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Colombie : Coup "˜"˜sans précédent’’porté contre l’oligarchie médiatique colombienne, par Numancia Martà­nez Poggi.


[Loin des medias dominants, la vérité doit d’abord être recherchée, éventuellement, selon les moyens, selon les urgences, selon les disponibilités, par les medias alternatifs ou par les medias indépendants de l’oligarchie colombienne, voire par de simples citoyens agissant à leurs risques et périls. Une fois établie la vérité doit se frayer un chemin jusqu’au citoyens colombiens, voire jusqu’à l’audience internationale qui avait connu la première nouvelle mensongère. Il faut alors faire face à la censure implicite des medias dominants et recourir aux moyens artisanaux traditionnels, aux précaires sites internet, aux radios communautaires, à la presse de gauche en pleine reconstruction.]




Les medias colombiens dans les pièges du mensonge


Mercredi 15 mars 2006.


Mardi 7 mars 2006 l’armée colombienne annonce avec fracas un fait de grande importance dans le déroulement de la guerre contre les Insurgés, ou les « terroristes », terme préconisé par l’impérialisme, utilisé dans le langage officiel en Colombie et délibérément popularisé par les médias dominants.


Evénement ""sans précédent’’

Il s’agit, selon les sources officielles et selon les medias qui les paraphrasent de façon plus ou moins exaltée, d’un fait ""sans précédent’’ dans l’histoire de la guérilla colombienne ; ""sans précédent’’ aussi bien de par sa nature que de par la quantité des personnes impliquées. L’armée annonce en effet que 70 guérilleros avec leurs commandants se sont rendus. Le Président Uribe Vélez lui-même donne l’importance méritée à l’affaire, il annonce que plus de 40 armes ont été livrées et les guérilleros ont en plus remis un avion à l’armée. Uribe Vélez précise ombrageux que cet avion avait été acquis par la guérilla à l’époque de la Zona de Despeje, Zone démilitarisée accordée aux FARC-EP durant le gouvernement d’Andrés Pastrana, entre 1999 et février 2002.

Aussitôt les commentateurs assermentés s’en donnent à coeur joie, en Colombie ou ailleurs. C’est la plus grande « débâcle » de toute son histoire pour la guérilla des FARC-EP. Les FARC-EP, démoralisées, sont en débandade militaire. Déclarer la guérilla vaincue par le Plan « Patriota », c’est implicitement, pour les plus fins, accorder grand crédit à la stratégie répressive de guerre totale voulue par le Commandement Sud de l’armée gringa, le USSOUTHCOM, chargé de la domination militaire de l’Amérique latine. Les plus chaleureux accordent en toute indépendance le crédit de cette « grande victoire » au génie politique et militaire du président Uribe Vélez.

Les FARC-EP seraient de toute façon politiquement marginalisées, en raison de la préférence démocratique du peuple colombien, en raison de la vigueur retrouvée de la gauche non armée, disent d’autres commentateurs plus raffinés. Les intellectuels de prébendes et les journalistes de cour présentent les FARC-EP comme un mouvement purement militariste, narcotrafiquant, apolitique, terrorisant les braves paysans, contraignant du coup ces derniers à se protéger derrière les charitables paramilitaires, d’ailleurs appelés les « autodéfenses » dans la langue uribiste et dans la langue médiatique. Les FARC-EP seraient des narco-terroristes et les sicaires paramilitaires narcotrafiquants seraient le peuple paysan en arme. C’est le schéma qui nous est implicitement vendu, avec des nuances ici ou là , avec plus ou moins de finesse.

Si la gauche non armée contribue loyalement à la marginalisation de la guérilla, on pourrait incidemment se demander pourquoi cette même gauche non armée doit faire face à la répression officielle ; équation jamais résolue de par le simple fait qu’elle se tient à l’écart de toute rationalité politique et de toute analyse sociologique. Autre problème à la même équation : il y a de nombreuses années que le refrain prétendant retrancher la guérilla de la vie politique colombienne raisonne lourdement, refrain qu’on ressort de derrière les fagots quand il s’agit d’interdire toute chance à la paix.

Ce schéma général n’est pas sans poser d’autres problèmes. Par exemple, si les guérilleros des FARC-EP étaient de simples narco-terroristes on comprendrait mal pourquoi ils ne se rallient pas à la stratégie de pacification offerte par Uribe Vélez aux narco-paramilitaires dans le cadre du cirque organisé à Santa Fe de Ralito. Uribe Vélez offre amnisties et impunités presque totales aux narco-paramilitaires. Certains, richissimes, paieront des amendes, certains seront punis de façon tout à fait symbolique, si on considère les crimes qu’ils ont commis, assassinats, massacres de villages, déplacements forcés en masse, etc. On savait depuis la fin 2002 que le désarmement des narco-paramilitaires restait tout à fait fictif, la plupart restant armés et organisés, une fois leur impunité assurée par la procédure de blanchiment judiciaire. L’Organisation des Etats Américains (OEA), tellement complaisante à l’empire qu’elle avait vite banni l’indocile Ile de Cuba sous les prétextes les plus insolites, s’inquiète aujourd’hui à voix haute de l’insincérité uribiste et dénonce enfin, après plus de trois ans, le faux désarmement des paramilitaires. Uribe Vélez dispose de toute façon du parrainage des Gringos, ce qui lui garantit une bonne réputation internationale. L’OEA n’ira pas au-delà de quelques déclarations publiques pour dénoncer ce qu’il est devenu très difficile d’ignorer.


