Serait-ce le monde à l’envers ou plutôt l’apogée de la dynastie des menteurs et des voyous ? A l’aube de ce nouveau siècle, sur notre Vieux Continent, celui des Lumières est bien loin de nous voire tombé dans l’obscurité des profondeurs malfaisantes.
Ainsi, de ce côté de la mer, la nouvelle politique d’Hugo Chavez au Venezuela, en place depuis 1998, nous est présentée comme un grand danger pour la démocratie et la liberté. La révolution bolivarienne effraie les petits esprits européens cantonnés dans leur conviction de l’efficacité du libéralisme et du laisser faire capitaliste, et ce malgré les dégâts prouvés qu’ils engendrent depuis des années. Le cheminement du socialisme du XXIe siècle, que met en route Hugo Chavez, est dépeint en référence d’une dictature implacable, digne de cette vieille Union soviétique dont hélas les souvenirs ne sont que désespoir, erreurs et honte. Le réveil social et populaire de ces hommes et femmes du changement, propulsé par la politique du gouvernement vénézuélien, n’est transcrit que comme celui de barbares indigènes, populistes illuminés, militaires putschistes et dictateurs, révolutionnaires totalitaires, dangereux manipulateurs d’opinion.
Qu’en est-il ? Qui souhaite faire passer ce message ? Pourquoi la gouvernance vénézuélienne est-elle présentée comme telle et si malmenée ? Ne serait-ce pas finalement dans la définition du socialisme - celui qui a échappé à cette gauche européenne, mais qui souhaite pour autant en garder l’image et en utiliser le nom - qu’émerge le premier point d’achoppement ?
Chavez se veut président d’un socialisme du XXIe siècle. Alors, la gauche aurait-elle peur d’être enfin « découverte » comme l’usurpatrice d’un terme qui ne lui convient plus depuis longtemps, hélas ? Et la droite aurait-elle peur de rencontrer des difficultés à dénoncer le bien-être sociétal et la véritable émancipation que celui-ci engendre réellement quand on l’applique dans ses règles ?
Pour résumer, le Venezuela dérange tout le monde. Et l’adhésion qu’il suscite sur tout le continent latino-américain ne fait qu’amplifier l’inquiétude des politiques qui prônent nos modèles démocrate, néo-libéral et capitaliste sans avenir.
Cette première conclusion dénoue facilement les raisons du discours tenu à l’égard du Venezuela par les acteurs politiques actuels, couverts et appuyés par de nombreux canaux d’information achetés et convertis. Et de glisser jusqu’à la justification perverse d’asséner une large désinformation mensongère, dans un objectif malintentionné, réducteur et destructeur.
La réalité de ce pays est pourtant bien différente. La nécessité urgente d’avoir un droit de regard sur ce qui est dit et écrit à propos du Venezuela réclame une analyse objective venant à l’encontre de cette critique facile et monocorde. Par la vérification des informations, il sera alors possible, et sans ambages, de démontrer une tout autre vérité. Possible de venir discuter les rumeurs et les révélations tonitruantes. Possible de dénoncer publiquement le dénigrement mensonger mis en place, et de révéler ce souffle de démocratie en pleine expansion qui s’installe dans le pays, alors que de par le monde les inégalités et l’inhumanité progressent sans mot dire. De retourner enfin à la réalité, et de montrer du doigt les manipulateurs qui n’y sont jamais allés ou qui connaissent trop bien la vérité. La question est essentielle, et la démonstration du quotidien vénézuélien primordiale.
Concrêtement.
Hugo Chavez, élu président du Venezuela en 1998 avec 56 % des voix, confirmé dans ses fonctions de président en juillet 2000 et en août 2004 par voie de référendum instauré par lui, et réélu incontestablement fin 2006 avec 63 % des voix, a transformé son pays depuis sa prise de fonction.
Au sortir du drame politique et social dont souffre le peuple vénézuélien depuis dix ans - misère, famine, analphabétisme, violences, corruption, pouvoir dominé par l’argent et les privilèges… -, Hugo Chavez applique à la lettre, et sans délai, son slogan de campagne électorale et devient véritablement « le fléau de l’oligarchie et héros des pauvres ». Cette mission socialiste, il l’entreprend en organisant des transformations immédiates efficaces.
Ainsi, dans le courant de l’année 1999, un nouveau projet de constitution est élaboré et proposé par une assemblée constituante. Une fois établi, celui-ci est soumis pour la première fois dans l’histoire du Venezuela à un référendum populaire, le 15 décembre 1999, approuvé et promulgué le 20 décembre 1999. Pour l’essentiel, cette nouvelle constitution instaure la Ve République et prévoit d’importants changements socio-économiques. Les changements majeurs apportés concernent la réforme des institutions et l’affirmation de nouveaux droits fondamentaux pour tous les Vénézuéliens (éducation et protection médicale gratuites de qualité, droit à un environnement de choix, droit des minorités…).
