Etat néolibéral, République bannière et pantouflage au sommet.
Eléments pour poursuivre le débat :
Nombreux sont ceux qui comme Bernard Maris, ce 30 avril au matin, critiquent la trahison scandaleuse d’une fraction de personnages haut placés qui ont commencé par faire une carrière, courte parfois, au service de l’Etat et donc au service de l’intérêt général, en principe au moins, avant d’aller dans le privé servir la logique de profit, de marchandisation et de privatisation... et surtout se servir soi-même. Une double dérive.
Pour une définition du pantouflage on peut lire aisément "En savoir plus sur le pantouflage" (1). Au passage on y apprend que les pantoufleurs, phénomène ancien du XIX ème siècle, sont de nos jours à la fois l’origine et le produit de la vague de privatisation des années 86 et suivantes. Le pantouflage a favorisé la constitution d’un capitaliste managérial d’un nouveau genre formé par l’Etat après passage à l’ENA. Ils constitue une "élite politicoadministrative étroite" (cf D Chagnolleau) relativement verrouillée sur elle même.
I - CRITIQUE DU PANTOUFLAGE
D’abord les critiques les plus entendues puis celle plus radicale mais moins courante.
A) Les premiers niveaux de critique :
1) La première critique : la confusion du sommet et de la base de la fonction publique.
Il ne suffit pas de souligner l’aspect peu moral de cette pratique, même si un commission de déontologie intervient. Il importe en premier lieu de dire que la mesure de généralisation (2) de 2007 à tous les fonctionnaires n’a que peu à voir avec le pantouflage des hauts fonctionnaire. Dans un cas il s’agit de personnages qui sont des hauts dirigeants, qui passant du public au privé, participent aux décisions des sociétés transnationales et ramassent au passage des revenus exorbitants (mesurés en X fois le SMIC) , des revenus non distribués à ceux et celle qui travaillent, qui produisent. Dans l’autre cas, le salarié sous statut public devient salarié sous contrat privé. Dans les deux situations il reste travailleur. Quand à la mobilité interne aux différentes administrations elle est en cours de développement. La chose n’était pas particulièrement favorisée auparavant.
2) La seconde critique plus décisive : l’importation du "sale boulot" (C Dejours) effectué dans le privé.
Dans ce cadre on évoque le pantouflage qui opère dans l’autre sens, du privé vers le public : Après des années au sommet des grandes entreprises, comme à Vivendi-Véolia par exemple (3) on passe au sommet de l’Etat pour le moderniser sur le modèle de l’entreprise privée. Il s’agit alors de libéraliser L’Etat, de le rendre « modeste » et plus efficace, de rendre la force de travaail plus soumise et plus travailleuse (la fameuse "valeur travail" et la « culture de résultats ») . Le pantouflage dans ce sens vise à introduire artificiellement dans le public ce qui est déjà si nuisible dans le privé à savoir la dureté des rapports sociaux capitaliste de production. Autrement dit on introduit au coeur de la fonction publique par ce pantoufflage ce qu’il y a de plus barbare dans la société civile.
Enfin il s’agit globalement de mettre l’Etat beaucoup plus au service du capital qu’il ne l’est déjà et ce par le jeux de ces pratiques malsaines qui mélangent les genres. On touche alors là la critique fondamentale de second niveau qui s’en prend à la racine du système.
B) Second niveau de critique : vers la République bananière
1) La dilution des frontières public-privé : Le pantouflage c’est un peu comme le partenariat public privé (PPP) ou les techniques de contractualisation, cela participe de la tendance contemporaine à diluer la frontière entre le secteur public et le secteur privé au profit de l’appropriation privé et donc de la dépossession du plus grand nombre.
2) La collusion avec la bourgeoisie : C’est aussi sans doute aussi autre chose, à savoir une collusion avec la classe dominante. Et c’est grave. Cela participe de la corruption de la République (cf Yves MENY 4). On tend vers la République bananière.
II - PERSPECTIVES POUR UNE ALTERNATIVE
Il importe certes de rappeler la vocation du fonctionnaire en terme de service de l’intérêt général non rabattu sur la rentabilité mais cela ne saurait suffire.
