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L’esprit des médias de masse : échange de courriels avec un important journaliste en politique étrangère du Washington Post

18 juillet 2018

Cher M. Birnbaum,

Vous écrivez Trump "n’a fait aucune mention des ingérences de la Russie en Ukraine". Eh bien, ni lui, ni Poutine, ni vous n’avez mentionné les ingérences des Etats-Unis en Ukraine qui ont abouti au renversement du gouvernement ukrainien en 2014, ce qui a conduit à l’ingérence justifiée russe. Donc... ?

Si la Russie renversait le gouvernement mexicain, reprocheriez-vous aux États-Unis de prendre des mesures au Mexique ?

William Blum

Cher M. Blum,

Merci pour votre courrier. "Les ingérences des Etats-Unis en Ukraine" : de quoi parlez-vous ? La dernière fois que j’ai vérifié, ce sont les Ukrainiens dans les rues de Kiev qui ont poussé Ianoukovitch à s’enfuir. Que ce soit une bonne chose ou non, on pourrait en discuter, mais ce ne sont pas les Etats-Unis qui l’ont fait.

Ce sont bien les forces spéciales russes qui se sont déployées en Crimée en février et mars 2014, selon Poutine, et ce sont les Russes arrivés de Moscou qui ont alimenté le conflit dans l’est de l’Ukraine dans les mois qui ont suivi, selon leurs propres récits.

Cordialement,
Michael Birnbaum

à MB,

J’ai du mal à croire votre réponse. Vous ne lisez donc que le Washington Post ? N’avez-vous jamais entendu parler de Victoria Nuland, haut fonctionnaire du Département d’État, et de l’ambassadeur des États-Unis en Ukraine présents sur la place Maidan pour encourager les manifestants ? Elle a parlé de 5 milliards de dollars (sic) donnés pour aider les manifestants qui allaient bientôt renverser le gouvernement. Elle et l’ambassadeur des États-Unis ont parlé ouvertement de qui choisir comme prochain président. Et c’est bien lui qui est devenu président. Tout cela est connu. Je suppose que vous ne regardez jamais Russia Today (RT). Dieu vous en garde ! Je lis le Post tous les jours. Vous devriez regarder RT de temps en temps.

William Blum

à WB,

J’étais le chef du bureau de Moscou du journal ; j’ai fait de nombreux reportages en Ukraine au cours des mois et des années qui ont suivi les manifestations. Mes observations ne sont pas basées sur des lectures. RT n’est pas un organe d’information crédible, mais je lis bien au-delà de mon propres journal et, bien sûr, je parle moi-même aux acteurs sur le terrain - c’est mon travail.

Et oui, bien sûr, Nuland était à Maidan - mais encourager les protestations, comme elle l’a clairement fait, n’est pas la même chose que de les provoquer ou de les diriger. Et jouer aux favoris avec des successeurs potentiels, comme elle l’a clairement fait, n’est pas la même chose que d’être directement responsable du renversement du gouvernement. Je ne dis pas que les États-Unis n’ont pas tenté d’orienter les événements. Il en va de même pour la Russie et l’Union européenne. Mais les Ukrainiens étaient aux commandes pendant tout le processus. Je connais le gars qui a posté le premier appel sur Facebook pour protester contre Ianoukovitch en novembre 2013 ; ce n’est pas un agent US. RT, pendant ce temps, relaie constamment des fausses nouvelles et des mensonges terribles. Je vous encourage à consulter des médias variés - ne vous contentez pas des grands médias US. Mais demandez-vous combien de fois RT fait des reportages critiques sur le gouvernement russe, et considérez comment cette lacune façonne le reste de leurs reportages. Vous trouverez dans le Washington Post de nombreux articles critiques à l’égard du gouvernement US et de la politique étrangère US en général, et des décisions en Ukraine et du gouvernement ukrainien en particulier. Notre objectif est d’être juste, sans choisir son camp.

