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retour sur un président illuminé (I)

Du Président de la République française, Chanoine de Latran.

Difficile de ne pas donner son appréciation sur un personnage qui, outre le fait qu’il occupe le sommet de l’Etat et qu’il dispose du droit de déclencher le feu nucléaire, parait absorber la lumière des projecteurs et les flashes de appareils photos au point de s’en nourrir comme s’il absorbait des vitamines ou des amphétamines.

Mais ce serait rester à la surface clinquante d’un personnage dont l’idéologie, quand elle s’exprime, est inquiétante. Certes s’agi-il d’une idéologie rudimentaire une sorte de copier-coller hâtif, mais on sait le personnage pressé car il ne veut pas rater son rendez-vous avec l’Histoire, fût-ce en jetant dans l’ornière le pays qu’il conduit.

Cela s’est entendu dans le discours de DAKAR où il s’est permis de donner des leçons de civilisation à un continent entier et cela s’est entendu ensuite à deux reprises une fois à Rome et quelques jours plus tard à Riyad.

Le discours prononcé à Rome est à proprement parler un discours réactionnaire, c’est-à -dire qui veut faire tourner la roue de l’Histoire à l’envers, un discours de falsification historique et un discours qui veut poser les bases d’une idéologie et d’une religion d’Etat.

Cette orientation d’esprit d’un homme à qui nos institutions actuelles donnent trop de pouvoir et qui veut encore l’accroitre - voire les propositions de la commission Balladur qui donne au Président le pouvoir de « définir la politique de la nation » - est dangereuse.

C’est la raison pour laquelle COMAGUER a choisi de diffuser une analyse du discours de Latran publiée dans le dernier numéro - n° 593 - des Cahiers rationalistes. Analyse d’historien, circonstanciée, non polémique, qui mérite une lecture attentive tant ce discours qui travestit la vérité historique est inquiétant. Il témoigne en effet d’une volonté d’imposer à la population les convictions personnelles d’un homme (qui sont aussi, il est vrai, celles d’une partie de sa classe sociale) ce qui outrepasse tous les droits que la Constitution confère au Président de la République. Que le même homme ait pu à Ryad, devant le souverain saoudien, se féliciter du pouvoir des religions sur les peuples place la France en bien fâcheuse compagnie, à l’extrême-droite idéologique des
gouvernements contemporains, dans le groupe de tête de la réaction mondiale. (voir in fine le commentaire publié par l’Union Rationaliste sur le discours de Riyad ) Les deux chefs d’Etat, presque contemporains, qui ont donné une telle place à la religion chrétienne dans la conduite des affaires publiques sont FRANCO et PINOCHET.

Ces différents discours (Dakar - Latran - Riyad) suscitent une triple inquiétude. La première vient de l’inanité même des propos tenus, la seconde plus introspecive surgit face à l’immense contentement de soi qu’affiche le personnage qui le conduit très probablement à croire en ce qu’il dit, la troisième est plus politique : un chef d’Etat qui profère, és qualités, de telles paroles libère et rend acceptable l’expression de groupes sociaux minoritaires qui existent, peuvent, ainsi encouragés, se renforcer et espérer l’impunité si jamais ils transformaient leurs opinions en actes : maltraiter un africain ou un athée serait au fond moins grave que maltraiter un blanc ou un chrétien puisqu’il s’agirait , à en croire la parole présidentielle, de personnes l’une sans projet d’avenir
l’autre sans élévation spirituelle.

COMAGUER


Le chanoine président au Latran

Jean Baubérot

Historien et sociologue

Le président Sarkozy est donc devenu chanoine de la Basilique Saint- Jean de Latran. Distinguons la fonction de chanoine et le discours prononcé.

Nicolas Sarkozy est l’ « unique chanoine d’honneur » de la Basilique Saint Jean de Latran car en 1604 Henri IV, devenu catholique pour être roi de France, a fait don à la basilique du Latran, de l’abbaye bénédictine de Clairac (Lot et Garonne)... ainsi que de ses revenus. Le titre de chanoine d’honneur fut une façon de dire merci. Une « messe pour la France » est célébrée au Latran chaque année.

