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Entretien avec la combattante hollandaise Tanja Nijmeijer alias Alexandra Nariño des FARC-EP à la Havane

L’internationaliste

« Face aux conditions matérielles, à la dureté physique de la vie dans la jungle il y en a toujours qui rient et disent heureusement que nous avons avec nous cette folle, cette étrangère qui est venue » s’amuse à raconter Alexandra sur sa vie dans la guérilla colombienne. Ayant accepté une interview c’est dans un hôtel de la Havane, ce mercredi 4 mai 2016, que la citoyenne hollandaise m’a donné rendez-vous. Membre de la délégation de Paix des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie – Armée du Peuple (FARC-EP), figure médiatique malgré elle de par sa nature d’étrangère, Tanja Nijmeijer, devenue la combattante Alexandra Nariño, a été la cible de plusieurs débats quant à son engagement dans le conflit colombien.

« J’ai intégré la guérilla en mai 2003, mais je parle là de mon arrivée dans la jungle car je travaillait déjà comme milicienne en milieu urbain… ça depuis 2002 » résume mon interlocutrice. Travaillant comme enseignante d’anglais lorsqu’elle arrive pour la première fois en Colombie c’est grâce à l’un de ses collègues que Tanja entame son processus d’éducation politique. « Lorsque j’ai rencontré cet enseignant je n’avais aucune formation politique, mais avec lui j’ai commencé à développer une vision politique révolutionnaire du monde. Ensuite j’ai été une année et demi de plus en Hollande pendant laquelle j’ai continué ma prise de conscience politique. J’ai commencé a travailler avec les ‘socialistes internationaux’, nous avons créé une plateforme contre le Plan Colombie, nous faisions des actions à l’encontre de ce plan... c’était surtout avec des anarchistes ». Provenant d’une famille qu’elle qualifie de « catholique, qui vote quelque chose comme les chrétiens démocrates », Tanja a grandi dans un cadre peu marqué politiquement. « Même si chez moi on était très informé sur l’actualité, surtout ma mère, sans pour autant avoir un avis tranché sur ce qui se passe ». Existait-il néanmoins un terreau fertile à une politisation orientée vers la radicalité révolutionnaire ? « Il est difficile de dire ça de soi-même ; ce que je peux dire c’est que dans l’immédiat, au niveau personnel, je ne supportait pas l’injustice... je veux dire que si par exemple je voyais un professeur maltraité ma sœur ou une amie, ou si je voyais des choses injustes autour de moi, et bien ça me révoltait ».

Le choix de rejoindre le mouvement insurrectionnel colombien n’est pas le résultat d’un coup de tête, d’une folie passagère. Au contraire « ce n’est pas même comme une décision, c’est un processus par étapes. Tu commences par te rendre compte comment les gens vivent en Colombie. Tu y ajoutes l’Histoire, j’ai commencé à étudier l’histoire des guérillas, pourquoi elles existent, pourquoi elles ont pris les armes, etc. Ce qui a nourri ça, également, c’est qu’au début je fréquentais les classes aisées, je voyais l’arrogance de classe des ces gens, cette supériorité envers ceux qui n’ont rien est qui est injustifiée. Tout cela m’a choquée ». Un processus long donc qui aura amené Tanja Nijmeijer à devenir Alexandra Nariño et à empoigner le fusil. A la question de savoir pourquoi le choix de la lutte armée l’a emporté elle répond : « D’une certaine façon le peuple avait déjà choisi cette option, qui suis-je pour le questionner ? Ce serait une perte de temps. Et puis comme me le disait un ami : beaucoup d’entre nous optent au début pour la voie pacifique, nous intégrons le Parti Communiste, etc. par la suite, tous, nous nous heurtons au même mur. Tous les chemins mènent à Rome, non ? Et bien en Colombie toute personne révolutionnaire se heurte aux limites du terrorisme d’état et à l’exclusion politique. Moi j’admire beaucoup ceux qui aujourd’hui continuent de faire de la politique avec tout le danger que cela implique et je pense qu’il faut peut être plus de courage, en Colombie, pour faire de la politique de cette façon plutôt que d’aller dans la jungle. Ceux qui rejoignent la guérilla ce sont des gens qui n’ont plus le choix, qui ne veulent pas mourir, des gens qui veulent vivre pour porter des choses ».

