La prochaine visite d’une délégation de la CPI pourrait augmenter les chances que des responsables israéliens soient jugés pour crimes de guerre.
Emmanuel Nahshon, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a confirmé à Al Jazeera, dimanche, qu’Israël avait accepté le principe d’une visite, mais que le « quand et le comment » étaient encore en discussion.
La décision de la CPI est motivée par les sévères critiques formulées par des groupes de défense des droits humains contre Israël pour avoir fermé les enquêtes sur des dizaines d’allégations de violation des règles de la guerre lors de l’attaque sur Gaza, à l’été 2014.
Les procureurs de La Haye auraient l’intention d’évaluer l’efficacité des mécanismes juridiques d’Israël dans les enquêtes sur les allégations de crimes de guerre.
Selon les termes de son statut de fondation, la CPI pourrait se charger elle-même de mener à bien ces enquêtes si elle était convaincue qu’Israël ne peut pas ou ne veut pas conduire de véritables enquêtes.
A ce jour, seuls trois soldats israéliens ont été inculpés pour une infraction relativement mineure – du pillage – alors que l’offensive israélienne de 51 jours, appelée Bordure protectrice, en juillet et août 2014, a fait environ 2250 morts palestiniens, en grande majorité des civils, dont 551 enfants.
Le mois dernier, l’armée israélienne s’est exonérée elle-même de toute faute dans 13 cas sur lesquels elle enquêtait. Il y avait des attaques meurtrières sur trois familles palestiniennes, le bombardement d’un hôpital et d’un refuge des Nations Unies pour les civils, et le bombardement de la principale centrale électrique de Gaza. Elle a refusé d’enquêter sur 80 autres plaintes.
Le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon a réagi en critiquant Israël pour le « faible taux d’enquêtes ouvertes sur ces graves allégations ».
Depuis Bordure protectrice, deux des plus grands groupes de droits humains d’Israël, B’Tselem et Yesh Din, refusent d’apporter leur coopération aux enquêtes israéliennes sur Gaza, en accusant l’armée israélienne de les utiliser pour « blanchir » ses actions.
En juin, le groupe de surveillance basé à New York, Human Rights Watch (HRW), a augmenté la pression sur la CPI en appelant à ouvrir une enquête officielle sur l’attaque de Gaza.
La crédibilité des enquêtes d’Israël a été encore plus ébranlée par un rapport publié la semaine dernière par deux groupes de droits humains locaux. Adalah et Al Mezan, basés respectivement en Israël et à Gaza. Le rapport accuse Israël de ne pas avoir examiné correctement les preuves qu’ils avaient recueillies sur 27 crimes de guerre présumés durant l’offensive de 2014. Cinq affaires portaient sur des attaques israéliennes contre des écoles de l’ONU abritant des civils. Selon ces associations, en deux ans, Israël n’a dressé aucun acte d’accusation. Les enquêtes, quand il y en a eu, étaient « clairement déficientes ».
Nadeem Shehadeh, un avocat d’Adalah, un centre juridique pour les citoyens palestiniens en Israël, a déclaré à Al Jazeera que la possibilité de recours juridique était, dans de nombreux cas, presque « épuisée ».
« Nous avons vu Israël mener de fausses enquêtes ou faire traîner indéfiniment les procédures judiciaires, » a-t-il dit. « L’objectif principal semble être de faire obstacle aux enquêtes pour que les forces armées israéliennes n’aient pas à rendre de comptes. »
Selon lui, l’échec d’Israël à mener des enquêtes approfondies et transparentes pourrait permettre à la CPI de lancer sa propre enquête officielle.
Vendredi, un responsable israélien anonyme a tenté de minimiser l’importance de la visite, en disant au quotidien Haaretz : « Nous n’avons rien à cacher. »
L’officiel a ajouté qu’Israël rappellerait à la CPI qu’elle « n’a ni autorité ni légitimité pour traiter les plaintes des Palestiniens ».
Nakhshon a dit à Al Jazeera : « L’objectif de cette visite est de permettre à la CPI de se faire une meilleure idée du système juridique et judiciaire d’Israël. » Et il a ajouté : « Cela facilitera les choses si nous passons à une autre étape, » – faisant sans doute référence à la possibilité que la CPI lance une enquête officielle.
Ghazi Hamad, un responsable palestinien en charge des affaires avec la CPI, a dit que l’Autorité palestinienne espérait que la visite « accélérerait l’ouverture d’une enquête » par le tribunal sur la conduite d’Israël pendant l’opération Bordure protectrice.
« Cela indiquerait clairement à Israël qu’il ne peut pas continuer à commettre des crimes en toute impunité », a-t-il déclaré à Al Jazeera. Hamad a dit que l’AP ne savait pas si la CPI avait demandé ou obtenu l’autorisation israélienne d’aller à Gaza.
C’est la première fois qu’Israël accepte de coopérer avec un organisme international sur des allégations qui pourraient entraîner des procès pour crimes de guerre. Israël a refusé l’entrée aux commissions d’enquête des Nations Unies en 2009 et 2014, après ses attaques majeures contre Gaza.
Les officiels de Washington ont à plusieurs reprises exprimé leur opposition à la juridiction de la CPI sur les ressortissants israéliens. Ni les Etats-Unis, ni Israël n’ont ratifié le Statut de Rome, le document qui a institué le tribunal de La Haye en 2002.