L’ambassadeur de France près du Saint Siège y représente le président de la République et y reçoit « les honneurs liturgiques ». Ce titre de chanoine est
donc un legs d’un passé où il fallait être catholique pour pouvoir gouverner la France, où la France était un royaume catholique et le catholicise la religion nationale. Sans doute, cela fait partie de notre histoire. Est-ce pour autant ce passé là qui doit servir de référence pour aujourd’hui ? C’est une autre affaire. Mitterrand et Pompidou avaient assumé ce passé de façon non ostensible. Ils n’avaient pas refusé la charge, sans aller prendre possession du titre. Sarkozy s’y précipite.

Cette hâte à prendre possession de son titre n’est pas « rien ». Sarkozy le souligne d’ailleurs dans son discours « cette tradition (...) ce n’est pas rien. (Le Latran) c’est la cathédrale du Pape » Ces faits témoignent que la situation française n’est pas très éloignée de celle d’autres pays : elle est plus laïque dans certains domaines, moins dans d’autres, la séparation française est une séparation relative et le mythe d’une laïcité tout à fait spécifique à la France, qui établirait un rapport radicalement autre à la
religion que partout ailleurs dans les démocratie modernes, est illusoire.

Un récit historique confessionnel

Voyons maintenant le discours. Sa lecture de l’histoire est confessionnelle. Il vaut la peine de s’y attarder, car ce n’est pas sans conséquence pour le présent. Sarkozy affirme : « C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l’Eglise. Les faits sont là . En faisant de Clovis le premier souverain chrétien, cet événement a eu des conséquences importantes sur le destin de la France et sur la christianisation de l’Europe ».

« Les faits sont là  ». Non, justement. A l’époque de ce baptême (vers 496 dit-on), l’Italie est dominée par les Ostrogoths, l’Afrique latine par les Vandales, l’Espagne et la Gaule méridionale par les Wisigoths, et les Burgondes sont installés dans la vallée du
Rhin. Ils sont tous chrétiens. La seule exception est due aux Francs restés païens et le baptême de Clovis et ses guerriers francs va y mettre fin. Le christianisme des « Barbares », des Ostrogoths aux Burgondes, est un christianisme arien. Il s’est
développé en Occident, utilisant les langues nationales dans la liturgie et la prédication.

Schématiquement, Anus, prêtre d’Alexandrie (alors haut lieu de la chrétienté) affirme que Jésus est une créature subordonnée à Dieu ; il n’est pas lui-même Dieu.

Cette doctrine a été condamnée au Concile de Nicée (325). Catholiques, orthodoxes, protestants sont aujourd’hui des chrétiens nicéens. Fort bien, mais pour une histoire scientifique, laïque, l’arianisme constitue une branche du christianisme qui aurait pu
triompher. Le baptême de Clovis marque un tournant dans la lutte entre ariens et nicéens. Prétendre que Clovis fut le «  premier souverain chrétien est adopter un point de vue ecclésiastique déniant le titre de « chrétien » aux hérétiques, c’est ériger un dogme chrétien orthodoxe en vérité d’État. Ériger un dogme en vérité d’État est plus grave que d’avoir certains liens administratifs entre l’État et une religion. Avec Bonaparte, il existait, certes, un Concordat, mais le catholicisme n’était plus vérité d’État. Au XXe siècle, en Europe, il n’y a guère que dans l’Espagne franquiste, que le catholicisme a été vérité d’État. Je sais bien qu’il ne s’agit pas ici d’imposer des dogmes, mais une lecture idéologique de l’histoire n’est jamais innocente.

Le discours continue par une longue indication de faits qui prouveraient la « profondeur de l’inscription du christianisme dans notre histoire et dans notre culture », ce qui induirait, en conséquence, que la France entretient avec le siège apostolique une relation si particulière ». Parmi ces « faits », la décision de Pépin le Bref de faire du pape un souverain temporel. Le président d’une République laïque doit-il considérer ce fait comme un événement positif, alors qu’il a fortement renforcé l’imbrication entre politique et religion ? Il existe d’ailleurs, dans tout le discours, une mise en équivalence du catholicisme et du christianisme, oubliant les hérésies, les dissidences, les autres formes de christianisme qui ont jalonné notre histoire depuis le Moyen Age et qui Ont été victimes de cette société de chrétienté, louée de fait. Or si la laïcité ne s’est pas construite contre le christianisme, elle a constitué une émancipation de la société de chrétienté qui a permis que la République « respecte toutes les croyances » (article 1 de la Constitution).

