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Enfants de la démocratie : est-ce l’histoire qui se répète ?

Nous sommes des enfants de la démocratie, nous n’avons rien connu d’autre. C’est au travers de nos modes de vie que nous pouvons comprendre les fondements de nos démocraties, en les comparant aux systèmes politiques passé et présent nous voyons que nous basons nos sociétés sur des principes que nous n’avons pas choisis. Le fait de pouvoir voter ne permet pas de sortir de l’autocratie de croyances qui ont déjà conduit à des guerres et des révolutions. Notre bien-être et notre avenir ne reposent pas sur nos démocraties mais sur notre intelligence, notre capacité à imaginer des choses que nous ne connaissons pas et à nous adapter aux évolutions de notre environnement.

Nous sommes en démocratie, nous sommes donc censés pouvoir décider par nous-mêmes de nos lois et de notre avenir. Pourtant, nous n’avons pas choisi notre constitution, ni les principes séculaires inscrits dans notre code civil, les droits de la personne, l’appartenance à une nation, la propriété privée, l’héritage, la famille... Nous n’avons pas non plus choisi les principes pour les faire respecter qui s’appuient principalement sur la répression. Nous ajoutons bien quelques règles de temps en temps, comme le mariage pour tous, mais nous empilons simplement des règles sans jamais remettre en cause les grands principes. Nous faisons comme s’ils nous étaient tombés du ciel et qu’il s’agissait de lois immuables qui devaient fonctionner de tout temps. Pourtant, les crises ne proviennent-elles pas de la capacité de certains privilégiés à accaparer au fil des générations des biens au-delà du pensable, les guerres ne sont-elles pas provoquées par le besoin d’acquérir des biens ou des territoires qui appartiennent à d’autres ? En dehors de la propagande pour promouvoir les droits de l’homme, c’est-à-dire les fondements de nos démocraties, les guerres sont principalement présentes sur des territoires clés pour notre approvisionnement en énergie : pétrole, gaz, uranium...

Dans nos démocraties, notre bien-être est calculé par ordinateur, il est synonyme de croissance économique. Tout est bon pour accroître ainsi notre bonheur, intégrer dans le calcul les drogues illicites, les taux d’intérêt des emprunts, l’énergie consommée pour produire des tomates en hiver ou les transporter sur des milliers de kilomètres... La maison que vous avez achetée il y a 20 ans ne concourt pas à votre bien-être, contrairement à celle que vous allez acheter à crédit plus grande, plus belle... Nous ne savons plus rien faire sans consommer, même lorsque nous allons à la pêche nous continuons à consommer de l’énergie pour notre frigo, pour notre voiture qui va nous mener près de la rivière, pour notre téléphone portable dont nous ne savons plus nous séparer... En rentrant, nous allumerons la télévision, nous chaufferons au micro-ondes le dernier plat préparé à la mode...

Les résultats des calculs de nos modèles économiques nous indiquent que nous sommes heureux, donc notre démocratie semble fonctionner, nos élus peuvent ainsi nous en vanter les bienfaits. Bien sûr, nous sommes satisfaits de pouvoir manger à notre faim, partir en vacances à l’autre bout du monde, nous faire soigner lorsque nous sommes malades et espérer vivre sans travailler lorsque nous serons vieux... mais même pour tout cela, nous surconsommons pour améliorer les résultats de nos modèles, nous mangeons trop et mal, nous ne prenons plus le temps d’apprécier notre environnement immédiat, nous nous gavons inutilement de médicaments...

Ces modèles nous contraignent à un travail subordonné pour pourvoir acquérir tout ce que l’homme peut inventer comme services et produits, ainsi pour éviter de fausser les calculs, tout doit passer par une entreprise multinationale. Au travers de ces modèles, malgré les progrès technologiques, nous n’avons plus le droit de consommer moins pour travailler moins, nous risquerions de détruire le système, de spolier les privilégiés qui nous puniraient du manque à gagner d’une façon ou d’une autre.

Nous avons cherché à déterminer les fondements de nos démocraties, ne devons-nous pas nous poser la question de la justesse des calculs mesurant notre bien-être ? Lorsque nous parlons de nos démocraties, nous ne parlons pas d’un système politique, nous parlons du bien-fondé des croyances qui guident notre vie, des bienfaits d’empiler des biens à l’infini, du travail subordonné, de la surconsommation, du pillage des ressources de la planète... Nous parlons de promouvoir nos croyances dans d’autres pays au travers de guerres ou de menaces économiques.

Qu’en était-il dans le passé, pouvons-nous le savoir ? Sommes-nous heureux, plus heureux qu’il y a quelques siècles ou que dans d’autres pays, par exemple ceux que nos élus appellent des dictatures, qu’ils veulent détruire en finançant des guérillas ou en les inondant de bombes ?

