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« Les États-Unis se sont opposés, ont déstabilisé, renversé ou assassiné chaque réformateur progressiste apparu sur la scène politique dans la région depuis plus d’un siècle »

Mohsen Abdelmoumen : Pouvez-vous nous dire quelle est la situation qui prévaut actuellement au Venezuela ?

Dr. María Páez Víctor : Il y a 6 questions clés pour comprendre la situation au Venezuela.

1) Le pétrole : La première chose à comprendre est que tout tourne autour du pétrole. Le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole connues dans le monde dans un emplacement géographique hautement stratégique. Il faut 43 jours pour qu’un pétrolier voyage du Moyen-Orient aux raffineries du Texas, alors qu’il ne faut que 4 jours à partir du Venezuela. Les compagnies pétrolières et les gouvernements qu’elles soutiennent, convoitent le pétrole vénézuélien. Si le pays ne produisait que des mangues, personne ne se soucierait de ce qu’il s’y passe. Le gouvernement vénézuélien a pris le contrôle de sa compagnie pétrolière (PDVSA), a ouvert des contrats de partenariat privé pour l’exploitation pétrolière mais avec l’État qui détient la majorité des parts, leur a fait payer des taxes qui avaient été à 1% pendant 60 ans. Le revenu pétrolier – au lieu d’être distribué aux élites d’entreprises – a été utilisé pour financer les services publics nécessaires qui, pendant des décennies, n’avaient pas réussi à répondre aux besoins de la population.

2) La souveraineté : Un gouvernement qui ne suit pas la ligne des États-Unis, ne se plie pas aux dictatures néolibérales du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, insistant sur le fait que son peuple est souverain et décidera de son propre avenir et aspire à construire une société socialiste et humaniste, ne sera pas toléré par la superpuissance restante. Surtout un pays de la région, que les États-Unis considèrent encore comme leur « arrière-cour ». Comment le gouvernement vénézuélien a-t-il osé nationaliser ses ressources naturelles, sortir son armée de l’infâme École militaire des Amériques et vendre son pétrole à d’autres pays, et non exclusivement aux États-Unis !

3) La guerre économique : Il y a un plan systématique et stratégique conçu par Washington pour priver les Vénézuéliens de nourriture et de médicaments. Ses exécuteurs sont les grandes sociétés, l’élite commerciale et les banques. Cela ne pourrait pas être plus clair. En 1972-1973, les États-Unis, scandalisés par le fait que le Dr. Salvador Allende, un communiste, avait gagné les élections au Chili, ont promis de se débarrasser de lui. Le président Nixon a déclaré : nous allons faire crier l’économie du Chili. Et c’est arrivé. Avant le terrible coup d’État qui a coûté la vie d’Allende, l’économie chilienne était sujette à la thésaurisation, à la rareté induite, à l’inflation, aux manipulations monétaires, au sabotage et à la contrebande. C’est le même scénario au Venezuela mais encore pire. Cela fait maintenant 5 ans de guerre économique, où les élites économiques vénézuéliennes, les laquais des puissances étrangères, sont tellement soutenues financièrement qu’elles peuvent mettre en œuvre la thésaurisation, le sabotage, l’entreposage, la manipulation monétaire, l’exclusion financière et la contrebande.

4) Une élite corrompue et raciste : L’élite du Venezuela contrôlait le gouvernement depuis des années – ils étaient les bénéficiaires de tous les revenus pétroliers. Pendant 40 ans, ils se sont approprié et ont dépensé l’équivalent de 12 plans Marshall. En 1999, lorsque le président Hugo Chávez a été élu, la pauvreté se situait entre 60 et 80% et l’extrême pauvreté et la malnutrition affectaient un tiers de la nation. La révolution bolivarienne du Venezuela a considérablement réduit la pauvreté, la malnutrition et le vagabondage, et a fourni des soins de santé universels et une éducation gratuite de la crèche à l’université. Elle a construit 2 millions de logements sociaux ces dernières années.

L’élite vénézuélienne a montré par sa violence épouvantable dans l’opposition qu’elle est égoïste, vile et raciste, au point de payer des criminels pour mettre le feu aux bâtiments publics, tuer des passants, attaquer une maternité, lancer des grenades à partir d’un hélicoptère sur la Cour suprême, détruire les bus publics et, le plus horrible, de mettre le feu aux jeunes hommes « qui avaient l’air Chavistes », en d’autres termes, qui avaient la peau sombre. Cette élite ne se soucie pas de savoir combien son propre peuple souffre tant que les puissances étrangères ne lui auront pas rendu le gouvernement qu’elle est incapable de gagner aux urnes. Les principaux dirigeants de l’opposition ont parcouru le monde en demandant aux pays puissants de sanctionner et d’isoler diplomatiquement et financièrement leur propre pays, sans se soucier que la nourriture et les médicaments se raréfient.