Dés lors où sa présence à été détectée au sein du groupe armé Alexandra a focalisé l’œil des médias colombiens sur elle [1]. ‛l’Hollandaise des FARC’ alimente les débats sur la nature de son engagement, sur son atypique portrait d’une européenne ayant abandonné le confort du Vieux Continent pour le maquis latino-américain. « Je crois que le problème avec moi était là. Comment justifier ça ? Car cette fille n’est pas folle, ni déséquilibrée. C’est juste une fille qui a choisit de faire ça. Quand j’arrive à la Havane je me rends compte que le gouvernement colombien ne voulait pas que je vienne et que tous les médias hollandais m’attendaient ; je vois alors ce que je représente, que pour eux c’est un cas étrange. L’erreur qu’ils ont commit selon moi c’est de dire, au début, que j’étais séquestrée et que je voulais quitter la guérilla. Je me souviens d’écouter la radio et d’entendre le vice-président je crois, qui m’exhortait à déserter, que j’étais une gentille fille mais manipulée ; qu’ils allaient me sortir de là, des griffes de ces terribles personnes, qu’on allait me donner un psychiatre pour que je puisse reprendre ma vie, la pauvre ! Jusqu’au moment où moi même je dis ’non’. Mais il m’avait déjà rendu célèbre.. Alors comment justifier ça ? A partir de là le discours s’est segmenté, j’étais devenue une folle, on m’avait lavé le cerveau, j’étais une terroriste, un assassin ».

Il n’est pas surprenant que dans une logique de bataille médiatique les journaux colombiens (ou autres), hostiles à la guerilla, cherchent à discréditer l’existence d’une volontaire européenne au sein de l’organisation rebelle. A l’inverse, selon ses dires, la présence d’Alexandra au sein des FARC « n’est pas une surprise » pour ses compagnons. « Ils me demandent mon histoire mais moins que les journalistes. J’ai l’impression que pour les guérillos le sentiment qui ressort c’est ‟Enfin ! C’est ce à quoi on a droit ! Enfin quelqu’un qui vient d’ailleurs et qui voit comment sont les choses ici !” Mais ce n’est pas une surprise. Et il serait étonnant qu’ils soient surpris par la solidarité internationale ». Selon elle, l’expression de gratitude de ses camarades autour de sa venue sont les souvenirs les plus précieux qu’elle garde de cette époque dans la jungle.

L’engagement d’étrangers dans un conflit local n’est pas chose nouvelle. Dans un article sur le sujet, le sociologue Laurent Bonelli y relève des mécanismes humains communs selon les différents exemples : « L’engagement à l’étranger apparaît donc comme la rencontre entre un travail idéologique de formulation du conflit et de dispositions personnelles qui incitent à partir » [2] rapporte l’auteur. Si l’on met de côté l’aspect biographique du protagoniste et que l’on se penche sur l’idéologie alors c’est le contexte idéologique global de l’époque qui devient sujet d’étude. Un thème qui survient pendant notre discussion : « Je suis les informations et je vois tout ce qui se passe, les réfugiés, ceux qui meurt noyés dans la mer… Je vois ces jeunes qui partent ce battre ». La combattante m’exprime son rejet de la comparaison entre son engagement et celui de jeunes qui rejoignent l’Etat Islamique (certains journalistes ont voulu qu’elle s’exprime à ce sujet). Néanmoins elle se sent proche des européens qui partent combattre ailleurs sous des étendards plus proches de ses idéaux : « Il y a ceux qui partent en Ukraine, ceux qui rejoignent les Kurdes du PKK, l’YPG.. il semble que le monde est en train de se polariser. Tout cela nécessairement doit arriver. Ce sont des décisions radicales. Je suis la dernière à dire que ça ne l’est pas au niveau personnel, mais en tout cas cela me paraît une décision logique à l’époque où l’ont vit » commente l’hollandaise. Dans son article M.Bonelli avance l’idée d’un « désir de participer à la réalisation d’une utopie concrète » comme moteur de ce type de choix. Il affirme que « lorsque les perspectives de transformation sont éloignées ici alors qu’elles paraissent se rapprocher ailleurs, le départ peut devenir une option » [3]. Un élément que l’on distingue aussi dans les mots d’Alexandra Nariño : « Pour une certaine raison j’ai décidé de revenir en Colombie. J’ai milité comme un an et demi en Hollande. Je vendais des journaux, j’étais très active, vraiment très active ! Mais je sentais que cela n’allait nulle part. Je récoltait des signatures contre le Plan Colombie, et il s’agissait aussi d’expliquer ce que c’était aux gens. Mais les gens ne comprenaient rien ou me disaient ‟je n’ai pas le temps !” Monsieur ! une signature, le Plan Colombie, Monsieur.. ” ‟Non ! Pas le temps !”. Il faut avoir beaucoup de morale révolutionnaire pour être là, durant l’hiver, et demander sans cesse des signatures, etc. ».

