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Avec Agatha Christie, apprenons à affronter les pénuries dans la bonne humeur !

Quinze ans après le Traité de Lisbonne, qui révoquait le Non du Peuple au référendum sur l’Europe, voici resurgir le spectre des guerres, et des pénuries et ersatz, dont l’huile de tournesol nous donne un avant-goût : les dernières bouteilles que j’en ai vu affichaient la marque inattendue Ahat, et venaient de Bulgarie. La pénurie de gaz qu’on nous annonce depuis l’hiver dernier est bien autrement menaçante : comment nous chaufferons-nous cet hiver ?

Autant donc nous habituer à la culture du rationnement, dont on est surpris aujourd’hui qu’il ne reste pas plus de traces. Revoyons donc Quai des Orfèvres (1947), avec ces premières images montrant deux femmes marchant sous la pluie avec des galoches éculées qui prennent l’eau, et la séquence où Bernard Blier demande à un employé de music-hall reconverti dans le marché noir s’il y a eu un arrivage de beurre : « Non, pas cette semaine, mais j’ai des chaussures ». On pense aussi bien sûr à La traversée de Paris (1956) d’Autant-Lara, avec Bourvil et Gabin transportant des valises remplies de viande de porc.

Nous pouvons aussi redécouvrir cette époque, ses problèmes, mais aussi des conseils, et des idées pour y faire face, chez Agatha Christie, qui nous donne, par petites touches, intégrées à la marche des enquêtes, un tableau assez complet des pénuries et du système anglais de rationnement dans trois romans : Le flux et le reflux (1948), Un meurtre sera commis le... (1950) et Mrs McGinty est morte (1952) ; curieusement, ce thème est développé après la guerre, le rationnement ne sera en effet complètement supprimé qu’en 1954.

Du fait des bombardements, le logement est bien sûr un problème primordial. Dans Une autobiographie, A. Christie raconte ses propres déménagements successifs pour trouver une adresse sûre, ou pour cause de réquisition. Dans Mrs. Mc, les Kiddle n’ont pas hésité à s’installer dans la maison où a été commis le meurtre :« une maison, c’est toujours une maison, et [...] ça vaut mieux qu’une arrière-salle où on vit et dort sur deux malheureux fauteuils. C’est terrible, n’est-ce pas, cette pénurie de logements ?  »

Une fois qu’on a un toit sur la tête, il faut se chauffer  : Un meurtre nous offre un véritable exposé sur le problème : lors de la réception de Miss Blacklock, il est au centre des conversations, tous les invités remarquant, tour à tour, que le chauffage central a été allumé (alors qu’on est seulement fin octobre) :

« Miss Blacklock acquiesça :
 Il a fait si humide ces derniers temps que la maison suinte de partout. [...]
 On brûle donc ce coke auquel vous tenez comme à la prunelle de vos yeux ? ironisa Patrick.
 Comme à la prunelle de mes yeux, c’est vrai. Sans quoi, il aurait fallu s’attaquer à l’anthracite, qui est encore mille fois plus précieux. Tu sais que l’Office des Carburants ne nous délivre même pas notre maigre ration hebdomadaire... sauf si nous pouvons jurer que nous ne disposons d’aucun autre moyen de faire la cuisine.
 J’imagine qu’il fut un temps où il y avait des montagnes de coke et d’anthracite pour tout le monde ? demanda Julia comme on s’enquiert des conditions d’existence de civilisations disparues.
 Oui, et bon marché, en plus.
 Et les gens pouvaient en acheter autant qu’ils en voulaient ? Sans remplir de formulaires, et sans qu’il y ait pénurie ? Il y en avait à profusion ?
 A profusion et de première qualité... pas un mélange de poussier, de fragments d’ardoise et de cailloux comme de nos jours. »

Remplaçons « coke », charbon, par essence ou diesel : peut-être éprouverons-nous bientôt la même nostalgie que Julia en pensant à cet âge d’or où le carburant était en vente libre ; la Grande-Bretagne envisage en effet déjà de rationner le diesel.

Pour se nourrir, pour s’habiller, la carte de rationnement avec son système de tickets prend une importance vitale. Après les destructions de la guerre, où beaucoup de papiers ont disparu ou brûlé, elle en vient à remplacer la carte d’identité : quand on essaie d’établir l’identité de la victime, on demande à l’hôtelier (dans F et R)  :
«  Le défunt a-t-il présenté sa carte de rationnement ? »
Le rationnement du textile fait d’un mariage un casse-tête : voici les réflexions d’une mère dont la fille doit se marier (F et R)  :
je pensais aux « demoiselles d’honneur. J’espère qu’elles auront assez de points-textile. Une chance que tu aies tous tes bons de démobilisation. Je trouve ça vraiment malheureux, ces jeunes filles qui doivent se débrouiller avec le quota normal pour leur mariage. »

La carte donnait d’abord droit à un costume par an ; « puis, la valeur du point baissa au point qu’il fallait tous les points d’une année pour s’acheter un manteau » (Wikipédia).