5) Un excellent processus d’élection : Il est scandaleux, même dans ce climat politique de mensonges et de désinformation, que l’on puisse considérer que le gouvernement vénézuélien n’est pas démocratique et que le président Maduro est un dictateur. En 19 ans, il y a eu 23 élections différentes, toutes surveillées par des témoins nationaux et internationaux et le gouvernement en a gagné la plupart mais en a aussi perdu quelques-unes. Et on retiendra que l’ex-président des États-Unis, Jimmy Carter, a déclaré en 2012 que : « En fait, sur les 92 élections que nous avons suivies, je dirais que le processus électoral au Venezuela est le meilleur au monde. » La protection anti-fraude du système est très efficace car chaque vote a trois garanties : une empreinte digitale, un vote électronique et un reçu papier. De plus, il y a une forte présence d’observateurs nationaux et internationaux. Ironiquement, ni les États-Unis, ni le Canada, ni la plupart des pays européens n’acceptent des observateurs internationaux à leurs élections.

6) Les élections présidentielles le 20 mai 2018 : Les États-Unis et leurs alliés sont impliqués dans la subversion et la disqualification de la démocratie vénézuélienne en discréditant les prochaines élections présidentielles du 20 mai. Après avoir agressivement exigé ces élections, maintenant ils les décrient et exigent qu’elles soient stoppées parce qu’ils savent que la majorité des Vénézuéliens soutiennent leur propre gouvernement.

Dans un exemple étonnant d’hypocrisie de la mentalité coloniale, le Parlement européen a adopté le 3 mai une résolution (492 voix pour, 87 contre, 77 abstentions) exigeant que le Venezuela suspende les élections présidentielles. L’arrogance européenne tend manifestement à exiger qu’un autre pays (même extérieur à l’Europe !) ne respecte pas sa propre loi, ses règlements électoraux et ses arrangements négociés avec les dirigeants de leur opposition.

Les États-Unis, le Canada, l’Union européenne, l’OEA (ndlr : Organisation des États américains) et le soi-disant Groupe de Lima des laquais de l’aile droite des gouvernements de la région sont en train d’attaquer les élections qu’ils avaient réclamées l’année dernière. Les lois vénézuéliennes stipulent que les élections devaient avoir lieu en décembre 2018, mais ils voulaient les élections l’année dernière. Le gouvernement a négocié avec l’opposition en République dominicaine et une date d’avril 2018 a été convenue. L’opposition a demandé plus de temps. Le gouvernement a de nouveau accepté et ils ont arrêté la date du 20 mai 2018.

Maintenant, l’Union européenne dit qu’elle « n’accepte pas » les élections parce qu’il n’y a pas de « garanties », sans préciser ce qu’elles signifient, ils demandent un « retour à l’ordre constitutionnel » sans allusion ni tentative de connaître et de comprendre les lois et la Constitution vénézuéliennes.

En fait, c’est la stratégie d’abstention des États-Unis que les principaux leaders de l’opposition suivent pour que les élections puissent être disqualifiées. Ils ont refusé de se présenter aux élections et exhortent les gens à ne pas voter. Le gouvernement a demandé à maintes reprises à ces partis d’opposition de se présenter aux élections. Ils essaient de diaboliser un système électoral autrement performant. En somme, c’est un montage, un scénario de théâtre pour continuer à diaboliser, contrarier et sanctionner un gouvernement qu’ils souhaitent renverser. Heureusement, l’opposition est divisée et quelques dirigeants se présentent aux élections, malgré les critiques acerbes de leurs propres camarades opposants.

Entretemps, une société de sondage la plus respectée au Venezuela a eu récemment des résultats intéressants liés aux élections présidentielles du 20 mai :

  • 86% de Vénézuéliens rejettent toute intervention internationale dans le pays
  • 70% des Vénézuéliens disent qu’ils vont participer aux élections – c’est une autre défaite pour la section de l’opposition, soutenue par Washington, qui appelle à l’abstention
  • 55% déclarent qu’ils vont voter pour Maduro
  • 11% déclarent qu’ils voteront pour Henri Falcon
  • 2% déclarent qu’ils voteront pour Javier Bertucci
  • 50% déclarent considérer le fonctionnement de l’Assemblée constitutionnelle nationale comme : « Très bon, bon ou normal à bon »
  • 71% considèrent que Maduro va gagner les élections (2 mai 2018, TELESUR)

Il y a une forte confiance que la Démocratie au Venezuela est vivante et bonne, et c’est pourquoi les États-Unis, le Canada, l’Union européenne et ses alliés en ont peur.

