Hier, mardi 8 novembre 2016, Donald Trump a été élu président des Etats-Unis d’Amérique. La presse occidentale s’est empressée de souligner, entre autres choses, qu’il avait « été élu par une assez petite minorité d’électeurs » (25,80 % du corps électoral, 59 millions de voix sur 231 millions d’électeurs potentiels). Rappelons que François Hollande, en France, avait été élu, en 2012, par 39% du corps électoral, une minorité aussi ; & que, dans nos prétendues « démocraties » modernes, c’est souvent ainsi que cela fonctionne, les présidents sont fréquemment élus par une minorité du corps électoral.
Bon. Par où commencer. D’abord, prévenir : face à une avalanche de réactions souvent insensées, la réflexion que nous nous apprêtons à développer ici risque fort d’être repoussée pour hétérodoxie.
Hier, mardi 8 novembre 2016, Donald Trump a été élu président des Etats-Unis d’Amérique. La presse occidentale s’est empressée de souligner, entre autres choses, qu’il avait « été élu par une assez petite minorité d’électeurs » (25,80 % du corps électoral, 59 millions de voix sur 231 millions d’électeurs potentiels). Rappelons que François Hollande, en France, avait été élu, en 2012, par 39% du corps électoral, une minorité aussi ; & que, dans nos soi-disant « démocraties » modernes, c’est souvent ainsi que cela fonctionne, les présidents sont fréquemment élus par une minorité du corps électoral.
Bon. Par où commencer. D’abord, prévenir : face à une avalanche de réactions souvent insensées, la réflexion que nous nous apprêtons à développer ici risque fort d’être repoussée pour hétérodoxie.
Plusieurs problèmes s’enchainent en cascades, remontons leur cours.
Que Donald Trump soit un raciste et misogyne, un milliardaire capitaliste qui ne risque pas de remettre en question ni le capitalisme, ni l’industrialisme qu’il implique aujourd’hui (ni l’idéologie qui les sous-tend tous deux, celle de la civilisation, du « progrès »), ne fait aucun doute.
Cependant, Hillary Clinton ne valait pas beaucoup mieux, en tant que représentante d’une puissante famille historiquement proche du pouvoir — une dynastie moderne, financée par les pires, les qataris et les saoudiens, entre autres, (qui financent d’ailleurs d’autres pires, dont l’État Islamique, par solidarité, probablement), va-t’en-guerre déclarée, ardente défenseuse du statu quo progressiste dans lequel le monde s’enlise.
Fabrice Nicolino, un des derniers bons journalistes que nous ayons en France, le souligne également dans un billet récemment publié sur son site :
J’en ai réellement marre des sérénades et des lamentations. Je viens de lire un papier de Reporterre, dont le titre m’a fait sursauter : « Trump, candidat de l’anti-écologie ». Par Dieu, Clinton ne l’était-elle pas, elle qui était la candidate des transnationales, moteur essentiel de la crise climatique ? Comme je suis fatigué, je ne vais pas plus loin. Mais mon point de vue essentiel, le voici : nous avons grand besoin d’un point de vue écologiste sur la marche du monde. Indépendant des modes, des truismes, des habitudes de pensée. C’est urgent, cela brûle même. Assez de jérémiades : Trump est ce qu’il est, mais Clinton tout autant.
Il n’y avait donc aucun bon candidat pour lequel voter lors de cette élection — lors de toutes. Bernie Sanders n’a été qu’une distraction de plus, un attrape-nigaud, la miette d’espoir nécessaire pour faire illusion, pour éviter un excès de désillusion et maintenir un semblant de foi en l’élection. & l’on peut se demander si, dans l’hypothèse hautement improbable de son élection, il aurait pu altérer le fonctionnement ultra-complexe d’une machine destructrice mise en route il y a très longtemps, dont les boulons bureaucratiques sont scellés au millimètre, et que son inertie protège (à travers, notamment, le fait que nous en soyons presque tous profondément dépendants). Le pouvoir du président, dans nos sociétés industrialisées, est bien plus limité que ce que l’on prétend (d’anciens présidents le reconnaissent aisément eux-mêmes, quelques recherches suffisent pour s’en rendre compte). Raison pour laquelle, également, on peut se demander ce que l’élection de Trump va réellement changer quant à la trajectoire principale de la civilisation industrielle. Les présidents défilent aussi vite et aussi sûrement que le CO2 s’accumule dans l’atmosphère, que les ressources naturelles sont extraites des entrailles de la Terre, et que les pollutions en tous genres contaminent la biosphère.
