À l’issue d’une guerre de communiqués, le verdict est tombé : la nouvelle tragédie, dont Malaysian Airlines est la victime – la deuxième, en quatre mois – constitue un acte de « terrorisme », que des « séparatistes pro-russes » ont perpétré au moyen d’armes fournies par la Russie ; quant au coupable, il s’agit de Poutine. L’affaire est close. Vous qui pensez autrement, fermez-la.
Pourquoi ? Parce que la CIA l’a dit. Parce que Hillary « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort » Clinton, l’a dit. Parce que Samantha « Responsabilité de Protéger » Power, la folle, l’a dit – en fulminant contre les Nations-Unies, un emportement que ce nid de néo-conservateurs, qui porte le nom de Washington Post, s’est empressé d’imprimer in extenso, comme de bien entendu. Parce que les médias de révérence anglo-américains – de CNN à la Fox (qui essaya d’acheter Time Warner, propriétaire de CNN) – l’ont dit. Parce que le président des États-Unis (le POTUS - President Of The United States - NdR) l’a dit. Plus que tout, parce que, dès le départ, Kiev l’a proclamé avec véhémence.
Sur-le-champ, tout le monde a formé les rangs – ces équipes, constantes dans l’hystérie, d’« experts » de la « communauté étasunienne du renseignement », aux lèvres palatiales desquels la rage faisait littéralement venir l’écume, à la mention d’une Russie « maléfique », d’un Poutine « malfaisant » ; des « experts » du renseignement, incapables d’identifier un convoi de Toyotas d’un blanc étincelant, en route vers la prise de Mossoul, à travers le désert irakien. Ce qui ne les empêche pas d’avoir déjà prononcé la condamnation ; après leur résolution instantanée de l’énigme du MH17, ils n’éprouvent aucun besoin d’approfondir leurs recherches.
Le président Poutine a souligné que la tragédie devait faire l’objet d’une enquête objective, mais son avis ne compte pas. En l’occurrence, l’adjectif « objective » ne peut en aucun cas s’appliquer à cette « communauté internationale » telle que Washington la définit – et qui n’englobe que la congrégation habituelle de ses vassaux/gogos malléables.
Et Carlos ?
Une simple recherche révèle qu’en fait le MH17 fut dérouté 200 kilomètres au nord de la trajectoire de vol qui fut la sienne les jours précédents – pour plonger au beau milieu d’une zone de conflit. Pourquoi ? Quelle sorte de communications le MH17 a-t-il reçu de la part de la tour de contrôle de Kiev ?
Sur ce sujet, Kiev garde le silence. Pourtant, il serait simple de répondre à ces questions si Kiev avait rendu public l’enregistrement du dialogue entre la tour et le vol MH17 ; ce que fit la Malaisie, après que le vol MH370 eut disparu, pour toujours.
Cela n’arrivera pas ; le Service de Sécurité Ukrainien l’a confisqué. Avec cette confiscation, s’envole toute possibilité d’obtenir une explication non manipulée de la déviation de trajectoire du MH17, ainsi qu’un compte rendu de ce que virent, et dirent, les pilotes avant l’explosion.
Pour ce qui le concerne, le ministre de la Défense russe, a confirmé qu’une batterie de missiles anti-aériens 9K38 Buk-M1-2, sous contrôle de Kiev, était opérationnelle dans les environs de l’endroit où le MH17 s’est écrasé. Kiev a déployé plusieurs batteries de systèmes de missiles anti-aériens Buk, pour un total d’au moins 27 plates-formes de lancement ; qui peuvent toutes aisément abattre un avion volant à 11 kilomètres d’altitude.
L’armée russe a détecté des radiations, émises par le radar Kupol d’une batterie. Ce radar fut déployé en tant qu’élément d’une batterie Buk-M1 installée à proximité de Styla (un village situé à environ 30 kilomètres au sud de Donetsk). Selon le ministère, le radar fournissait peut-être à ce moment, les données indispensables au déclenchement d’une phase de poursuite, à une autre batterie, se trouvant à portée de tir de la trajectoire de vol du MH17.