En résumé, les Etats-Unis et leurs alliés au Canada et en Europe sont impliqués dans une conspiration visant à renverser le gouvernement démocratique et populaire de Nicolás Maduro parce qu’ils veulent contrôler le plus riche gisement de pétrole du monde qui se trouve au Venezuela et ils veulent un gouvernement servile et obéissant qui acceptera les pots-de-vin et permettra aux États-Unis et à ses multinationales de gouverner et d’opprimer le peuple vénézuélien comme il l’a fait ces 40 dernières années avant le président Hugo Chávez.

Comment expliquez-vous l’acharnement de l’impérialisme US à vouloir déstabiliser tous les gouvernements progressistes d’Amérique Latine ?

Y a-t-il une explication adéquate de la cupidité, des préjugés et de l’orgueil de vouloir dominer le monde ?

Il y a la question des ressources naturelles dont les États-Unis ont besoin pour leur capitalisme vorace. Ils ont épuisé ou ont perdu des ressources en raison du manque de protection de l’environnement et du consumérisme effréné. La région latino-américaine étincelle avec des richesses incalculables – un autre El Dorado pour ce « capitalisme sauvage » comme Chavez l’a appelé.

La quête de pouvoir des États-Unis est masquée par l’idée de son « exceptionnalisme », semblable à l’adoption par l’Empire britannique du « fardeau de l’homme blanc » comme prétexte pour opprimer les autres nations. Il existe un historique, une preuve évidente, que les États-Unis se sont opposés, ont déstabilisé, renversé ou assassiné chaque réformateur progressiste apparu sur la scène politique dans la région depuis plus d’un siècle. Leurs politiques agressives remontent au XIXe siècle quand ils ont ouvertement volé au Mexique, par les guerres et la duplicité, 50% de ses terres du Sud-Ouest actuel qui comprennent la Californie, le Texas, le Nouveau-Mexique, l’Arizona, le Nevada, l’Utah, le Colorado, le Wyoming, le Kansas et l’Oklahoma. La Doctrine Monroe est un document de colonialisme flagrant dans lequel les États-Unis s’attribuent la « protection » de la région. La création de l’Organisation des États américains est l’instrument par lequel les États-Unis ont manœuvré pour imposer leurs politiques à la région et ont donné à la sinistre École des Amériques les moyens par lesquels ils contrôlaient les forces armées des différents pays. Le FMI et la Banque mondiale sont devenus le leurre venimeux par lequel leurs économies ont été prises au piège de l’usure. L’acharnement des États-Unis est un mélange de cupidité – en voulant leurs ressources naturelles et leur expansion pour leurs sociétés capitalistes – et aussi de préjugés. Leur propension raciste remonte très profondément dans la culture et l’histoire des États-Unis. Les restes de leur guerre civile sanglante restent visibles aujourd’hui dans le traitement des citoyens noirs, qui sont emprisonnés de manière disproportionnée et tués par la police. Les personnes noires et brunes d’Amérique latine et des Caraïbes semblent être considérées comme des êtres inférieurs. Récemment, le président Trump a qualifié les Mexicains de criminels et de violeurs et les nations africaines de « trous à rats ».

Quelle est votre analyse à propos de la destitution de Dilma Roussef et de l’emprisonnement de l’ancien président Lula ? A votre avis, est-ce un hasard qu’on emprisonne le président Lula alors que tous les sondages le donnaient vainqueur lors des futures élections brésiliennes ? Ne pensez-vous pas qu’il s’agit d’une vulgaire manipulation et d’un complot ?

