Dans tous les types de gouvernement, rien ne provoque un ralliement derrière le leader de manière plus rapide, irréfléchie ou efficace qu’une guerre. Donald Trump peut constater à quel point c’est vrai, alors que les mêmes dirigeants de l’establishment et des médias US - qui ont passé des mois à le dénoncer comme mentalement instable, un autoritaire inepte et une menace sans précédent pour la démocratie - sont maintenant en train de l’applaudir après avoir largué des bombes sur des cibles du gouvernement syrien.
Jeudi soir, Trump a ordonné une attaque qui selon le Pentagone fut réalisée par le lancement de 59 missiles Tomahawk qui « visaient des avions, des hangars blindés, des entrepôts de stockage et des sites logistiques, des stocks de munitions, des systèmes de défense aérienne et des radars ». Le gouverneur de Homs, la province syrienne où l’attaque s’est produite, a déclaré tôt ce matin que les bombes avaient tué sept civils et blessé neuf autres.
Le Pentagone a déclaré que l’attaque fut lancée « en représailles contre le régime de Bashar Assad qui utilise des gaz toxiques pour attaquer son propre peuple ». La Syrie et la Russie nient avec véhémence que les militaires syriens utilisent des armes chimiques.
Interrogé à ce sujet hier par Joanna Slater du Globe and Mail, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a demandé une enquête pour déterminer ce qui s’est réellement passé avant qu’une action soit envisagée, en citant ce qu’il appelle « des questions en suspens sur l’identité des coupables ».
Mais l’hystérie de guerre US n’attend pas. Une fois que le raz-de-marée de la frénésie de guerre US se déchaîne, il est inadmissible d’interroger le casus belli. Demander des preuves concluantes avant de bombarder est vilipendé comme une marque de sympathie et un soutien au méchant (de la même manière que demander des preuves des accusations contre la Russie vous convertit instantanément en « agent » ou « larbin du Kremlin »).
Que le gouvernement syrien ait délibérément utilisé des armes chimiques pour bombarder des civils est devenu une vérité absolue dans le discours US en moins de 24 heures - même si elle a été rejetée dans plusieurs capitales à travers le monde, même si Trudeau a demandé une enquête, et même si Susan Rice s’est félicitée il y a deux mois sur (la radio) NPR : « Nous avons réussi à faire en sorte que le gouvernement syrien abandonne volontairement et de manière évidente son stock d’armes chimiques ».
Quoi qu’il se soit réellement passé, le gouvernement syrien a tué des centaines de milliers de personnes au cours des cinq dernières années dans ce qui a commencé comme un soulèvement citoyen dans l’esprit du printemps arabe, puis s’est transformé en une guerre de procuration complexe impliquant des combattants étrangers, de multiples puissances régionales, Daech, Al-Qaïda et la Russie.
La CIA a dépensé plus d’un milliard de dollars par an pour armer les rebelles anti-Assad depuis des années, et les États-Unis ont commencé à bombarder la Syrie en 2014 - le 7ème pays majoritairement musulman bombardé par Obama - et de façon continue. Trump avait déjà escaladé cette campagne de bombardement, qui a abouti à une frappe le mois dernier qui, selon les Syriens, a détruit une mosquée et tué des dizaines de personnes. Ce qui est nouveau avec cette nouvelle attaque, c’est que, plutôt que de cibler les sites terroristes d’ISIS et d’Al-Qaïda, la cible est le gouvernement syrien - quelque chose qu’Obama avait menacé de faire en 2013 mais sans passer à l’acte.
Les principaux démocrates du Congrès - y compris le chef de la minorité du Sénat, Chuck Schumer et le leader minoritaire de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi - ont rapidement fait l’éloge des bombardements de Trump tout en formulant des réserves quant à la procédure suivie. Quelques heures avant le déclenchement des bombardements, lorsque l’intention de Trump fut connue, Hillary Clinton - qui a critiqué Obama depuis des années pour ne pas avoir attaqué Assad - est apparue lors d’un événement et a offert son soutien catégorique à Trump.
La Maison Blanche indique qu’il s’agissait d’une frappe limitée, visant à punir Assad pour son utilisation d’armes chimiques, plutôt qu’une nouvelle guerre pour le renverser. Mais une telle agression, une fois lancée, est souvent difficile à contenir. Les gouvernements russe et iranien, tous deux favorables à Assad, ont dénoncé avec virulence la décision de Trump, tandis que le porte-parole de Poutine parlait d’un « coup sévère » contre les relations entre les États-Unis et la Russie. La Russie a déjà annoncé des représailles sous la forme de suspensions d’accords de coopération.
