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Bienvenue en Chinoiserie

Quand les officiels chinois passent à la casserole

A mon retour du Xinjiang, j’ai fait une escale de 36 heures à Pékin pour y rencontrer des médias et mon excellent ami Zheng Ruolin dont j’ai souvent parlé ici, conquis par son talent et sa rigueur intellectuelle.
Il m’a accompagné au siège de « La Chine au présent », mensuel chinois qui est publié en 6 langues. A l’occasion d’une table ronde, j’y ai rencontre un jeune Français, Sébastien Roussillat (photo ci-contre), conseiller linguistique et journaliste à l’édition francophone du magazine.
Il nous a envoyé cet article que LGS publie volontiers.
Maxime Vivas

D’ordinaire habitués aux longs discours-tiroirs aussi captivants qu’une prêche de m’sieur l’curé le dimanche, les officiels chinois se retrouvent aujourd’hui en direct à la télévision face à leurs « ouailles » pour des face à face sans fard et sans filet avec ce « peuple » qu’ils sont censés servir.

La Chine, et son histoire plurimillénaire, a inventé quelque chose de très particulier qui se résume sous le terme « bureaucratie ». Cette magnifique invention léguée à la postérité est tellement enracinée dans la culture chinoise qu’elle en est devenue un symbole : le mandarin (pas le canard...).

En Chine, les fonctionnaires, bureaucrates, et autres « mandarins » sont donc une classe à part, de plus en plus déconnectée de la réalité du « petit peuple » et qui vit sa vie vautrée dans ses privilèges : maison aux frais de l’Etat, voiture de fonction avec chauffeur etc… et fait parfois son « travail » de façon très nonchalante.

Un parking rempli de voitures de fonction à vendre après le début de la campagne anti-corruption

La fainéantise du fonctionnaire

Pour un projet qui traînait depuis des années, ce fonctionnaire s’est vu offrir un escargot pendant l’émission.

Alors oui, à cause de cela, de l’arrivisme de certains et de tous les avantages qu’il y a à être fonctionnaire en Chine, certains en ont oublié LE grand précepte de Mao Tse Toung : on est fonctionnaire « pour servir le peuple ». Malgré cela, et peut-être parce que tous les slogans ne sont là que pour rappeler ce que l’on n’arrive pas à faire, l’hédonisme, la luxure et la corruption se sont installées parmi les « mandarins ». Et même le président Xi Jinping s’en inquiète dans plusieurs textes de son livre La Gouvernance de la Chine ce qui peut paraître assez incroyable mais est véridique.

La corruption est une affaire, la fainéantise du fonctionnaire en est une autre. Certains fonctionnaires seraient donc fainéants, d’autres se rejetteraient la balle d’un département à l’autre selon ce que les Chinois appellent « le jeu du ping-pong ». D’autres n’endosseraient jamais leurs responsabilités. Et le peuple en a assez !

La télévision comme outil de contrôle

Pourtant, la commission de discipline du parti veille au grain car les problèmes engendrés par ces fonctionnaires peu ardus au travail ou qui ne répondent pas aux demandes des gens posent plusieurs problèmes : la baisse de confiance de la population dans le système, la non-transparence des affaires gouvernementales mais surtout, l’efficacité et la responsabilité des fonctionnaires qui est finalement ce dont les gens se préoccupent le plus. On ne paye pas un fonctionnaire et surtout un fonctionnaire communiste qui plus est à ne rien faire !

Une des nombreuses solutions qui ont été trouvées pour remédier à ce casse-tête, en dehors des formations à la « morale socialiste » et aux « valeurs du socialisme à la chinoise » des fonctionnaires dans les écoles du parti et les rapports circonstanciés des « résultats flamboyants » du gouvernement au journal télévisé, sont donc les émissions de questions au gouvernement.

Le plateau télé d’une émission chinoise de face à face.

Plusieurs programmes de ce type existent en Chine, et ce, depuis 2005. Le plus connu mais aussi celui qui existe depuis le plus longtemps est celui de la Hubei TV qui dure depuis 2012 et en est donc à sa troisième année. Les taux d’audience battent des records, avec par exemple 1.65 de part d’audience pour l’émission de « grand examen annuel » de la Hubei TV. Les télévisions de Jinan, du Guangxi, de Beijing, de Wenzhou ou encore de Nanning ont également lancées des émissions de ce type.>

Dans l’arène, une présentatrice à l’air sévère (avec des lunettes c’est mieux) qui fait l’arbitre entre une estrade où sont assis les fonctionnaires qui doivent répondre aux questions et le public qui a deux petites pancartes : une rouge et une verte pour noter les fonctionnaires ou bien un smiley « content » et « pas content » (c’est mignon !). Un jury de spécialistes formés d’experts sur la question et de professeurs ou directeurs d’école du parti (objectivité oblige !) sont présents pour évaluer les réponses des fonctionnaires et donner des précisions.