Nous assistons à la corruption du cadre même de la démocratie, comme nous l’avons compris jusqu’à présent. C’est ce qu’on appelle une guerre juridique par laquelle le Parlement et les pouvoirs judiciaires sont manipulés de manière à éliminer les opposants politiques et à se moquer des préférences électorales d’un peuple. C’est ainsi que Dilma Rousseff, Lula et Cristina Fernandez ont été écartés. Ils essaient de faire la même chose à Rafael Correa qui, même hors du pouvoir, est considéré comme une menace. Ils essaient de faire la même chose au président Maduro en organisant des procès extraterritoriaux ridicules en essayant de manipuler les lois internationales. Rien de tout cela n’a à voir avec la justice ou la démocratie, mais pour éliminer les puissants opposants politiques par d’autres moyens que les élections parce que la droite ne peut pas obtenir le vote populaire. Leur sectarisme, leur étroitesse d’esprit, leurs « mesures d’austérité » pour réduire l’État-providence sont autant de questions qui ne poussent pas les gens à voter pour eux, à moins, bien sûr, de mentir sur ce qu’ils ont l’intention de faire (comme Macri et Lenin Moreno).

La guerre juridique tord et déforme la primauté du droit, ce qui est une chose très dangereuse à faire. Ces partisans de la droite ne respectent pas les règles de la démocratie représentative. Afin de contrôler l’administration gouvernementale, ils sont prêts à frapper les piliers de l’État lui-même. Dans leur corruption, en fonction de leurs ambitions, ils discréditent le Pouvoir Judiciaire et le Pouvoir Législatif. Cela conduira inévitablement l’aile gauche et le gouvernement progressiste (et ils reviendront au pouvoir) à réécrire les règles de la démocratie en renforçant la Démocratie Participative, en démocratisant les banques et les médias qui se sont prostitués sur l’autel de la servilité débridée devant les puissants et en mettant en œuvre de nouvelles lois créatives pour protéger les droits de l’homme et la volonté du peuple.

Comment expliquez-vous le fait que l’extrême-droite revient en force en Amérique Latine, notamment au Brésil et en Argentine, après avoir eu des gouvernements progressistes ?

Certains gouvernements progressistes, notamment le Brésil, l’Argentine et même l’Équateur, pensaient que la victoire aux élections politiques était suffisante. Ils jouaient avec un jeu de cartes dont ils ne se rendaient pas compte qu’il était marqué contre eux. Le pouvoir de l’aile droite (et de leurs soutiens étrangers) a été sous-estimé, et l’influence étrangère n’a pas été vérifiée. Par exemple, en dépit du fait que le personnel de l’ambassade des États-Unis rencontre l’opposition, la récompense et la finance, peu de choses ont été faites pendant de nombreuses années. Des consultants étrangers et des fonds étrangers ont été acheminés vers des ONG d’opposition. Rien de tout cela n’aurait été toléré aux États-Unis, au Canada ou en Europe. Au Brésil, le changement politique sous Lula n’a pas été reflété dans les changements structurels juridiques, comme ils étaient au Venezuela, et une forte alliance avec les mouvements sociaux a été défectueuse.

L’une des premières choses que le président Chávez a faite a été d’appeler à une nouvelle Constitution qui était cruciale pour réaliser le genre de changement dont le pays avait besoin. De même, au Venezuela, les mouvements sociaux de toutes sortes (indigènes, agraires, culturels, étudiants, centrés sur le genre, travailleurs, etc.) ont été incorporés comme acteurs sur la scène politique, ce qui a conduit à une profonde « conscientisation » (comme le célèbre éducateur brésilien Paulo Freire aurait dit) dans lequel un peuple prend conscience de son oppression, de sa situation dans le domaine politique et de commencer à agir comme une classe unie à elle-même (comme Marx l’aurait dit). Cela s’est moins produit dans les autres pays où la droite est revenue au pouvoir. Mais l’expérience et la nécessité sont de grands enseignants, et les gens dans les pays où la droite a aujourd’hui le contrôle prendront bientôt une autre direction.

La vérité est que ce sont les gouvernements de gauche qui rétablissent très souvent les droits de l’homme et protègent la démocratie dans la région. Les gouvernements de droite en Amérique latine sont incapables de contrôler le vote populaire et sont arrivés au pouvoir par la corruption (Pérou, Colombie, Panamá), la fraude (México), le coup d’État (Honduras) et les coups d’État parlementaires et juridiques (Brésil, Paraguay). Macri et l’Équateur sous Moreno sont les seules exceptions, car ils ont clairement remporté les élections, mais certains diraient en masquant leurs intentions réelles. Nous verrons une nouvelle « marée rouge » et plus tôt que tard dans la région, car une fois que les gens auront goûté à la souveraineté, ils ne reviendront probablement pas à leurs chaînes.

Nous avons des informations sur la présence d’éléments terroristes de Daech qui seront utilisés contre ce qui reste de gouvernements progressistes en Amérique Latine, par exemple le Venezuela. Avez-vous des informations à ce sujet ?