Tâchons d’être honnête. L’indignation que tant de gens partagent dans nos pays industrialisés, depuis l’élection de Trump, est relativement grotesque. Les électeurs de Trump, tout comme lui, seraient tous des « idiots », des « ignorants », des « abrutis », bref, des cons. Des cons qu’il faudrait donc « éduquer », afin, très certainement, qu’ils votent correctement, pour Hillary Clinton, probablement, ou pour Bernie Sanders. Comme si cela pouvait changer quoi que ce soit, mais passons, nous y reviendrons plus tard. Les électeurs portent donc le blâme. Mais qu’en est-il du milieu culturel ambiant dans lequel vivent la majorité des habitants des pays « développés » ?
Qui s’insurge contre le lisier culturel de plus en plus puant dans lequel les dirigeants des pays industrialisés (politiciens et/ou PDG, c’est selon) font baigner leurs populations ? Qui s’insurge contre la télévision (ce fléau pour le développement cérébral, pour l’attention, pour l’intelligence en général, lire TV Lobotomie de Michel Desmurget) et ses émissions débilitantes (télé-réalité, sport, séries, téléfilms, etc.) ; contre l’empire des jeux vidéo, hypnotique et lobotomisant, en expansion ; contre le déclin de la lecture ; contre la propagande médiatique (qui devrait n’être qu’un secret de polichinelle) et cinématographique omniprésente ; contre une culture où la jeunesse est de plus en plus ravagée par l’alcool (« cette banalisation de la « cuite massive » qui pose un problème » ; « Les ivresses sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus massives », peut-on lire dans une encyclopédie en ligne) et d’autres drogues (« Cannabis, MDMA, LSD : les drogues illicites en hausse chez les jeunes » titre Sciences et Avenir) ; contre une culture où la dépression devient épidémique (« chez les ados » mais aussi chez les adultes ; « L’explosion des cas de burn-out inquiète les médecins du travail » titre Le Figaro) en partie à cause d’une perte de sens, d’une précarité et d’une dissolution des liens sociaux qui se répandent ; contre une culture où « le suicide parmi les jeunes de 15 à 24 ans a augmenté substantiellement, au cours des cinquante dernières années » ; contre une culture qui nourrit ses populations les plus défavorisés avec une nourriture industrielle toxique, dont on sait désormais qu’elle perturbe le fonctionnement du cerveau (ça et la télévision, joli cocktail en perspective) ?
L’indignation collective ne découle-t-elle pas de ce que la plupart de ceux qui s’offusquent sont simplement gênés parce que l’élection de Trump leur rappelle tout ça, leur renvoie tout ça en pleine figure ?
L’insinuation selon laquelle les électeurs de Trump sont « ignorants » revient souvent, et bien évidemment, ce sont des individus qui se pensent éduqués qui la diffusent. Ils insinuent ainsi que ceux qui ont voté Trump manquent d’éducation, cet « instrument qui est utilisé pour faciliter l’intégration de la plus jeune génération dans la logique du système actuel et amener la conformité », comme le rappelait le pédagogue brésilien Paulo Freire. Le problème auquel nous faisons face est d’un autre ordre, mais, bien sûr, le formatage qu’ils prennent pour de l’éducation les empêche de comprendre. L’éducation est effectivement le problème, mais pas pour la raison qu’ils imaginent. Bien que certains se rendent compte de ce que les médias grand public sont des moulins à propagande, peu comprennent que l’éducation prodiguée par l’État, l’éducation nationale obligatoire, est probablement le plus important et le plus efficace des outils d’endoctrinement étatique, de conditionnement des esprits, de conformisme social, d’enrégimentement. La civilisation industrielle repose sur des inégalités sociales importantes, perpétuées par son système scolaire (les conférences de Franck Lepage aident à comprendre cela).