La pénurie de papier pouvait aussi poser problème pour l’envoi des faire part : dans F et R, un personnage s’extasie devant une grande enveloppe mauve :
« Qui pouvait bien utiliser un tel papier pour lui écrire ? - et où avait-on pu se le procurer, d’ailleurs ? Ces papiers fantaisie avaient complètement disparu depuis la guerre. »

Mais, bien sûr, le problème le plus lancinant, qui revient tous les jours, c’est celui de la nourriture. Dans F et R toujours, « Lynn avait déjà pu se rendre compte de l’invraisemblable quantité de temps et de patience qu’il fallait consacrer au ravitaillement. [...] Courir partout avec un cabas, guetter l’arrivage de poisson, faire la queue pour une tranche de cake immangeable  », tel était le lot quotidien de la ménagère. Le poisson était devenu rare, du fait des risques d’attaques ennemies encourus par les pêcheurs, et les prises n’atteignaient que 30 % des prises d’avant-guerre ; en 1952 encore, il y a pénurie (F et R) :

« J’étais sortie faire la queue pour le poisson, comme d’habitude ».

Mais les queues se reproduisent à chaque arrivage d’un produit apprécié :
«  Oh ! mon Dieu ! Regardez la queue devant chez Peacock... il doit y avoir de la génoise ou du gâteau roulé ! Pourvu que je n’arrive pas trop tard ! »

Ces pénuries entraînent deux phénomènes : le marché noir et le retour à l’économie de troc. Le premier explique la méfiance et les réticences qui compliquent le travail de la police : les gens ont leurs petits secrets, qui concernent non pas l’affaire criminelle en cours, mais le beurre, le maïs pour les poules, la crème, voire le bacon, explique, dans Un meurtre, la femme du pasteur :

« Le jeudi [...] il y a toujours une des fermes des environs qui fait du beurre. Ils acceptent d’en céder un peu à ceux qui sont dans leurs bonnes grâces [...] C’est notre système D local. Une personne reçoit du beurre en échange de quelques concombres ou de je ne sais quelle broutille, plus un petit quelque chose en rabiot quand on tue le cochon. Et puis, il y a de temps en temps une bête à laquelle il arrive un accident et qu’il faut abattre. Je suis sûre que vous voyez ce que je veux dire. J’imagine que ce genre de troc est interdit, mais personne n’en mettrait sa main au feu tant la réglementation est compliquée. »

En effet, difficile de distinguer le passage du troc au marché noir dans cette foule d’échanges informels. Le programme des « Jardins de la victoire » les favorisait : en 1944, il y en avait 1,5 million ; heureux, aujourd’hui, les ménages qui bénéficient d’un jardin familial !

Dans Mrs. Mc, le ménage Summerhayes s’y est mis, pour enrichir les menus de sa modeste pension de famille, malgré son manque d’expérience :

« Dites-moi, ils n’ont pas bonne mine, ces haricots. Nous les mettons en conserve nous-mêmes, vous savez... dans des pots de grès : une couche de haricots, une couche de gros sel. Mais ceux-là m’ont l’air d’avoir mal supporté le traitement. » Mme Summerhayes pense alors à «  ouvrir un de ces bocaux de framboises que j’ai préparés l’été dernier. Ils ont un peu de moisissure sur le dessus, mais aujourd’hui on considère, paraît-il, que ça n’a plus d’importance. Ce serait même bon pour la santé – c’est pratiquement de la pénicilline.  »

Cet alicament maison est en tout cas plus rassurant que les vaccins Pfizer !

Cette production maraîchère entraîne une foule d’échanges et allées et venues d’une maison à l’autre, qui compliquent la tâche des enquêteurs : n’importe qui peut entrer n’importe où à tout moment, pour préparer les détails d’un meurtre : «  Je suis juste venue apporter des coings, expliqua Mrs Swettenham. Miss Blacklock voulait faire de la gelée de coings, et il n’y a pas de cognassier dans son jardin. »

L’aspect positif, c’est que la vie sociale devient plus riche (de ce point de vue, le rationnement, c’est l’anti-confinement Covid) ; pour Edmund, c’est même un prétexte idéal pour aller faire sa cour à sa bien-aimée, veuve de guerre qui travaille comme jardinière :

«  Mrs Lucas a appelé madame mère ce matin pour lui dire qu’elle avait beaucoup de courgettes.
 Des tonnes en effet.
 Et qu’elle voudrait échanger une ou deux courgettes contre un pot de miel.
 Vous n’y gagnez pas au change ! Les courgettes sont invendables en ce moment, tout le monde en a trop.
 Naturellement. [...] La dernière fois, si je me souviens bien, elle avait proposé d’échanger du lait écrémé – je dis bien écrémé – contre des laitues. Ce n’était pas encore tout à fait la saison des laitues, et elles coûtaient environ un shilling pièce. 
 »
Du lait contre des laitues, des courgettes contre du miel : il fallait être attentif aux variations saisonnières du cours de chaque produit !

Avec Agatha Christie, tous ces problèmes sont traités comme autant de situations pittoresques, prétextes à des scènes comiques illustrant les petits défauts de chacun. On aura besoin de cet humour, car la guerre en Ukraine et la crise générale du système nous rappellent, par-dessus l’illusion d’une ère de société de consommation qui n’aura duré qu’une quarantaine d’années, non seulement l’Occupation et l’après-guerre, mais toutes ces descriptions misérabilistes de l’URSS, quand il fallait faire des queues pour tout, et avoir toujours un filet à provisions sur soi pour profiter des occasions. Souhaitons de ne pas plonger jusqu’à la situation des Russes sous Eltsine, où les retraités, pour survivre, dressaient dans les couloirs du métro de pauvres étals d’objets ménagers.

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Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de « consoler » les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire.

Lénine

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