Je n’ai pas d’informations personnelles, seulement ce que m’ont dit les gens le long de la frontière avec la Colombie : le danger de raids continus par des paramilitaires, le meurtre de dirigeants communautaires par ces tueurs payés, et la contrebande organisée flagrante qui s’y produit. La Colombie a une histoire terrifiante de violence, de meurtres et de massacres. La semaine dernière, des fosses communes avec 9000 corps ont été trouvées dans ce pays. La coopération de l’armée colombienne avec les mafias paramilitaires et narcotrafiquantes est légendaire. Et avec sept bases militaires américaines en Colombie, il n’est pas du tout improbable qu’il y ait des plans pour déclencher la terreur au Venezuela afin de renverser le gouvernement. Selon le président colombien Santos, 3000 soldats colombiens sont actuellement envoyés à la frontière, prêts pour une intervention « humanitaire » au Venezuela. Si une invasion survient, il y aura une guerre à grande échelle et elle engloutira la région.

Une nouvelle importante que la presse mondiale a refusé de publier est que le rapporteur officiel indépendant des Nations Unies, le professeur Alfred M. Zayas, a déclaré il y a quelques semaines qu’il n’y avait pas de « crise humanitaire » au Venezuela malgré les reportages et les généralisations. « … la population ne souffre pas de la faim comme dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie – ou même dans les favelas de São Paolo et d’autres zones urbaines du Brésil et d’autres pays latino-américains … la « crise humanitaire » peut être facilement exploitée pour justifier un « changement de régime », sous prétexte que le gouvernement laisse la population mourir de faim. Certains États prétendent que le gouvernement vénézuélien ne peut plus garantir les droits du peuple. Par conséquent, une crise humanitaire a émergé et maintenant ils veulent intervenir militairement pour « sauver » le peuple vénézuélien d’une expérience socialiste ratée. » (venezuelanalysis.com/analysis/13614)

J’ai interviewé son Excellence l’ambassadrice du Venezuela auprès de la Belgique et de l’Union européenne, Madame Claudia Salerno Caldera, et je l’ai interrogée sur l’éventualité d’une intervention militaire américaine au Venezuela. Elle m’a répondu par l’affirmative. Pensez-vous que les USA peuvent intervenir militairement contre le gouvernement légitime du président Maduro ?

Avec un tel déséquilibré à la Maison Blanche, toute imprudence est possible. Cependant, je pense qu’ils utiliseraient des troupes colombiennes et peut-être du Brésil et de la Guyane. Pourquoi risquer vos propres soldats quand vous avez de la chair à canon à votre disposition auprès de gouvernements aussi avides et avilis ?

Cependant, la Colombie organise des élections présidentielles le 27 mai, soit 7 jours après les élections vénézuéliennes (20 mai). Cela signifie que le gouvernement colombien ne peut pas envahir le Venezuela avant cette date de peur de risquer sa campagne électorale, ce qui n’est pas bon pour le gouvernement. De même, il y a des millions de Colombiens qui se sentent favorables à un Venezuela qui a si bien traité leurs 2 millions de compatriotes qui y résident maintenant. Ainsi, une incursion colombienne à l’intérieur du Venezuela risque également de provoquer de graves troubles intérieurs pour le gouvernement, ce qui a certainement empêché la Colombie d’entrer au Venezuela pendant toutes ces années.

L’armée colombienne est de trois fois la taille de l’armée vénézuélienne. Elle est expérimentée dans la guerre car elle combat les guérillas depuis 50 ans, et elle dispose de ressources et d’armes à travers les sept bases de l’armée américaine qui y sont stationnées. Cependant, c’est en grande partie une armée démoralisée qui n’a pas le quart du moral et la détermination de l’armée du Venezuela, l’armée de Bolívar. Et quiconque connaît les questions militaires vous dira que le moral d’une armée est essentiel au succès. En outre, le Venezuela a un peuple uni, inspiré et très fier qui défendra farouchement ses terres.

Le gouvernement vénézuélien n’est pas seul ; il a le soutien de nombreux pays non alignés, et non des moindres, de la Chine et de la Russie, la plupart des Caraïbes, y compris, bien sûr, Cuba. La Russie et la Chine ont toutes deux mis en garde les Etats-Unis de ne pas interférer dans le gouvernement du Venezuela. Leurs investissements au Venezuela sont substantiels et ils ne seraient pas prêts à voir le Venezuela envahi. Ces investissements sont très bien accueillis par les pays latino-américains car ils ne viennent pas avec des « conditions contraignantes » de politique comme les investissements du FMI et de la Banque mondiale. Ils sont un autre problème douloureux pour les États-Unis.

