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Exceptionnalisme américain et torture américaine.

En 1964, l’armée brésilienne, par un coup d’état de conception américaine, renversa un gouvernement libéral (pas plus à gauche que ça) et gouvernera avec une poigne de fer pendant les 21 années qui ont suivi. En 1979, le régime militaire adopta une loi d’amnistie bloquant toute poursuite de ses membres pour torture et d’autres crimes. L’amnistie tient toujours. (1)

C’est ainsi qu’ils règlent ce genre de problème, dans ce que l’on appelle le tiers monde. Mais dans le premier monde, de telles subtilités juridiques sont inutiles. Aux États-Unis, les militaires tortionnaires et de leurs parrains politiques sont amnistiés automatiquement, simplement pour être américain, uniquement pour leur appartenance au « Club des Gentils ».

Voilà maintenant, avec la publication du rapport du Comité du renseignement du Sénat sur la torture de la CIA, de nouvelles révélations encore plus déprimantes sur la politique étrangère américaine. Mais est-ce que les Américains et le monde ont encore besoin d’un rappel que les États-Unis sont un pays tortionnaire de premier plan ? Oui. Le message ne saurait être trop répété parce que l’endoctrinement du peuple américain et des Americonophiles partout dans le monde est si profond qu’il faut des chocs réitérés au système de le déloger. Personne ne réussit à laver les cerveaux mieux que les bons vieux Yankees inventeurs de la publicité et des relations publiques. Et il y a toujours une nouvelle génération qui arrive avec des bannières étoilées plein les yeux.

Et il faut rappeler encore une fois au public que - contrairement à ce que la plupart des médias et M. Obama voudraient nous faire croire - le président n’a jamais fait interdire la torture en tant que tel, en dépit d’avoir récemment déclaré qu’il avait « interdit sans équivoque la torture » après sa prise de fonction. (2)

Peu de temps après la première investiture d’Obama, lui et Leon Panetta, le nouveau directeur de la CIA, ont déclaré explicitement que les « renditions » se poursuivaient. Comme le Los Angeles Times l’a rapporté à l’époque : « Sous les ordres exécutifs émis par Obama récemment, la CIA a encore le pouvoir de procéder à ce qu’on appelle des renditions, des enlèvements et des transferts secrets de prisonniers vers des pays qui coopèrent avec les Etats-Unis. » (3)

La traduction en bon français de « coopérer » est « torturer ». Le rendition est simplement une sous-traitance de la torture. Il n’y avait aucune autre raison pour envoyer des prisonniers en Lituanie, en Pologne, en Roumanie, en Egypte, en Jordanie, au Kenya, en Somalie, au Kosovo, ou sur l’île de de Diego Garcia dans l’Océan Indien, entre autres centres de tortures employés par les États-Unis. Le Kosovo et Diego Garcia - qui abritent les deux grandes et très secrètes bases militaires américaines – et peut-être d’autres sites, pourraient bien être encore ouverts pour pratiquer la torture, comme l’est la base de Guantanamo à Cuba.

En outre, le Décret présidentiel dont on parle, et qui porte le numéro 13 491, délivré le 22 Janvier 2009, pour « Garantir la légalité des interrogatoires », laisse une faille importante. Il déclare à plusieurs reprises que le traitement humain, dont l’absence de torture, ne s’applique qu’aux prisonniers détenus dans le cadre d’un « conflit armé ». Ainsi, la torture par les Américains en dehors d’un cadre de « conflit armé » n’est pas explicitement interdite. Mais qu’en est-il de la torture dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme » ?

Le Décret présidentiel ordonnait à la CIA de n’employer que les méthodes d’interrogatoire décrites dans un manuel de l’armée. Cependant, en s’appuyant sur ce manuel comme guide pour le traitement et l’interrogation des prisonniers, il est toujours permis l’isolement, la privation sensorielle, la surcharge sensorielle, la privation de sommeil, l’induction de la peur et du désespoir, les médicaments psychotropes, la manipulation de l’environnement telles que la température et le bruit et des positions de stress, entre autres exemples charmants de l’exceptionnalisme américain.