Il est difficile d’imaginer la vie que nous pouvions avoir il y a quelques siècles. La principale différence à laquelle nous pouvons penser est issue des progrès technologiques : l’agriculture qui nous permet de manger à notre faim, la médecine, la construction, l’eau courante, l’énergie, l’électronique... Nous pouvons imaginer qu’il est aisé d’être heureux sans téléphone, sans télévision, sans voiture, mais il est probable que la vie était plus difficile sans une nourriture abondante, sans l’eau courante... Pourtant, nous n’en savons rien, le fait que nous ne sachions pas nous en passer ne signifie pas que les gens de cette époque ne pouvaient pas être heureux. Est-ce qu’à cette époque il était impossible d’entendre des rires, des cris de joies, de voir des sourires, des yeux brillants ? Le bonheur n’est pas quantifiable, comment pourrions-nous savoir si nous sommes plus heureux ? Il est ainsi probable que la vie était, tout au moins nous pourrions le penser, plus difficile qu’aujourd’hui. Mais en réalité, si l’abondance de la nourriture dépendait beaucoup plus des saisons, que nous mourions plus facilement de maladies, ce sont probablement, comme aujourd’hui, les guerres, les crises économiques et les disparités sociales qui pesaient le plus sur le bien-être des gens.

Il y a seulement quelques siècles, les français étaient sujets du roi, la démocratie était alors un système politique depuis longtemps oublié, les français ne savaient même pas ce que le mot signifiait. Nous saurions justifier d’une amélioration de notre bien-être au travers des progrès technologiques, mais quel est le rapport avec notre système politique ? L’échec de la royauté française est probablement lié aux disparités entre quelques privilégiés, ceux qui profitaient du système, et le reste de la population. Ce système politique fut un échec comme le fut en son temps la république Romaine, la démocratie Athénienne ou plus récemment la Russie des tsars puis l’URSS...

Qu’en est-il des autres pays ? Comment se contenter de ce que nous en disent ceux qui sont venus vivre dans nos démocraties parce qu’ils se sont enfuis pour éviter la pauvreté, des guerres qu’ils n’avaient pas choisies ou parce qu’ils se sont fait voler leurs biens ? Ou bien de ce que peuvent en dire les journalistes qui ont la même culture que nous, enfants comme nous de la démocratie, qui ne voient que ce qui peut nous sembler choquant ? Que dirions-nous par exemple si quelques journalistes nous présentaient la France en nous montrant uniquement les clochards, les gens qui ont du mal à se loger ou à se nourrir, les malades, les chômeurs, les révoltes dans les banlieues, la fabrication des armes, les populations massacrées dans les guerres que nous faisons ? En réalité, nous ne pouvons savoir si les gens qui vivent dans ces pays sont plus ou moins heureux que nous. Nous ne pouvons le décider à leur place simplement parce que ne saurions pas, pour caricaturer notre mode de vie, nous passer d’une voiture, d’un téléphone portable ou du dernier plat cuisiné dont on nous fait la publicité à la télévision. Et le fait que nous ne sachions plus nous adapter ne signifie pas que nous sommes plus heureux.

La France est un pays riche, les terres sont fertiles, l’eau abondante, le climat tempéré, les côtes maritimes étendues. C’est depuis des siècles le pays du Gevrey Chambertin, de la poularde de Bresse, des pâtés de faisan... Pouvons-nous comparer la France à des pays desséchés par le soleil ou enneigés 6 mois par an ? Saurions-nous imaginer la vie dans des pays dont nous ne connaissons pas la culture tout aussi riche que la nôtre ? Pouvons-nous comparer des pays en paix à des pays en guerre, des pays frappés par la pauvreté à des pays d’abondance ? Cela parait difficile, pourtant c’est ce que nous faisons lorsque nous parlons de l’Inde, de l’Iran, de la Syrie, de la Corée du nord...

La différence entre notre démocratie et les pays d’aujourd’hui ou d’hier n’est pas liée aux systèmes politiques mais bien aux progrès technologiques, à la géographie, aux capacités à éviter les guerres, les disparités entre la population et les privilégiés, donc les révolutions.

Aujourd’hui, nous pouvons être conscients de notre bonheur de vivre en France ou en Italie ou en Allemagne, mais quel est le rapport avec la démocratie ? Lorsque nos hommes politiques nous parlent de notre chance de vivre en démocratie, eux comme nous, ne savent pas réellement de quoi ils parlent. Nous ne savons pas comparer et nous ne pouvons pas le savoir. La seule chose que nous pourrions comptabiliser c’est le nombre de guerres que nous avons provoquées ou financées, et le nombre de morts qui en a résulté... Alors, sur ce simple calcul, il n’y a pas de quoi être fier.