Comment expliquez-vous les sanctions que les États-Unis et l’Union Européenne veulent imposer au gouvernement légitime du président Maduro ?

Les sanctions américaines font partie de leur guerre économique contre le Venezuela. Elles sont une violation du droit international : elles sont contre les chartes de l’ONU et de l’OEA (ndlr : Organisation des États américains), contre le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, civils et culturels et constituent un crime contre l’humanité parce qu’elles créent intentionnellement la souffrance du peuple. En bref, elles sont immorales car elles empêchent le pays d’acheter de la nourriture et des médicaments.

Les gouvernements canadien et européen s’inclinent honteusement devant le président le plus ignorant et le plus vénal des États-Unis. Le Venezuela ne signifie rien pour ces pays, alors ils pensent : » Laissons à Trump sa marotte et laissons-lui le Venezuela. Ces sanctions ne nous affectent pas du tout, et peut-être que nous pourrons obtenir le « bon » côté de Trump. » Pathétiquement, ils pensent qu’il a un bon côté. Le Canada se donne un mal fou pour plaire à Trump afin qu’il ne jette pas l’accord de l’ALENA à la poubelle et l’Union européenne continue de penser que Trump est un allié respectable. On pourrait s’attendre à ce que des alliés, des gouvernements favorables aux États-Unis comme ceux-ci essaient d’influencer un président néophyte et erratique des États-Unis vers une coexistence pacifique avec d’autres pays. Ils devraient apprendre la dignité et la droiture des nations des Caraïbes au lieu de complimenter la brute en lui tapant dans le dos.

D’après vous, l’impérialisme US et ses larbins cesseront-ils un jour de vouloir déstabiliser des pays et imposer leurs diktats aux peuples ?

À court terme, sous cette administration Trump, non. Cependant, à long terme, quand leur déficit de plusieurs milliards de dollars frappera enfin le mur et qu’ils verront que le dollar n’est plus la monnaie universelle du commerce, ils pourraient se relâcher car leurs problèmes intérieurs seront prioritaires au lieu d’essayer de dominer d’autres terres. Ce que je souhaite pour le peuple des États-Unis, c’est un leader, un parti, un gouvernement, qui s’occupera de leurs besoins en matière d’éducation, de santé et de logement, qui se rendra compte qu’être le gendarme du monde ne vaut pas leur souffrance et que la coopération et la solidarité avec les peuples du monde récolteront beaucoup de richesses dont ils ignorent l’existence. Pour cela, ils doivent arriver à la conclusion que leur complexe militaro-industriel ne leur a apporté que le mal, la dépression, la pauvreté, la mort et le mépris de la majeure partie du monde.

J’ai été très impressionnée que Bernie Sanders ait été capable d’attirer les jeunes d’une manière politique significative, et le fait qu’il a rendu le mot socialisme acceptable sur la scène politique américaine – c’est un véritable exploit ! Alors peut-être qu’il y a encore de l’espoir pour les États-Unis – et le monde.

Que reste-t-il de crédibilité à ces médias au service de l’impérialisme qui sont financés par les multinationales et qui passent leur temps non pas à dire la vérité mais à diffuser de l’intox et à relayer la propagande de l’impérialisme pour destituer des pouvoirs politiques légitimes comme celui du président Maduro ?

Ce n’est pas un problème si compliqué, il suffirait que des gouvernements courageux démantèlent les conglomérats médiatiques, interdisent ces monopoles. Si cela se produit, nous pouvons avoir de nombreux médias, des penseurs indépendants, un journalisme créatif, et enfin, une presse qui a de vraies normes et réglementations. En d’autres termes, nous avons besoin de la démocratisation de la presse, en la dissociant des grandes sociétés, des Murdoch et d’autres de ce monde. Lorsque très peu de gens possèdent des journaux, la télévision et la radio, quand ce sont les grandes entreprises qui décident ce que nous entendons et apprenons, nous devenons asservis à leurs fausses informations et leurs contrevérités pour le bénéfice de leurs intérêts économiques et politiques. Nous sommes confrontés à de vagues notions de « droit de savoir » et de « liberté de la presse » qui ne fonctionnent que dans un seul sens.