Sari Bashi, la directrice de la branche israélo-palestinienne de Human Rights Watch, a déclaré que les continuelles restrictions d’entrée à Gaza, imposées aux organisations des droits humains par Israël, ont aussi affaibli la crédibilité des enquêtes d’Israël. Les contrôles drastiques ont « compliqué la tâche [des associations] en les empêchant de recueillir les informations nécessaires », a-t-elle dit à Al Jazeera.
Les autorités israéliennes, a-t-elle ajouté, avaient auparavant constaté que les groupes de défense des droits humains aidaient « les habitants palestiniens à surmonter leur peur de rencontrer le personnel [de l’armée israélienne]. »
Al Mezan et Adalah ont déclaré qu’Israël avait souvent refusé d’interroger des témoins sans l’armée, avant de fermer les enquêtes sur les crimes de guerre présumés.
Israël a reçu un total de 500 plaintes relatives à 360 incidents à Gaza concernant des soupçons de violations du droit international.
A ce jour, seules de rares enquêtes ont été ouvertes, portant principalement sur des agressions physiques contre des civils, des « tirs illégaux » sur des bâtiments, et des pillages. Le 24 août, Israël a annoncé la fermeture de plus de 93 dossiers. Dans 80 cas, aucune enquête officielle n’a été menée.
Deux ans ont passé et Israël ne s’est pas encore décidé à enquêter sur quelques-unes des phases les plus controversées de son offensive, dont le bombardement massif de Rafah pour empêcher un soldat israélien d’être fait prisonnier. L’incident, connu sous le nom de Vendredi noir, aurait tué plus de 100 habitants palestiniens.
Aida Burnett-Cargill, une porte-parole d’Al Mezan à Gaza, a dit que les organisations palestiniennes de défense des droits humains avaient envoyé des déclarations de témoins palestiniens sur le Vendredi noir, au TPI, en mars dernier.
« Nous espérons que ces informations et d’autres mettent le doute dans l’esprit des procureurs de la CPI sur le sérieux avec lequel Israël conduit ses enquêtes, » a-t-elle déclaré à Al Jazeera.
Hamad a dit que le ministre palestinien des Affaires étrangères, Riad al-Malki, avait rencontré le procureur de la CPI, Fatou Bensouda, à La Haye vendredi et lui avait promis d’aider de son mieux le tribunal à lancer une enquête officielle.
La CPI mène actuellement une « enquête préliminaire » pour voir si une enquête sur les violations présumées du droit international, soit par Israël soit par les factions palestiniennes, se justifie.
Bordure protectrice est la première attaque d’importance contre les Palestiniens qui puisse rentrer dans les compétences du tribunal de La Haye. En ratifiant le Statut de Rome l’an dernier, les Palestiniens ont habilité la CPI en juin 2014, un mois avant l’attaque d’Israël sur Gaza.
Parmi les enquêtes qu’Israël a clôturées le mois dernier, il y en avait une qui portait sur le bombardement d’une école de l’ONU à Rafah qui servait d’abri temporaire à 3000 Palestiniens. Environ 12 civils, dont huit enfants, ont été tués et au moins 25 ont été blessés. Chris Gunness, le porte-parole de l’ONU à Jérusalem, a déclaré à Al Jazeera qu’Israël avait reçu les coordonnées de l’école et avait été prévenu à 33 reprises qu’elle servait d’abri, la dernière fois une heure seulement avant l’attaque.
Des groupes de défense des droits de l’homme ont contesté les allégations d’Israël comme quoi l’école avait été frappée parce que des militants à moto s’étaient dirigés vers elle après qu’un missile avait été tiré sur eux. Selon les témoignages d’Al Mezan, les hommes qui étaient sur la moto étaient des civils et n’auraient pas dû été pris pour cible. HRW, de son côté, a découvert que le type de munition utilisé par Israël aurait permis de détourner le tir quand il est devenu clair que le missile allait exploser près de l’école.
Selon Adalah et Al Mezan, les autorités israéliennes ont refusé de divulguer leurs motifs pour soit disculper les soldats, soit refuser d’ouvrir une enquête, affirmant que les preuves étaient classifiées.
Des groupes de défense des droits humains ont critiqué la fermeture d’autres enquêtes. Juin a vu l’abandon de l’enquête contre Neria Yeshurun, un commandant de brigade qui avait admis avoir ordonné le bombardement d’une clinique « pour remonter le moral des troupes », apparemment en représailles pour la mort d’un officier. Il a été simplement réprimandé.
Dans une autre affaire controversée, Israël a fermé une enquête, en juin 2015, sur le meurtre de quatre garçons qui jouaient au football sur une plage, à proximité des hôtels où les journalistes étrangers étaient basés. Shehadeh a dit qu’Adalah, qui a fourni des témoignages à Israël sur la mort des garçons, avait immédiatement fait appel de la décision devant le procureur général d’Israël, mais n’avait eu aucune réponse pendant plus d’un an.
En mai dernier, le premier groupe des droits de l’homme israélienne B’Tselem a déclaré qu’il ne porterait plus plainte auprès des autorités israéliennes. Selon lui, il est inutile de travailler « avec un système dont la fonction réelle est de continuer à empêcher par tous les moyens que la lumière ne soit faite ».
Jonathan Cook
Traduction : Dominique Muselet