Véritables forums à la chinoise, ces émissions, qui mettent face à face les fonctionnaires et les habitants d’une ville, permettent une « certaine forme de démocratie directe » et possèdent une fonction de surveillance du travail des fonctionnaires directement par la population.

On compte près de 5 millions de fonctionnaires en Chine selon certaines données, soit 1 fonctionnaire pour 256 personnes. La Chine étant le grand pays que l’on connaît, il est déjà difficile de l’administrer, contrôler ceux qui l’administrent est une autre paire de manches. Il ne suffit souvent pas que « la tête » dise pour que « les pieds » exécutent comme il est l’habitude de dire ici.

Alors ces émissions, diffusées hebdomadairement pour la plupart, permettent aussi aux responsables de ces fonctionnaires récalcitrants d’avoir des retours sur le travail de leurs subalternes, de voir s’ils sont réellement efficaces ou non et si le peuple est satisfait ou non de leur travail.

De grandes sessions de « contrôle » appelées « examen de mi année » et « examen de fin d’année » sont organisés tous les 6 mois par la chaîne du Hubei pour voir si les fonctionnaires qui sont passés dans l’émission au cours de l’année ont avancé sur les projets, répondu aux doléances du peuple ou résolu les problèmes traités auparavant. Façon de faire le bilan et parfois, de mettre les fonctionnaires « le nez dans leur caca ». La note attribuée par le public aux fonctionnaires compte même dans leur évaluation générale pour 20 % et peut par conséquent avoir une incidence sur leur carrière.

Le but premier de ces émissions : faire avancer les choses, obtenir des résultats de la part des autorités et parfois dénoncer les fonctionnaires qui font traîner les dossiers ou font des promesses en l’air. Comme l’explique Chen Baosheng, secrétaire du parti de la ville de Lanzhou dans le Gansu, instigateur de la première émission de ce genre en 2005 : « Le but était de trouver des solutions, la solution qui résout le problème est la meilleure solution, si c’est pour faire de beaux discours et qu’il ne se passe rien derrière, alors ça ne sert à rien. »

Un show politicien ?

Diffusées à des heures de grande audience, ces émissions font beaucoup parler d’elles et sont même sujets à polémique. Le sujet intéresse évidemment les Chinois et hormis les personnes présentes sur le plateau, qui posent les questions, passent les fonctionnaires sur le grill et réagissent aux réponses données, les téléspectateurs participent sur Weibo ou par téléphone et SMS. Les réactions sont même parfois assez musclées et ce n’est pas toujours la tête haute que les fonctionnaires ressortent de ces émissions. Certains qui y ont participé disent même y avoir eu des sueurs froides et se rendre compte de la dureté de la tâche. Être face au public, à la population et devoir s’expliquer de ses actions ou inactions est effectivement plus difficile que « rester dans son bureau à lire Le Quotidien du Peuple un verre de thé à la main ».

Un fonctionnaire ressort en sueur d’une émission. Chaleur des projecteurs ou stress ?

On peut par exemple citer cette émission de Wenzhou où le directeur du département des finances de la ville se met à suer à grosses gouttes lorsqu’il doit présenter son bilan en direct devant le secrétaire du comité de la ville et les téléspectateurs ou encore ce fonctionnaire du département du chauffage central de Jinan qui doit reconnaître que les promesses qu’il avait faites aux habitants d’une résidence du centre-ville n’ont pas été tenues car ceux-ci n’ont toujours pas le chauffage.

Ces émissions sont-elles une soupape pour la population ? Certainement. Elles ont l’avantage de faire ressortir les frustrations du peuple sur les fonctionnaires en les voyant se liquéfier lors de la diffusion des reportages en caméra cachée ou bien en observant leur réaction lorsqu’ils découvrent un problème qui est de leur ressort et qui n’a pas été traité ou oublié ou encore quand ils font semblant de découvrir un problème et se sentent piégés.

Des éboueurs posent leurs questions aux fonctionnaires responsables de la gestion de la ville lors d’une émission.

Mais certains se posent la question du « est-ce que tout n’est pas préparé à l’avance ? », car c’est assez courant dans les émissions de télévision. Quelle est la part d’authenticité ? Peut-être est-il utile de rappeler qu’aucune émission, qu’elle soit d’une chaine de télévision occidentale ou chinoise, n’est réellement authentique et surtout pas les débats politiques.

