Et si on faisait exploser les milices chiites en Irak ? L’une d’elles a pris 40 personnes dans les rues de Bagdad en juin dernier et les a assassinées parce qu’elles étaient sunnites.
Une autre a massacré 68 personnes dans une mosquée au cours du mois d’aout Elles parlent actuellement ouvertement de "nettoyage ethnique" et d’"éradication" après la défaite de l’EIIL.
Comme le dit un vieux responsable politique chiite : "nous sommes en train de créer des groupes radicaux chiites - Al-Qaeda qui sont aussi fous que les sunnites-Al-Qaeda”.
Quel principe humanitaire nous impose de nous arrêter là ?
A Gaza, cette année, 2100 Palestiniens ont été massacrés, y compris ceux qui avaient trouvé refuge dans les écoles et les hôpitaux. Sûrement que ces atrocités appellent à une offensive aérienne contre Israël, non ?
Et sur quel principe moral s’appuie-t-on quand on refuse de liquider l’Iran ?
Mohsen Amir-Aslani y a été assassiné la semaine dernière pour avoir osé introduire des “innovations dans la religion” (en sous-entendant que l’histoire de Jonas dans le Coran était plus symbolique que réelle).
Cela devrait motiver des actions humanitaires aériennes, ça, non ?
Le Pakistan appelle de ses vœux les bombes amies : un Britannique d’un certain âge, Mohammed Asghar, qui souffre de schizophrénie paranoïaque, attend, comme d’autres blasphémateurs, d’être exécuté pour avoir prétendu être un prophète. Un de ses gardiens de prison lui a déjà tiré dans le dos.
N’avons-nous pas le devoir de faire sauter l’Arabie Saoudite de toute urgence ?
Elle a, à ce jour, décapité 59 personnes cette année, pour des crimes comprenant l’adultère et la sorcellerie. Elle représente depuis longtemps une bien plus grande menace pour l’occident que l’EIIL aujourd’hui.
En 2009 Hillary Clinton dans une note de service secrète avait exprimé ses inquiétudes à son sujet, disant : "L’Arabie Saoudite reste une base importante de soutien financier à Al-Qaeda, aux Taliban ... et à d’autres groupes terroristes”.
En juillet dernier, l’ex-chef du MI6 (services secrets britanniques, NDT), Sir Richard Dearlove, révélait que le prince Bandar ben Sultan, qui était encore récemment directeur des services secrets saoudiens, lui avait dit : "l’heure est proche au Moyen-Orient, Richard, où on dira, au sens propre, ’Que Dieu vienne en aide aux chiites’. Il y a plus d’un milliard de sunnites qui ne les supportent plus".
Le soutien des Saoudiens aux milices extrémistes sunnites en Syrie pendant le mandat de Bandar est largement tenu responsable de l’ascension rapide de l’EIIL.
Pourquoi éliminer les sous-fifres et épargner les chefs ?
Les arguments humanitaires qui ont été avancés au parlement (britannique) la semaine dernière, s’ils sont appliqués de façon cohérente, pourraient être utilisés pour raser entièrement le Moyen-Orient et l’Asie occidentale.
Ainsi, on pourrait mettre fin à toute souffrance humaine, en libérant la population de ces régions-vallées des larmes, où ils vivent.
Peut-être est-ce l’objectif : Barack Obama a déjà bombardé sept pays à majorité musulmane, évoquant, à chaque fois, un impératif moral.
Le résultat, comme on peut le voir en Libye, en Irak, au Pakistan, en Afghanistan, au Yémen, en Somalie et en Syrie, en a été l’éradication de groupes djihadistes, des conflits, des assassinats, de l’oppression et de la torture. Le Mal a été éliminé de la surface de la Terre par les anges exterminateurs de l’occident.
Aujourd’hui, nous avons une nouvelle cible, et une nouvelle raison de semer la miséricorde depuis le ciel, avec des espoirs de succès similaires.
Oui, le programme et les pratiques de l’EIIL sont répugnants. Il assassine et torture, menace et sème la terreur. Comme le dit Obama, "c’est un réseau de la mort".
Mais ce n’est qu’un réseau de la mort parmi tant d’autres. Pire encore, une croisade occidentale semble être exactement ce que veut l’EIIL.