A ) Promouvoir une autre déontologie du fonctionnaire
Les hauts fonctionnaires doivent s’attacher tant que faire se peut, par logique de résistance, à ne pas mettre l’Etat au service du capitalisme et de sa logique mais au contraire - mais là il ne faut pas trop se faire d’illusion sur ce pouvoir en positif au temps du retour au "pur capitalisme" (M Husson) - tendre à la satisfaction des besoins sociaux du peuple-classe. Après 1946 apparait la forme Etat social (lire ici Nicolas Benies) . L’Etat est alors un appareil ambigu car au coeur d’un rapport de force . Il est fondamentalement au service de l’accumulation du capital mais n’est pas totalement au service de la bourgeoisie et des grandes entreprises capitalistes notamment celles côtées en bourse et très internationalisées. En effet, toute une tradition juridique lui accorde des missions sociales fortes qui viennent construire le social ce qui est faire plus que compenser les défaillances du marché. Il ne faut pas accorder à cette tradition plus que ce qu’elle a pu obtenir au meilleur de son temps à savoir la pratique légitimée du "socialisme municipal" et celle de "l’économie mixte".
B) Briser la logique des revenus faramineux qui démoralise les hauts fonctionnaires tentés par la cupidité outrancière.
Les très hauts revenus et le prestige seraient les vecteurs attractifs des hautes sphères managériales privées contre les hauts fonctionnaires. Ces derniers sont très bien payés mais ils voient qu’ils pourraient avoir plus encore dans le privé et avec plus de prestige encore. En termes frommien on peut voir que la dynamique de l’ultra-cupidité et l’hyper possesssivité est à l’oeuvre contre l’être du fonctionnaire. Il faut briser cette logique car l’appel à une autre déontologie ne saurait suffire en présence d’une telle dérive systémique.
En outre, les stocks-option et les primes aux licenciements ne sont que l’écume du système et pourtant c’est cela qui génère aujourd’hui la colère des licenciés. C’est cela qui discrédite aussi, au passage, le dispositif administratif en cours de "salaire au mérite". La justice sociale avec ses deux volets le salarial et le fiscal admet sans doute des différentiation de revenu mais sur des bases justes et sans surprises et surtout avec deux grandes limites, un plancher en dessous duquel on ne saurait descendre, un plafond au-dessus duquel on ne saurait dépasser.
– Le plancher c’est le salaire minimal du travail salarié et le revenu minimal de civilisation pour les sans emploi. Ce salaire doit permettre de vivre correctement. Il n’est pas nécessairement élevé dans une société riche de services publics qui allouent les prestations de satisfaction des besoins élémentaires selon une grille de tarification qui prévoie la gratuité pour les sans emploi.
– Le plafond se calcule en terme de multiplicateur du salaire minimal de travail salarié. Il ne saurait être à deux chiffres : celui qui reçoit 10 fois le SMIC empêche de vivre décemment celui qui est en-bas de l’échellle sociale. La société civilisée doit impérativement le ponctionner pour faire vivre les plus défavorisé.
La période de la mondialisation néolibérale correspond à une montée de la contractualisation qui favorise le fort contre le faible. Le rôle de la loi a changé. Il y a la loi qui pose des statuts socialement sécurisant pour le public et le privé et la loi qui contractualise et fragilise les individus face à la "concurrence libre et non faussée". Il y a la loi qui ôte les protections entre le fort et le faible et la loi qui les garantie. Contre la République du darwinisme social et néolibéral, il faut assurer le principe républicain : Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité.
Christian Delarue
1) En savoir plus sur le pantouflage.
http://www.challenges.fr/actualites/politique_economique/20090225.CHA1447/en_savoir_plus_sur_le_pantouflage.html
Lire aussi l’étude suivante : DU PANTOUFLAGE OU LA "DESCENTE DU CIEL" par Dominique CHAGNOLLAUD
I - La naissance du pantouflage
II - Les cause du pantouflage :Perte de prestige, Moindre revenu
http://www.revue-pouvoirs.fr/IMG/pdf/80Pouvoirs_p77-87_pantouflage.pdf?PHPSESSID=7f76a2fd8170f64515910fc04e9cd376>>
2) Pantouflage des fonctionnaires : le décret de la loi du 2 février 2007 publié au JO
http://www.maire-info.com/article.asp?param=8272&PARAM2=PLUS
3) Pantouflage, corruption structurelle ? <http://anticor.org/2009/04/21/pantouflage-corruption-structurelle/>
http://anticor.org/2009/04/21/pantouflage-corruption-structurelle/
4) Yves Mény : La Corruption de la République
http://www.oboulo.com/yves-meny-corruption-republique-9788.html
Sur un couac datant de 1996 cf. Pantouflage : l’onde de choc Par Delanglade Sabine, publié le 19/12/1996
http://www.lexpress.fr/informations/pantouflage-l-onde-de-choc_619968.html