Par la nationalisation immédiate des terres non cultivées - appartenant aux plus riches propriétaires ou à ceux ne pouvant justifier de titre de propriété -, et celle de la Compagnie nationale des pétroles du Venezuela (PDVSA), ainsi que par la monopolisation des forces armées sur des programmes de développement (génie, bâtiment, infrastructures…), Chavez met en place de réels moyens pour venir contrer et réagir à l’état de misère de la population et de délabrement du pays.
Grâce aux « missions bolivariennes » d’état, qui vont s’investir directement au coeur de la population, Hugo Chavez va réveiller et instruire la conscience populaire dans les domaines politique, social, agraire, éducatif, médical, culturel et informatif. C’est-à -dire, et pour commencer, ne pas faire tout seul.
Sur le chemin de ses ancêtres révolutionnaires - Miranda, Bolivar, Ponce, Mariategui… - Hugo Chavez sait que la première réussite pour la transformation des systèmes dans son pays se trouve dans l’émancipation de l’individu. Le Che, dans L’Homme Nouveau, écrivait : « Un peuple ignorant est l’instrument aveugle de sa propre destruction. Morale et lumières sont nos premières nécessités ». Chavez reprend et utilise aujourd’hui cette vérité par le refus catégorique de l’aliénation de son peuple, en lui donnant toute sa place ainsi que le pouvoir d’être acteur conscient au coeur du processus de changement. De nouveaux modes d’exercice du pouvoir s’installent - collectifs, transparents et critiques. Par les voies du débat, de la participation, de la rencontre avec les autres, vivre avec des perspectives glorieuses et constructives pour tous devient envisageable et réaliste.
Pour chacune de ces missions, l’objectif est avant tout humain. Barrio Adentro décentralise et unifie le système de santé ; Robinson, Ribas et Sucre gèrent les programmes d’éducation, d’enseignement et d’alphabétisation ; Vuelvan Caras s’occupe de la formation professionnelle ; Mercal organise l’approvisionnement alimentaire ; Habitat résume un énorme projet de logement et d’urbanisme ; Zamora réorganise l’utilisation des terres non exploitées ; Guaicaipuro défend les droits des peuples indigènes ; Florentino contre la fraude électorale, etc.
Il s’agit là de véritables bouleversements, transformateurs du quotidien vénézuélien, et qui portent leurs fruits. La population vénézuélienne est non seulement écoutée, soutenue et aidée - non pas bêtement assistée -, mais également guidée vers son autonomie et son indépendance par la connaissance et l’information qu’elles nécessitent. Dans toute sa splendeur et sa grandeur humaines, le principe démocratique du socialisme prend sa dimension : « propriété sociale des instruments de production ; gestion démocratique de ces instruments ; orientation de la production en vue de satisfaire les besoins individuels et collectifs des hommes ». Un socialisme du XXIe siècle, celui de Chavez.
Depuis dix ans maintenant, par cette nouvelle politique, des pas de géants ont été réalisés pour le bien-être des Vénézuéliens, et peuvent faire rougir bon nombre de détracteurs. Tout cela - et bien loin de ce qui est dit -, sans pour autant avoir fait taire de façon autoritaire l’opposition toujours vigoureuse. Sans avoir supprimé ou étouffé les pouvoirs que détient encore celle-ci, avec sa main mise sur une certaine économie et les médias. Ses soutiens politiques et financiers, souterrains et extérieurs, lui laissent pourtant la part belle et facile. Preuve en est lorsqu’on se remémore le putsch de Pedro Carmona, en avril 2002, destituant par la force Hugo Chavez de son poste de président, et autoproclamant un nouveau gouvernement, reconnu par la Maison Blanche et l’Espagnol, José Maria Aznar. A cette époque déjà , n’en déplaise à cette opposition fébrile, en 24 heures, le peuple et la garde présidentielle réclameront la libération de Chavez et son retour immédiat à ses fonctions.
Alors, même en pensant au pire aujourd’hui et à une éventuelle intervention armée organisée par les Etats-Unis, comme pour Cuba, actuellement sérieusement menacée, Salim Lamrani - enseignant, écrivain et journaliste français - précise : « La réaction populaire serait telle que la guerre du Vietnam et l’actuel conflit irakien paraîtraient des promenades de santé en comparaison avec ce qui attend les troupes étasuniennes si elles commettaient la folie de débarquer. Il ne s’agit ici aucunement d’une exagération. Le peuple est politiquement et idéologiquement préparé à tous les sacrifices pour défendre l’intégrité de sa patrie », venant ainsi répondre aux mises en garde proférées par Bush contre Cuba. Cette réflexion vaut et s’adapte parfaitement à l’esprit vénézuélien, prêt à défendre avec la même ferveur ses acquis et son indépendance actuels.