Le Venezuela a été clairement victime d’une campagne médiatique de mensonges et d’exagérations pour dénigrer un gouvernement que le Département d’État américain veut détruire. Ainsi des histoires de « Vénézuéliens mangeant des animaux du zoo » « des gens tuant des chevaux », « des mères abandonnant des enfants au bord de la route », « les gens meurent de malnutrition », « les peuples indigènes apprennent l’arabe » (comme si c’était un crime), « Maduro veut être président à vie » sont tous des mensonges élaborés qui sont présentés comme des faits.

Lorsque le président Chavez a été confronté à l’opposition ouverte et militante de la principale chaîne de télévision et de radio de son pays qui est une propriété privée, il ne les a pas fermés (comme un dictateur l’aurait fait). Il a octroyé les moyens par lesquels des centaines de quartiers pauvres et de conseils communaux ont pu établir leurs propres stations de radio locales et même des stations de télévision, où les gens pouvaient exprimer leurs propres préoccupations, créer leurs propres programmes qui les intéressaient vraiment. C’était un moyen de démocratiser les médias. Ce ne sont pas des médias contrôlés par le gouvernement, ce sont de véritables médias communautaires indépendants, en effet, ils n’hésitent pas à critiquer et à signaler les lacunes de l’administration.

L’impérialisme US et ses alliés continuent à nous gaver avec « les droits de l’homme », « la démocratie » et la « liberté d’expression », alors qu’ils font l’inverse en déstabilisant des pays et en intervenant partout dans le monde. Comment qualifiez-vous ces actes hostiles qui visent des États souverains ? À votre avis, les États-Unis sont-ils une vraie démocratie où le peuple détient le pouvoir, ou bien est-ce plutôt une minorité qui dirige ?

Au Canada, nous recevons, sans l’avoir sollicité, le New York Times avec l’édition dominicale de l’un de nos principaux journaux. Depuis, je suis consternée par les mensonges du NYT au sujet du Venezuela, la seule partie que je lis est son encart du Sunday Book Review. Il y a une semaine, ils ont passé en revue 4 livres, qui avaient tous une variante du titre : ce qui ne va pas avec la démocratie aux USA. Ainsi, ce ne sont pas seulement certains d’entre nous, en dehors des États-Unis, qui ont observé la détérioration constante de leur vie sociale et politique, mais des gens réfléchis et intelligents des États-Unis qui constatent et ressentent cette détérioration.

L’Idole de guerre imprègne cette société avec ses guerres de conquête, ses bombes et ses drones, ses prisons secrètes, son acceptation de la torture, son traitement révoltant des Noirs et des Hispaniques, sa position prédatrice envers la Nature, sa culture des armes à feu, son record honteux d’emprisonnement, sa faible participation électorale, ses massacres aux armes à feu, son industrie de l’armement, sa violence, et son industrie du divertissement obsédée par le sexe, tout cela use petit à petit le sain, le positif, les idéaux affirmant la vie qui peuvent flotter dans l’imagination collective et le désir des citoyens américains. Sa démocratie, et le tissu même de leur vie sociale en tant que nation, est un objet d’inquiétude même pour ses citoyens. Les États-Unis arrivent à un carrefour où ils devront choisir entre un mode de vie qui adore la Mort et la Conquête ou celui qui adore la Vie et la Paix.

L’heure est grave. Je suis Algérien et mon pays qui est un allié du Venezuela est visé par différents cercles occultes liés à l’impérialisme. Ne pensez-vous pas que des pays comme l’Algérie, le Venezuela, Cuba, etc. doivent constituer un front commun plus que jamais nécessaire pour la sauvegarde de leur souveraineté ? N’y a-t-il pas nécessité d’un front mondial contre l’impérialisme ?

Absolument, et ne pensez pas que cela n’arrive pas. Le Venezuela a cultivé des liens solides avec Cuba, la Bolivie, le Nicaragua, les Caraïbes, de nombreux pays africains et ex-soviétiques, l’Algérie et d’autres pays arabes, l’Inde, la Chine et la Russie. Voyez les votes à l’ONU et à l’OEA où les États-Unis n’ont pas réussi à condamner le Venezuela parce qu’ils ne peuvent pas obtenir les votes.

Il y a quelques jours à peine, le nouvel ambassadeur des États-Unis auprès de l’OEA, Carlos Trujillo, menaçait avec la plus grande arrogance les pays des Caraïbes pour leur soutien au Venezuela : « nous ne permettrons pas aux Caraïbes de bloquer les efforts de la majorité des pays de la région pour faire pression sur le gouvernement du Venezuela » (2018/05/18 apporea.com).

