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Frantz Fanon, chantre de la désaliénation.

Les derniers évènements de La Guadeloupe ne font que raviver notre mémoire d’anciens colonisés... d’actuels post-colonisés.

Ce sont de véritables « émeutes de la pauvreté » qui viennent d’éclater en... France.
La Guadeloupe est parmi les 13 régions les plus pauvres "d’Europe", avec un PIB égal à 55,8% de la moyenne européenne. Le taux officiel du chômage y atteint les 25%, mais on pense que le taux réel approche les 40%.

Partie de la Guyane en 2008, passant par la Martinique, c’est en Guadeloupe que la contestation s’amplifie.

Elie Domota, secrétaire général de l’Union générale des travailleurs guadeloupéens (UGTG) revendique une réduction des prix de l’essence, une baisse des prix du transport et de l’eau, un gel des loyers et une augmentation du salaire minimum de 200€, la baisse des taxes sur les engrais et sur la nourriture pour le bétail.

La situation en Martinique n’est pas plus brillante, d’après Claude Lise, sénateur et Président socialiste du conseil général de la Martinique, « toutes les enquêtes montrent que le panier de la ménagère, avec des produits de première nécessité, est de 20 à 40% plus cher que sur le continent ».

Dans un documentaire « Les Derniers Maîtres de la Martinique », diffusé dernièrement par Canal+ on constate à quel point le colonialisme impur et dur perdure dans ces contrées. A l’écran, on voit un industriel béké affirmant qu’il cherchait à « préserver la race blanche » dans sa communauté, avant de regretter que « les historiens ne parlent que des aspects négatifs de l’esclavage ».

L’état pré-révolutionnaire que crée cette situation nous ramène cinquante cinq ans en arrière, lorsque Frantz Fanon s’est dressé contre l’assimilation de son peuple. Il doit remuer dans sa tombe, lui qui a écrit "Peau noire masques blancs" se disant : "Voila que les masques commencent enfin à se fissurer !"

Fanon semble ignorer les luttes héroïques des esclaves pour leur émancipation aux Antilles. A la Guadeloupe, la lutte de Delgrès pendant la Révolution française assure à l’île quatre années de liberté. C’est avec les armes que Delgrès et ses troupes résistent aux armées napoléoniennes, préférant se suicider plutôt que de se rendre. C’est à cause des révoltes d’esclaves que les gouverneurs de la Martinique et de la Guadeloupe seront forcés de proclamer l’abolition de l’esclavage en 1848. Mais Fanon n’est pas un homme du souvenir, seul le présent le préoccupe.

Né le 20 juillet 1925 à la Martinique Fanon sera l’élève de Césaire au lycée Schoelcher. A la sortie du lycée,en 1943, il rejoint les Forces Françaises Libres. Il suit une formation de sous-officier à Béjaïa en Algérie. Fanon participe à la libération de la France. Blessé durant des combats à la frontière suisse pendant l’hiver 1945, il est décoré par le colonel Raoul Salan, futur commandant en chef de l’armée française en Algérie, futur chef de l’OAS. Il décide de faire des études de médecine et s’inscrit à la Faculté de Lyon.

Fanon se tourne vers la psychiatrie. Une fois ses études terminées, il adopte la pratique de la socialthérapie ou thérapie institutionnelle. La socialthérapie se veut une critique de la psychiatrie traditionnelle qui voit dans le patient un aliéné que l’on doit exclure de la société. L’hôpital doit fonctionner comme un lieu social, où infirmiers, malades et médecins travaillent ensemble à la réinsertion sociale du malade.

Son premier livre "Peau Noire Masques Blancs", est publié par le Seuil en 1952. C’est dit-il, une étude psychologique des complexes antillais, complexes produits par le racisme et le colonialisme. Il y dénonce le désir de se "blanchir", d’adopter un "masque blanc". Fanon ne défend cependant pas un nationalisme noir. Il est pour la naissance d’une "nouvelle humanité" où la couleur de la peau n’aurait plus d’importance. l’analyse de l’oppression coloniale ne peut être seulement économique, culturelle ou politique, elle doit prendre en compte les aspects psychologiques de la relation coloniale. Car la relation coloniale se joue aussi sur la scène des fantasmes, des rêves, des désirs sexuels et par conséquent, la décolonisation doit aussi se réaliser sur le plan psychologique.
Fanon obtient un poste à l’hôpital de Blida en Algérie où il arrive le 23 novembre 1953. La guerre d’Algérie avait commencé l’année précédente. Il élabore une approche ethnopsychiatrique de la maladie mentale. La psychiatrie doit avoir un rôle politique et le psychiatre doit aider le patient à combattre le racisme, la culpabilité, le désir de se blanchir et l’envie d’auto-destruction qu’il engendre. La pathologisation du colonisé n’est que la projection de la pathologie du colonisateur. "Le colonisé est-il un être fainéant ?" demande Fanon qui répond : "La paresse du colonisé est une protection, une mesure d’autodéfense sur le plan physiologique d’abord." et ajoute : "Le colonisé qui résiste a raison."

Fanon prend contact avec des nationalistes algériens. Il accepte de soigner des combattants de la Wilaya IV. Mais bientôt il éprouve des contradictions entre son travail de psychiatre et son engagement militant.