Qui s’insurge alors contre la mainmise de l’état corporatiste sur l’éducation nationale, un de ses plus puissants outils de propagande ? Qui s’insurge de ce que « l’école est l’agence de publicité qui nous fait croire que nous avons besoin de la société telle qu’elle est », comme l’expliquait Ivan Illich ?
Le professeur d’anthropologie à Yale (ironie, une grande école !) James C. Scott, écrit, dans son livre Petit éloge de l’anarchisme, que :
L’éducation publique universelle est évidemment conçue pour accomplir bien plus que de produire uniquement la force de travail nécessaire à l’industrie. C’est à la fois, et à des degrés comparables, une institution politique et économique. Elle est conçue pour produire un citoyen patriotique dont la loyauté envers la nation surmontera les identités régionales et locales enchâssées dans la langue, l’ethnicité et la religion. La contrepartie de la citoyenneté universelle de la France révolutionnaire était la circonscription universelle. Ces citoyens patriotiques étaient davantage fabriqués, au sein du système scolaire, grâce à la langue d’enseignement, la standardisation, les leçons implicites d’embrigadement, l’autorité et l’ordre que par le programme scolaire officiel. [...]
L’éducation universelle obligatoire, en dépit de son caractère plus ou moins démocratisant, a également obligé tous les élèves, à quelques exceptions près, à aller à l’école. Le fait que l’assiduité scolaire ne soit pas un choix, c’est-à-dire un acte autonome, signifie que l’école, en tant qu’institution obligatoire, avec toute l’aliénation que cette contrainte entraîne, surtout lorsque les enfants commencent à être grands, se trompe dès le départ.)]
Également que :
[(Une fois en place, l’État (nation) moderne a entrepris d’homogénéiser sa population et les pratiques vernaculaires du peuple, jugées déviantes. Presque partout, l’État a procédé à la fabrication d’une nation : la France s’est mise à créer des Français, l’Italie des Italiens, etc.
Bernard Charbonneau, dans son livre L’Etat (1949), nous rappelait que :
C’est par sa volonté d’organiser la direction des esprits que l’État napoléonien marque un progrès décisif dans la voie de l’État totalitaire. Avec lui le Pouvoir dans ce domaine sort de son indifférence et de son empirisme. Vis-à-vis de la presse, l’attitude de Napoléon a été faite d’un mélange de haine et d’attirance, comme s’il avait senti que le pire ennemi de l’État pouvait devenir son plus utile serviteur. Il commença par songer à supprimer les journaux, puis il les contrôla ; et pour finir il devint leur propriétaire. Surtout, dans la mesure où il désespérait d’orienter l’opinion des adultes, il se tourna vers la formation de la jeunesse : il est remarquable que ce ne soit pas le désir de perfectionner l’homme, mais la volonté de puissance qui ait engendré l’organisation de notre enseignement secondaire et supérieur. Le but des lycées, de l’Université impériale, c’est déjà de former dans la jeunesse une caste dévouée au régime. Ainsi tandis qu’à l’extérieur le conquérant cherche à maîtriser l’espace, à l’intérieur il tente de s’assurer la durée. [...]
