« ... Tout est affaire de décor. Changer de lit, changer de corps. A quoi bon puisque c’est encore Moi qui moi-même me trahis (...) Est-ce ainsi que les hommes vivent »
Louis Aragon (Le Roman inachevé, 1956)
Une nouvelle révolution est en train de se dérouler dans les laboratoires, une révolution sans bruit, sans mort mais qui est lourde de signification pour l’avenir de l’humanité. Les scientifiques parlent de supprimer les causes de la mort en « réparan t » l’homme, mieux encore en « augmentant » ses capacités au-delà de ses capacités naturelles. Cette science : le transhumanisme est un tournant majeur dans la destinée humaine. Elle pose cependant des problèmes éthiques voire religieux.
Qu’est-ce que le transhumanisme ?
Le transhumanisme est un mouvement intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Le transhumanisme considère certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subie comme inutiles et indésirables. La quête d’immortalité date de l’Épopée de Gilgamesh ou les quêtes de la fontaine de Jouvence et de l’élixir de longue vie, au même titre que tous les efforts ayant visé à empêcher le vieillissement et la mort, en sont l’expression. (...) Nikolai Fyodorov, un philosophe russe du XIXe siècle, soutenait l’idée d’un usage de la science à des fins d’extension radicale de la durée de vie, d’immortalité ou de résurrection des morts. Le biologiste Julian Huxley, semble être le premier à avoir utilisé le mot « transhumanisme ». En 1957, il définit le transhumain comme un « homme qui reste un homme, mais se transcende lui-même en déployant de nouveaux possibles de et pour sa nature humaine ». Les transhumanistes s’engagent dans des approches interdisciplinaires pour comprendre et évaluer les possibilités de dépasser les limitations biologiques. (Encyclopédie Wikipédia)
Le bonheur à tout prix
Les « miracles » qui donnent des espérances à des personnes abimées deviennent monnaie courante. A titre d’exemple, on apprend que les scientifiques de l’Université d’Harvard ont créé une peau cybernétique composée de chair cultivée en laboratoire intégrée de nano-fils qui ont les mêmes propriétés de « détection » que la peau humaine. Le but de cette invention est la fusion de la peau avec l’électronique de manière à ce qu’il devient difficile de déterminer où se termine la peau et où commence l’électronique. Bien sûr, il ne s’agit pas de construire un Terminator mais de créer un remplacement à la peau humaine pour pouvoir l’implanter par exemple des grands brulés. (1)
« Lève-toi et marche. » C’est ce que pourront peut-être entendre dès 2014 des personnes paralysées des membres inférieurs quand elles se seront équipées de cet exosquelette robotisé particulièrement léger et transportable. Il permet à des paraplégiques de rester debout, de marcher, de sauter et de monter des marches. Voilà une nouvelle qui pourrait les réjouir, et elle émane tout droit de la Vanderbilt University de Nashville (États-Unis) : des scientifiques y ont conçu un exosquelette robotisé qui permet à ces patients de se ternir droit, de marcher, de sauter ou de monter des marches. (2)
Même le cerveau n’y échappe pas ! Voir le cerveau penser ! Montrer l’activité du cerveau s’appliquant à une fonction telle que parler, lire, compter ou simplement penser, voilà désormais ce que rendent possible les progrès récents de l’imagerie par résonance magnétique, l’IRM. Qu’il s’agisse de la perception musicale, des processus inconscients à l’origine de nos décisions, du développement du cerveau in utero, de l’étude des interactions entre gènes et environnement, de l’étude des anomalies pouvant être à l’origine de certaines maladies psychiatriques, les nouvelles techniques de la « neuro-imagerie » ouvrent des champs d’étude infinis et posent à l’éthique des questions inédites.. (3)
Quelle humanité voulons-nous ?