Il y a de la force dans l’unité et ces pays partagent des défis similaires et affrontent pratiquement les mêmes ennemis. L’organisation ALBA est un excellent exemple de solidarité internationale créative, dans laquelle les pays se regroupent pour fabriquer les médicaments dont ils ont besoin, promouvoir l’agriculture pour leurs consommations domestiques et répondre à leurs besoins éducatifs. PETROCARIBE est un autre exemple de solidarité internationale créative dans laquelle le pétrole vénézuélien est disponible pour les petits pays des Caraïbes sous conditions spéciales. Je souhaite plus d’organisations comme ALBA et PETROCARIBE.

Israël continue à tuer les Palestiniens notamment lors des manifestations récentes réclamant le droit de retour. Comment se fait-il qu’Israël reste impuni pour les nombreux crimes qu’il continue à commettre ?

Je n’ai pas d’idée particulière sur le Moyen-Orient, je ne connais pas l’arabe, je ne connais pas personnellement la région, je n’ai pas plus d’informations que ce que j’ai lu dans les médias. Et je me méfie tellement de ce qu’il y a à lire : si la presse ment au sujet de l’Amérique latine dont je connais tant de choses, ne mentira-t-elle pas sur une région dont je connais si peu ?

Cependant, mon opinion personnelle et en aucun cas celle d’un expert, c’est que soit vous tuez votre ennemi ou soit vous vous asseyez avec lui et vous négociez. Il n’y a pas de voie médiane. La violence engendre la violence et c’est un truisme avisé. Les Palestiniens qui souffrent depuis longtemps ont fait les frais d’un voisin très puissant. Je suis désolée, mais je n’en sais pas assez sur la situation pour donner une idée plus profonde, sauf qu’une solution à deux États semble être ce qui peut apporter la paix avec la justice. Et qu’en Israël, le mouvement de paix là-bas devra être un élément clé de cette solution politique pour faire pression sur leur propre gouvernement.

Comment expliquez-vous qu’à chaque fois que des résistants et des Justes soutiennent la cause du peuple palestinien, ils sont qualifiés d’antisémites ?

C’est une injure qui est très dangereuse à lancer car nous connaissons tous l’effroyable mort et la destruction que de vrais antisémites ont commis historiquement en Europe. D’un autre côté, il y a des gens qui accusent les autres d’être des sionistes quand ils ne sont pas d’accord sur un point qu’ils n’aiment pas. Ce sont des insultes ad hominem que les gens médiocres utilisent quand ils n’ont plus d’arguments. Dans une situation polarisée, ces insultes n’aident personne et ne contribuent pas à trouver des solutions et sont assez méprisables. Nous vivons à une époque où – impensable – les fascistes se lèvent dans toutes sortes de pays, les charlatans politiques se moquent des valeurs que nous pensions être universellement tenues, un temps pour les tweets irresponsables, des courriels lâches, des projections de boue sans se soucier de l’endroit où elle atterrit, et d’un journalisme médiocre et sans discernement. Mais nous devons nous élever au-dessus de tout cela, maintenir nos principes et nos valeurs, refuser de jouer à leurs jeux sales, donner l’exemple et préserver notre propre dignité.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est María Páez Víctor ?

Le Dr. Maria Páez Victor est une sociologue, née au Venezuela et éduquée à Caracas, New York, Mexico, en Angleterre et au Canada. Pendant plusieurs années, elle a enseigné la sociologie de la santé et de la médecine ainsi que les politiques en matière de santé et d’environnement à l’Université de Toronto. Le Dr Páez Victor a une expérience nationale et internationale dans l’analyse des politiques et l’évaluation de l’impact de l’environnement et de l’énergie, avec une expertise dans les domaines de la santé. Elle est un membre actif de la communauté latino-américaine au Canada.

Elle a administré les Bourses de développement de l’énergie durable, un programme international de bourses d’études supérieures des entreprises d’énergie du G8, de 2002 à 2011. Conférencière à l’Université de Toronto, elle donne des cours de sociologie de la santé et de la médecine ; des cours sur les politiques de santé et d’environnement à temps partiel, de 1992 à 1996 et de 2003 à 2005. Elle a obtenu son doctorat (Sociologie) à l’Université York, Toronto, Canada en 1987. Elle a été volontaire, à l’hôpital Mater Misericordia de Nairobi, au Kenya, de 1985 à 1987.

Published in American Herald Tribune, May 19, 2018 : https://ahtribune.com/world/americas/2264-maria-paez-victor.html 

»» https://mohsenabdelmoumen.wordpress...
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