L’enseignement d’État, obligatoire et gratuit. Rien ne semble plus légitime à l’individu moderne ; et s’il devait définir le progrès humain, plus que par l’industrie ou l’hygiène, il le définirait par l’extension de l’instruction publique. Et pourtant, quittant le terrain des principes, jugeons-la sur les faits. Peut-on dire au vu de ses résultats que l’extension de l’instruction publique ait réellement aidé l’homme à devenir meilleur ? S’est-elle préoccupée de forger son caractère et sa volonté ? A-t-elle éveillé en lui un sens plus vif des fondements de son existence ? En lui apprenant à lire et à écrire, lui a-t-elle appris à penser par lui-même ? Ces questions sont stupides et ne comportent pas de réponse, car elles n’ont même pas été posées. Pour le XIXe siècle, il était bien évident que le progrès humain devait nécessairement aller de pair avec celui de l’instruction et des connaissances. Et il a ainsi préparé un nouveau type d’analphabète, la brute au cerveau bourré de mots, bloqué par l’imprimé : le lecteur du journal, l’intoxiqué de propagande. [...]
Le progrès le plus important accompli par l’État au XIXe siècle, le plus lourd de conséquences pour l’avenir, c’est sa main mise sur l’enseignement. Jusque-là, dans la société occidentale l’enseignement était laissé à l’initiative des individus ou des groupes. Le roi protégeait ou surveillait, mais même quand il fondait le collège de France, il ne lui venait pas à l’idée d’instruire. Aujourd’hui, de cette indépendance de la fonction enseignante, à peu près rien ne reste en France, sauf quelques privilèges désuets dans la discipline intérieure des facultés, par exemple le droit pour les doyens de refuser l’entrée des bâtiments universitaires à la police.
Tandis que les bons citoyens discutent du drame de l’élection de Donald Trump, on peut lire sur le site web d’information écologique Reporterre que « Malgré l’accord de Paris, les projets émetteurs de CO2 se multiplient en France et dans le monde ». Ce qui semble également échapper à beaucoup, c’est que la trajectoire destructrice et autodestructrice sur laquelle la civilisation industrielle est engagée depuis des décennies, et plutôt des siècles, ne varie absolument pas, malgré toutes les gesticulations politiques, qui ne sont que spectacle ; que l’état de l’environnement ne cesse de se dégrader ; que les prévisions des scientifiques sont de plus en plus terribles ; et ce, alors que la majorité des individus vivant au sein de la civilisation industrielle ne souhaite pas un tel déroulement des choses. Décennie après décennie, vote après vote, élection après élection, pétition après pétition, rien ne change. Rappelons-le, pour ceux qui ne savent pas, et pour ceux qui oublient :
Du côté de la vie non-humaine : les forêts du monde sont dans un état désastreux (en ce qui concerne les vraies forêts, pas les plantations ou monocultures modernes ; il n’en resterait que deux) et qui ne cesse d’empirer. La plupart des écosystèmes originels ont été modifiés (détruits, ou détraqués), d’une façon ou d’une autre (25% des fleuves n’atteignent plus l’océan ; depuis moins de 60 ans, 90% des grands poissons, 70% des oiseaux marins et, plus généralement, 52% des animaux sauvages, ont disparu ; depuis moins de 40 ans, le nombre d’animaux marins, dans l’ensemble, a été divisé par deux). Les scientifiques estiment que nous vivons aujourd’hui la sixième extinction de masse. Sachant que les déclins en populations animales et végétales ne datent pas d’hier, et qu’une diminution par rapport à il y a 60 ou 70 ans masque en réalité des pertes bien pires encore (cf. l’amnésie écologique). On estime que d’ici 2048 les océans n’abriteront plus aucun poisson. D’autres projections estiment que d’ici 2050, il y aura plus de plastiques que de poissons dans les océans. On estime également que d’ici à 2050, la quasi-totalité des oiseaux marins auront ingéré du plastique. La plupart des biomes de la planète ont été contaminés par différents produits chimiques toxiques de synthèse (cf. l’empoisonnement universel de Nicolino). L’air que nous respirons est désormais classé cancérigène par l’OMS. Les espèces animales et végétales disparaissent (sont tuées) au rythme de 200 par jour (estimation de l’ONU). Les dérèglements climatiques auxquels la planète est d’ores et déjà condamnée promettent d’effroyables conséquences.
Ce qu’on peut logiquement en conclure, c’est qu’aucun des moyens proposés par le système ne sont en mesure de le réorienter, de l’aiguiller autrement ; que tous les moyens qu’il propose n’ont pour finalité que de le garder sur les rails. Nous pourrions également parler de verrouillage systémique.