Même en l’absence d’escalade, il y aura des implications multiples de l’emploi de force militaire par Trump contre le gouvernement syrien. Pour l’instant, voici dix points critiques.
1. Les nouvelles guerres vont toujours renforcer Trump : comme elles le font pour chaque dirigeant.
L’élévation instantanée de Trump en un chef de guerre crédible et respecté était palpable. Déjà, le New York Times s’extasie « en lançant une frappe militaire après seulement 77 jours au pouvoir, le président Trump a l’opportunité, mais pas forcément la garantie, de changer la perception d’une confusion qui règne dans son administration ».
Les dirigeants politiques de tous bords se sont précipités pour faire l’éloge de Trump et soutenir sa campagne de bombardement. La couverture médiatique était extrêmement positive. Un porte-parole attitré de l’establishment l’a noté avec justesse :
Les nouvelles guerres déclenchent le pire chez les gens : leur chauvinisme, leurs loyautés tribales, leur instinct de se soumettre à l’autorité et aux dirigeants. L’incitation à l’oeuvre ici est aussi évidente qu’effrayante : de grandes récompenses attendent les dirigeants politiques qui déclenchent de nouvelles guerres. Dans Federalist 4, John Jay a mis en garde contre tous les avantages personnels qu’un dirigeant obtient dès le début d’une nouvelle guerre, raison pour laquelle il était censé être difficile pour les présidents US de les déclencher :
Ce n’est que trop vrai, aussi déshonorant que cela puisse paraître pour la nature humaine, que les nations en général feront de la guerre chaque fois qu’elles auront la possibilité d’en retirer quelque chose ; De plus, les monarques absolus feront souvent la guerre quand leurs nations ne veulent rien obtenir, uniquement pour des buts et des objets purement personnels, comme la soif de gloire militaire, la vengeance pour des affronts personnels, l’ambition ou pour renforcer ou soutenir leur famille ou groupe de partisans particuliers. Ceux-ci et une variété d’autres motifs, qui affectent uniquement l’esprit du souverain, le conduisent souvent à s’engager dans des guerres non consenties par la justice ou la voix et les intérêts de son peuple.
En lançant des bombes, Trump va connaître le respect tant recherché de l’establishment et des médias, et éprouver la sensation de puissance qui lui manquait. Avec de telles incitations perverses, n’importe qui, et a fortiori Trump, serait tenté de poursuivre la guerre. En effet, Trump lui-même a longtemps été conscient de cette motivation, car il a accusé Obama en 2012 de se préparer à lancer une nouvelle guerre en réponse à sa chute dans les sondages :
Ceux qui s’alignent derrière Trump lorsqu’il bombarde des gens veilleront à ce qu’il continue à le faire. Comme démontré par la popularité instantanée de George-W. Bush au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, ceux qui louent Trump pour avoir bombardé la Syrie sont aussi en train de lui tailler un costume de général pour qu’il devienne plus fort pour tous ses autres projets.
2. La rhétorique belliqueuse des Démocrates ne leur laisse aucune capacité - ou désir - de s’opposer aux guerres de Trump.
Les Démocrates ont passé des mois à employer une rhétorique extrêmement nationaliste et militariste. Ils ont constamment accusé Trump d’être un traître aux États-Unis, une marionnette de Poutine qui ne voulait pas défendre les intérêts des États-Unis. Ils ont spécifiquement tenté d’exploiter les crimes d’Assad en reliant le dirigeant syrien à Trump, en insistant sur le fait que Trump ne confronterait jamais Assad parce que cela provoquerait la colère de ses maîtres du Kremlin. Ils ont adopté un cadre de pensée dans lequel celui qui refuse de confronter Poutine ou Assad est considéré comme un sympathisant ou un serviteur d’ennemis étrangers.
Après avoir adopté ces tactiques et déployé ces thèmes, les Démocrates se sont retrouvés acculés dans un coin. Que peuvent-ils faire d’autre sinon applaudir lorsque Trump bombarde la Syrie ? Rien. C’est donc exactement ce qu’ils font.
Pendant des mois, ceux d’entre nous qui ont exhorté au scepticisme et à la retenue devant la rhétorique anti-russe ont mis en évidence le risque que cette obsession à le dépeindre comme une marionnette du Kremlin puisse pousser Trump - l’attirer ou même le forcer - à chercher une confrontation avec Moscou. Certains Démocrates ont réagi avec force hier à la suggestion que leurs tactiques politiques ont porté leurs fruits, mais c’est ainsi que fonctionne la politique.