Après que Panetta ait été interrogé par une commission du Sénat, le New York Times a écrit qu’il avait « laissé ouvert la possibilité que l’agence pourrait demande la permission d’utiliser des méthodes plus agressives que le menu limité autorisé par le président Obama en vertu des nouvelles règles d’interrogatoire ... M. Panetta a également déclaré que l’agence continuera la pratique de « rendition » de l’administration Bush... Mais il a dit que l’agence refuserait de livrer un suspect entre les mains d’un pays connu pour pratiquer la torture ou d’autres actions « qui vont à l’encontre de nos valeurs humaines » ». (4)

La dernière phrase est bien sûr d’une absurdité infantile. Les pays choisis pour accueillir les prisonniers étaient choisis précisément et uniquement parce qu’ils étaient disposés et capables de les torturer.

Quatre mois après les prises de fonction d’Obama et de Panetta, le New York Times pouvait écrire que les « renditions » avaient atteint un niveau sans précédent. (5)

Les rapports de presse actuels indiquent que l’obsession de Washington pour la torture découle des attentats du 11/9, pour éviter leur répétition. Le président parle des « excès de peur post 11/9 » . Il y a quelque chose de vrai là-dedans, mais pas beaucoup. La torture en Amérique est aussi vieille que le pays. Quel autre gouvernement a été plus intimement impliqué dans cette horreur que les Etats-Unis ? En l’enseignant, en fournissant les manuels, les équipements, en créant des centres de torture internationaux, en enlevant des gens pour les y emmener, en pratiquant l’isolement, l’alimentation forcée, et Guantanamo, Abou Ghraib, Bagram, le Chili, le Brésil, l’Argentine, Chicago... Que Dieu nous pardonne !

En 2011, le Brésil a institué une Commission nationale pour la vérité pour enquêter officiellement sur les crimes commis par le gouvernement militaire, au pouvoir jusqu’en 1985. Mais M. Obama, lui, a rejeté tous les appels pour une commission de vérité sur la torture par la CIA. (6) Cependant, le 17 Juin de cette année, lorsque le vice-président Joseph Biden se trouvait au Brésil, il a donné à la Commission Vérité 43 câbles et rapports du Département d’Etat concernant le régime militaire brésilien, dont un document intitulé « Arrestations massives et Interrogatoires psychophysiques de suspects de subversion. » (7)

C’est ainsi qu’une fois de plus les Etats-Unis d’Amérique n’auront aucun compte à rendre pour avoir violé les lois américaines, les lois internationales et les lois fondamentales de la décence humaine. Obama pourra s’attendre à la même bienveillance de la part de son successeur qu’il en a accordée à George W.

« Un des points forts qui rend l’Amérique exceptionnelle est notre volonté de confronter ouvertement notre passé, de faire face à nos imperfections, de procéder à des changements et de faire mieux. » - Barack Obama, dans une déclaration écrite diffusée quelques instants après la publication du rapport du Sénat. (8)

Et si ce tas d’hypocrisie n’était pas assez grand ou malodorant, essayez d’y ajouter la remarque de Biden lors de sa visite au Brésil : « J’espère qu’en prenant des mesures pour confronter notre passé, nous pourrons trouver un moyen pour nous concentrer sur l’immense promesse de l’avenir ». (9)

Si les tortionnaires des administrations Bush et Obama ne sont pas tenus pour responsables auc États-Unis, ils doivent être poursuivis à l’échelle internationale dans le cadre des principes de la compétence universelle.

En 1984, une mesure historique a été prise par les Nations Unies avec la rédaction de la « Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants » (entrée en vigueur en 1987, ratifiée par les Etats-Unis en 1994). L’Article 2, alinéa 2 de la Convention stipule : « Aucune circonstance exceptionnelle quelle qu’elle soit, qu’il se agisse d’un état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. »

Un langage merveilleusement clair, sans équivoque, et fondé sur des principes, pour définir une norme unique pour un monde où il est de plus en plus difficile de se sentir fier d’appartenir à l’humanité. Nous ne pouvons pas retourner en arrière. Si aujourd’hui il est jugé acceptable de torturer la personne qui a soi-disant des informations vitales sur la bombe qui fait « tic-tac » pour sauver des vies, demain il sera acceptable de le torturer pour apprendre l’identité de ses présumés complices. Accepterions-nous le retour temporaire de l’esclavagisme pour répondre à une « urgence nationale » ou pour tout autre « objectif supérieur » ?