Peut-être faudrait-il alors s’intéresser aux conclusions de chercheurs comme le professeur Guy McPherson, qui explique que « couper le moteur thermique de la civilisation est le seul moyen de stopper la surchauffe planétaire ». Bien sûr, étant donné que nous bénéficions tous plus ou moins d’un certain confort de vie, que nous offre la civilisation industrielle, et puisque nous en avons été rendus profondément dépendants, il ajoute que « cette même civilisation, qui pollue l’eau, empoisonne l’air, draine les terres jusqu’aux océans, est systématiquement déclarée intouchable et globalement positive par la quasi-totalité des participants au débat ». « Nous savons depuis longtemps, en raison de travaux publiés par des institutions reconnues que la civilisation elle-même est un moteur thermique, que si nous maintenons la civilisation sous quelque forme que ce soit, que ce soit à l’aide de panneaux solaires, d’éoliennes ou de vagues de combustibles fossiles, cela produit le même effet : la civilisation elle-même est un moteur thermique », explique-t-il. Une dernière citation : « La civilisation est un moteur thermique, qui requiert des débits massifs de ressources et d’énergies afin de maintenir la croissance de notre économie mondialisée et la complexité que nous prenons pour un acquis ».
Un mathématicien célèbre (Theodore Kaczynski) le formule également, quoiqu’autrement, dans un récent ouvrage, où il assimile la civilisation industrielle, ses organes et ses institutions à des « systèmes autopropagateurs ». Citons-le longuement car ses propos sont assez signifiants :
Les principaux systèmes autopropagateurs humains du monde exploitent chaque opportunité, utilisent chaque ressource et envahissent tous les endroits où ils peuvent trouver quoi que ce soit qui les assiste dans leur incessante quête de pouvoir. Au fur et à mesure du développement hautement technologique, de plus en plus de ressources, qui semblaient autrefois inutiles, s’avèrent ultimement utiles, et de plus en plus de lieux sont envahis, et de plus en plus de conséquences destructrices s’ensuivent.
[...] Aussi vrai que l’usage de distillats de pétrole dans les moteurs à combustion interne demeurait insoupçonné avant, 1860, au plus tôt, tout comme l’usage de l’uranium en tant que combustible avant la découverte de la fission nucléaire en 1938-39, ainsi que la plupart des usages de terres rares avant les dernières décennies, de futures usages d’autres ressources, de nouvelles manières d’exploiter l’environnement, et de nouvelles niches à envahir pour le système technologique, présentement insoupçonnées, sont à prévoir. En tentant d’évaluer les dégradations futures de notre environnement, nous ne pouvons pas nous contenter de projeter dans le futur les effets des dommages environnementaux actuellement connus ; nous devons supposer que de nouvelles causes de dégradations environnementales émergeront, que nous ne pouvons pas encore imaginer. De plus, nous devons nous souvenir que la croissance technologique, et avec elle, l’aggravation des dommages que la technologie inflige à l’environnement, prendront de l’ampleur dans les décennies à venir. En prenant tout ceci en considération, nous parvenons à la conclusion selon laquelle, en toute probabilité, la planète toute entière, ou presque, sera gravement endommagée par le système technologique.
[...] Notre discussion des systèmes autopropagateurs ne fait que décrire en termes abstraits et généraux ce qu’on observe concrètement autour de nous : des organisations, mouvements, idéologies sont prisonniers d’une incessante lutte de pouvoir. Ceux qui ne parviennent pas à être de bons compétiteurs sont éliminés ou asservis. La lutte concerne le pouvoir sur le court terme, les compétiteurs se soucient peu de leur propre survie sur le long-terme, encore moins du bien-être de l’humanité ou de la biosphère. C’est pourquoi les armes nucléaires n’ont pas été bannies, les émissions de dioxyde de carbone n’ont pas été ramenées à un niveau sûr, les ressources de la planète sont exploitées de manière totalement irresponsable, et c’est aussi ce qui explique pourquoi aucune limite n’a été définie pour encadrer le développement de technologies puissantes mais dangereuses.
