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Cuba-Etats-Unis : l’armistice n’a pas eu lieu (La Pupila Insomne)

Le 18 septembre dernier, pour la seconde fois, les présidents Barak Obama et Raul Castro se sont entretenus au téléphone des relations entre Cuba et les États-Unis. Le même jour expirait le délai fixé par l’officine du gouvernement des États-Unis, le bureau des transmissions vers Cuba (OCB), pour présenter des scénarios de télévision destinés à « parodier des personnalités publiques, des hommes politiques, fonctionnaires, artistes, membres reconnus de la société civile cubaine, présents dans la sphère politique et civile et largement connus dans toute l’île ».

L’OCB reçoit du gouvernement des États-Unis 30 millions de dollars par an pour produire et envoyer de la propagande à Cuba. Si l’on y ajoute les 20 millions que le Département d’état consacre aux « programmes d’appui à la démocratie à Cuba » - et que le Congrès veut porter à 30 millions l’an prochain ( une part significative de ces fonds servant à recruter dans l’île des personnes qui poursuivent les mêmes buts que l’OCB)– ces sommes atteindront les 60 millions de dollars.

Selon la presse internationale, un dollar équivaudrait à 25 pesos. Si l’on retient ce chiffre comme valeur de la monnaie cubaine, les 50 millions de dollars actuels que les États-Unis consacrent à leur propagande vers Cuba, représentent le triple du budget de la presse d’état cubaine.

Une propagande déguisée

Malgré la normalisation des relations entre les deux pays, loin de diminuer, ces sommes augmentent tandis que leurs destinataires se cachent dans des pays tiers, fondations diverses, moyens de communications ou institutions universitaires. Comme me l’a expliqué dans une interview le chercheur étasunien Tracey Eaton, cette propagande envahit internet. Comme l’a dénoncé Glenn Greenwald lors du scandale du Zunzuneo, cette propagande d’état « menace l’intégrité d’internet utilisé comme espace de la propagande des États-Unis, propagande déguisée et présentée comme modèle de liberté d’opinion et d’organisation. »

John Lee Anderson, journaliste étasunien spécialiste de l’Amérique Latine, soutient tout comme Eaton que les États-Unis voient la nouvelle politique comme « une occasion d’influer sur le destin de Cuba » : « Je ne suis pas un oracle et j’ignore les pensées d’Obama mais ce que l’on peut déduire de la vision des fonctionnaires de Washington c’est qu’ils pensent que le rapprochement produira un effet irrésistible au bénéfice des Etats-Unis. Ce défi s’adresse à Cuba car ce qui va être mis à l’épreuve c’est l’intégrité culturelle de Cuba ».

Le 24 décembre 204, une semaine exactement après les accords du 17 décembre entre les deux gouvernements, le Département d’État a annoncé qu’il recherchait des organisations, basées ou non aux États-Unis, afin de leur attribuer 11 millions de dollars de subventions (entre 500 000 et 2 millions pour chaque enveloppe) afin de financer des projets destinés à « contrecarrer le rôle des interlocuteurs cubains dans les processus en cours ».

On a déjà mesuré les effets de ces mesures. La convention de Vienne ne permet pas à l’ambassade des États-Unis à la Havane d’apparaître comme l’état major de la contre révolution. Les individus élus à cette fin sont donc invités à quitter le territoire pour être entrainés à l’étranger, reçoivent des subsides qui ne proviennent pas directement du gouvernement des États-Unis, lancent des campagnes sur tel ou tel thème au prétexte qu’ils ne seraient pas pris en compte par le gouvernement cubain, les organisations de masse et la presse de Cuba. Par exemple la liberté d’information.

Ces campagnes ne visent pas le Honduras, le Mexique, la Colombie,d’autres pays latino-américains, où enlèvements, assassinats et violences contre les journalistes sont courants. Elles visent Cuba et les sommes qui leur sont allouées augmentent. Leurs bénéficiaires cubains font mine d’ignorer que leurs agissements sont interdits par la législation même de leurs bienfaiteurs et ils déclarent que les négociations entre Cuba, les États Unis et l’Union Européenne les légitiment.

inverser les causes et les effets

Au plan symbolique, pour justifier ce genre de projets, il faut que l’histoire des cinquante cinq dernières années soit réécrite en inversant causes et effets. J’ai lu dans un texte récent sur l’histoire de la contre-révolution cubaine que « la nouvelle opposition politique a imité le modèle des années 50 : déstabilisation, usage de bombes et guerre à partir des montagnes. Tout cela coordonné avec les mécanismes de pouvoir aux États-Unis, à la CIA en particulier ».

La révolution qui, pour faire face à la torture, aux assassinats et atrocités de la lutte contre la dictature de Batista « fut obligée d’utiliser de manière progressive et intense la déstabilisation, les bombes et la guerre à partir des montagnes » serait donc responsable du terrorisme de la contre-révolution ?