« Avec les avancées technologiques, écrit Hervé Chneiweiss, nos corps réparés vont s’artificialiser. Les prothèses implantées et les dispositifs miniaturisés tendent à faire partie intégrante de l’individu. L’homme, au sens générique, l’être humain est un inventeur d’artéfacts. Créer des prothèses ou des orthèses, des choses qui nous servent à faire mieux, plus facilement, des outils qui nous servent à faire mieux ce que nous savons faire moins bien, on le fait en permanence. Aujourd’hui, le portable est à l’extérieur de nous, il sert à téléphoner, à voir son agenda, à prendre des notes, etc. peut-être que demain, une partie du portable va être à l’intérieur de nous, après, cela dépendra de chacun. Aujourd’hui, tous les P-DG de grosses boîtes se font implanter, sous la peau, une petite puce avec un code-barres pour qu’avec un GPS on puisse les localiser s’ils sont enlevés. Coder des informations, aujourd’hui on est capable par exemple dans le cortex occipital, pour des gens qui ont perdu la vue, pas de façon congénitale mais à l’âge adulte, de coder suffisamment d’informations pour qu’un aveugle acquis puisse se déplacer dans un espace sans buter sur les objets. Dans les dix prochaines années, cela va se raffiner et cela permettra certainement d’avoir des prothèses beaucoup plus performantes pour permettre à des malentendants ou à des sourds d’entendre, en tout cas de percevoir des sons, à des aveugles de percevoir l’espace autour d’eux. (...) Un corps transformé générera un esprit transformé » (4)
« De l’homme réparé, à l’homme augmenté C’est seulement une question de quantité de vie voire de confort de vie ». « Personne, écrit Hervé Chneiweiss, ne résiste à la tentation d’être augmenté si cela ne comporte pas de risques. Modifié par qui, modifié par quoi, modifié pour qui et comment ? Des milliers d’humains sont des hybrides homme/hommes avec le tissu greffé d’un autre Des millions d’hommes sont des hybrides hommes /machines qui vivent avec un tissu artificiel greffé ».. La biologisation des phénomènes sociaux comme la volonté de lire le texte ultime de l’individu - l’ADN - parait dangereuse. « Lire l’avenir d’un individu dans son génome comme les autres le lisent dans les lignes de la main est ce vraiment là le signe d’un progrès de cette humanité ? Une carte d’identité génétique individuelle précise, complète et fiable est à notre portée et le risque est grand d’y associer la croyance de lire le vivre de la vie. Mais qui en serait le lecteur et pour quel usage ? » (4)
Transhumanisme, éternité et place des religions
Justement qui en serait le lecteur ? Quel est la place de la spiritualité si nous n’avons plus besoin du secours de la religion- comme nous le promet cette science conquérante- pour vivre, bien vivre et être éternel ? On dit que la plupart des transhumanistes sont athées. Une minorité de transhumanistes, cependant, suivent des formes libérales de traditions de la philosophie orientale comme le bouddhisme et le yoga ou ont fait fusionner leurs idées transhumanistes avec des religions occidentales établies telles que le christianisme libéral.
La majorité des transhumanistes sont des matérialistes qui ne croient pas en une âme humaine transcendante. Beaucoup croient en la compatibilité entre les esprits humains et le matériel informatique, avec l’implication théorique que la conscience humaine serait un jour transférée dans des médias alternatifs, une technique spéculative communément connue comme téléchargement de l’esprit. Le premier dialogue entre le transhumanisme et la foi était l’objectif d’un séminaire académique ayant eu lieu à l’Université de Toronto en 2004. Au passage, rien de tel n’a été engagé dans l’Islam, les musulmans devant le train de la science regardent ailleurs. Les critiques religieuses occidentales ont pris en défaut la philosophie du transhumanisme comme n’offrant aucune vérité éternelle ni une relation avec le divin. Elles ont argumenté qu’une philosophie dépossédée de ces croyances laisse l’humanité à la dérive dans une mer brumeuse du cynisme postmoderne et de l’anomie.
Les transhumanistes soutiennent l’émergence et la convergence de techniques telles que la nanotechnologie, la biotechnologie, les techniques de l’information et de la communication et la science cognitive (Nbic) ainsi que d’hypothétiques sciences future comme la réalité simulée, l’intelligence artificielle forte, le téléchargement de l’esprit et lacryonique. Ils pensent que les humains peuvent et doivent utiliser ces techniques pour devenir plus que « des humains ». Une déclaration du Vatican de 2002, intitulée « Communion et service, les personnes humaines créées à l’image de Dieu » stipule que « changer l’identité génétique de l’homme, en tant que personne humaine, par la production d’un être infra-humain est radicalement immoral » ajoutant que « la création d’un surhomme ou d’un être spirituel supérieur » est « impensable » puisque la véritable amélioration ne peut survenir que par l’expérience religieuse et la théosis.
