleur concrètement, et qui semble mal partie vue la discrimination budgétaire négative dont est victime l’éducation nationale, en attendant bien sûr que sa privatisation totale règle le problème), le pourfendeur des agents EDF en colère dans un hall immense (et sévèrement défendu par un appareil policier imposant, avec lequel on triomphe sans gloire, pour réussir à imposer le principe de la privatisationfuture d’EDF, grâce à laquelle chacun aura la liberté ... de payer son électricité plus cher), etc.
« Américain, je le suis beaucoup moins qu’un autre, si vous voyez ce que je veux dire ... »
Et si, d’aventure, on se demandait si Sarkozy n’est pas trop américain au goût des français, l’ultime sarkorègle (n°5), viendrait mettre fin à nos doutes : Si un reproche doit être adressé à Sarkozy, on doit d’abord l’adresser à Chirac, qui est toujours pire que Sarkozy.
Ainsi Birnbaum reprend-il les propos de Sarkozy, qui pour se dédouaner de l’accusation d’atlantisme, la rejette courageusement sur Chirac : « Américain, je le suis beaucoup moins qu’un autre, si vous voyez ce que je veux dire ... »
Bref, saint Sarkozy, l’ultralibéral inclassable (mais pourquoi M. Birnbaum n’essaie-t-il pas à droite de la droite ?), le réactionnaire progressiste (surtout en matière de progression de la répression et des prisons en France), l’intellectuel libertaire (qui ne s’est toujours pas libéré d’Alain Minc ), l’homme de droite qui n’est pas à droite, l’éponge qui n’éponge pas, est tout sauf ce qu’il est : à commencer par le digne représentant de l’ultralibéralisme en France.
Les efforts de M. Birnbaum, dignes importations au sein du journalisme des ficelles de David Copperfield, sont plus qu’un document précieux sur l’état du journalisme en France, et au Monde en particulier : le quatrième pouvoir n’en a plus que le nom, et a laissé la place aux maigres pouvoirs de la brosse à reluire. Les pénibles contorsions verbales de Birnbaum renseignent malgré elles sur la difficulté à vendre les hommes politiques se réclamant du libéralisme sur le marché médiatique, après les mouvements sociaux de 2003, la lutte continue des intermittents du spectacle, et la triple gifle électorale de 2004. Pour vendre du Sarkozy, il faut, en effet, qu’il ne soit pas ce qu’il est (un libéral idéologique), et qu’il soit ce qu’il n’est pas (un politique moderne, modéré et pragmatique). Dans ces sarkoflatteries qui fleurissent un peu partout, aussi bien dans les journaux qu’à la radio ou à la télévision, dans ces éloges inconsidérés d’un opportuniste sidérant, c’est bien plus que l’esprit critique qui se meurt. C’est un nouvelle forme d’antijournalisme qui s’élabore, chaque jour plus connivent avec les puissants, et plus méprisant envers ses lecteurs. Il est temps de renouer avec la critique politique d’une presse dont la dépolitisation est très politique, de journalistes dont les évidences sont rien moins qu’évidentes, et d’interrogations journalistiques qui ne sont pas interrogées. Car, de pouvoir d’opposition au pouvoir, cette presse est devenue simple pouvoir au service du pouvoir, déformation permanente de l’information, machine à produire de l’actualité artificielle, écriture du rien au service du pire ... et des pitres.
Antonio Molfese
Sans casque, ni bouclier : témoignage d’un ex-officier de police, par Regarde à vue.
Le coup de Trafalgar caché contre le Code du travail et le programme de Sarkozy, par Matti Altonen.
Sarkozy et les juges : une rupture consommée, par Evelyne Sire-Marin.
Notre tour viendra, notre tour est venu ! par Jean-Pierre Bastid.
Sarkozy ou la pornographie médiatique, par Danielle Bleitrach.