Cordialement,
Michael Birnbaum

*** fin de l’échange ***

C’est sûr, les États-Unis ne jouent pas un rôle incontournable dans les changements de gouvernements étrangers ; ils ne l’ont jamais fait et ne le feront jamais ; même lorsqu’ils offrent des milliards de dollars ; même lorsqu’ils choisissent le nouveau président, ce qui, apparemment, n’est pas la même chose que de choisir un camp. Il convient de noter que M. Birnbaum n’offre pas un seul exemple pour étayer son affirmation extrémiste selon laquelle la RT "relaie constamment des fausses nouvelles et des mensonges terribles". "Constamment", rien de moins ! Il devrait être facile dans ces conditions de donner quelques exemples.

Pour mémoire, je pense que la RT est beaucoup moins biaisée que le Post sur les affaires internationales. Et, oui, c’est le parti pris, et non les "fausses nouvelles" qui est le principal problème - le parti pris de la guerre froide/anti-communiste/anti-russe avec lequel les Étasuniens ont été élevés pendant tout un siècle. RT défend la Russie contre les innombrables attaques aveugles de l’Occident. Qui d’autre pourrait le faire ? Les médias occidentaux ne devraient-ils pas être tenus responsables de ce qu’ils diffusent ? Les Étasuniens sont si peu habitués à entendre la partie russe, si d’aventure cela leur arrive, que ça peut leur sembler plutôt bizarre.

Pour ceux qui n’ont pas tout suivi, les actes d’accusation du 14 juillet de la Cour des Etats-Unis pour le district de Columbia contre des agents de renseignement russes (GRU) ont renforcé l’argument selon lequel le gouvernement soviétique s’est ingéré dans l’élection présidentielle US de 2016. En analysant ces actes d’accusation sous le bon angle, on constate que l’ingérence électorale n’est mentionnée qu’en tant qu’objectif supposé et que les accusations portent en réalité sur des actes de cyber-opérations illégales, vols d’identité et complot en vue de blanchir de l’argent par des citoyens étasuniens sans liens avec le gouvernement russe. Donc.... nous attendons toujours des preuves d’une ingérence russe réelle dans les élections visant à déterminer le vainqueur.

C’est la faute aux Russes (suite)

Chaque jour, je passe environ trois heures à lire le Washington Post. Entre autres choses, je cherche des preuves - des preuves réelles, juridiques, de qualité judiciaire, ou du moins quelque chose de logique et de rationnel - pour identifier ces horribles Russkoffs pour leurs nombreux crimes récents, depuis l’influence sur les résultats de l’élection présidentielle US de 2016 jusqu’à l’utilisation d’un agent neurotoxique au Royaume-Uni. Mais je ne trouve rien.

Chaque jour, on peut lire des titres tels que :

"Les États-Unis renforcent les sanctions économiques contre la Russie : Une attaque avec un agent neurotoxique sur un ancien espion en Angleterre oblige la Maison Blanche à agir".

"La Russie manipule-t-elle le réseau Facebook ?"

"Selon des experts : L’équipe de Trump ne perçoit pas la gravité de la menace russe"

Tous ces titres ont été publiés le même jour, le 9 août, ce qui m’a amené à penser à faire cet article, mais des histoires similaires peuvent être trouvées n’importe quel jour dans le Post et dans les principaux journaux n’importe où aux Etats-Unis. Aucun des articles ne fournit le début d’une explication sur comment la Russie a fait ces choses, ni même POURQUOI. La motivation semble s’être perdue quelque part dans les médias US. La seule chose qui est parfois mentionnée, et qui, je pense, peut avoir une certaine crédibilité, est la préférence de la Russie pour Trump plutôt que Hillary Clinton en 2016. Mais cela n’explique pas comment la Russie a pu réaliser la tour de magie électorale dont elle est accusée, et qui n’aurait été possible que si les États-Unis étaient une République bananière arriérée du Tiers-Monde.

On parle des publicités sur Facebook, ainsi que toutes les autres publicités... Les gens qui sont influencés par cette histoire, ont-ils vu ces publicités ? Beaucoup sont pro-Clinton ou anti-Trump ; beaucoup sont les deux ; beaucoup ne sont ni l’un ni l’autre. Il y a tout et n’importe quoi et la seule explication rationnelle de ce que j’ai vu est que ces publicités proviennent de sites web qui cherchent à gagner de l’argent, des sites qui tentent d’appâter des lecteurs, qui gagnent de l’argent simplement en attirant des visiteurs.