Tout comme George H.W. Bush (père – NdT) fut motivé pour corriger son image de « gringalet » en envahissant le Panama, Trump sera évidemment motivé pour prouver qu’il n’est pas contrôlé par Poutine par le biais d’un chantage, en cherchant une confrontation avec le dirigeant russe. Et c’est exactement ce qu’il vient de faire. La guerre est l’arme classique que les présidents US utilisent pour montrer qu’ils sont forts, patriotiques et méritent le respect ; Plus ces attributs sont mis en doute, plus la tentation de prouver le contraire devient grande :
Trump est l’auteur principal de ses guerres et de ce bombardement en Syrie. Lui, et lui seul, en assume la responsabilité principale. Mais Trump n’évolue pas dans une bulle ; Il évolue dans le climat de Washington. Une raison majeure pour laquelle il est si dangereux d’agiter la tension rhétorique entre deux grandes puissances nucléaires est la facilité avec laquelle ces tensions peuvent se traduire par un conflit réel, et la motivation qu’elle peut créer pour Trump d’utiliser la guerre pour prouver qu’il est bel et bien un patriote.
Quoi qu’il en soit, les Démocrates – à quelques rares exceptions, comme le Représentant Ted Lieu et la Représentante Tulsi Gabbard - se sont abstenus de critiquer le bombardement de Trump sur le fond (par opposition aux problèmes de procédure). En effet, les dirigeants du Parti Démocratique ont explicitement salué la bombardement. Ils devront continuer à le faire même si Trump étend cette guerre. C’est ce en quoi le Parti Démocrate s’est transformé ; c’est même ce qu’il est devenu depuis longtemps déjà.
3. En temps de guerre, les télévisions US se convertissent instantanément en médias d’Etat.
Comme toujours dans une telle situation, les médias US la nuit dernière exhibaient un mélange d’excitation et de révérence lorsque les bombes se sont mises à tomber. Toutes les voix qui expriment un désaccord avec les bombardements – un désaccord de fond - ont presque toutes disparu, comme toujours dans ces moments de patriotisme exacerbé (Chris Hayes, de MSNBC, a reçu deux invités, après minuit, qui s’y opposaient, mais ils étaient rares). Les déclarations du gouvernement et de l’armée US sont immédiatement investies d’une vérité et d’une précision incontestées, alors que les déclarations d’adversaires étrangers comme la Russie et la Syrie sont négligemment méprisées comme des mensonges et de la propagande.
Après toute l’hystérie récente autour de RT présenté comme un outil de propagande de l’état russe, la couverture médiatique aux États-Unis est à peine distinguable en temps de guerre (ce qui, pour les États-Unis, est un état permanent). Une analyse plus approfondie de la couverture médiatique de la nuit dernière sera certainement effectuée, mais en attendant, voici Brian Williams - dans toute la splendeur de sa vénération envers l’armée – et qui montre comment fonctionne la télévision d’État aux États-Unis :
Et voici Fareed Zakaria déclarant sur CNN que Donald Trump a été instantanément transformé en président des États-Unis dans tous les sens les plus régaliens et nobles du terme :
4. Le bombardement de Trump est illégal, mais les présidents sont maintenant omnipotents.
Il devrait être surprenant et exaspérant que Trump puisse ordonner une nouvelle attaque contre le gouvernement syrien sans débat démocratique, sans même parler de l’approbation du Congrès. Au moins, lorsque Obama a commencé à bombarder la Syrie sans l’avis du Congrès, il avait l’excuse d’y avoir été autorisé par la loi de 2001 Authorization to Use Military Force, car ses cibles ostensibles étaient des groupes terroristes (même si Daech n’a été créée que des années plus tard et est difficilement ’affilié’ à Al-Qaeda). Mais étant donné qu’il n’y a pas de prétexte de légitime défense à ce que Trump vient de faire, quelle est la raison légale possible pour l’avoir fait ? Aucune.
Mais personne à Washington ne se préoccupe vraiment de telles légalités. En effet, nous avons délibérément créé une présidence omnipotente. Rappelons qu’en 2011, Obama est allé en guerre en Libye non seulement sans l’autorisation du Congrès, mais même après que le Congrès ait rejeté cette autorisation.
