Dimanche 19 avril 2009, l’agence de presse Prensa Latina diffuse une dépêche sur le détournement samedi d’un avion de ligne d’Air France en vol pour le Nicaragua (1).
Dans la nuit de dimanche à lundi, le site Internet Le Grand Soir en publie une version traduite en français (2). S’y ajoute le lendemain un article de Maxime Vivas, un collaborateur régulier de ce site, avec la photo du journaliste (3). Puis, Calvo Ospina fait parvenir au Grand Soir le récit détaillé, minute par minute, de sa mésaventure qu’on peut également trouver sur son blog (4).
Il raconte notamment comment, avant d’être interrogé par les Mexicains, il a essayé de faire prévenir sa famille : « En un instant, j’inscrivis le numéro de téléphone de mon domicile sur deux bouts de papier que j’arrachai à un magazine et les remis à deux personnes avec lesquelles j’avais bavardé dans l’avion, en leur disant que c’était moi le « problème ». Ils m’assurèrent qu’ils appelleraient (ils ne l’ont pas fait, ou bien ils n’ont pas pu bien déchiffrer les numéros que j’avais inscrits) ». C’est dire qu’Hernando Calvo Ospina s’attendait au pire.
Le jeudi 23 avril à 13 heures 30, une journaliste du site Rue89, téléphone à Maxime Vivas qui l’a avertie par mails dont l’un précise que l’information est visible sur Le Grand Soir. Elle a vérifié auprès d’Air France qui a confirmé le déroutage de l’avion. A sa demande et après accord de l’intéressé, Vivas établit le contact entre elle et Hernando Calvo Ospina qui se trouve au Nicaragua.
Dans l’après-midi, on compte déjà près d’une vingtaine de sites Internet français qui reprennent la nouvelle révélée par le Grand Soir le 20 avril, dont Rue 89 et Bakchich.
Vendredi, en fin de matinée, la nouvelle commence à sortir dans la « grande presse » ou, plus souvent, sur les sites de Libération, le Nouvel-Obs, le Figaro, Europe 1, le JDD.
Libération cite ses sources : Rue89, qui avait cité ses sources : Maxime Vivas, qui avait cité ses sources : Le Grand Soir, qui avait cité ses sources : Prensa Latina. On voit que si Le Grand Soir n’avait pas déniché la nouvelle en espagnol et ne l’avait pas traduite, si la solidarité avec Hernando Calvo Ospina n’avait pas agi pour populariser la nouvelle, le déroutement de l’avion aurait été escamoté comme un accident de travail, la victoire de la gauche au Salvador, un discours intégral du Président iranien. Mais quand les médias sont dans l’obligation d’en parler (avec quatre à cinq jours de retard sur Le Grand Soir) ils le font d’abord sur leurs sites, à la remorque des sites alternatifs militants et libres et ils taisent l’origine de l’info si elle émane d’un de ceux-ci.
Pierre Haski, de Rue89, qualifie Calvo Ospina de « journaliste marxiste ». Un Internaute lui fait remarquer qu’il devrait aussi dorénavant préciser les opinions politiques supposées de tous les journalistes dont il parle. Et pourquoi pas les siennes ? On se souvient que, quand il était un des chefs de Libération, il avait soutenu sans faiblir et jusqu’au bout le faussaire Jean-Hébert Armangaud qui avait amputé une phrase de Hugo Chavez pour lui donner un sens antisémite qu’elle n’avait pas le moins du monde (5). La plupart des médias rendant compte de l’affaire ont choisi, dans les activités passées de Calvo Ospina, journaliste d’investigation (reportages, livres, conférences), de retenir surtout qu’il avait naguère interviewé le N° 2 des FARC. Un esprit cartésien dirait que cela lui a été plus aisé qu’à d’autres, puisqu’il est Colombien. Mais il s’agit-là de jeter un soupçon sur lui. Dans son édition datée du samedi 26 avril le Monde (qui se réveille enfin) parle du « chercheur et journaliste franco-colombien Hernando Calvo Ospina, spécialiste de Cuba et de la guérilla de gauche colombienne (FARC) ».
L’éventail des citoyens prêts à s’indigner du geste de mépris des USA pour la France devrait logiquement se fermer si la cause en est un « marxiste qui fréquente Cuba et les FARC ». Dans le même genre, le journaliste soudanais Sami Al Haj a croupi pendant 6 ans à Guantanamo avant d’être libéré, aucune charge ne pouvant être retenu contre lui. Innocent ! A ceux qui se scandalisaient de cet abus de pouvoir, il était insidieusement rappelé qu’il avait, dans le passé, interviewé Ben Laden. Reporters sans frontières, qui le fit disparaître pendant deux ans de sa liste de journalistes emprisonnés, ne manquait pas, dans ses communiqués, de rappeler ce fait.
Dimanche 26 avril, la page actualité de Google reprend enfin l’information. Le même jour, à 5 heures 19 du matin, dans une brève de 1 minute 58 secondes, France Info, une radio qui diffuse des scoops en temps réel et en boucle, informe pour la première fois ses auditeurs.
Peut-être que des organismes comme l’OFM (l’Observatoire français des médias) ou Acrimed (Action CRItique MEDia - http://www.acrimed.org/) pourront mieux cerner dans le détail chronologique la découverte tardive par les médias de cette information révélée par Le Grand Soir, site à l’affût des nouvelles du monde et disposant de traducteurs discrets et réactifs. D’ores et déjà , ce qui est patent, c’est que, sans sa diffusion par des dizaines de sites d’information Internet en France et dans le monde entier, nos médias payants, ceux qui occupent le haut du pavé auraient continué à taire un information qui n’est pas un fait divers, mais une manifestation de l’arrogance d’un pays envers un de ses alliés (qui vient de réintégrer pleinement l’OTAN).
Une fois de plus, les « grands médias » (sont désignés ainsi ceux qui prospèrent, non pas ceux qui crèvent et ne disposent pas d’envoyés spéciaux partout) apparaissent comme des filtres à trier les bonnes informations, celles qui sont utiles au triomphe de la pensée unique. Ils ne consentent à parler (et avec quelle modération, dans ce cas-là !) que si la nouvelle circule partout et s’ils s’exposent, en s’obstinant à regarder ailleurs, à l’accusation de censure. Quand j’écris que « la nouvelle circule partout », lisez : d’abord sur des médias gratuits et fiables à la fois.
Nous sommes tous les mécènes des autres médias ; les prix des produits de consommation que nous achetons sont majorés par la pub qu’ils reçoivent, nous payons une redevance audiovisuelle, il sont subventionnés par l’Etat (par nos impôts sur le revenu).
Mécènes ou rackettés ? En tout cas, ils nous doivent des comptes et cet article n’est rien d’autre que la réclamation d’un client forcé et mécontent de la marchandise.
Vladimir Marciac.
PS. Lundi 27 avril : la seule entité médiatique qui, disposant de bureaux d’information à travers le monde et de plus de cent correspondants à l’étranger, n’a toujours pas évoqué cette entrave à la liberté d’un journaliste en poste à Paris est…l’« ONG » parisienne Reporters sans frontières une organisation censée défendre les journalistes, mais dont on murmure qu’elle a pour les USA les yeux de Chimène et pour matelas des dollars d’organisations paravents de la CIA. CQFD.
(1) http://www.radiomundial.com.ve/yvke/noticia.php?23241
(2) http://www.legrandsoir.info/breve437.html
(3) http://www.legrandsoir.info/article8459.html
(4) http://www.hernandocalvoospina.com/
(5) http://www.legrandsoir.info/article3124.html