Sur le système Buk, en phase de poursuite, le radar a une portée maximale de 80 kilomètres. Le MH17 volait à 800 kms/h. Donc, en supposant que les « rebelles » se trouvaient en possession d’un Buk opérationnel, et qu’ils soient coupables, ils auraient disposé de 5 minutes maximum pour balayer la totalité de l’espace aérien les surplombant, à toutes les altitudes possibles, avant de verrouiller le système sur l’objectif. À cet instant ils auraient su qu’un avion-cargo ne pouvait en aucun cas voler à une altitude aussi élevée.
Les éléments de preuve, à l’appui de l’hypothèse d’une fausse bannière, sont consultables ici.
Ensuite, vient l’histoire, de plus en plus curieuse, de Carlos, ce contrôleur aérien espagnol, qui travaillait à la tour de contrôle de Kiev, d’où il suivait MH17 en temps réel. Pour certains, Carlos existe bien – il ne s’agirait pas d’un leurre ; pour d’autres il n’a même jamais travaillé en Ukraine. En tout cas, il a tweeté comme un fou. Son compte a été résilié – rien à voir avec le hasard – et il a disparu. Aujourd’hui, ses amis le recherchent, avec l’énergie du désespoir. J’ai pu lire tous les messages qu’il a rédigés en espagnol, tant que son abonnement est demeuré actif. Des copies sont désormais disponibles, ainsi qu’une traduction en anglais.
Voici quelques-uns de ses messages les plus importants :
« Deux avions de chasse ukrainiens escortaient le B777, quelques minutes avant qu’il ne disparaisse des écrans radars » (17h48)
« Si les autorités de Kiev veulent bien admettre la vérité, deux avions de chasse volaient à très faible distance quelques minutes avant l’incident, mais n’ont pas abattu l’avion de ligne » (17h54)
« À peine le B777 de la Malaysia Airlines avait-il disparu, que les autorités militaires de Kiev nous avertissaient de sa destruction. Comment le savaient-ils ? » (18h00)
« Tout est enregistré sur radar. Pour ceux qui n’y croient pas, c’est Kiev qui l’a descendu ; cela se sait ici (au contrôle aérien), ainsi qu’au contrôle aérien de l’armée » (19h14)
Le Ministère de l’Intérieur était parfaitement au courant de la présence d’avions de chasse dans cette zone, contrairement au Ministère de la Défense » (19h15)
« L’armée confirme que c’était l’Ukraine, mais on ne sait pas d’où provenait l’ordre » (19h31)
Selon Carlos (une compilation partielle de ses messages est disponible à cette adresse), c’est l’armée ukrainienne qui a procédé au lancement du missile, sur ordre du Ministère de l’Intérieur – PAS du Ministère de la Défense. Il se trouve qu’au Ministère de l’Intérieur, les questions de sécurité sont sous la responsabilité d’Andriy Paruby, qui collaborait étroitement avec les néo-conservateurs étasuniens, et les néo-nazis de Banderastan, lors des évènements de la Place Maidan.
En supposant que Carlos existe, l’analyse se tient. Une partie de l’armée ukrainienne soutient le Roi du Chocolat (le président Petro) Porochenko – favorable à la détente avec la Russie, avant tout pour développer ses intérêts commerciaux douteux –, tandis que l’autre soutient Sainte-Yulia Tymochenko, qui préconise ouvertement le génocide des personnes d’ethnie russe, en Ukraine orientale. Sur le terrain, les néo-conservateurs et les « conseillers militaires » étasuniens se couvrent, comme à leur habitude, en soutenant les deux factions à la fois, celle de Porochenko, comme celle de Tymochenko.
À qui profite le crime ?
Bien sûr, la question clé reste posée : cui bono ? Les individus en phase terminale de mort cérébrale, sont les seuls à croire que les fédéralistes d’Ukraine orientale, et à plus forte raison le Kremlin, tirent un bénéfice quelconque de la destruction d’un avion de ligne.
Quant au gouvernement en place à Kiev, il aurait les moyens, le mobile, et la possibilité de mener à bien l’opération – surtout après la déroute effective de ses milices, forcées de battre en retraite dans le Donbass. Ceci, après que ce même gouvernement s’en soit tenu mordicus à sa décision d’attaquer, de bombarder, les populations d’Ukraine orientale, y compris depuis le ciel. Que les fédéralistes se soient trouvé dans l’obligation de se défendre, n’a rien d’étonnant.