Qu’est-il arrivé à Obama en raison de l’implication des États-Unis dans une guerre que le Congrès avait refusée ? Absolument rien, parce que le Congrès, en raison de sa lâcheté politique, veut abdiquer les pouvoirs de guerre au Président. En tant que pays, nous avons décidé que nous voulons un président tout-puissant - celui qui peut bombarder, espionner, détenir et envahir pratiquement sans limites. C’est le mécanisme de la présidence impériale que les deux partis ont construit ensemble et ont maintenant confié au président Trump.
En effet, en 2013, Obama a explicitement affirmé qu’il avait le droit de bombarder Assad sans l’approbation du Congrès - un précédent dont Trump se servira à présent.
5. Comment ceux qui considèrent Trump comme un fasciste inepte peuvent-ils maintenant lui faire confiance pour faire la guerre ?
Peut-être l’aspect le plus bizarre des dernières 24 heures a été d’observer ceux qui ont vilipendé Trump comme un fasciste maléfique, un clown maladroit et un sociopathe instable décident tout à coup qu’ils veulent qu’il bombarde la Syrie. Même si vous êtes quelqu’un qui, dans l’abstrait, voulait que les États-Unis attaquent Assad, le fait de considérer Trump comme un monstre totalement instable et incompétent ne devrait-il pas suffire pour refuser de soutenir cette guerre dont le Commandant en Chef s’appelle Trump ?
Qu’est-il arrivé à toutes les mises en garde sur l’incompétence monumentale et l’esprit fondamentalement maléfique de Trump ? Que sont devenues toutes les prédictions sombres qu’il menait le monde sur le chemin de l’autoritarisme, du fascisme et du nationalisme pur et dur ? Elles ont toutes cédé la place à la Fièvre de la Guerre :
Au cours de la campagne, Trump a explicitement promis de commettre des crimes de guerre : torturer des détenus et d’assassiner les familles des terroristes. En avril de l’année dernière, j’ai résumé l’attitude de Trump ainsi : « il est favorable à moins de guerres, mais préconise des tactiques plus monstrueuses et criminelles pour celles que les États-Unis mèneront ».
Compte tenu de tout ce qui a été dit sur Trump par ses critiques, comment peut-on justifier une campagne de bombardement menée par lui ? Ne ressentent-ils pas de dissonance cognitive après avoir passé des mois à présenter Trump comme un fasciste menteur et trompeur, pour finalement faire demi-tour et lui faire confiance pour bombarder d’autres pays avec soin, humanité et efficacité ?
6. Comme toutes les bonnes théories du complot, aucune preuve ne peut tuer le récit du Kremlin-qui-contrôle-Trump.
Au centre des théories conspirationnistes tissées depuis des mois par les Démocrates est l’affirmation selon laquelle Poutine exerce un pouvoir sur Trump par le biais d’un chantage, de dettes ou autre moyen de pression. En conséquence, selon cette théorie conspirationniste, le Kremlin a maintenant infiltré les institutions de pouvoir des Etats-Unis et contrôle le gouvernement, parce que Trump ne veut pas – et en est même incapable - de défier les ordres de Poutine.
Pourtant, voici Trump - moins de trois mois après sa prise de fonctions - en train de bombarder un des alliés les plus proches du Kremlin, un pays où la Russie a passé plus d’un an à combattre pour préserver son gouvernement. Est-ce que tout cela minera ou diluera la théorie conspirationniste selon laquelle le Kremlin contrôle la Maison Blanche ? Bien sûr que non. Les théoriciens de la conspiration sont non seulement insensibles aux preuves qui réfutent leurs théories mais, pis encore, trouvent des moyens de convertir ces preuves en preuves supplémentaires de leurs conspirations.
Déjà, les conspirationnistes Démocrates les plus obsédés rappellent que les militaires US ont prévenu la Russie des frappes - quelque chose qui aurait été incroyablement imprudent de ne pas faire - en insinuant que Trump sert Poutine. Si Trump bombardait la Place Rouge, les Démocrates - après l’avoir applaudi - annonceraient dans la foulée qu’il ne l’a fait que pour brouiller les pistes de sa collusion avec Poutine.
7. La fraude humanitaire fonctionne à chaque fois pour (et sur) les élites US.
Au cours des deux derniers mois, Trump a commandé un raid de commando au Yémen qui a massacré des enfants et des dizaines d’innocents, a bombardé Mossoul et tué des dizaines de civils, et a bombardé une mosquée près d’Alep qui a tué des dizaines. Au cours de la campagne, il a promis d’assassiner les membres de la famille des terroristes présumés. Il a fermé les portes des Etats-Unis aux réfugiés syriens et déporté les personnes qui ont vécu aux États-Unis depuis leur enfance malgré qu’ils n’avaient pas commis de crime.
