RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
Ce projet de loi fera voler en éclats la souveraineté des parlements

Traité Transatlantique : Une conspiration explosive contre la démocratie

Il y a un an, jour pour jour, j’étais désespéré. Un nuage sombre se levait sur l’Atlantique, menaçant d’effacer certaines libertés arrachées par nos ancêtres au prix de leur vie. La capacité des parlements des deux côtés de l’océan de légiférer au nom de leur peuple était mise en danger par un traité étonnant, qui accorderait aux sociétés des pouvoirs spéciaux pour poursuivre les gouvernements. Je ne voyais pas comment l’arrêter.

Presque personne n’avait entendu parler du Partenariat Transatlantique pour le Commerce et l’Investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership - TTIP) entre l’UE et les Etats-Unis, à l’exception de ceux qui étaient tranquillement en train de le négocier. Et je pensait que pratiquement personne n’en entendrait parler. Même le nom semblait parfaitement conçu pour repousser l’intérêt du public. J’ai écrit à ce sujet (1) pour une simple raison : pour pouvoir dire à mes enfants que j’ai essayé.

À mon grand étonnement, l’article a été largement diffusé. À la suite de la réaction massive du public et l’engagement de certains militants remarquables, la Commission européenne (2) et le gouvernement Britannique (3) ont été obligés de réagir. La pétition Stop TTIP compte à présent 780 000 signatures (4) ; la pétition 38 Degrees en compte 910 000 (5). Le mois dernier, il y a eu 450 actions de protestation dans 24 États membres (6). La Commission européenne a été contraint d’organiser une consultation publique sur l’aspect le plus controversé (7), et 150 000 personnes ont répondu (8). Ne laissez jamais dire que les gens sont incapables de s’engager sur des problèmes complexes.

Rien n’est encore gagné. Les entreprises et les gouvernements - avec le Royaume-Uni à leur tête - se mobilisent pour contrecarrer ce soulèvement. Mais chaque mois ils perdent un peu plus pied. Lorsque le ministre britannique responsable à l’époque, Kenneth Clarke, a répondu à mes premiers articles (9), il a insisté que « rien ne serait plus absurde » que de rendre public la position de négociation européenne, comme je l’avais proposé (10). Mais le mois dernier, c’est justement ce que la Commission européenne a été obligée de faire (11). On dirait que la lutte contre le TTIP pourrait devenir une victoire historique contre le pouvoir des entreprises.

Le problème central est ce que les négociateurs appellent le règlement des différends entre Etats et investisseurs (ISDS). Le traité permet aux entreprises de poursuivre les gouvernements devant un comité d’arbitrage composé de juristes d’entreprise, les seuls et uniques à être représentés, et qui ne fait l’objet d’aucun contrôle judiciaire (12).

Déjà, grâce à l’insertion de l’ISDS dans de nombreux traités de commerce de moindre importance, les grandes entreprises se livrent à une orgie de litiges, dont le but est d’attaquer toute loi qui pourrait porter atteinte à leurs profits futurs. La firme de tabac Philip Morris poursuit à la fois l’Uruguay et l’Australie qui tentent de décourager les gens de fumer (13). La compagnie pétrolière Occidental a reçu 2,3 milliards de dollars en compensation de l’Equateur, qui a rompu la concession de forage en Amazonie accordée à la société, lorsqu’il a été découvert qu’Occidental avait violé la loi équatorienne (14). La société suédoise Vattenfall poursuit le gouvernement allemand pour avoir arrêté son programme nucléaire (15). Une société australienne poursuit Le Salvador pour 300 millions de dollars pour avoir refusé l’autorisation d’une mine d’or qui aurait empoisonné l’eau potable (16).

Sous le TTIP, le même mécanisme pourrait être utilisée pour empêcher le gouvernement du Royaume-Uni de revenir sur la privatisation des chemins de fer et le Service national de santé, ou de défendre la santé publique et l’environnement contre la cupidité des entreprises. Son effet global est d’empêcher l’émergence d’une politique qui placerait les gens avant les profits.

Les juristes d’entreprise qui siègent dans ces organismes n’ont de comptes à rendre qu’aux sociétés dont ils jugent les affaires, sociétés qui par ailleurs sont aussi parfois leurs employeurs (17). Comme a commenté l’un d’entre eux (18), « Quand je me réveille la nuit en pensant à l’arbitrage, je suis toujours surpris que les États souverains aient accepté l’idée même de l’arbitrage d’investissement... Trois individus se voient confiés le pouvoir d’examiner, sans aucune procédure de restriction ou d’appel, toutes les actions du gouvernement, toutes les décisions des tribunaux, et toutes les lois et règlements émanant du Parlement ».

Cette mesure est si scandaleuse que même The Economist, d’habitude le champion des entreprises et des traités commerciaux, a pris position contre (19). Il qualifie le règlement des différends entre Etats et investisseurs de « moyen pour permettre aux multinationales de devenir riches au détriment des gens ordinaires ».

Lorsque David Cameron et la grande presse ont lancé leur campagne contre la candidature de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne, ils ont fait valoir qu’il menaçait la souveraineté britannique. Ce fut une inversion parfaite de la réalité. Juncker, constatant la tournure que prenait le débat public, avait promis dans son manifeste que « je ne sacrifierai pas la sécurité, la santé, les normes de protection sociale et de protection de données en Europe... sur l’autel du libre-échange... Je n’accepterai pas non plus que la compétence des tribunaux des États membres de l’UE soit limitée par des régimes spéciaux pour les litiges avec les investisseurs. » (20) Le crime de Juncker était qu’il promettait de ne pas abandonner notre souveraineté à des avocats d’entreprise comme le demandaient Cameron et les barons de la presse.