En ce qui concerne les agents neurotoxiques, il est plus logique que le Royaume-Uni ou la CIA ait fait le coup pour donner une mauvaise image des Russes, car le scandale anti-russe qui a suivi était totalement prévisible. Pourquoi la Russie choisirait-elle de s’attirer les foudres au moment de la Coupe du monde à Moscou - dont toute la Russie est immensément fière ? Par contre, c’était le moment idéal pour que ses ennemis cherchent à la mettre dans l’embarras.

Cependant, je n’ai aucun doute que la grande majorité des étasuniens qui suivent les nouvelles chaque jour croient aux histoires officielles sur les Russes. Ils sont particulièrement impressionnés par le fait que toutes les agences de renseignement US soutiennent les versions officiels. Ils ne seraient pas du tout impressionnés si on leur disait qu’une douzaine d’agences de renseignement russes contestent les accusations. La pensée de groupe est vivante et bien vivante dans le monde. Tout comme est vivante et bien vivante la Deuxième Guerre froide.

Mais nous sommes les bons, n’est-ce pas ?

Pour un défenseur de la politique étrangère US, il n’y a pas grand-chose qui provoque chez lui autant de brûlures d’estomac que quelqu’un qui établit une "équivalence morale" entre le comportement étasunien et celui de la Russie. C’était le cas pendant la Première Guerre froide et c’est la même chose aujourd’hui pendant la Deuxième Guerre froide. Ça les fait grimper aux arbres.

Après que les Etats-Unis ont adopté l’année dernière une loi obligeant la chaîne de télévision RT (Russia Today) à s’enregistrer en tant qu’"agent étranger", les Russes ont adopté leur propre loi permettant aux autorités d’exiger que les médias étrangers s’enregistrent en tant qu’"agent étranger". Le sénateur John McCain a dénoncé la nouvelle loi russe, affirmant qu’il n’y a "aucune équivalence" entre RT et des médias tels que Voice of America, CNN et la BBC, dont les journalistes "cherchent la vérité, démystifient les mensonges et tiennent les gouvernements responsables". En revanche, les propagandistes de RT démystifient la vérité, répandent des mensonges et cherchent à saper les gouvernements démocratiques afin de faire avancer l’agenda de Vladimir Poutine.

Voici Tom Malinowski, ancien secrétaire d’État adjoint pour la démocratie, les droits de l’homme et le travail (2014-2017) - l’année dernière, il a rapporté que Poutine avait "accusé le gouvernement américain d’être intervenu de manière agressive dans l’élection présidentielle russe de 2012", affirmant que Washington avait "rassemblé des forces d’opposition et les avait financées". Poutine, écrit Malinowski, " a apparemment amené le président Trump à s’engager mutuellement à ce qu’aucun des deux pays ne s’immisce dans les élections de l’autre ".

"Est-ce que cette équivalence morale est juste ?" s’est demandé Malinowski, question à laquelle il a aussitôt répondu : "Pas du tout. L’ingérence de la Russie dans les élections US de 2016 n’a strictement rien à voir avec ce que les États-Unis font pour promouvoir la démocratie dans d’autres pays".

Est-il possible de rendre de tels fonctionnaires et leurs croyances plus caricaturaux ?

Nous avons aussi le cas de l’agence gouvernementale américaine, National Endowment for Democracy (NED), qui s’est ingérée dans plus d’élections que la CIA ou Dieu Lui-même. En effet, celui qui a contribué à l’élaboration de la législation qui a crée la NED, Allen Weinstein, déclarait en 1991 : « Une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui a été fait clandestinement il y a 25 ans par la CIA ». Le 12 avril 2018, les présidents des deux ailes de la NED (Républicain et Démocrate – NdT) ont écrit : « Un récit spécieux circule à nouveau qui prétend que la campagne de guerre politique de Moscou n’est pas différente de l’aide à la démocratie soutenue par les États-Unis. »

"L’aide à la démocratie", voyez-vous, c’est ainsi qu’ils appellent les interférences électorales de la NED et les renversements de gouvernement. Les auteurs poursuivent : "Ce récit est produit par des organismes de propagande tels que RT et Sputnik [station de radio]. .... il est déployé par des isolationnistes qui proposent que les États-Unis se retirent du leadership mondial."

