1. J’écris beaucoup sur le sort de Julian Assange pour la même raison que j’écris beaucoup sur l’invasion de l’Irak : sa persécution, lorsqu’on l’examine sincèrement, révèle des preuves indéniables que nous sommes gouvernés par un pouvoir transnational qui est immoral et malhonnête dans son essence.
2. Assange a lancé Wikileaks en partant du principe que le pouvoir corrompu et qui n’a pas de comptes à rendre constitue un problème dans ce monde, et que le problème peut être combattu avec la lumière de la vérité. Ce pouvoir a réagi en l’emprisonnant, en le faisant taire et en le dénigrant. La persécution d’Assange a prouvé que sa thèse sur le monde est absolument correcte.
3. Quiconque offense l’empire des Etats-Unis sera jugé par les médias, et les médias appartiennent à la même classe ploutocratique qui possède l’empire. Croire ce que les médias de masse vous racontent sur ceux qui s’opposent au pouvoir impérial, c’est ignorer la réalité.
4. Le pouvoir corrompu, et qui n’a pas de comptes à rendre, utilise son influence politique et médiatique pour salir Assange parce que, en ce qui concerne les intérêts d’un tel pouvoir, tuer sa réputation est aussi efficace que de le tuer tout court. Tous ceux qui pourront être persuadés à le voir avec haine et répulsion seront beaucoup moins enclins à prendre les publications de WikiLeaks au sérieux, et seront beaucoup plus enclins à consentir au silence et à l’emprisonnement d’Assange. Quelqu’un peut vous dire la vérité à 100 %, mais si vous vous méfiez de lui, vous ne croirez pas ce qu’il dit. S’ils peuvent fabriquer cette suspicion avec une crédibilité totale ou quasi totale, alors, pour nos dirigeants, c’est aussi bien que de lui mettre une balle dans la tête.
5. Le fait que les médias puissent continuer à dire jour après jour ’Hé, tu sais ce type à l’ambassade qui partage des vérités embarrassantes sur des gens très puissants ? C’est un sale violeur nazi espion russe qui maltraite son chat’ sans éveiller les soupçons montre à quel point le public est déjà propagandisé. Dans un monde normal, sans contrôle narratif corrompu, on verrait quelqu’un qui fait circuler des informations gênantes sur les puissants se faire qualifier d’à peu tous les noms et on saurait immédiatement que cette personne est calomniée par ceux qui sont au pouvoir.
6. Les campagnes de diffamation incessantes contre Assange ont donné à l’establishment non élu l’occasion de faire publiquement un exemple d’un journaliste qui a publié des vérités gênantes, sans provoquer la colère des masses. Il s’agit d’une flagellation en place publique que la foule a été manipulée à encourager. Le contrôle narratif leur a permis d’avoir le beurre et l’argent du beurre : ils se comportent comme des seigneurs médiévaux et infligent une punition draconienne à un diseur de vérités incontestables et exposent sa tête sur un pic sur la place publique pour avertir les autres prétendants à la vérité, tout en faisant croire au public que cette étrange violation des droits humains modernes est parfaitement correcte et acceptable.
7. Il y a des gens qui ont travaillé très dur pour obtenir des diplômes de journalisme, qui ont travaillé de longues heures pour avoir le privilège de faire la une d’une grande publication et qui se sont retrouvés à écrire des articles avec des titres comme ’Julian Assange est un type qui pue, qui pue, et qui pue’.
8. Les citoyens ordinaires croient volontiers aux campagnes de diffamation contre Assange parce que c’est plus facile d’y croire que de s’avouer que leur gouvernement fait délibérément taire et emprisonner un journaliste pour avoir publié des faits.
9. Et oui, Julian Assange est très certainement un journaliste. Publier des informations importantes sur ce qui se passe dans le monde pour que le public puisse s’informer est précisément du journalisme. Il n’existe pas de définition conventionnelle du journalisme autre que celle-ci. Quiconque dit que M. Assange n’est pas un journaliste dit un mensonge, auquel il croit ou pas, afin de justifier sa persécution et son propre soutien à celle-ci.
10. Une autre raison pour laquelle les gens sont enclins à croire aux calomnies sur Assange est que les faits bruts révélés par les publications de WikiLeaks produisent des trous béants dans les histoires sur le monde, la nation et la société auxquelles la plupart des gens ont appris à croire depuis leur âge scolaire. Ces croyances sont imbriquées avec l’ensemble des structures égotiques des gens, avec leur sens de soi et de ce qu’ils sont en tant que personne, de sorte que tout récit qui menace leur édifice de croyances peut avoir le même effet qu’une attaque personnelle. C’est pourquoi vous entendrez des citoyens ordinaires parler d’Assange comme s’il les avait attaqués personnellement, alors que tout ce qu’il a fait, c’est de publier des faits sur les puissants. Mais comme ces faits entrent en conflit avec des constructions identitaires bien ancrées, la dissonance cognitive qui en résulte leur dit qu’il les a giflés au visage.