Ces lois que nous respectons sont séculaires, ce sont les mêmes qui permettaient déjà aux patriciens Romains d’empiler des richesses de génération en génération, à la noblesse française de profiter de propriétés acquises par le droit du sang... La différence est qu’aujourd’hui nous ne connaissons plus nos patriciens, ils se cachent derrière ces mêmes modèles qui calculent notre bien-être. Ceux que nous appelons les milliardaires sont ceux qui possèdent le plus d’actions de sociétés cotées en bourse, ce ne sont pas eux qui empilent des richesses de génération en génération. Croyez-vous par exemple que la personne désignée comme la plus riche du monde est plus riche qu’un émir Saoudien possédant 5 ou 10% des ressources pétrolières mondiales ? Et croyez-vous que cet émir soit plus riche que certaines familles de nos démocraties ?

Nous sommes tous coupables de ce conservatisme car nous manquons d’imagination, nous ne comprenons pas que pour survivre il faut s’adapter. Dans tous, nous avons nos élus qui cherchent à préserver à tout prix les acquis de ceux qui les conseillent. Nous n’avons le droit que d’élire des gens qui ont montré patte blanche dans des partis politiques dont nous ne maîtrisons pas les rouages. Comment se fait-il qu’ils soient amis des plus grandes fortunes et pas des gens du peuple ? Comment se fait-il qu’ils soient influencés par des centres de réflexion financés par des milliardaires ? Croyez-vous que quelqu’un pour qui l’argent est une puissance de 10, qui n’a jamais mangé des pâtes trop cuites, qui n’a jamais bu un verre de blanc dans une guinguette à Joinville le Pont, qui n’a jamais passé quelques heures assis à un café pour regarder passer les gens... sache ce qui peut faire votre bonheur ?

Aujourd’hui, pas plus qu’hier, nous n’avons appris à nous adapter aux changements qui conduisent aux révolutions ou aux guerres, comme par exemple les trop grandes disparités de richesse entre les pays ou entre les communautés d’un pays. Mais en plus, nous ne prenons plus aucun risque, c’est ainsi que nous assurons même notre vie. Peut-être, il y a quelques siècles, nous pouvions admettre de mourir jeunes de maladie, de devoir sauter un repas, aujourd’hui nous n’envisageons même pas une coupure d’électricité de quelques minutes ou 3 cm de neige sur une route... Pourtant, comme certains d’entre vous, je sais que c’était un plaisir ce privilège d’allumer la lampe à pétrole lorsqu’étant enfant il y avait une coupure électrique, ou d’aller jouer dans la neige parce que je ne pouvais aller à l’école pour cause de route verglacée ! Quant à mourir, nous finirons tous par mourir, autant que ce ne soit pas dans une révolution ou une guerre ! Sans prendre de risque pour notre vie, nous pourrions prendre quelques risques pour notre soi-disant bien-être, que nous ne savons pas mesurer, pour tenter d’autres choses inconnues, que nous ne savons pas et que nous ne connaissons pas. Que risquons-nous ?

Dans nos démocraties, c’est-à-dire, dans nos dictatures de croyances où nous n’acceptons aucun changement, nos hommes politiques sont comme nous, ils n’envisagent pas d’autres choses. Ils se préoccupent de leurs problèmes à eux, leur vision s’arrête à la prochaine élection dans l’espoir qu’ils pourront encore profiter un peu du système. Ils se laissent conseiller dans l’espoir que cela sera suffisant pour nous faire croire que tout va bien. Ils nous proposent des réformes « profondes » qui doivent permettre à nos modèles économiques d’améliorer ou de retrouver notre bien-être, mais ils ne proposent aucun changement comme de jeter à la poubelle le modèle économique, d’inventer un système qui évite ou limite les disparités, de nous donner la possibilité de choisir...

Nous votons pour élire nos élus et nous sommes censés ainsi déterminer notre avenir, mais notre avenir est tout tracé, il nous mène à ce que nous avons déjà constaté dans le passé. Tout semble écrit d’avance et nous nous plaignons contre des élus qui semblent trop stupides pour changer la marche des évènements, voire qui les précipitent, mais nos élus sont comme nous des enfants de la démocratie. Sommes-nous incapables de comprendre que Candide est intemporel ? Enfant de la démocratie, je n’ai fait que jeter une bouteille à l’intelligence humaine... Mais, en comprenant de quoi nous parlons [1], nous pourrions peut-être apprendre à gérer notre avenir.

Hervé BOURGOIS

[1] Ouvrage de l’auteur : « De quoi parlons-nous ? »
(http://phylogenese.blogspot.fr/p/list.html)

»» http://phylogenese.blogspot.fr/
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