En 1956, il envoie sa lettre de démission, proclamant que comme psychiatre, il ne peut renvoyer ses patients dans une société qui fondamentalement les aliène, qui les déshumanise. Fanon écrit : "Si la psychiatrie est la technique médicale qui se propose de permettre à l’homme de ne plus être étranger à son propre environnement, je me dois d’affirmer que l’Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue". Fanon est expulsé par les autorités coloniales en janvier 1957. C’est alors qu’il rejoint officiellement le FLN en Tunisie.

Fanon devient un militant nationaliste. Il collabore à Résistance Algérienne, l’organe de l’ALN et du FLN. Fin 1960 se sachant atteint d’une leucémie, Fanon écrit "Les damnés se la terre" dans l’urgence. Il meurt le 6 décembre 1961. Le 12 décembre, il est enterré, comme il l’avait souhaité, en terre algérienne.

Dans "Les damnés de la terre" Fanon met sur papier ses pensées sur la décolonisation. Avec les Algériens, il s’est trouvé un peuple. Il s’identifie à eux et à leur combat car les Algériens, contrairement aux Antillais décrits dans Peau Noire, ne cherchent pas à se blanchir. Ils rejettent le monde et la culture de l’Europe. "Les damnés de la terre" est l’analyse fanonienne de l’émancipation. L’ouvrage prône la culture nationale, celle qui s’ancre dans le peuple. La vision fanonienne de la culture reste dominée par une idéalisation du peuple et des paysans. C’est là qu’est le sel de la terre, les vraies valeurs ! Pour lui l’avant-garde révolutionnaire ne peut être que paysanne et non la classe ouvrière. C’est dans les campagnes, écrasées par la misère, loin de la fascination exercée par l’européen, que sont les vrais révolutionnaires. Fanon analyse aussi le rôle de la bourgeoisie nationale et voit en elle l’élément de la trahison des luttes populaires. Ces futurs maîtres ne rêvent que de prendre la place des anciens maîtres. Ils se préparent à piller les richesses du pays.

Dans le dernier chapitre de son livre, Fanon le psychiatre parle de la souffrance psychique. Son expérience clinique lui fait entrevoir que la psyché peut être détruite, que la libération politique ne peut pas toujours panser les plaies, que l’indépendance nationale ne pourra pas toujours réparer les traumatismes psychiques.

C’est là où la pensée fononienne devient prémonitoire de notre époque car l’auteur des "Damnés de la terre" n’a pas vécu le néo-colonialisme. Fanon élargit la relation de domination en lui ajoutant la dimension psychologique. L’aliénation économique devient pour lui tributaire de l’aliénation psychique du colonisé. Après les indépendances, le fouet du blanc, les bottes du gendarme se sont voilés mais la dépersonnalisation du post-colonisé ne cesse de s’aggraver .

La pensée de Fanon a ouvert la voix à de nombreuses tendances philosophiques à travers le tiers monde. Le concept de colonialité développé en Amérique latine par des penseurs comme Quijano et Dussel redéfinit le lien qu’entretient le centre avec la périphérie. La colonialité n’est pas seulement d’ordre politique et économique mais aussi épistémologique. Quijano souligne à quel point l’universalisme a fait de la pensée européenne la seule connaissance légitime. La pensée occidentale s’impose comme expression de la modernité suivant une linéarité imaginaire allant des Grecs jusqu’à notre époque au mépris de toutes les autres formes de civilisation. Pour Quijano et Dussel, la seule alternative à la globalisation ne peut être que la diversité respectant les spécificités épistémologiques, culturelles, économiques des différentes sociétés. Un projet universel même de gauche ne peut qu’imposer une vision eurocentrique du monde en perpétuant l’aliénation.

L’aliéntion touche tout autant le colonisateur que le colonisé, en les déshumanisant. Ce dernier entre dans le jeu du maître et accepte sa propre négation.

Edward Saïd, le penseur palestinien, fait globalement le même constat que Frantz Fanon quant à la domination idéologico-culturelle qu’exerce l’Occident sur les autres cultures. Selon lui le capitalisme est directement responsable de la domination idéologico-culturelle de l’Occident et, de ce fait, de l’aliénation des intellectuels du Sud... Le rôle qui leur a été prescrit est celui de "moderniser" , ce qui veut dire qu’ils accordent légitimité et autorité à des idées concernant la modernisation, le progrès et la culture qu’ils reçoivent en majeure partie de l’occident. Edward Saïd s’insurge contre l’Intelligentsia arabe stérile, ne pouvant percevoir son univers propre qu’à travers le prisme déformant de l’orientalisme occidental.

Mais que de Fanon, de Dussel, de Saîd, de Quijano nous faudra-t-il encore pour remettre sur la bonne voie la marche de l’histoire ! L’occident s’est doté, depuis trente ans, d’un arsenal médiatique tel qu’il est difficile de lui tenir tête. Sa voix tonitruante impose au reste du monde un monologue de plus en plus frénétique, un discours de plus en plus manichéen... Malheureusement, à la négation répond la négation, au mépris répond le mépris et la haine ne peut engendrer que la haine.

Fethi GHARBI

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Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

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