Combien de civils innocents a assassiné la révolution à la différence des milliers de vie qu’a coûté à Cuba le terrorisme venu des Etats-Unis ? C’est la contre-révolution qui s’est appuyée sur les institutions des États-Unis. Comme le souligne l’historien Esteban Morales, à Cuba, la contre-révolution n’existe que comme succursale des États-Unis. Washington l’a placée au pouvoir en 1898 et son dernier maillon a été renversé en 1959 par la révolution triomphante.

Morales écrit que « Obama divise l’embargo en deux et l’utilise pour renforcer les secteurs susceptibles de l’appuyer contre le régime cubain. Il tente de saper l’action du gouvernement cubain et de frustrer l’effort de la majorité du peuple cubain qui veut avancer vers le socialisme. Mais certains félicitent Obama et ses efforts bizarres pour mettre fin aux mécanismes d’hostilité et de subversion contre notre pays ».

Ona change de moyens, pas d’objectifs

En marge des lois et institutions cubaines qui ne se sont pas encore adaptées au nouveau contexte, des médias privés apparaissent. Ils s’appuient sur les mesures annoncées par le gouvernement des États-Unis pour modifier l’embargo. Leur leitmotiv, tout pour le secteur privé, rien pour le secteur public même s’il s’agit d’appuyer la lutte contre le cancer- visent à rendre ces médias hégémoniques. Selon le journaliste mexicain Pedro Miguel, en Amérique Latine ce ne sont plus les médias pro-gouvernementaux qui dominent mais plutôt des gouvernements pro-médiatiques. Les médias privés sont devenus autant de partis politiques au service des oligarchies et de la politique des États-Unis. Nul besoin d’être devin pour comprendre le rôle qui leur est assigné à Cuba.

Une presse révolutionnaire qui ne répond pas aux besoins de la société cubaine leur ouvre la voie. En 1959, les propriétaires des moyens de communication ont quitté le pays laissant à Washington la mission de les récupérer. La révolution est devenue propriétaire des principaux médias qui ont évolué - dans un contexte de guerre virtuelle- vers un modèle marqué par l’influence soviétique. Ce modèle a traversé la crise des années 90 en s’appuyant sur ce communicant exceptionnel qu’est Fidel.

Les déclarations des hauts fonctionnaires étasuniens – les moyens changent mais les objectifs restent les mêmes - modifient le scénario sans mettre fin à la confrontation.

Si pour Klausewitz la guerre est la poursuite de la politique avec d’autres moyens, pour les États-Unis, le rapprochement avec Cuba est la poursuite de la guerre avec d’autres moyens. Le plus décisif en ce domaine sera la stratégie cubaine.

Il y a consensus sur le fait que la communication à Cuba nécessite une profonde transformation qui respecte le droit à l’information de tous les citoyens, inscrit dans la constitution, et qui permette de profiter pleinement des avantages de la propriété sociale des médias que la révolution reconnaît. La presse est un instrument de contrôle populaire ; Les technologies de l’information et de la communication contribuent à la participation démocratique dans une société où le haut niveau d’instruction élève de manière exceptionnelle la capacité de critique. Le dernier congrès de l’Union des journalistes s’est prononcé pour une transformation de fond en ce sens et tout indique que l’on va vers d’importants changements de structure et de fonctionnement qui préservent la propriété sociale et publique sur la presse.

La guerre des symboles

La démocratisation la plus large - qui ne signifie en aucun cas mettre entre les mains du marché un droit humain fondamental - est le seul chemin possible. Cela dans l’intérêt du peuple cubain ; Pas pour nous faire pardonner ou nous faire comprendre d’un système qui ne le fera jamais et ne renoncera jamais à faire de nous des sujets. Tant qu’il n’y avait que quelques blogueurs à Cuba, les grands médias ont fait de ces créations des Etats-Unis des étoiles médiatiques. Depuis qu’il existe à Cuba des milliers de blogueurs qui interviennent sur des plateformes nationales, les grands médias les ignorent et financent maintenant une prétendue « presse citoyenne », en réalité une somme d’intérêts privés.

Nous ne croyons pas au modèle d’une presse à ce point « plurielle et démocratique » qu’elle est unanime à condamner la révolution cubaine. Qui n’accepte que ce seul sujet de débat : comment nous ramener au capitalisme par la force ou la séduction ? Qui ne reconnaît aucunement aux Cubains le droit de choisir une société alternative à ce système qui, selon le pape François « ruine la société, condamne l’homme et le convertit en esclave, détruit la fraternité humaine, dresse les peuples les uns contre les autres et met en danger notre maison commune ».

La victoire cubaine sur la politique de Washington, que la résistance de la révolution et la solidarité internationale obligent à faire de nécessité vertu, nous contraint à relever les défis de la communication et de son monde symbolique. C’est dans ce contexte qu’intervient la phrase de Luis Britto Garcia dans « El imperio contracultural » (l’empire contreculturel).

C’est l’heure des symboles car, pour paraphraser cet écrivain vénézuélien, les symboles commencent à pleuvoir quand les bombes ont échoué... La guerre réelle connaît des accalmies et des armistices : celle de la culture non.

Intervention lors du séminaire international sur « Médias et démocratie dans les Amériques ». Sao Paulo, Brésil. 18 au 20 septembre 2015.

Traduction : Maité Pinero

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