Dans cette première séquence historique, on trouve donc la conception sous-jacente d’une France nation catholique (ou chrétienne, le problème reste le même) puisque ses « racines essentielles » sont là et que l’histoire des liens de la France avec « l’Église » (sous entendu catholique) est racontée sous un mode uniquement positif. Silence est fait sur tout le négatif.

Une histoire négative de la laïcité :

Sarkozy en arrive ensuite à la seconde séquence qui commence ainsi : « Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable... ». Et il entremêle un rappel des fondamentaux du « régime français de laïcité » (où il décline les différentes libertés laïques avec trois jugements négatifs sur la laïcité. Reprenons-les un
par un.

D’abord, voici ce qui est dit de l’établissement de la loi de 1905 :

« Je sais les souffrances que sa mise en oeuvre a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905. Je sais que l’interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie une reconstruction rétrospective du passé. »

C’est une grave confusion de mélanger la lutte anticongréganiste et la loi de 1905 : elles obéissent à des logiques fort différentes. La loi de 1905, quant à elle, a été interprétée, non pas « rétrospectivement » mais dès l’époque, comme « un texte de liberté, de tolérance, de neutralité », y compris par des catholiques. Les « cardinaux verts » (des membres catholiques des différentes Académies) avaient envoyé une lettre aux évêques en faveur de la loi qui, écrivaient-ils, permet de croire ce que nous voulons » et « de pratiquer ce que nous croyons ». Les évêques français, dans leur première assemblée épiscopale depuis l’Ancien Régime (le Concordat empêchait de telles réunions, la loi de 1905, « texte de liberté » les autorisait), avaient voté des statuts d’associations dites « canonico-légales », conformes à la loi de 1905 et au droit canon (56 voix contre 18).

Les évêques furent désavoués par le pape. Et c’est la peur d’une contagion internationale, de la fin de Concordats en Espagne et Amérique latine qui a
principalement motivé la décision du Saint-Siège. L’espoir aussi qu’une aile dure du catholicisme allait faire échouer la loi. La République, bonne fille, a répondu par la loi du 2 janvier 1907, dont le but était, selon Briand : « de faire une législation telle que,
quoi que fasse Rome, il lui soit impossible de sortir de la légalité », de « mettre l’Eglise catholique dans l’impossibilité, même quand elle le désirerait d’une volonté tenace, de sortir de la légalité ». Quelle attitude plus tolérante que celle-là pourrait-on imaginer ? »

Ensuite, le président affirme : « C’est surtout par leur sacrifice dans les tranchées de la Grande Guerre, par le partage des souffrances de leurs concitoyens, que les prêtres et les religieux de France ont désarmé l’anticléricalisme. » Admirable : ce n’est donc pas la République qui a su vaincre ses propres démons (l’anticléricalisme des premières
années du XXe qui, il faut le rappeler, provenait de l’attitude dominante catholique dans l’affaire Dreyfus, mais il aboutissait effectivement à écorner des libertés et qui l’a fait avec les lois de séparation (1905-1908), c’est « surtout » l’attitude des prêtres
pendant la guerre 1914-1918 !

Si la guerre de 1914-1918 a contribué à la réconciliation des deux France, c’est par une
découverte réciproque : les poilus ont découvert que les prêtres ne ressemblaient pas à la caricature anticléricale ; les officiers (pour la plupart issus de l’école confessionnelle ou des petites classes » de lycées) ont découvert que les soldats, issus de l’école laïque n’étaient pas, comme on le leur avait répété, dépourvus de valeurs morales. Le discours ne retient que le premier aspect ! D’autre part, et « surtout », la loi de 1905, et celles de 1907-1908, avaient déjà transformé la donne et fait oeuvre de pacification. Cela permit d’ailleurs ce que l’on a appelé « l’Union Sacrée ». Possible en 1914, elle aurait été très difficile dix ans auparavant.

La reconstruction historique faite tourne le dos à l’esprit de la loi de 1905, dont le message essentiel consiste à dire que la France n’est pas une nation catholique ou chrétienne, qu’il n’existe pas de dimension religieuse dans l’identité nationale (c’est le sens de l’article 2) et que la France assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes (article 1). Faire comme si cette liberté de culte impliquait une quelconque identité chrétienne de la France est contraire à la Constitution et
dangereux pour la liberté des cultes elle-même.