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Cependant les proportions d’un tel engagement internationaliste, principalement dans la gauche, ne possède pas les proportions d’antan (Comme lors de la Guerre Civile Espagnole) lui fais-je remarquer, voulant souligner par là une époque de dépolitisation de la jeunesse européenne. « Je crois que cela est différent en Amérique Latine » dit-elle, « J’ai la sensation qu’ici les gens ont plus de conscience de classe. Il y a plus de pauvreté et les conditions matérielles expliquent peut être que les gens soient plus combatifs. Mais c’est difficile pour moi de parler de ça. Qui suis-je en ce moment pour analyser cela ? Cela fait tellement longtemps que je ne suis plus en Europe. Mais je veux dire ceci : je vois les réactions par rapport à ma participation dans la lutte. En Europe je sais qu’il y a des jeunes qui comprennent une telle décision, mais il y a aussi des interrogations. Pour certains médias il semble que cela est totalement incompréhensible. Je veux dire qu’il me semble qu’à l’époque des Brigades Internationales et tout le reste, ce n’était pas si extraordinaire. Maintenant j’ai l’impression que je suis un cas isolé. C’est peut être en effet un signe d’une certaine dépolitisation en Europe ».

En 2012 Alexandra Nariño arrive à la Havane afin de rejoindre la délégation de Paix qui négocie avec le gouvernement colombien une possible issue politique au conflit. En septembre 2014 elle participe au lancement, avec son camarade Boris Guevara, d’un programme d’information créé par la guérilla [4]. « Nous avions l’expérience du Caguan, où durant ce processus de paix la guérilla parlaient aux médias, à RCN, à Caracol, etc. Mais ces derniers choisissent ce qu’ils veulent montrer. Nous n’avions pas de médias propres. Lorsque nous sommes arrivés à la Havane nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire de différent à ce sujet. Et il se trouve que maintenant, depuis 2000 jusqu’à aujourd’hui, internet s’est développé. Il y a Youtube, Facebook, Twitter, etc. Je ne connaissais rien de tout ça moi mais nous avons exploré et découvert ces outils. C’est une façon pour nous de nous exprimer sans intermédiaire. Au début nous avons créé une page des Farc, un blog, ensuite le Facebook, Twitter et enfin a surgi l’idée de créer un journal. Nous avons vu que nos communiqués, quotidiens, étaient longs et parfois difficile d’accès pour les gens. Donc nous avons voulu faire quelque chose de moderne, qui attire l’attention et qui explique ce qu’il se passe car à cette époque le gouvernement ne faisait rien en terme de pédagogie de paix autour des négociations. Il le fait depuis maintenant peut être six mois, mais avant rien ». Le résultat est un programme d’information qui reprend l’ensemble des codes audiovisuels d’aujourd’hui et qui traduit ce ton volontairement moderne. « Au début nous le faisions tous les trois jours, à trois. Cela était devenu une vraie servitude. Très dur. Il fallait écrire le script, enregistrer, l’édition, la diffusion, tout ! Maintenant nous le faisons une fois par semaine. Nous avons ramené plus de matériel, plus de monde, certains ont appris à écrire, à manipuler les ordinateurs, à présenter le programme, etc. Et maintenant c’est un grand groupe qui travaille sur ça ». L’utilisation des réseaux virtuels menaceraient ils d’accentuer l’individualisme que combattent les FARC ? « Quel est le danger ? Que nous les guérilleros nous commencions à utiliser Facebook pour dire ‟oooh ! un chien qui rit ! c’est mignon !” ?... c’est possible. Mais c’est pour ça que l’organisation est présente, pour dire que cela est un outil de lutte. Le problème n’est pas la technologie, mais comment celle-ci s’emploie. Pour nous c’est un moyen d’apporter de l’information. Internet nous facilite cela ».

