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Les FARC, entre espoir et Histoire

Photo : Combattante des FARC-EP, Front 36, Antioquia (Colombie), 2016 / Loïc Ramirez

Après avoir déposé les armes et signé un accord de paix avec Bogota, la guérilla des FARC-EP est devenue un parti politique légal. Ses membres subissent désormais une vague d’assassinats qui rappelle la tragique expérience de démobilisation des années 80.

Le dicton dit que l’Histoire se répète ; sans doute que c’est ce que craignent le plus les membres des FARC. En 1984, la plus importante des guérillas de Colombie signait un cessez-le-feu avec le gouvernement de M.Belisario Betancur. Née en 1964, l’organisation insurgée des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée du peuple) touchait du doigt la possibilité de participer à la vie politique du pays sans faire usage des fusils. Cette trêve donna naissance à l’Union Patriotique, un parti politique légal désigné comme le réceptacle où devaient atterrir les combattants. De peu, il faillit être leur cercueil. Reconvertis en figures publiques de la politique locale et nationale, les anciens guérilleros étaient devenus des cibles plus faciles à atteindre que lorsqu’ils vivaient dans les forêts. Avec eux, l’ensemble des militants et militantes qui les avaient rejoints dans l’UP, communistes pour la plupart. Au début, il eut un camarade tué. Puis deux, trois, cinq, dix, cent… Sans s’arrêter, la cruelle addition de morts et disparus asphyxia toutes les forces de la gauche colombienne. L’État-major de la guérilla rappela ses troupes dès 1987, concluant que toute tentative pacifique de prise de pouvoir était vouée au suicide. Entre 1985 et 2002, entre 3.000 et 5.000 victimes endeuillèrent l’Union Patriotique. Du simple sympathisant jusqu’au candidat aux élections présidentielles, tous furent la cible d’une répression orchestrée par les cercles les plus réactionnaires de l’État en collaboration avec les forces armées et des groupes paramilitaires. « Ils n’ont pas réussi à détruire le parti politiquement, alors ils l’ont fait physiquement » sentence Fernando lorsqu’il se rappelle de cette période [1]. Communiste, l’homme était membre de l’Union Patriotique dans le département du Meta (centre du pays). « Nous étions un groupe de 36 militants dans notre groupe, 3 ont survécu » assure-t-il. Souriant, le ventre bedonnant et la cinquantaine visiblement entamée, Fernando ne ressemble pas à un miraculé. Pourtant, c’est l’option de rejoindre la guérilla au milieu des années 80 qui lui a permis d’échapper aux tueries et de pouvoir raconter ses souvenirs aujourd’hui.

Le 24 novembre 2016, le gouvernement de Juan Manuel Santos signait un accord de paix historique avec la guérilla des FARC. Commandant en chef depuis l’assassinat de son prédécesseur en 2011 [2], Timoleón Jimenez alias Timochenko mettait fin à 52 années de lutte armée du groupe marxiste. La direction de la guérilla ordonna le regroupement de ses troupes dans plusieurs zones de concentration sous protection des nations unies et des Forces armées colombiennes (26 campements officiels). Ces « espaces » de transition ont pour objectif la réinsertion progressive des guérilleros dans la vie civile à travers le développement d’activités agricoles ou l’incorporation dans le salariat. En matière idéologique, la guérilla maintient le cap et s’est transformée en parti institutionnel afin de tenter (de nouveau) l’expérience de la vie politique « démocratique » au sein du régime représentatif de la République colombienne. Le parti de la « FARC », Force alternative révolutionnaire du commun, s’est substitué au groupe armé. Les sigles « EP » (Ejército del pueblo en espagnol) ont disparu. « Nous ne pouvions pas nier notre origine ni notre organisation » se défend Fernando lorsqu’il répond aux critiques qui reprochent au nouveau parti d’avoir gardé les mêmes acronymes que l’organisation politico-militaire. Fernando est aujourd’hui directeur régional du parti FARC et membre de sa direction nationale. Attablé dans le petit restaurant qu’ont ouvert les anciens combattants dans la zone de regroupement d’Icononzo, au Sud de Bogota dans la région du Tolima, il engloutit son déjeuner et se veut rassurant : « Nous continuons la lutte, mais sous une nouvelle forme d’expression ».