Déjà, les bombardements d’Obama ont rapproché l’EIIL et Jabhat al-Nosra, une milice rivale affiliée à Al-Qaïda. Plus de 6000 combattants ont rejoint l’EIIL depuis le début des bombardements. Ils ont agité les têtes de leurs victimes devant les cameras comme appât pour les avions de guerre. Et nos gouvernements ont été suffisamment stupides pour se laisser prendre au jeu.
Et si les bombardements atteignaient leur objectif ? Si – et c’est un grand "si" – ils réussissaient à faire flancher l’EIIL, que se passerait-il ensuite ? Alors, on entendrait une fois de plus parler des escadrons de la mort chiites et de l’impératif moral de les détruire aussi – ainsi que les civils qui se trouveraient en travers de leur chemin.
Les cibles changent, pas la politique. Quelle que soit la question, la réponse, ce sont les bombes. Au nom de la paix et de la préservation de la vie, nos gouvernements mènent une guerre perpétuelle.
Alors que s’abattent les bombes, nos États sympathisent avec et défendent d’autres réseaux de la mort.
Le gouvernement des États-Unis
refuse toujours – en dépit de la promesse d’Obama – de rendre publiques les 28 pages de l’enquête conjointe menée par le Congrès US sur le 11/09, qui démontre la complicité de l’Arabie saoudite dans les attentats.
Au Royaume Uni, en 2004, le Serious Fraud Office – le SFO (Bureau des Fraudes Graves) - avait commencé à enquêter sur des présomptions que des énormes pots de vin auraient été versés par la BAE (entreprise britannique travaillant dans les secteurs de la défense et de l’aérospatiale, NDT) aux ministres saoudiens et à des intermédiaires.
Au moment-même où des preuves importantes allaient être publiées, Tony Blair était intervenu pour faire arrêter l’enquête.
Le plus grand bénéficiaire présumé était le prince Bandar. Le SFO enquêtait sur une affirmation selon laquelle, avec l’approbation du gouvernement britannique, il avait reçu un milliard de dollars de pots de vin de la BAE.
Et malgré cela, tout continuerait. Private Eye, tirant ses sources d’un dossier constitué d’enregistrements et de mails, affirmait, la semaine dernière, qu’une société britannique avait versé 300 millions de livres de dessous de table pour faciliter la vente d’armes à la garde nationale saoudienne.
Quand un lanceur d’alerte de la société a signalé ces payements au Ministère de la Défense britannique, celui-ci, au lieu de prendre des mesures, a prévenu ses patrons. Il a dû fuir le pays pour éviter de finir dans les geôles saoudiennes.
Rien ne pourra se résoudre de façon satisfaisante par une intervention militaire du Royaume Uni ou des États-Unis. Il y a des solutions politiques où nos gouvernements pourraient jouer un rôle subalterne : soutenir le développement effectif d’États qui ne reposent pas sur les assassinats et les milices, qui établissent des institutions qui ne dépendent pas du terrorisme, qui contribuent à créer des zones où on peut circuler en toute sécurité et des aides pour les personnes à risque. Oh, et qui cessent de protéger, financer et sélectionner des réseaux de la mort. Chaque fois que nos forces armées ont bombardé ou envahi les pays musulmans, ils ont rendu la vie encore plus insupportable à ceux qui y vivent.
Les régions où nos gouvernements sont intervenus le plus sont celles qui souffrent le plus du terrorisme et de la guerre. Ce n’est ni une coïncidence ni une surprise.
Et pourtant nos hommes politiques font comme s’ils n’avaient tiré aucune leçon de cela. S’acharnant à prétendre que d’autres massacres résoudront par magie les conflits profondément ancrés, ils répandent des bombes comme de la poussière de fée.
George MONBIOT
(Traduction Leo Lerouge)
Et, en marge de cet article, en voici d’autres sur le sujet (en anglais) :
Bombing Isis will be futile – and expensive / Air strikes have not worked in previous conflicts as pilots quickly run out of targets. It will be the same this time round in Iraq, par Richard Norton-Taylor.
Les "interventions humanitaires", c’est aussi ça :
"Devil and the deep blue sea : how Mediterranean migrant disaster unfolded"
Un point de vue sur la Syrie de Shamus Cooke et des intentions d’Obama.
Creating More War and Backlash /Obama Reconsiders Attacking Assad