Alexandra Nariño n’envisage pas de rentrer en Europe si les accords de paix sont signés. « Je pense rester en Colombie. Certainement que je ferai ce que l’organisation me demande, ce dont elle a besoin. Mes préférences seraient de travailler dans l’éducation, autour de ce thème. Je pense que c’est la clé pour résoudre les problèmes en Colombie. Comme beaucoup l’ont dit l’éducation est l’arme la plus puissante des peuples. Je suis convaincue de ça ». Comme beaucoup d’observateurs mon interlocutrice semble optimiste sur l’issue des conversations, bien qu’elle souligne les obstacles qui perdurent pour que la paix advienne. « L’obstacle le plus immédiat c’est le paramilitarisme, qui représente une menace physique ». L’expérience tragique de l’Union Patriotique dans les années 80 et 90 hante encore les acteurs révolutionnaires [5], convaincus que seule la désarticulation de l’appareil répressif paramilitaire peut permettre d’établir un cadre satisfaisant pour une participation politique institutionnelle. En mars 2016 des activistes ont dénoncé l’assassinat, dans les 4 dernières années, de 113 membres du mouvement « Marcha Patriótica » [6]. Cette persistance, aujourd’hui, d’assassinats ciblés à l’encontre de la gauche ne peut être qu’un frein au renoncement de la lutte armée pour la guérilla communiste.

« Nous avons besoin d’un engagement clair de la part du gouvernement sur ce sujet » martèle Alexandra Nariño sur la question paramilitaire. « Mais l’autre obstacle c’est le travail fait par les médias durant tant d’années. Comment y remédier ? Comment convaincre une personne, qui a toujours entendu que nous sommes ce qu’il y a de pire, comment la convaincre que nous sommes des êtres humains ? ». Consciente de l’enjeu médiatique du conflit et de l’importance du travail idéologique sur les masses, la combattante pointe du doigt le danger d’une rupture avec certains secteurs du pays, amplement soumis à la désinformation : « Mise à part les populations rurales, qui ont vécu avec nous, qui nous connaissent et qui ont une vision réelle de nous.. mise à part eux, je crois que dans les villes la population a une vision très négative de nous, de ce que nous sommes. Ils ne s’imaginent pas qui nous sommes, que dans la guérilla il y a tant de jeunes, tant de victimes du paramilitarisme, de l’abandon étatique ou du terrorisme d’état. Ils n’imaginent pas ». Pour Alexandra l’important est « se regarder les uns les autres » afin que la population colombienne hostile au mouvement puisse réaliser que les guérilleros « se sont les leurs, que tous vivent dans le même pays ».

Alexandra Nariño est une militante communiste. Avant l’entretien nous avons échangé elle et moi, avec son camarade Julian, lui aussi membre de la délégation de paix, autour de la situation politique globale. Elle m’a posé beaucoup de questions sur le mouvement social en France (autour de la loi Travail « El-Khomri ») ainsi que sur l’occupation de la Place de la République (qui a créé le mouvement « Nuit Debout »), puis nous avons discuté du parti Podemos en Espagne, de Syriza en Grèce, de l’Union Européenne.. Elle se défend d’être absente d’Europe depuis près de quinze ans et dit ne pas pouvoir se prononcer sur ce qui pousse les jeunes du Vieux Continent à s’engager dans la révolution ou non. Mais ce qui est certain c’est qu’avant d’être une combattante colombienne Alexandra Nariño a d’abord été Tanja Nijmeijer, une européenne engagée. Dans ses entretiens avec le journaliste Jorge Enrique Botero, il y a quelques années [7], elle affirmait sa confiance en la victoire d’une révolution en Colombie. Ma dernière question est donc de savoir si cette confiance, aujourd’hui, reste intacte. « Oui, je pense que oui. Nous avons un potentiel énorme. Si nous avons été capable de survivre plus d’un demi-siècle, avec tout ce dont on a parlé, avec les médias contre nous, le terrorisme contre nous, la technologie étatsunienne contre nous, et nous avons survécu dans nos régions avec nos gens.. nous avons survécu comme guérilla sans être isolés de la société car l’inverse aurait été impossible. Si à tout cela on retire le terrorisme d’état, l’exclusion politique, la menace constante et si on nous laisse faire de la politique librement alors je suis sûr que nous avons du potentiel, je crois à ça ».

Loïc Ramirez

Mai 2016

Photos d’Alexandra Nariño : L.Ramirez

[1Lire l’article « Tanja Nijmeijer, l’enjeu d’un symbole » L.Ramirez sur le Legrandsoir.info http://www.legrandsoir.info/Colombie-Tanja-Nijmeijer-l-enjeu-d-un-symbole.html

[2“Des brigadistes aux djihadistes, combattre à l’étranger” L.Bonelli, Le Monde Diplomatique, août 2015.

[3Ibid.

[5Lire l’article « Le retour des morts » de L.Ramirez sur Legrandsoir.info http://www.legrandsoir.info/colombie-le-retour-des-morts.html

[7Entretiens que l’on retrouve dans le livre « La vida no es fácil papi » J.E.Botero, Ediciones B, 2011.


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