Juncker est maintenant sous forte pression. Le mois dernier, 14 Etats lui ont écrit (21), en privé et sans consulter leurs parlements, pour exiger l’inclusion du règlement des différends entre Etats et investisseurs (la lettre a été divulguée il y a quelques jours). Et qui est à la tête de cette campagne ? Le gouvernement britannique. Tant de duplicité laisse rêveur. Tout en prétendant être tellement attaché à notre souveraineté qu’il est prêt à sortir de l’UE, notre gouvernement insiste secrètement pour que la Commission européenne abandonne notre souveraineté au nom des profits des entreprises. David Cameron est à la tête d’une conspiration explosive contre la démocratie.

Lui et ses ministres n’ont pas répondu à la question qui brûle les lèvres : quel est le problème avec les tribunaux ? Si les entreprises veulent poursuivre des gouvernements, elles peuvent déjà le faire, devant les tribunaux, comme tout le monde. Ce n’est pas comme si, avec leurs vastes budgets, elles étaient désavantagées dans ce domaine. Pourquoi seraient-elles autorisées à utiliser un système juridique distincte, auquel le reste d’entre nous n’a pas accès ? Qu’est-il arrivé au principe de l’égalité devant la loi ? (22) Si nos tribunaux sont qualifiés pour priver les citoyens de leur liberté, pourquoi ne le seraient-ils pas pour priver les sociétés de profits futurs anticipés ? Il ne faut pas lâcher la pression sur les défenseurs du TTIP avant qu’ils n’aient répondu à cette question.

Cette question ne peut pas être esquivée beaucoup plus longtemps. Contrairement aux traités précédents, celui-ci a été exposé à la lumière par des militants, lumière sous laquelle ses justifications se ratatinent. Le combat sera difficile, et le résultat est loin d’être certain, mais mon sentiment est que nous allons gagner.

George Monbiot

Traduction « le problème avec la Justice, c’est sûrement le mot justice » par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» http://www.monbiot.com/2014/11/04/a-gunpowder-plot-against-democracy/

1. http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/nov/04/us-trade-deal-full-frontal-assault-on-democracy

2. http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/dec/18/wrong-george-monbiot-nothing-secret-eu-trade-deal

3. http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/nov/11/eu-us-trade-deal-transatlantic-trade-and-investment-partnership-democracy

4. https://stop-ttip.org/

5. https://secure.38degrees.org.uk/page/s/eu-ttip-petition#petition

6. http://ttip2014.eu/blog-detail/blog/Highlights%20Oct%2011.html

7. http://trade.ec.europa.eu/consultations/index.cfm?consul_id=179

8. http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2014/july/tradoc_152693.pdf

9. http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/mar/13/eu-us-trade-deal-no-threat-democracy-monbiot-transatlantic-partnership

10. http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/mar/10/eu-us-trade-deal-give-corporations-take

11. http://bit.ly/1xYr3L6

12. http://blog.oup.com/2014/01/van-harten-q-a-investor-state-arbitration/

13. http://www.wdm.org.uk/multinational-corporations/cameron%E2%80%99s-trade-deal-would-%E2%80%98open-floodgates%E2%80%99-philip-morris-style-cases

14. http://kluwerarbitrationblog.com/blog/2012/12/19/icsids-largest-award-in-history-an-overview-of-occidental-petroleum-corporation-v-the-republic-of-ecuador/

15. http://www.economist.com/news/finance-and-economics/21623756-governments-are-souring-treaties-protect-foreign-investors-arbitration

16. http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/oct/03/australian-mining-is-poisoning-el-salvador-it-could-soon-send-it-broke-too

17. http://blog.oup.com/2014/01/van-harten-q-a-investor-state-arbitration/

18. http://corporateeurope.org/trade/2012/11/chapter-4-who-guards-guardians-conflicting-interests-investment-arbitrators

19. http://www.economist.com/news/finance-and-economics/21623756-governments-are-souring-treaties-protect-foreign-investors-arbitration

20. http://t.co/fQkoZWsZJX

21. http://blogs.ft.com/brusselsblog/files/2014/10/ISDSLetter.pdf

22. http://eu-secretdeals.info/upload/2014/07/Van-Harten_Comments-id2466688.pdf


URL de cet article 27345
   
Même Thème
Le Grand Marché Transatlantique : La menace sur les peuples d’Europe
Raoul Marc JENNAR
« Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. » Ces mots confiés par David Rockefeller au magazine américain Newsweek, le 1 février 1999, fournissent la clé pour comprendre ce qui se passe depuis une trentaine d’années et qu’on appelle « mondialisation néolibérale ». Déléguer au secteur privé la maîtrise des choix ou, pour l’exprimer à la manière pudique de journaux comme Le Monde ou Les Echos, « redéfinir le périmètre de (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Il est appréciable que le peuple de cette nation ne comprenne rien au système bancaire et monétaire, car si tel était le cas, je pense que nous serions confrontés à une révolution avant demain matin.

Henry Ford (1863-1947)

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.