Cette Française est « une grande dame », avant-gardiste, très féministe, d’une ample culture, écrivaine, journaliste, traductrice émérite. Elle « couvre » la Guerre d’Espagne pour le compte -officiellement- du « Patriote » (journal socialiste) et ne cache pas ses sympathies envers la République. Lors d’un reportage sur le terrain, elle est blessée par des tirs franquistes, capturée et jugée.
Une caricature de « tribunal », militaire de surcroît, et la voilà condamnée à mort. Les phalangistes la fusilleront le premier septembre 1936 et jetteront son corps dans la fosse commune du cimetière de la Salud à Cordoue (plus de 2000 Républicains assassinés). Son journal n’y fera référence que fort discrètement, longtemps après. Depuis, Renée Lafont gît à Cordoue, oubliée de tous. La Guerre d’Espagne fit à Cordoue, selon l’historien Francisco Moreno Gomez, 11 582 victimes. Cet historien ami considère que les « registres civils » ne recenseraient qu’un tiers des victimes. Au cimetière de la Salud furent fusillés 4 629 personnes (l’autre cimetière, San Rafael, contient à peu près le même nombre de « disparus », quelque 2 000).
Lorsque nous avons appris par les associations mémorielles espagnoles qu’une Française se trouverait dans la fosse commune de la Salud, nous avons poussé les recherches jusqu’à avoir la certitude qu’il ne pouvait s’agir que de Renée. Pendant plusieurs semaines, un généalogiste bénévole a travaillé sur l’arbre généalogique et la descendance familiale. Pour rapatrier le corps, il faut que l’un ou l’une des descendant(e)s le demande. Par ailleurs, jointe par écrit afin qu’elle assume ses responsabilités, la présidence de la République française nous répondit « gentiment », mais sans aucun engagement.
De son côté, la municipalité de Cordoue (union PSOE, Izquierda Unida, Podemos, ...) activait les préparatifs pour commencer à exhumer les deux fosses. Un chantier colossal, scientifique, et délicat. Le jeudi 10 janvier 2019, une cérémonie, prélude à l’ouverture de la fosse, fut célébrée au cimetière de la Salud, en présence de plusieurs familles, de la Maire, des élus locaux et de la Communauté autonome andalouse, de représentants des associations mémorielles (dont les Français de la coordination « Caminar »). Les familles posèrent un geste symbolique : pelles à la main, elles ont commencé à remuer la terre. Pendant ce temps, la nouvelle direction de droite alliée à l’extrême-droite (Vox) de la Communauté andalouse a d’ores et déjà promis de déroger la « Loi de Mémoire historique » andalouse, qu’elle juge partisane, partiale, « pro-républicaine ». Le néo-franquisme a de jolis restes !
Une nouvelle étape s’engage, pour récupérer et identifier les restes des milliers de républicains jetés dans des fosses « du silence et de l’oubli », dont celui, 83 ans après, de Renée Lafont, première femme journaliste morte dans l’exercice de son métier.
Jean ORTIZ