Dénouement

Au bout du compte, sans surprise, il s’avère que ce fait, ""sans précédent’’ dans l’histoire de la guérilla, était un montage médiatique, un simple show, selon l’anglicisme employé par les FARC-EP elles-mêmes pour commenter l’affaire, précisant au passage que la Colonne Gaitana -soit disant démobilisée- n’a jamais existé. Il apparait que les medias dominants une fois de plus ont collaboré de bon coeur à la propagande militariste d’Uribe Vélez alors qu’ils auraient toutes les raisons de se méfier s’ils souhaitaient travailler sérieusement.

L’avionnette, qui servait soi-disant à transporter les commandants de la guérilla, était aux mains de l’armée depuis environ trois ans. Elle avait jadis appartenu à des narcotrafiquants dit-on. Le personnage présenté comme le commandant des 70 soi-disant déserteurs de la guérilla était en prison depuis plusieurs années. Les micros lui étaient tendus avec le plus grand enthousiasme et ses propos sibyllins eurent une répercussion internationale. Un personnage jouant le rôle de porte-parole de ces soi-disant guérilleros démobilisés explique au bout du compte qu’il n’ était pas guérillero, mais simple milicien, c’est-à -dire civil armé sympathisant de la guérilla.

Evidemment le montage était un peu grossier, sa longue chevelure signalait à toute personne connaissant un tout petit peu les FARC-EP, en sympathie ou pas, que ce garçon ne pouvait pas avoir été guérillero depuis plusieurs années. Etc. Le montage bâclé a joué un rôle rapide juste avant le dimanche électoral. L’oligarchie militaro-uribiste se limite maintenant à gérer la vérité qui attaque sur tous les flancs.


La vérité rompt les digues médiatiques

Ce qui est surprenant c’est que le commandement de l’armée a dû présenter des excuses aux medias et au peuple colombien en raison de la « confusion » alors provoquée, en fait un montage dans toute sa splendeur. Le fait que le général Mario Montoya reconnaisse, implicitement certes, que l’armée a menti effrontément au peuple colombien montre que le mur du totalitarisme médiatiqu e s’effrite un peu. Le Haut Mandaté pour la Paix Luis Carlos Restrepo, grand organisateur de la cérémonie du mardi 7 mars, a menti, comme a menti Uribe Vélez ; ce n’est certes pas là un fait sans précédent, mais la situation est d’un grotesque remarquable.

Généralement lors de ce genre de manipulations médiatiques la vérité finit bien par être connue après coup. Cependant un coup médiatique est toujours rentable pour l’oligarchie parce que lorsque la vérité est a posteriori établie elle reçoit infiniment moins de publicité que la première nouvelle mensongère. Par ailleurs si le mur n’avait pas été rogé par les petites mains du sain travail journalistique, l’armée colombienne n’aurait jamais pris la peine de présenter piteusement ses excuses. Le travail du noble et vaillant journaliste recherchant la vérité a il est vrai en l’occurrence été facilité par l’outrance du mensonge.

Loin des medias dominants, la vérité doit d’abord être recherchée, éventuellement, selon les moyens, selon les urgences, selon les disponibilités, par les medias alternatifs ou par les medias indépendants de l’oligarchie colombienne, voire par de simples citoyens agissant à leurs risques et périls. Une fois établie la vérité doit se frayer un chemin jusqu’au citoyens colombiens, voire jusqu’à l’audience internationale qui avait connu la première nouvelle mensongère. Il faut alors faire face à la censure implicite des medias dominants et recourir aux moyens artisanaux traditionnels, aux précaires sites internet, aux radios communautaires, à la presse de gauche en pleine reconstruction.

L’intimidation paramilitaire a beaucoup contribué à faire régner l’autocensure dans les medias colombiens. La menace d’assassinat s’ajoute en Colombie aux modalités universelles de contrôle du travail journalistique. Les journalistes dûment endoctrinés, acquis à l’uribisme, occupent sans surprise les positions clefs dans la gestion des medias. Par exemple la famille Santos gérante de grands medias traditionnels et propriétaire du quotidien El Tiempo, pilier de la presse colombienne, est présente au plus haut niveau gouvernemental, illustrant à l’extrême la fusion anti-démocratique entre le régime uribiste et les médias, berlusconisme des Andes.

Numancia Martà­nez Poggi


« La Colombie vit un coup d’Etat permanent », par Benito Perez.

Les véritables raisons de l’intervention nord-américaine en Colombie, par Doug Stokes.


A propos de la Colombie par Noam Chomsky.

Réaction à l’article sur Ingrig Betancourt dans le N°1 de l’écorégion, par J.C.Cartagena.

Otages en Colombie : La vérité à propos des contacts entre la France et les FARC-EP, par Carlos Lozano Guillen.


Colombie - Les FARC-EP : Une exception révolutionnaire aux temps de l’expansion impérialiste, par James J. Brittain.

Colombie : L’échec du Plan « Patriota » qui avait pour objectif l’anéantissement des FARC, par Miguel Urbano Rodrigues.



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