Compte tenu de tout cela, les élites US pourraient-elles le croire quand il dit qu’il est motivé par l’humanitarisme - une colère profonde à la vue des victimes - en bombardant la Syrie ? Oui, elles en sont capables, et elles le font. Parce que les élites US veulent toujours croire - ou du moins vouloir que les autres le croient - que les États-Unis bombardent encore et toujours des pays non pas par agressivité ou soif de domination mais par amour, pour la liberté, la démocratie et au nom de principes humanitaires.
Le gouvernement des États-Unis ne fait pas de guerre, et les militaires US ne font pas tout sauter, pour des raisons humanitaires. Il le fait quand il croit qu’il y a quelque chose à en tire. Encore une fois, Federalist 4 nous a prévenus : « les nations en général feront de la guerre chaque fois qu’elles auront la possibilité d’obtenir quelque chose ».
Si l’humanitarisme est ce qui motive les États-Unis en Syrie, ils recueilleraient un nombre massif de réfugiés, ce qui n’est pas le cas. Si l’humanitarisme est ce qui a motivé le bombardement des États-Unis de la Libye, ils auraient accordé une aide massive à ce pays en proie à l’anarchie et à la misère qui en découlent, mais ce n’est pas le cas. Car l’humanitarisme est le prétexte pour les guerres US, pas leur motif réel.
Mais le confort psychologique consiste à croire que la seule raison pour laquelle votre gouvernement bombarde bien plus de pays – et de loin - que tout autre gouvernement, à croire que votre gouvernement est tellement dévoué à la cause humanitaire et si puissant, au point d’annihiler toutes vos facultés rationnelles. C’est pourquoi toutes les guerres - même les plus abjectes et agressives - sont présentées sous un emballage humanitaire. Et peu importe le nombre de fois que l’emballage s’est révélé trompeur - au Vietnam, en Irak, en Libye - nous voulons croire que, cette fois-ci, nos bombes seront remplies d’amour, d’aide et de liberté.
8. Le soutien au bombardement de Trump révèle deux substances toxiques répandues aux États-Unis : le « Faire quelque chose » et le « Montrer sa force »
Ceux qui s’opposent à la nouvelle campagne de bombardement de Trump - ou à toute campagne de bombardement des États-Unis – sont immédiatement confrontés à l’objection habituelle : nous devons faire quelque chose pour la Syrie. Cette mentalité repose sur une prémisse terriblement fausse et : les militaires US peuvent et devraient résoudre tous les maux de la planète.
Mais parfois, les États-Unis n’ont pas la capacité de résoudre d’autres problèmes. Souvent, larguer des bombes exacerbe la souffrance, plutôt que l’inverse. Aussi dérangeante que soit l’idée, parfois ne rien faire est la moins pire des solutions. Encore une fois, si l’humanitarisme était réellement le motif, il y a beaucoup de choses que les États-Unis pourraient faire à part bombarder la Syrie et de tuer des civils, comme accorder le refuge et l’aide humanitaire. Mais l’idée qu’une guerre peut être justifiée en invoquant le vague impératif qu’il faut « faire quelque chose » est incroyablement irrationnelle et immorale.
La même chose est vraie – et même plus - pour la prémisse, horriblement toxique approuvée depuis longtemps par le monde des think tanks US, qu’un président doit aller à la guerre pour préserver sa « crédibilité » - ce qui signifie qu’il doit larguer des bombes et tuer des gens pour montrer au monde que lui, et le pays qu’il dirige, est « fort ». Pour voir cette prémisse hideuse en action, regardez comment le New York Times a glorieusement présenté l’invasion insensée du Panama par Bush senior dans l’article ci-dessus ou comment le NYT a décrit hier l’opinion des « experts » sur la nécessité pour Trump de bombarder la Syrie :
Il est difficile de penser à quelque chose de plus maléfique et immorale que de déclencher nouvelle guerre au motif de « ne pas paraître faible ». Et pourtant, cette croyance continue d’être l’évangile des groupes de réflexion et de la politique étrangère des Etats-Unis.