Bémol.
Dans cette continuité, le 15 août dernier, Chavez a décidé de réviser 33 articles de la constitution afin de développer et d’augmenter les pouvoirs régionaux, avec les moyens qu’il faut. Là encore, après consultation et approbation de la population. Pourtant, ces changements proposés, qui devaient être adoptés par referendum le 2 décembre dernier, n’auront pas lieu. Ce jour-là , 51 % de la population votante ont rejeté le projet de réforme.
Courte majorité, et surprenante dans son analyse, puisque ce résultat ne vient pas d’une percée significative de l’opposition - qui ne gagne que 100 000 voix par rapport à 2006 - mais d’une forte abstention du camp des chavistes (44 %). La contre-révolution n’a donc pas beaucoup progressé, en revanche l’essoufflement des troupes révolutionnaires est clair. Le constat de cet échec pousse à se demander ce qu’il s’est passé de ce côté.
L’évidence vient du rapport de force entre les classes. Celle des capitalistes a façonné l’opinion avec de puissants instruments médiatiques financés avec 8 M$ venant des Américains (opération Tenaille). Ainsi, une campagne hystérique faite de mensonges et de calomnies contre Chavez, la révolution et le socialisme a-t-elle été menée. Ultimas Noticias explique « qu’en cas de victoire du oui, l’Etat arracherait les enfants à leurs familles, et que la liberté religieuse serait abolie ». Le journal régional Notitarde montrait un montage photo composé d’une boucherie vide, d’un drapeau cubain et d’un portrait de Castro, avec en sous-titre : « Voilà à quoi ressemble Cuba socialiste aujourd’hui ». L’église catholique a solennellement prêché contre Chavez et le « communisme athée ». Une propagande d’un autre temps pour dynamiter la révolution, mais hélas efficace sur les sections les moins conscientes de la population.
Malgré les réformes, le problème des sans-abri n’est pas réglé et le sabotage économique des propriétaires terriens et des capitalistes provoque une pénurie de produits de première nécessité. Tout cela a un effet sur le moral des masses et rappelle la situation au Chili dans les années soixante-dix.
Après neuf ans de mobilisation, le peuple veut moins de mots et plus d’actes décisifs contre la Cinquième colonne des chavistes de droite, qui sont opposés au véritable socialisme et assassinent la révolution de l’intérieur. Si le mouvement bolivarien et le PSUV ne sont pas purgés de ces carriéristes et de ces bureaucrates réformistes, la révolution sera en danger. Il est donc clair que si une section des masses commence à se fatiguer, ce n’est pas parce que la révolution est allée trop vite, mais parce qu’elle n’est pas allée assez loin. Les révolutions ne se gagnent pas dans des chambres d’avocats ou dans des débats parlementaires mais dans les rues, les usines, les écoles et les casernes.
Aujourd’hui, malgré la défaite et cet avertissement, Chavez a toujours assez de pouvoir pour exproprier les banquiers, les propriétaires terriens et les capitalistes. Il a le contrôle de l’Assemblée nationale et le soutien des sections décisives de la société vénézuélienne. Une loi d’habilitation décrétant l’expropriation des terres, des banques et de la grande propriété privée recevrait sans aucun doute le soutien de la population. N’oublions pas qu’au sortir de ce referendum, deux manifestations ont montré que la base chaviste était cinq à huit fois plus importante que celle de l’opposition. Côté jeunesse, la plus grande manifestation des étudiants réactionnaires a réuni 50 000 personnes, alors que les étudiants chavistes étaient presque 300 000. Dans l’armée, la grande majorité des soldats de rang restent loyaux à Chavez et à la révolution. Idem pour nombre de sergents et d’officiers juniors.
Marx expliquait que « la révolution, pour avancer, à besoin du fouet de la contre-révolution ». Alors, la victoire du non doit agir comme un choc salutaire et décisif dans les actions fermes à mettre en oeuvre. C’est seulement ainsi que rien ne pourra venir ébranler la mouvance chaviste et bolivarienne latino-américaine actuelle. Au grand dam de certains, à qui il ne reste plus qu’une propagande mensongère et de plus en plus ridicule.
Histoire simplement de remettre le monde à l’endroit.
Muriel Knezek
(version mai 2008)