Enfin le président déclare : « la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû. (...). Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir
le ciment de l’identité nationale, et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire
. »

Là encore, l’erreur historique est flagrante : qu’en 1793, il y ait eu une tentative de « négation du passé », certes. Mais les lois scolaires des années 1880 et la loi de séparation n’ont pas reproduit cette tentative. Pour ce qui est de la séparation, les mesures prises en faveur des bâtiments cultuels, le maintien du calendrier grégorien,.., montrent, au contraire, la volonté d’assumer le passé chrétien tout en laïcisant le présent.

Bien sûr, une nation, une société comporte une épaisseur historique. Mais outre que la France comporte différentes « racines », attention de ne pas réduire « la signification », le « ciment de l’identité nationale » et « les rapports sociaux » aux dites « 
racines ». Cette hypertrophie d’une mémoire très amnésique aboutit à prôner « l’avènement d’une laïcité positive », comme si, jusqu’à présent, la laïcité
avait été négative ! En outre, cela ne signifierait-il pas une faillite du politique, incapable de façonner des projets d’avenir ?

Le symbolique ramené au religieux :

Le discours comporte, sur ce point, un passage sur « l’espérance » qui confond deux plans : « fonder une famille, contribuer à la recherche scientifique, enseigner, se battre pour des idées, en particulier si ce sont celles de la dignité humaine, diriger un pays,
cela peut donner du sens à une vie. (...Cela ne répond) pas pour autant aux questions
fondamentales de l’être humain sur le sens de la vie et sur le mystère de la mort. » Et le président continue sur ce thème : « Ma conviction profonde (...) est que la frontière entre la foi et la non- croyance (...) traverse en vérité chacun de nous. Même celui
qui affirme ne pas croire ne peut soutenir en même temps qu’il ne s’interroge pas sur l’essentiel. Le fait spirituel, c’est la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance. Le fait religieux, c’est la réponse des religions à cette aspiration fondamentale
. »

Une sorte de court circuit est effectuée entre les questions qui concernent le politique (aide familiale, recherche scientifique, incarnation de la dignité humaine dans des situations précises, direction du pays) et des questions existentielles où le politique
est incompétent. Sarkozy a intégré le constat, effectué par les sociologues, du développement de croyances flottantes, de « bricolages » dans l’ordre du spirituel. Mais il commet deux fautes. D’abord de prétendre qu’il aurait chez tous les humains une « 
tendance naturelle à rechercher une transcendance ». C’est là une option philosophique particulière qui n’a pas à être adoptée par un président de la République. Ensuite, qu’il y ait une « réponse des religions à cette inspiration fondamentale » ne signifie pas que les religions aient le monopole de la réponse. Le symbolique est un champ (au sens de Pierre Bourdieu) plus vaste que le religieux. Certes, à peu prés tout un chacun s’interroge sur les questions indiquées. Il le fait à l’intérieur ou à l’extérieur de traditions religieuses, et cet intérieur peut lui-même comporter une certaine distance avec les positions des autorités religieuses. Le discours semble l’admettre puis ramène, de façon indue, le symbolique au seul religieux, et (de fait) à ce qui est nommé « notre religion majoritaire » : « La désaffection progressive des paroisses rurales, le
désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n’ont pas rendu les Français plus heureux
 ».

Une grave dépréciation de la morale laïque :

Suit, alors, une grave dépréciation de la morale laïque et une prise de position tout à fait contraire à la neutralité de l’Etat : « s’il existe incontestablement une morale humaine indépendante de la morale religieuse, la République a intérêt à ce qu’il existe
aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D"abord parce que la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. Ensuite parce qu’une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité
. » Le président est mieux inspiré quand il affirme que : « Toutes les intelligences, toutes les spiritualités qui existent dans notre pays doivent y prendre part (aux débats éthiques). Nous serons plus sages si nous conjuguons la richesse de nos différentes traditions ». Mais il persiste et signe peu après : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. »

La création de la morale laïque a signifié que l’État ne prenait pas parti dans la querelle entre ceux qui affirmaient qu’une morale d’essence divine était seule valable et ceux qui dénonçaient la morale religieuse comme essentiellement nocive. Il s’en tenait à des valeurs qui pouvaient être partagées. Ces valeurs démocratiques se trouvent aujourd’hui dans le Préambule de la Constitution et l’école peut donc, à bon droit, les enseigner sans déroger à la neutralité. La meilleure manière de les appliquer, dans les contraintes des situations concrètes fait partie du débat politique. Elles le concernent donc au premier chef. Cette morale n’a pas à être totalisante, sinon on risque tendre vers un régime totalitaire. Le politique est donc incompétent au niveau des morales que peuvent adopter les individus, de façon libre et volontaire. Ces morales peuvent s’exprimer, et se confronter, dans la société civile. Mais elles doivent rester facultatives et le politique n’a pas à avoir de préférence pour les unes au détriment des autres.