Nous avons décrit ce processus en termes abstraits et généraux afin de souligner que ce qui arrive à notre planète n’est pas accidentel ; que ce n’est pas le résultat d’une combinaison de circonstances historiques ou de défauts caractéristiques aux êtres humains. Étant donné la nature des systèmes autopropagateurs en général, le processus destructeur que nous voyons aujourd’hui est rendu inévitable par la combinaison de deux facteurs : le pouvoir colossal de la technologie moderne et la disponibilité de moyens de transport et de communications rapides entre n’importe quels endroits du globe.
Reconnaitre cela peut nous aider à éviter de perdre notre temps en de naïfs efforts. Par exemple, dans des efforts pour apprendre aux gens à économiser l’énergie et les ressources. De tels efforts n’accomplissent rien.
Cela semble incroyable que ceux qui prônent les économies d’énergie n’aient pas remarqué ce qui se passe : dès que de l’énergie est libérée par des économies, le système-monde technologique l’engloutit puis en redemande. Peu importe la quantité d’énergie fournie, le système se propage toujours rapidement jusqu’à ce qu’il ait utilisé toute l’énergie disponible, puis il en redemande encore. La même chose est vraie des autres ressources. Le système-monde technologique s’étend immanquablement jusqu’à atteindre une limite imposée par un manque de ressources, puis il essaie d’aller au-delà de cette limite, sans égard pour les conséquences.
Cela s’explique par la théorie des systèmes autopropagateurs : les organisations (ou autres systèmes autopropagateurs) qui permettent le moins au respect de l’environnement d’interférer avec leur quête de pouvoir immédiat tendent à acquérir plus de pouvoir que celles qui limitent leur quête de pouvoir par souci des conséquences environnementales sur le long terme — 10 ans ou 50 ans, par exemple. Ainsi, à travers un processus de sélection naturelle, le monde subit la domination d’organisations qui utilisent au maximum les ressources disponibles afin d’augmenter leur propre pouvoir, sans se soucier des conséquences sur le long terme.
[...] Tandis qu’une féroce compétition au sein des systèmes autopropagateurs aura si amplement et si rapidement dégradé le climat de la Terre, la composition de son atmosphère, la composition de ses océans, et ainsi de suite, l’effet sur la biosphère sera dévastateur. Dans la partie IV du présent chapitre, nous développerons davantage ce raisonnement : nous tenterons de démontrer que si le développement du système-monde technologique se poursuit sans entrave jusqu’à sa conclusion logique, selon toute probabilité, de la Terre il ne restera qu’un caillou désolé — une planète sans vie, à l’exception, peut-être, d’organismes parmi les plus simples — certaines bactéries, algues, etc. — capables de survivre dans ces conditions extrêmes.
Trump ou pas Trump, Trump ou Hillary, Hollande ou Sarkozy, Hollande ou Le Pen, Le Pen ou Juppé, aucun d’eux ne va nous sortir de l’impasse civilisationnelle dans laquelle nous nous enfonçons. Le combat que nous devons mener (pour une véritable décroissance ; pour la sortie de l’industrialisme — la désindustrialisation ; pour le démantèlement de la civilisation industrielle ; pour la dissolution des sociétés de masse — qui portent en elles des tares insolubles — et le retour à une vie en communautés restreintes ; nous ne développerons pas ces concepts ici, ce n’est pas l’objet du billet, mais ceux que cela intéresse sont invités à fouiller sur le site, plusieurs articles permettent de creuser plus en profondeur) va bien au-delà des marionnettes politiques qu’on nous demande d’élire, il exige que nous sortions des chemins battus, que nos moyens d’actions cessent d’être ceux que le système technologique, manifestement verrouillé, nous propose.
Collectif Le Partage
Article original : http://partage-le.com/2016/11/trump-larbre-qui-cache-la-foret/