Si vous entre-ouvrez la fenêtre de la torture, même un tout petit peu, le vent glacé de l’âge des ténèbres envahira toute la pièce.

Cuba... c’est pas trop tôt, enfin... peut-être...

Espérons qu’il s’agit bien de ce que ça en a l’air. Cuba va désormais être traitée par les États-Unis comme un pays digne avec au moins autant de respect que Washington traite ses alliés très oppressifs, meurtriers et tortionnaires en Arabie Saoudite, Egypte, Honduras, Israël, Pakistan, Afghanistan, et ailleurs.

Normaliser ses relations avec un pays dont les forces de l’ordre assassinent ses propres civils innocents de manière quasi quotidienne, et même plus à l’étranger, est une décision difficile mais Cuba se devait de la prendre. Peut-être que les Cubains pourront civiliser un peu les Américains.

Espérons ce terrible embargo économique de l’Amérique contre l’île connaîtra le même sort que les dinosaures, et que Cuba sera en mesure de démontrer plus que jamais ce qu’une société rationnelle, démocratique et socialiste peut accomplir. Mais ils ne doivent pas permettre aux Yankees suceurs de sang de jouer avec leur économie comme ils l’ont fait partout dans le monde.

Et je pourrais me rendre à Cuba autrement que comme un voleur dans la nuit en couvrant mes traces et risquant une amende énorme.

Mais avec les Républicains qui prennent le contrôle du Congrès le mois prochain, tout cela n’est peut être qu’un rêve.

Barack Obama aurait pu le faire il y a six ans lorsqu’il a pris ses fonctions ; ou il y a cinq ans, lorsque l’Américain Alan Gross fut arrêté et emprisonné à Cuba. Cela aurait été encore plus facile à l’époque, avec la popularité d’Obama à son apogée et le Congrès moins contrôlé par les ignares d’aujourd’hui.

Cuba a donc survécu à toutes les punitions, tous les mensonges, toutes les insultes, toutes les privations, tout le sabotage meurtrier, toutes les tentatives d’assassinat contre Fidel, toutes les politiques visant à isoler le pays. Mais depuis de nombreuses années maintenant, ce sont les États-Unis qui se sont retrouvés isolés sur le continent.

La 13336ème raison pourquoi le capitalisme sera notre mort à tous.

Les bactéries résistantes aux antibiotiques - les « superbactéries » - si rien n’est fait, pourront entraîner la mort de 10 millions de personnes par an d’ici 2050. De nouveaux médicaments pour lutter contre les superbactéries ont cruellement défaut. Mais au mois de septembre, un comité de conseillers du président Obama a mis en garde qu’ « il n’y a pas suffisamment de médicaments en cours de développement pour remplacer ceux rendus inefficaces par la résistance aux antibiotiques. »

Le problème, il semble, est que « les antibiotiques ne produisent généralement que de faibles retours sur investissement, de sorte qu’ils ne sont pas un domaine très attrayant pour la recherche et le développement. » (10)

Ahaa ! « Faible retour sur investissement » ! Quoi de plus simple à comprendre ? N’est-ce point un concept pour lequel on serait prêt à tuer et à mourir ? Tout comme des millions d’Américains sont morts au cours du 20ème siècle pour les bénéfices des sociétés qui n’ont pas protégé la population contre le tabac, le plomb et l’amiante.

Les sociétés sont programmées pour optimiser les bénéfices sans égard pour la société dans laquelle ils évoluent, à peu près de la même façon que les cellules cancéreuses sont programmées pour proliférer sans égard pour la santé de leur hôte.

Bonne Année.

Voici ce qui nous attend en 2015.