Le dicton dit que l’Histoire se répète ; sans doute que c’est ce que souhaitent bon nombres d’ennemis du processus de paix. Le lundi 30 juillet 2018, en plein après-midi, une dizaine de personnes portant des cagoules ont ouvert le feu dans un billard la petite ville d’El Tarra, dans la région du Catatumbo, au nord-est de la Colombie. 10 personnes sont assassinées (certaines mourront quelques jours plus tard de leurs blessures) [3]. Parmi les victimes, quatre sont officiellement identifiées comme des ex miliciens des FARC réinsérés dans la vie civile. Le motif ? Inconnu. Aucune piste sérieuse plus d’un mois après les faits. Certains parlent d’un règlement de comptes entre groupes armés. Dans la région, deux guérillas s’affrontent pour le contrôle des espaces vacants laissés par les FARC : l’ELN (Armée de libération nationale) et l’EPL (Armée populaire de libération) ; celles-ci ont publiquement nié leur participation au massacre. D’autres signalent la probable action de groupes maffieux ou de narcotrafiquants dont le regain d’activité dans le département ajoute des tensions au sein des communautés paysannes. Ce qui est certain, c’est que la mort des quatre anciens combattants viendra allonger la liste de ex-guérilleros assassinés depuis la signature des accords de paix. Entre novembre 2016 et juin 2018, au moins 76 d’entre eux ont été tués dans tout le pays [4]. Parallèlement, un grand nombre de « leaders sociaux » ou dirigeants syndicaux ont également été assassinés : 311 entre janvier 2016 et le 30 juin 2018, selon l’hebdomadaire Semana [5]. « Qui est en train de les tuer ? » titrait en une le magazine [6]. Remuant de vieux souvenirs dans le pays, les assassinats hantent les débats politiques entre une gauche déterminée à ne pas se laisser enterrer une nouvelle fois et une droite préoccupée à vider les tueries de leur caractère politique. Pour le ministre de la Défense, Luis Carlos Villegas, ces assassinats relèvent de « conflits de voisinage ou des histoires de jupons » [7]. Il affirme qu’aucune organisation n’est en train d’assassiner des dirigeants communautaires. Éditorialiste au journal Semana, Alfonso Cuéllar le clame haut et fort lui aussi : « Tout crime n’est pas politique » et regrette que « questionner ce syllogisme : c’est un assassinat, la victime est un leader social donc elle a été tuée pour cette raison » vous condamne à être vu comme « un réactionnaire inhumain » [8]. Les dirigeants communautaires ne sont pas tués « parce qu’ils ont voté pour des candidats de gauche aux dernières élections, comme prétendent le faire croire certains membres de la nouvelle opposition en Colombie qui, de façon opportuniste, veulent politiser la violence dans le pays » se lamente à son tour le journaliste José Manuel Acevedo dans les pages du même hebdomadaire [9]

« Il est évident que nous allons continuer à mourir » lâche Fernando, sans rire. L’ancien guérillero sait bien que ses adversaires n’ont pas l’intention de jouer le jeu « démocratique » auquel les FARC ont été contraint de se soumettre. Mais pourquoi celui qui, 30 ans auparavant, avait choisi de rejoindre le maquis face à la vague de répression ferait confiance à la paix aujourd’hui ? « Le rapport de force est différent ». Pour Fernando, la présence au second tour de M.Gustavo Petro, candidat de la gauche aux élections de 2018, est le signe d’un changement majeur dans la société colombienne. La situation, pour le camp progressiste, serait selon lui, plus favorable aujourd’hui qu’au milieu des années 80 malgré la persistance des assassinats. A cela s’ajoute « des mécanismes de protection internationales » absents durant le génocide de l’UP mais mobilisables en ce début de 21ème siècle. Quel prix sont prêts à payer les militants communistes de la FARC pour maintenir le pari de leur transformation ? Combien de cadavres ? « Il n’y a pas de ligne rouge » assure Fernando.

Le dicton dit que l’Histoire se répète ; pourtant on ne meurt qu’une fois. Le 20 août 2018, deux anciens membres de la guérilla sont torturés et assassinés dans le département du Cauca, au Sud du pays. La gauche dénonce un abandon de la part de l’État, la FARC alerte sur la fragilisation des accords. Le retour au pouvoir de l’extrême droite colombienne, avec l’élection de M. Ivan Duque comme président de la république en juin 2018, est un élément d’inquiétude supplémentaire pour les révolutionnaires. D’autant plus que le nouveau mandataire s’est publiquement montré hostile aux accords de paix et réticent face aux négociations avec l’ELN, devenu le groupe insurgé le plus important. Dans les zones reculées du pays, pour beaucoup, une « ligne rouge » a été franchie. Plusieurs zones de regroupement des FARC ont enregistré des fuites. Certains combattants sont partis par manque de sécurité mais affirment être toujours inscrits dans le processus de paix. Ils se sont regroupés dans de nouveaux espaces, officieux. « Une fois désarmés, on ne peut pas nous obliger à rester dans ces zones où il n’existe pas de garanties pour notre sécurité ni qui permettent une ré-incorporation » explique l’ancien combattant Olmedo Ruiz à la journaliste Gloria Castrillón [10]. D’autres ont repris le armes et le chemin de la jungle. S’agit-il de simples motivations économiques ? Des raisons politiques ou de survie ? Les analystes spéculent, lancent affirmations et hypothèses, mais il est bien difficile d’identifier les raisons qui poussent chaque groupe dissident à renouer avec la violence. « Le plan pour reformer les FARC ! » titrait de façon racoleuse le magazine Semana durant le mois de Juillet 2018. « Cette une du journal est une faute et est irresponsable » réagissait l’ancien président Juan Manuel Santos tout en rappelant que selon les services de renseignement militaires, rien ne laisse présager un tel dénouement [11]. Tous s’accordent néanmoins à chiffrer le nombre de dissidents à environ 1.400 combattants à l’été 2018. Parmi les foyers les plus actifs, le Catatumbo ( dans le nord est du pays) est le théâtre d’opérations de l’ancien « front 33 » de la guérilla dont une partie importante a refusé d’intégrer le processus de paix. « 322 combattants du Front 33 ont rejoint la zone de regroupement, mais selon les informations de la police et l’armée celui-ci comptait plus de 600 hommes » avance une source citée par le journal La Opinión de Cúcucta [12]. Dans les villages de ce département, des inscriptions sur les façades des maisons et des commerces disent ceci : « FARC EP, 54 ans de lutte ».

Loïc Ramirez

[1Entretien avec « Fernando », ancien membre des FARC-EP, dans la zone de regroupement d’Icononzo (Tolima), juin 2018.

[2Le commandant en chef des FARC-EP, Alfonso Cano, est tué dans une attaque de l’armée colombienne le 4 novembre 2011.

[5Semana, n°1888, du 8 au 15 juillet 2018.

[6Ibid.

[8Semana, n°1888, du 8 au 15 juillet 2018.

[9Ibid.


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