Généralités
Ainsi que le confirma Ottawa le 7 de ce mois, le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, vida son coeur débordant au cours d’un point de presse tenu à Vladivostok, en Russie, où il participa au sommet de l’APEC en compagnie du premier ministre canadien, Stephen Harper. A vrai dire, M. Baird tint un discours moins brillant que jaillissant du plus profond de son coeur, discours qui rappela saint Paul quand il dit : « car celui qui commet l’injustice recevra selon son injustice, et il n’y a point d’acception de personnes [1] ».
Et quel était le héros de ce discours jaillissant du coeur et débordant d’amour ? Quel était le sujet qui inspira tellement M. Baird, dont il parla avec « inspiration à des inspirés » ? Qui était le Ménélas [2]de cette Iliade du Sept-Septembre ?
Personne d’autre que le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu !
L’Iliade du Sept-Septembre et ce qui advint aux relations avec Téhéran
M. Baird dressa une longue liste de reproches contre l’Iran et annonça la rupture diplomatique avec Téhéran. L’Iran, dit-il, est « la menace la plus importante à la paix et à la sécurité mondiale à l’heure actuelle [3] ». Il repprocha à Téhéran de fournir une aide militaire au gouvernement Assad, en Syrie. Il s’inquiéta de la menace que l’Iran représentait pour l’existence d’Israël : « Il (le régime iranien) refuse de se soumettre aux résolutions des Nations unies en rapport avec son programme nucléaire. Il menace régulièrement l’existence de l’État d’Israël et emploie une rhétorique raciste et antisémite, incitant au génocide [4] », lança M. Baird.
Ces paroles monumentales de M. Baird, cette philanthropie sans frontière qui fit pleurer même les crocodiles les plus insensibles de l’Amazone [5], cette insistance sans limite à établir paix et justice dans le monde, ces manifestations divines par lesquelles le discours fut prononcé, tout fit écho dans les ruelles de Jérusalem, où les propos de M. Baird furent applaudis par les rois de Juda [6].
Quant à l’ambassadrice d’Israël à Ottawa, Miriam Ziv, elle déclara, dans un communiqué diffusé le même jour, que c’étaient là les mesures qu’il fallait prendre « pour tracer clairement une ligne rouge à l’Iran [7] ». Pour sa part, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, félicita d’abord Ottawa : « je félicite le premier ministre canadien Stephen Harper d’avoir pris cette décision courageuse [8] » ; puis il présenta son éloge : « la décision morale du premier ministre canadien est très importante et constitue un exemple pour la communauté internationale [9] » ; enfin il montra ses muscles : « la détermination dont fait preuve le Canada servira à faire comprendre aux Iraniens qu’ils ne peuvent pas continuer leur course vers l’arme nucléaire [10] ».
Quelques jours auparavant, M. Netanyahou, s’en prit à Washington à qui il reprocha sa réticence à envisager l’avenue militaire : « La communauté internationale n’a pas défini une ligne rouge que l’Iran ne doive franchir et l’Iran ne voit pas la résolution de la communauté internationale à stopper son programme nucléaire », déclara-t-il après la publication d’un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Comment Netanyahou chevaucha à Ottawa en tant que Ménélas
A plus forte raison, la décision d’Ottawa de rompre avec l’Iran ne s’explique ni par la philanthropie philanthrope de M. Baird ni par la bonhomie de M. Harper ; car « si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? [11] ».Au contraire, la décision d’Ottawa se voit dans le contexte de la détérioration graduelle des relations de l’administration Obama avec la coalition actuelle à Tel-Aviv, d’un côté, et dans celui de la grandissime admiration du gouvernement Harper pour cette coalition, de l’autre côté. Les convergences se font jour entre ce que nous disons ici et la visite de M. Netanyahou à Ottawa, le 2 mars, sans passer d’abord par Washington. Lors de cette visite, M. Netanyahou sollicita l’appui de son « meilleur ami », M. Harper, pour des actions futures contre l’Iran, à un moment où le président américain, Barack Obama, s’éloignait de lui, et croyait encore à l’utilité des sanctions et des pressions économiques, sans rejeter, certainement, l’option militaire : « toutes les options restent sur la table, et les États-Unis n’accepteraient jamais un Iran nucléaire [12]
Comment Harper le reçut en tant qu’Agamemnon, et Baird en tant qu’Achille
Lorsque Netanyahou arriva à Ottawa, le 2 mars, s’habillant en Ménélas, après avoir traversé les sept mers [13], son « meilleur ami », Stephen Harper, se fut déjà habillé en Agamemnon [14], et John Baird eut déjà appris par coeur les paroles d’Achille aux pieds rapides [15].
Sur la Colline du Parlement, les trois héros se retrouvèrent, Agamemnon, Ménélas et Achille aux pieds rapides ; et une voix fut entendue dans le ciel :
Certes, vieillard, tu surpasses dans l’agora tous les fils des Akhaiens. ô Père Zeus ! Athènè ! Apollôn ! Si j’avais dix conseillers tels que toi parmi les Akhaiens, la ville du roi Priamos tomberait bientôt, emportée et saccagée par nos mains ! [16].
Quelle mouche piqua alors M. Harper au point de rompre les relations diplomatiques avec l’Iran ? Quel événement fût venu s’ajouter au tableau pour justifier une démarche aussi extrême ? Aucun élément, aucune mouche ! A proprement parler, la justification du gouvernement, présentée dans un communiqué officiel du ministère des Affaires étrangères, n’offrit rien de précis ; autre que l’annonce vague et mal soutenue de M. Baird, rien ne fut ajouté. Au contraire, les arguments de M. Baird eussent été calqués sur ceux de George Bush II et de l’Imperator [17]Ronald Ramsfield, à la veille de l’invasion de l’Irak. Parmi ces arguments qui eussent justifié la rupture avec l’Iran, le gouvernement Harper évoqua son programme nucléaire, son appui au terrorisme et son antisémitisme. Les allégations invoquées furent les suivantes :
- premièrement, « le Canada considère le gouvernement de l’Iran comme étant la menace la plus importante à la paix et à la sécurité mondiales à l’heure actuelle » ;
- deuxièmement, « le régime iranien fournit une aide militaire croissante au régime Assad » ;
- troisièmement, « il refuse de se conformer aux résolutions des Nations unies concernant son programme nucléaire » ;
- quatrièmement, « il menace régulièrement l’existence d’Israël et tient des propos antisémites racistes en plus d’inciter au génocide » ;
- cinquièmement, « il compte parmi les pires violateurs des droits de la personne dans le monde » ;
- sixièmement, « il abrite des groupes terroristes auxquels il fournit une aide matérielle ».
M. Baird, après avoir appris par coeur les paroles d’Achille aux pieds rapides, donna aussi une longue liste de motifs, dont le soutien de l’Iran au régime du président Bachar el-Assad en Syrie. En effet, les déclarations de M. Baird, concernant la rupture des relations diplomatiques avec l’Iran, surprirent tout le monde, car aucun élément nouveau ne fut venu s’ajouter au tableau, pour justifier une telle démarche. Tout le monde ? Pas nécessairement, car ceux qui suivaient de près les déclarations du gouvernement Harper sur le conflit au Moyen-Orient n’attendaient pas moins qu’une nouvelle Iliade, non contre Troie, mais cette fois-ci contre l’Iran, évidemment.
L’admiration qu’avait Harper pour Netanyahou et ce qui advint de notre icône sur la scène internationale
A plus forte raison, la décision d’Ottawa à rompre avec Téhéran trouva sa justification dans les paroles d’admiration que tenait le gouvernement Harper pour la coalition politique à Tel-Aviv.
Que l’on relise dans les archives comment, tout en jouant la lyre d’Orphée [18], M. Harper décrit son admiration pour Tel-Aviv ; comment, le jour où la soldatesque israélienne eut brûlé à cendre le Liban en 2006, le gouvernement Harper prit clairement position en faveur de l’État d’Israël, en affirmant que ce pays « avait le droit de se défendre [19] » ; comment ce gouvernement prit, encore une fois, une position très décevante, cette fois-ci pendant la guerre contre Gaza en 2008 - 2009, lorsque monsieur Lawrence Cannon, alors ministre des Affaires étrangères, répéta le même refrain, indiquant que l’État hébreu avait « parfaitement le droit de se défendre [20] » ; comment enfin l’assaut de l’armée israélienne contre la flottille humanitaire qui se dirigeait vers la bande de Gaza, le 31 mai 2010, eut provoqua l’indignation partout dans le monde, sauf sur la Colline du Parlement, car le gouvernement Harper résista encore et toujours à « l’opinion commune ou au simple bon sens (…) aucune condamnation, aucune demande d’enquête ne se fit entendre alors même que Benjamin Netanyahou était devant lui au moment des événements [21] ». Il fallait lire tout ce lyrisme ainsi que les innombrables fioritures poétiques qui l’accompagnèrent, pour sentir ce que signifia un « inspiré parlant à des inspirés ».
D’ailleurs, toute cette Iliade du Sept-Septembre servit au gouvernement Harper de pousser le Canada pour faire varier son orbite historique, pour redessiner son portrait pacifique en tant qu’agent de la paix, pour redéfinir son rôle sur la scène internationale, pour hurler enfin avec les loups par volonté d’affirmer un changement d’identité : « nous ne sommes plus des agents de la paix, mais des acteurs crédibles des rapports de force entre les puissances internationales [22] », comme le démontra bien Christian Nadeau.
Hélas ! Nous nous posâmes ainsi, sur la scène internationale, comme la nation destinée à attirer sur elle toute la colère de Hadès [23], nous nous mîmes devant Cerbère [24]comme un bouclier, et nous détournâmes sur nous tous les périls et tous les dangers du Tartare [25].
Quel compliment pour l’Iliade du Sept-Septembre ! Quel compliment pour la rupture d’Ottawa avec Téhéran ! Sans la déclaration de M. Baird, la paix mondiale se fût échappée des pieds de Hadès. Certes, si M. Baird eut parlé avec moins d’« inspiration à des inspirés », si M. Harper eut été moins riche d’amour et d’admiration à son « meilleur ami », Netanyahou, ou bien si, et seulement si, il eut considéré la position d’une grande partie des Canadiens, cela eût mieux valu pour notre pays. Hélas ! C’est ce qui fut arrivé le jour du Sept-Septembre.
En ce qui concerne les six points présentés par la déclaration de M. Baird, justifiant la rupture diplomatique avec Téhéran, nous les reprendrons en analyse et en critique, point par point, dans le deuxième chant de cette Iliade du Sept-Septembre. Rester avec nous !
Fida Dakroub, Ph.D
Page officielle de l’auteur : www.fidadakroub.net
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