  • 25 janvier : 467 personnes sont portées disparues d’une université au Mexique. Le Département d’Etat américain accuse la Russie.
  • 1er février : Une junte militaire renverse le président Nicolás Maduro au Venezuela. Washington dénonce la fin de la démocratie.
  • 2 février : Les États-Unis reconnaissent la nouvelle junte militaire vénézuélienne et offrent 50 avions de combat et chars.
  • 3 février : Une révolution éclate au Venezuela et menace la junte militaire ; 40 000 marines américains débarquent à Caracas pour réprimer le soulèvement.
  • 16 février : à Chicago, un policier blanc abat un enfant noir de 6 ans qui tenait un pistolet de jeu.
  • 6 mars : le Congrès adopte une nouvelle loi qui stipule que pour devenir président des États-Unis il faut s’appeler Bush ou Clinton.
  • 30 avril : Le Department of Homeland Security annonce un plan pour enregistrer l’ADN à la naissance de tout enfant né aux États-Unis.
  • 19 mai : La Cour Suprême statue que la police peut fouiller toute personne si elle a des motifs raisonnables de croire que la personne a des poches.
  • 27 mai : La Transportation Security Administration déclare que tous les passagers aériens doivent se mettre tout nus lors de l’enregistrement et rester ainsi jusqu’à leur destination.
  • 6 juin : un policier blanc à Oklahoma City file un coupe de Taser à un enfant noir âgé de 7 mois, affirmant que l’enfant tenait une arme à feu ; l’arme s’avère être un hochet.
  • 19 juillet : Deux rames de métro entrent en collision à Manhattan. Les États-Unis exigent que Moscou explique la présence d’un citoyen russe dans chacun des trains.
  • 5 septembre : Le Parti Démocrate change de nom qui devient le Parti Républicain Lite, et annonce l’ouverture d’un compte en banque commun avec le Parti Républicain, afin que les lobbyistes des entreprises puissent faire un seul chèque.
  • 12 septembre : En Alabama, un policier blanc tire sur un nouveau-né noir, confondant le cordon ombilical avec un nœud coulant.
  • 16 novembre : Le président Obama annonce que l’Iran, la Syrie, le Liban, la Palestine, la Corée du Nord, le Soudan, le Nicaragua, le Venezuela, la Bolivie et Cuba possèdent tous des armes de destruction massive ; d’entretenir des liens étroits avec l’État islamique, Al-Qaïda et les talibans ; d’aider les rebelles pro-russes en Ukraine ; d’avoir participé aux attentats du 11/9 ; d’avoir joué un rôle dans l’assassinat de John F. Kennedy et l’attaque sur Pearl Harbor ; et représentent une menace imminente pour les États-Unis et tout ce qui est décent et sacré ; et qu’ils sont tous « vraiment méchants », et même (enfer et damnation !) qu’ils pratiquent la torture !
  • 21 novembre : Les Etats-Unis envahissent l’Iran, la Syrie, le Liban, la Palestine, la Corée du Nord, le Soudan, le Nicaragua, le Venezuela, la Bolivie et Cuba.
  • 10 décembre : Barack Obama reçoit son deuxième Prix Nobel de la Paix
  • 11 décembre : Pour célébrer son nouveau prix de la paix, Obama envoie des drones pour assassiner des personnes mal-pensantes en Somalie, en Afghanistan et au Yémen.
  • 13 décembre : Les membres des partis néo-nazis en Ukraine, qui détiennent plusieurs postes clés dans le gouvernement soutenu par les Etats-Unis, défilent au pas de l’oie à travers le centre de Kiev en uniformes SS, portant des drapeaux géants à croix gammée, en criant ’Heil Hitler’, et en chantant Horst Wessel. Aucun grand média américain n’en parle.
  • 15 décembre : Le Secrétaire d’Etat américain met en garde la Russie de cesser son ingérence en Ukraine, accusant Moscou de vouloir recréer l’Union Soviétique.
  • 16 décembre : un policier blanc tire sur un noir de 98 ans en fauteuil roulant, affirmant que l’homme avait pointé un fusil sur lui. Le fusil s’avère être une canne.
  • 28 décembre : L’équipe de football des Redskins de Washington terminent leur saison à la dernière place. La Maison Blanche accuse Vladimir Poutine.

William Blum

http://williamblum.org/aer/read/135

Traduction "sans retour sur investissement" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

Notes

1 Associated Press, 11 Decembre, 2014

2 New York Times, 11 Decembre, 2014

3 Los Angeles Times, 1er février, 2009

4 New York Times, 6 février, 2009

5 New York Times, 24 Mai, 2009

6 Washington Post, 11 Decembre, 2014

7 National Security Archive’s Brazil Documentation Project

8 Washington Post, 10 Decembre, 2014

9 voir note 7

10 Washington Post, 13 Decembre, 2014


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William BLUM
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