"Isolationnistes" : c’est ainsi que les conservateurs appellent les critiques de la politique étrangère US dont ils ont eu du mal à écarter les arguments, de sorte qu’ils laissent entendre que ces personnes ne veulent pas que les États-Unis soient impliqués dans quoi que ce soit à l’étranger.

"Leadership mondial ", c’est ce qu’ils appellent le fait d’être les premiers en matière d’ingérences électorales et renversements de gouvernement.

Ce que Dieu donne, Trump reprend ?

La Maison Blanche envoie chaque jour aux abonnés une lettre d’information, « 1600 daily », sur ce qui s’est passé dans le monde merveilleux de Donald J. Trump. Le 25 juillet, la lettre a rendu compte de l’allocution du président au Missouri devant le congrès national des anciens combattants des guerres étrangères : "Nous ne nous excusons plus pour l’Amérique. Nous défendons l’Amérique. Et nous défendons notre hymne national ", a dit le président, "sous une ovation tonitruante ".

En même temps, le bulletin nous a informés que le département d’État est en train de réunir des chefs religieux et d’autres personnes pour la toute première réunion ministérielle visant à faire progresser la liberté religieuse. "Le but est simple, nous dit-on, c’est celui de promouvoir le droit donné par Dieu de croire en ce que vous voulez."

Aha ! Je vois. Mais qu’en est-il de ceux qui croient que le fait de défendre l’hymne national implique un soutien au racisme ou à la brutalité policière de l’Amérique ? N’est-ce pas un droit donné par Dieu que de le croire et de "s’agenouiller" en signe de protestation ?

Ou est-ce le diable qui nous met de telles idées dans la tête ?

Le climat n’est pas seulement extrême.... Il est carrément flippant.

L’argument que j’aime utiliser lorsque je m’adresse à ceux qui n’acceptent pas l’idée que les phénomènes météorologiques extrêmes sont en grande partie provoqués par l’homme est le suivant :

On peut procéder de deux façons :

1. Nous pouvons faire de notre mieux pour limiter l’effet de serre en réduisant les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et s’il s’avère que ces émissions n’étaient finalement pas une cause importante des phénomènes météorologiques extrêmes, alors nous aurons perdu beaucoup de temps, d’efforts et d’argent (bien que d’autres avantages pour l’écosystème se feraient sentir).

2. Nous pouvons aussi ne rien faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et s’il s’avère que ces émissions étaient bien la cause principale de tous les phénomènes météorologiques extrêmes, alors nous aurons perdu la terre et la vie telle que nous la connaissons.

Alors, êtes-vous un joueur ?

Ironie des ironies.... Malheur des malheurs... Nous avons un dirigeant qui n’a aucun intérêt dans de telles choses ; en effet, cet homme méprise sans équivoque l’idée même de la nécessité de modifier le comportement individuel ou social pour le bien de l’environnement. Et l’un après l’autre, il a nommé ses semblables à la tête des organismes gouvernementaux chargés de l’environnement.

Qu’est-ce qui motive ces personnes ? Je pense que c’est surtout qu’ils se rendent compte qu’une grande partie des dégâts environnementaux peut être attribuée, directement ou indirectement, à la recherche de profit des entreprises, une idéologie à laquelle ils sont fermement attachés.

William Blum

Traduction "est-ce moi ou est-ce que la dissonance cognitive se répand dans les médias à la vitesse d’un feu de forêt californien ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

Notes

1. Washington Post, 16 novembre 2017
2. Ibid, 23 juillet 2017.
3. Ibid, 22 septembre 1991.
4. William Blum, Rogue State : A Guide to the World’s Only Superpower, chapitre 19 sur la NED
5. Washington Post, 2 avril 2018

»» https://williamblum.org/aer/read/159
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