9. Le refus d’Obama de bombarder Assad hante tous les esprits.
En dépit d’avoir insisté sur le fait qu’il avait le pouvoir de le faire sans l’aval du Congrès, Obama a résisté aux demandes bipartites d’utiliser la force militaire contre Assad. Personnellement, je considère cela comme l’une des décisions les plus intelligentes et les meilleures d’Obama et, selon le New York Times d’aujourd’hui, Obama le pense aussi : « Monsieur Obama a déclaré qu’il était « très fier de ce moment » parce qu’il n’avait pas cédé aux injonctions de l’establishment de Washington. Peu de ses proches conseillers en politique étrangère ont approuvé. » En effet, à la fin de sa présidence, les États-Unis ont même cessé de dire qu’ils cherchaient à provoquer des changements de régime.
Mais ceux qui insistent sur le fait que les États-Unis ont l’obligation morale de renverser Assad ou au moins de le bombarder, deviennent muets lorsqu’il s’agit de juger Obama. Si, comme beaucoup le prétendent, Assad est la figure hitlérienne de notre génération - et rappelons-nous combien de dirigeants étrangers ont été récemment présentés ainsi quand certains voulaient les attaquer - cela fait-il d’Obama le Neville Chamberlain de notre génération pour avoir refusé d’attaquer Assad ? Et cela signifie-t-il que Trump a agi de manière plus morale qu’Obama en faisant ce qu’Obama a refusé de faire ?
Encore une fois, je me range aux côtés d’Obama dans ce différend parce que je n’ai jamais cru que les militaires des États-Unis avaient un rôle positif à jouer en Syrie. Mais ceux qui ont longtemps insisté sur le fait que l’action militaire des États-Unis contre Assad est un impératif moral devrait suivre cette idée jusqu’à sa conclusion en ce qui concerne Obama et Trump.
10. Rien de tout cela ne démontre, évidemment, que Hillary Clinton n’était pas également un faucon dangereux.
Chaque fois que Trump largue une bombe, les experts Démocrates s’en prennent à tous ceux – sans les nommer – qui ont soutenu pendant la campagne que Trump était plus anti-guerre que Clinton.
Qui sont les gens qui ont soutenu que Trump était plus anti-guerre que Clinton ? Leur nombre est minuscule ; Maureen Dowd en fait partie. Trump a expressément promis de bombarder plus fréquemment et plus agressivement, comme il a été souvent souligné.
Il est certain que toute tentative de Trump de renverser Assad serait contraire à ses promesses de campagne. Mais cela dit, prendre cette campagne de bombardement spécifique pour tenter de défendre Clinton est étrange étant donné que Clinton, depuis des années - et encore hier - a approuvé cette action militaire. En effet, Clinton a longtemps approuvé une action militaire beaucoup plus vaste en Syrie que ce que Trump a ordonné hier, préconisant souvent d’instaurer des zones d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie - ce qui serait une entreprise militaire massive et incroyablement dangereuse - et a même appelé hier à la destruction de la force aérienne d’Assad.
Il est certainement vrai que Trump a promis d’engager les États-Unis dans moins de guerres que ce que Clinton aurait voulu, et pour un nombre de raisons plus limité. Et cela pourrait encore se produire. En effet, bon nombre de supporters les plus virulents de Trump ont exprimé hier leur colère au sujet de cette campagne même limitée en Syrie. Mais prendre une action militaire que Clinton elle-même défendait et essayer de s’en servir pour prétendre que Clinton aurait été moins belliqueuse est simplement bizarre et incroyablement trompeur,
En fin de compte, ce qui est peut-être le plus déprimant à propos de tout ceci, c’est qu’encore une fois que nous constatons la pénurie de choix offerts par la démocratie US. Les dirigeants des deux partis trépignent d’impatience à l’idée de se retrouver ensemble pour défendre une nouvelle guerre. Un des candidats - le perdant – a fait campagne en faveur de cette nouvelle guerre, tandis que l’autre - le vainqueur - a promis à plusieurs reprises de l’éviter, pour finalement le déclencher après à peine 100 jours au pouvoir.
La seule constante de la vie politique US est que les États-Unis aiment la guerre. La dénonciation par Martin Luther King en 1967 des États-Unis comme « la plus grande source de violence dans le monde aujourd’hui » n’a jamais été aussi juste.
Glenn Greenwald
7 avril 2017
MISE À JOUR : Alors que le Premier ministre Trudeau a demandé hier une enquête avant que toute mesure soit prise, une fois que les bombes de Trump sont tombées, il a publié une déclaration exprimant son soutien total, contredisant directement ses déclarations antérieures : « L’utilisation par le président Assad d’armes chimiques et les crimes que le régime syrien a commis contre son propre peuple ne peut pas être ignorés. »
Traduction "aux pro-américains bêlants : mon anti-américanisme primaire est fondé sur du concret. Et vous ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.