11. Nous vivons dans une réalité où des organismes gouvernementaux puissants et dominants dans le monde sont bien moins surveillés et critiqués qu’un type coincé dans une ambassade qui a publié des faits gênants à propos de ces organismes.
12. Assange perturbe les récits de l’establishment, même dans son état de persécution. Les loyalistes de l’establishment libéral aux Etats-Unis n’ont toujours pas trouvé de réponse rationnelle aux critiques selon lesquelles en soutenant les poursuites pénales contre Assange, ils soutiennent un programme de l’administration Trump. Vous avez maintenant les mêmes personnes qui crient que Trump est Hitler et qu’il attaque la presse libre tout en se réjouissant de la possibilité que cette même administration emprisonne un journaliste pour avoir publié des faits.
13. Le précédent que créerait la poursuite par les États-Unis d’un journaliste étranger pour avoir simplement publié des informations factuelles constituerait un saut dans la direction de la dystopie orwellienne plus important que le Patriot Act, aussi bien pour l’Amérique que pour le monde entier.
14. Les médias des milliardaires se sont disqualifiés avec leur refus de défendre Assange. Ils savent que le précédent établi par les poursuites contre WikiLeaks tuerait la capacité de la presse à demander des comptes aux pouvoirs, mais ils s’en fichent parce qu’ils savent qu’ils ne le font jamais. Malgré tous leurs pleurs sur le triste sort de Jamal Khashoggi et Jim Acosta, ils ne se soucient pas vraiment du journalisme ou de ’la presse libre’ de manière significative.
15. Chaque fois que je vois un compte coché bleu sur Twitter [compte « authentifié » par Twitter] qui fait du Assange-bashing, je traduis mentalement ce qu’ils disent par « Il n’y a rien que je ne ferai pas pour faire avancer ma carrière dans les médias commerciaux. Si tu es en position de me promouvoir, je me mettrai littéralement à genoux et te laisserai faire ce que tu veux de mon corps. »
16. J’ai parfois l’impression d’avoir plus de respect pour les propagandistes professionnels qui salissent Assange que pour les citoyens ordinaires qui le salissent gratuitement. Que pensent-ils recevoir comme récompense pour leur travail de propagandistes bénévoles de la CIA ? Une étoile d’or de Big Brother ? Ils sont comme des esclaves qui battent et trahissent d’autres esclaves qui dépassent les bornes pour gagner la faveur du maître, mais ils n’y parviennent même pas. Les manipulateurs professionnels encouragent au moins leur propre classe à continuer à faire avancer les intérêts de ses dirigeants ; les gens ordinaires qui le font encouragent leur propre oppression.
17. Encore plus bas, à mon avis, sont les autoproclamés gauchistes et anarchistes qui se considèrent comme des opposants à l’establishment, mais qui contribuent tout de même à faire avancer cette campagne de diffamation. Il est impossible d’attaquer Assange sans soutenir l’empire orwellien qui le persécute. Je me fiche de la gymnastique mentale à laquelle vous vous livrez pour justifier votre pathétique copinage ; ce que vous faites profite aux plus puissants et plus dépravés de cette planète.
18. Quiconque participe à la campagne de diffamation contre Assange et Wikileaks est en réalité en train de dire ceci : ’Les gens extrêmement puissants devraient pouvoir nous mentir sans aucune difficulté ou opposition’.
19. Tout le monde devrait toujours être extrêmement méfiant à l’égard de ceux qui défendent les puissants contre les moins puissants. Il est incroyable que cela ne soit pas plus évident pour plus de gens.
20. Contrairement aux récits promus par les marchands de calomnies de l’establishment, Julian Assange, en se réfugiant à l’ambassade, ne fuit pas la justice. Il fuit l’injustice. Tous ceux qui connaissent un minimum sur les poursuites engagées par le gouvernement US contre les lanceurs d’alerte savent qu’il n’a aucune chance d’obtenir un procès équitable et qu’il serait victime de mauvais traitements brutaux de la part du même régime qui a torturé Chelsea Manning.
21. La persécution d’Assange est essentiellement une question que l’humanité se pose : voulons-nous (A) continuer sur la voie de la dystopie orwellienne "omnicidaire" et "écocidaire", ou voulons-nous (B) changer de trajectoire et ignorer l’establishment du pouvoir oppresseur qui nous conduit soit à l’extinction totale, soit à l’esclavagisme total ? Jusqu’à présent, notre réponse à cette question est A. Mais, tant que nous changeons avant qu’il ne soit trop tard, nous pouvons toujours modifier notre réponse.
Caitlin Johnstone
Traduction "et tellement d’autres qu’on pourrait faire..." par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles