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Vive la banqueroute !, par Thomas Morel, François Ruffin (et al.)

Elle est bien bonne, celle-là : un livre sur l’économie française écrit par des non-spécialistes, sous l’égide des éditions Fakir ! Il est vrai que les spécialistes sérieux, du style Attali, Baverez, Beytout, Dessertine, Minc (Jacques Marseille est mort) ne se trompent jamais. Pas plus de trois fois par quinzaine, en tout cas.

Autour de Thomas Morel et François Ruffin (qui, de surcroît, osent nous gratifier d’un long entretien avec Frédéric Lordon), on trouve deux étudiants en master, un infirmier au chômage, un apprenti menuisier, une prof d’histoire et un jeune en service civique. Que du pas beau monde, donc, mais qui nous offre un livre furieusement iconoclaste et qui donne à réfléchir.

En étudiant quelques épisodes de violente banqueroute vécus par la France (de Philippe le Bel à De Gaulle), cette fine équipe nous dit tout simplement que, face à la faillite, immédiate ou à venir, l’État français a toujours fait ce qu’il voulait, qu’il a changé d’orthodoxie comme d’autres de chaussettes, et que pour se sortir des mauvaises passes où il s’était lui-même engagé, il a fait payer les riches, c’est-à-dire ceux qu’il avait enrichis auparavant. L’État prenait l’argent là où il était vraiment.

En compagnie de Frédéric Lordon, nos auteurs nous font observer que, pour la période récente, le libéralisme a créé le chômage de masse alors que l’économie dirigée des Trente Glorieuses avait engendré une croissance annuelle de 5% et garanti le quasi plein emploi. Ce qui signifie, en d’autres termes, que le fou, c’est l’Autre, celui qui a le « courage » de plier devant la finance, de dégraisser à qui mieux-mieux, de tuer des emplois, de faire disparaître des pans entiers de l’économie, de faire payer la dette aux travailleurs en déréglementant . Ce n’est pas « l’irréaliste » qui prétend tenir tête au capitalisme financier.

Il fut un temps où les dirigeants politiques ne passaient pas leur temps à trembloter en voulant à tout prix rassurer les marchés qui leur faisaient quotidiennement du chantage à la dette. Une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître (sérieux !) où le mot réforme signifiait progrès et non régression sociale. Il fut même un temps (en 1936) où un ministre des Finances pouvait déclarer – même si cela, pour finir, ne porta pas trop à conséquence – « Les banques, je les ferme, les banquiers, je les enferme ! ».

Sacré Philippe le Bel ! Sous son règne, la France connaît de sérieux désordres monétaires (dévaluations, réévaluations), ce qui ne l’empêche pas d’être à l’apogée de sa puissance médiévale. Le Bel est le contraire d’un Maastrichtien : son royaume est centralisé, géré d’une main de fer. Il condamne et brûle les Templiers, qu’il appelle les « banquiers de l’Occident » et prend l’argent là où il est vraiment, dans les caisses de l’Église, à la grande douleur du pape qui n’y peut mais. « TINA » (il n’y a pas d’autre solution), il ne sait pas ce que cela veut dire. Le respect à l’égard des créanciers, il en a encore moins cure que Mélenchon.

Pour que les Français mangent de la poule au pot tous les dimanches sous Henri IV, il faut faire le ménage. Ce dont se charge le ministre Sully qui débusque les fraudes, les contrats pourris, qui divise par quatre les taux d’intérêt, qui, globalement, réduit les rentes de 40%. Cela ne suffit pas car le roi doit 3,5 millions de livres au duc de Toscane. Il épouse sa fille, Marie de Médicis qui apporte en dot l’effacement de la dot. Une idée pour Hollande (qui n’est pas marié) ?

Mazarin pille l’État. Il posséde 8 700 000 livres, soit 79 tonnes d’argent, ou 5,4 tonnes d’or. Louis XIV hésite à l’attaquer de front. C’est tout un ordre qui vacillerait. Le 15 septembre 1661, Colbert s’attaque à tous les rentiers du Royaume en décidant de racheter leurs créances à un prix dérisoire. Les bourgeois se révoltent. Les meneurs sont menottés et embastillés. Le roi réduit les rentes de 70%. Le successeur de Colbert frappe ensuite les riches d’un « impôt du dixième ».

Le ministre des Finances de Louis XVI est Jacques Necker, un banquier suisse qui aime l’argent (il possède 7 millions de livres en 1776). Il est également proche des philosophes. Il se dit pragmatique, « moelleux et flexible » mais se veut l’apôtre de l’interventionnisme économique de l’État. En 1775, il publie son Essai sur la législation et le commerce de grains, dans lequel il dénonce la liberté de ce commerce. Le livre paraît au moment où le ministre Turgot (qui avait libéralisé le commerce des grains) – et non Necker, à qui les auteurs attribuent à tort cette responsabilité – doit faire face à la guerre des farines. Les mauvaises récoltes conduisent à des émeutes et à favoriser les demandes de réglementation des prix des grains. Dans son Éloge de Colbert, il critique la propriété qui n’est pas un droit naturel mais une « loi des hommes » fondée sur un « traité de force et de contrainte ». Au ministère, il fonctionnarise les finances : à la place des officiers inamovibles et rémunérés sur commission sont installés des employés révocables et percevant un traitement fixe.

En 1789, la France compte, dit-on, « deux mille riches ». On décide de n’en taxer qu’un seul, l’Église, dont le patrimoine est évalué à trois milliards de livres. C’est l’abbé Talleyrand qui va nationaliser les biens du clergé ! N’empêche qu’en 1796, 45 milliards d’assignats, qui ne valent rien, circulent dans le pays. Entre temps, Robespierre aura chuté, entre autres pour avoir voulu défendre les rentes viagères.

En 1926, tout baigne, sauf que l’État est à sec et que la Banque de France, qui n’est pas nationalisée, refuse de prêter le moindre sou. Le franc s’écrase face à la livre sterling. La dette publique s’élève à 300 milliards de francs. Le Parlement ne veut pas léser les rentiers, et l’Allemagne, qui devait payer, ne paye pas. Raymond Poincaré, homme de droite, va réduire de 80% la fortune des rentiers. Il qualifiera de « stabilisation » cette dépréciation de 80% du franc. Dont il sera pour l’histoire et à jamais « le Sauveur ». (My foot !).

Entre 1944 et 1948, la classe ouvrière a le vent en poupe. Les employeurs ne peuvent résister aux demandes hausse des salaires. La dette s’élève à 269% du PNB. La monnaie est dévaluée cinq fois de 1944 à 1948. Une période de vie chère et de travail assuré est, dit-on, préférable à une période de vie bon marché et de chômage. De Gaulle est pour, ainsi que son conseiller, l’orthodoxe du libéralisme Jacques Rueff qui accepte ce keynésianisme comme un moindre mal. Il sera, cela dit, l’un des fondateurs de la Société du Mont-Pèlerin en 1947, financée par de grands patrons suisses.

En 1958, De Gaulle retourne sa veste. Au nom de la « vérité et de la sévérité » qui, seules peuvent garantir la prospérité. « Tant que je serai là, la parité du franc ne changera pas », proclame-t-il. Cette politique De Gaulle-Pinay-Rueff permettra à la France d’appliquer le traité de Rome. Certains patrons, comme Jacques Riboud, prônent une politique keynésienne de plein emploi et de croissance rapide. Mais en 1979, Raymond Barre fait du franc fort une contrainte européenne en créant le Système monétaire européen et en arrimant notre monnaie au mark. À partir de 1983, la gauche poursuit sur cette lancée. En dix ans, la barre des trois millions de chômeurs est franchie. La dette publique double de 1981 à 1995. Au nom de la santé de la monnaie (une devise forte profite à ceux qui ont de l’argent), des millions d’existences sont sacrifiées. Les rentiers et les « capitalistes oisifs » ont remporté la guerre des classes.

En dormant.

Bernard Gensane

http://bernard-gensane.over-blog.com

Vive la banqueroute !, par Thomas Morel, François Ruffin (et al.)
Amiens : Fakir Éditions, 2013.
http://www.fakirpresse.info/

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