Enfin, le moment choisi ne peut que prêter à suspicion. La tragédie a frappé le MH17, deux jours après l’annonce par les BRICS de la création d’un antidote au F.M.I., ainsi qu’à la Banque Mondiale, qui permettra de se passer du dollar. Au moment même où Israël poursuit « en prenant toutes les précautions », sa nouvelle invasion/nettoyage-ethnique-au-ralenti de Gaza. À propos, c’est en Malaisie, à Kuala Lumpur, que siège la Commission sur les Crimes de Guerre, celle qui a reconnu Israël coupable de crimes contre l’humanité.
Incontestablement, le crime profite à Washington.
Dans ce cas, l’Empire du Chaos obtient un cessez-le-feu (afin de pouvoir réapprovisionner les milices de Kiev, désorganisées, rouées de coups) ; le regroupement des Ukrainiens de l’Est sous l’étiquette « terroristes » de facto (ainsi que Kiev, fidèle à la méthode Dick Cheney, l’avait toujours voulu) ; enfin le fait que la Russie, et Poutine en particulier, puissent être couverts de boue, pour les siècles des siècles. Pas mal, pour quelques minutes de travail. Pour ce qui est de l’OTAN, c’est Noël en juillet.
À partir de maintenant, tout dépend des renseignements russes. Ils surveillent/suivent à la trace, tout ce qui se passe en Ukraine, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Dans les 72 heures qui viennent, après s’être plongés dans l’étude d’une masse de données de suivis de trajectoires, avoir eu recours à la télémétrie, à la localisation radar et satellite, ils connaîtront le type de missile utilisé, l’emplacement de la plate-forme de tir, et seront en mesure de fournir les communications issues de la batterie ayant procédé au lancement. Enfin, ils auront accès aux preuves relevées lors de l’expertise médico-légale.
Contrairement à Washington – qui sait déjà tout, sans posséder de preuves d’aucune sorte (le 11 septembre, vous vous souvenez ?) – Moscou va prendre son temps, pour prendre connaissance des faits journalistiques de base : quoi, où, qui, avant d’entreprendre de prouver la vérité et/ou de démentir les « éléments de langage » de Washington.
Les exemples historiques montrent que Washington se contentera de ne pas rendre publiques les données, si celles-ci devaient révéler que le missile provenait de ses vassaux, à Kiev. Il se pourrait même que les données indiquent la présence d’une bombe à bord du MH17, voire un incident mécanique – mais ceci n’est guère probable. Si les rebelles de Nouvelle-Russie ont commis une erreur terrible, Moscou devra l’admettre, à contrecœur. Si Kiev est coupable, la révélation sera instantanée. En tout cas, la réaction occidentale hystérique nous est déjà connue, quoi qu’il se soit produit ; c’est la faute à la Russie.
Poutine a tout à fait raison de souligner que cette tragédie n’aurait pas eu lieu, si Porochenko avait accepté l’extension du cessez-le-feu, ainsi que Merkel, Hollande, et Poutine avaient tenté de l’en convaincre en juin dernier. Au minimum, Kiev est déjà coupable, en tant que responsable de la sécurisation du passage des vols dans l’espace aérien qui se trouve – en théorie – sous son contrôle.
Mais la guerre, la tragédie, le battage médiatique, forment un brouillard, au sein duquel toutes ces considérations ont déjà sombré dans l’oubli. Quant à la crédibilité, que Washington revendique avec hystérie, je vous laisse méditer ce simple numéro de vol : Air Iran 655 .
Pepe Escobar
19 juillet 2014
Original : http://www.atimes.com/atimes/Central_Asia/CEN-01-190714.html
Pepe Escobar est grand reporter pour Asia Times, édition Hong Kong, commentateur pour RT et TomDispatch ; il contribue par ailleurs régulièrement à différents sites internet, ainsi qu’à des programmes radiophoniques, dans une zone qui va des États-Unis à l’Asie Orientale.
Traduction Hervé Le Gall