La République a sans doute « intérêt » à ce que les citoyens ne soient pas désespérés, mais n’a pas à se prononcer sur la forme ou le contenu de leur espérance ; et (pour ce qui la concerne) doit prendre en charge leurs intérêts légitimes et leurs besoins ;
elle a « intérêt » à ce que les citoyens ait des valeurs morales, elle ne doit pas prendre parti sur le fait quelles soient religieuses ou non religieuses ; mais jouer un rôle d’arbitre pour que ces valeurs ne contreviennent pas aux lois d’un ordre public démocratique.

Il est ahurissant de dénoncer le risque de « fanatisme » de la morale laïque, et de prétendre que la religion serait alors le remède, alors que la prétention à détenir une vérité religieuse peut produire du « fanatisme » et que la morale laïque n’en
produirait que si elle se voulait une morale totale. De même prendre parti pour une morale non exposée aux « contingences historiques », c’est quitter son rôle d’arbitre pour adopter une position philosophique officielle, alors que cette position doit
rester libre pour chaque citoyen.

Une religion civile catho-laïque

La « laïcité positive » que prône le président est alors très ambiguë. Certes, il rappelle des valeurs laïques fondamentales : « le régime français de la laïcité est aujourd’hui une liberté : liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de pratiquer une religion et liberté d’en changer, liberté de ne pas être heurté dans sa conscience par des pratiques ostentatoires, liberté pour les parents de faire donner à leurs enfants une éducation conforme à leurs convictions, liberté de ne pas être discriminé par l’administration en fonction de sa croyance. » Encore faudrait-il qu’il soit bien clair que ces « pratiques ostentatoires » peuvent être le fait de toutes les religions et convictions, ne visent pas une religion particulière. L’inquiétude se précise avec la phrase suivante : « le peuple français a été aussi ardent pour défendre la liberté scolaire que pour souhaiter l’interdiction des signes ostentatoires à l’école. » La reprise du terme « ostentatoire » (la loi de 2004 dit « ostensible ») est significative.

Cette dernière phrase apparaît typique d’une laïcité à géométrie variable : douce pour le catholicisme ( » la liberté scolaire » sous entend, en fait, les subventions que l’on sait aux écoles privées, très majoritairement catholiques), plus dure pour l’islam
(l’interdiction des signes ostentatoires/ostensibles à l’école ; il n’est même pas précisée à l’école publique).

Et, au-delà même de laïcité à géométrie variable, c’est à une véritable religion civile catho-laïque que tend un tel discours

L’aspect quasiment normatif donné aux « racines essentiellement chrétiennes » va dans ce sens, ainsi que des passages déjà cités et l’affirmation suivante : « nous devons tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la
France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité enfin parvenue à maturité ». A cette ligne politique néo-cléricale, s’ajoute un aspect de psychologie personnelle. Témoin cette surprenante déclaration qui compare deux vocations sacrificielles : la prêtrise et la présidence de la République

« Je mesure les sacrifices que représente une vie toute entière consacrée au service de Dieu et des autres. (...) Je comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que moimême je sais ceux que j’ai faits pour réaliser la mienne. »

Plusieurs journalistes m’ont affirmé que le but d’un tel discours est notamment de provoquer une indignation chez les militants laïques, qui se traduirait par une « défense crispée » de la laïcité et erait apparaître ces militants comme « archaïques ».
Si cela est le cas, nous ne tomberons pas dans un tel piège. Nous pouvons dire fermement et sereinement à la fois, que la laïcité est la meilleure alliée de la liberté. La République française est la République de tous et toutes. Les citoyens ont un
droit égal à trouver la morale religieuse nocive ou indispensable. C’est leur affaire. L’Etat n’a pas à croire ou à ne pas croire à leur place. Et puisque l’on nous rabat les oreilles avec la « mémoire », rappelons que, de Théodose à Pinochet, l’État chrétien a toujours été une catastrophe.

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On ne mesure pas la puissance d’une idéologie aux seules réponses qu’elle est capable de donner, mais aussi aux questions qu’elle parvient à étouffer.

Günter Anders
L’Obsolescence de l’homme (1956)

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