Pourtant, la chaine de télévision du Hubei décrit la préparation de l’émission comme aussi secrète que la préparation des examens du baccalauréat. « Avant la diffusion de l’émission, ni le secrétaire du parti, ni le directeur de la chaine n’ont le droit de voir l’émission ». Qui croire ?

Un examen de passage

La Chine est une culture de l’examen, l’examen impérial en est un exemple, l’examen des fonctionnaires actuel en est un autre. Les émissions de questions au gouvernement sont un exercice. Un exercice de démocratie directe et un exercice de communication. Car la communication est loin d’être le fort des fonctionnaires chinois.

Habitués aux discours longs comme un jour sans pain et à « la langue de bambou », ceux-ci n’ont jamais vraiment été confrontés à la question. D’habitude, on les écoute et personne n’ose remettre en doute ce qu’ils disent. D’où : impossibilité de se rendre compte de ses erreurs, et surdité aïgue à la critique. La communication officielle chinoise se résume plus à du formalisme qu’à de la vraie communication. Les journalistes n’osent d’ailleurs pas trop déranger ni pousser dans leurs retranchements ses fonctionnaires « sensibles » et « pitoyables » qui ne supportent pas la critique, vexés comme des vieilles filles. Les occasions que le peuple a pour dialoguer directement avec les autorités ou faire connaître ses doléances ne sont pas nombreuses : avez-vous déjà entendu parler d’un conseil municipal ouvert au public en Chine ? Avez-vous entendu parler d’élections d’un conseil municipal ? Non.

Une évolution de la vie démocratique en Chine

Les gens se rendent compte qu’en dehors du côté cathartique de l’émission : voir les fonctionnaires pleurer, suer, trembler, il y a un côté très sérieux qui est « l’attitude des fonctionnaires envers leur travail et le peuple » et l’impact que celle-ci a sur la société et les projets de la communauté. C’est d’ailleurs un des contenus importants de la XVIIIe session plénière du PCC : l’efficacité du gouvernement et la « gestion gouvernementale par la loi » (un concept très innovant…). C’est aussi un leitmotiv de la ligne politique chinoise actuelle : « être près du peuple » et « s’en tenir aux intérêts du peuple ». Sans vouloir être méchant, c’est un peu le but de tout gouvernement. Enfin, dans l’idéal…

Dans ces émissions, on est passé du « jeter les fonctionnaires dans la fosse aux lions » à la discussion « posée et réfléchie ». Aujourd’hui, les gens regardent plus cette émission pour voir les problèmes qui existent et comment ceux-ci sont vont être résolus ou ont été résolus. Car c’est bien marrant de se moquer des fonctionnaires, mais eux non plus ne sont pas omnipotents et ce n’est pas (j’ai du mal à écrire cette phrase) toujours leur faute. (argh…)

Ces émissions apprennent aussi aux fonctionnaires à répondre aux questions sans éluder, de façon claire et concrète ou tout simplement à accepter de dire « je ne sais pas » quand ils préféraient se retrancher dans le mutisme par peur de perdre la face.

Elles apprennent aussi aux gens à formuler leurs demandes et à pointer du doigt les problèmes de façon plus « froide » car si les Chinois savent manifester (oui, ils manifestent), ce n’est pas toujours très « pro » et organisé, et on a du mal à comprendre leur revendication car les demandes ne sont pas claires. Ce qui se reflète souvent dans les émissions c’est qu’il y a un ressenti de la part du public, assez compliqué à exprimer et que la présentatrice est souvent obligée de « raccourcir les questions » et simplifier les problèmes pour les rendre plus compréhensibles.

Alors finalement, tout le monde y trouve son compte, malgré quelques doutes émis par certains sur ces émissions quant à leur objectivité ou leur efficacité, les gens n’attendent pas qu’elles deviennent un tribunal pour fonctionnaires ou une « réunion de plaignants », mais plutôt une sorte de conseil municipal télévisé où chacun peut s’exprimer sans dépasser les limites bien sûr…

Sébastien ROUSSILLAT

»» http://yingxiong2008.canalblog.com/archives/2016/01/27/33275692.html
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Journaliste, écrivain, professeur d’université, médecin, essayiste, économiste, énarque, chercheur en philosophie, membre du CNRS, ancien ambassadeur, collaborateur de l’ONU, ex-responsable du département international de la CGT, ancien référent littéraire d’ATTAC, directeur adjoint d’un Institut de recherche sur le développement mondial, attaché à un ministère des Affaires étrangères, animateur d’une émission de radio, animateur d’une chaîne de télévision, ils sont dix-sept intellectuels, (…)
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