« Le transhumanisme est-il une nouvelle religion ?, écrit Johann Roduit Docteur en droit et éthique biomédical de l’Université de Zurich. Les questions sur le futur de notre humanité envahissent gentiment la presse francophone (suisse romande en particulier). Si le projet transhumain est un succès, l’être humain pourrait se transformer en une nouvelle espèce : le post-humain, « un descendant d’Homos sapiens, dont les capacités auront tellement dépassé celles de l’Homme qu’il ne fera plus partie de la même espèce » Le théologien Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), par exemple, fut l’un des premiers à considérer sérieusement le futur de l’évolution humaine. Ces thèmes sont aujourd’hui tous repris par les transhumanistes d’une manière ou d’une autre. (5)
« Cependant, pour le transhumanisme, l’immortalité s’acquiert à travers une transformation technologique, alors que pour le Christianisme, elle découle de la résurrection de la chair à travers le Christ.(...) En outre, dans le transhumanisme, l’idée que l’Homme ait besoin d’être sauvé, est bien présente. Cependant, la grâce divine a été remplacée par le savoir humain. (...) Dans le transhumanisme, le salut vient de l’ingénuité humaine, et non du cadeau divin. Les atouts souvent réservés à Dieu, tels que l’omniprésence, l’omnipotence et l’omniscience, sont maintenant des caractéristiques convoitées par les transhumanistes. Pour eux, nouvelles et futures technologies nous permettraient de les acquérir. Est-ce que ces nouveaux pouvoirs seront au service de soi ou d’autrui ? Car, avec ces nouvelles facultés, viendront de nouvelles responsabilités. C’est pourquoi certains parlent déjà d’améliorations morales, qui pourraient se réaliser à l’aide de médicaments. Mais ici, l’Homme perdrait peut-être sa liberté et son libre arbitre. (5)
Conclusion
Un des rares points positifs que le défi transhumaniste et les nouvelles technologies nous posent, est qu’ils nous obligent à nous questionner sur le fondement de nos croyances, de nos espérances et de nos valeurs. Le transhumanisme n’est peut-être pas une religion au sens conventionnel du terme, mais comme une religion, il nous offre quelque chose en quoi nous pouvons mettre notre foi et notre confiance. Comme la religion, il nous promet transcendance, mais à la différence de celle-ci, cette transcendance est acquise à travers nos propres moyens technologiques, et non à travers Dieu. La question se pose donc : faut-il mettre notre espérance, confiance, et foi en la vision du monde transhumaniste ou devons-nous faire la différence entre le « physique » et le spirituel, soit pour le croyant entre le corps et l’âme et là le transhumanisme n’apporte pas de réponse.
Nanotechnologies, biologie synthétiques, informatique et cognition. Les récentes avancées de la recherche sont suffisamment impressionnantes pour apporter leur lot d’idées et de mythes. Toutes ces technologies se complètent et se mêlent, et leur hybridation se manifeste à tous les niveaux. Ce métissage des technologies, c’est ce qu’on nomme la « convergence ».
Pour certains enthousiastes comme Ray Kurzweil, nous sommes au bord d’une révolution à côté de laquelle l’apparition de la civilisation à Sumer fait figure de fait-divers. D’autres, comme Francis Fukuyama, considèrent le transhumanisme comme « l’idée la plus dangereuse du monde ». En effet, raisonne-t-il si on commence à altérer la nature humaine, il n’existe plus de projet universel, donc plus de fin de l’histoire à atteindre, et surtout plus d’éthique universelle. Quoiqu’il en soit le problème est vaste. Il est probable que les découvertes Nbic vont altérer considérablement l’homme, la société, et même l’environnement terrestre. Et si l’éthique d’une société posthumaine ne pouvait être mise en place que par des intelligences posthumaines ? (6)
Dans une perspective transhumaniste, dans quelle nature allons-nous évoluer ? La place de la « nature » qui environne l’humain devra rester ce qu’elle est depuis toujours, un cocon qui nous est absolument nécessaire pour survivre et nous développer, une maison qui nous protège et dont nous devons respecter ou maintenir les équilibres à force d’écologie. Certains apprentis sorciers veulent aussi transformer la nature par la géo-ingénierie comme par exemple changer le climat, ce qu’ont fait les Chinois pour les Jeux olympiques de Pékin
Devenir immortel ! Dépasser les limites de son individualité, être qui bon nous semble. On sait que le « souhait de devenir immortel » n’est pas « au coeur » de la pensée transhumaniste, il l’est au coeur de la pensée humaine depuis au moins le mythe de Gilgamesh, la plus ancienne trace d’écriture que nous possédions. Cela ne m’étonne guère, parce qu’il me semble que tout notre être est tourné contre cette perspective insupportable que nous est la perspective de la mort.
Nous devons cependant nous méfier d’une nouvelle forme d’eugénisme qui, sous prétexte de régler une anomalie, développe dans les faits une sélection non naturelle.
La différence est fine entre un eugénisme négatif - penser à l’aryen du IIIe Reich - et la sélection positive pour corriger ou éviter une anomalie génétique Ce que le IIIe Reich voulait faire brutalement, la technique le fait d’une façon soft. Est-ce alors la fin de l’homme au profit de nouvelles espèces ; les esclaves, les seigneurs...? A titre d’exemple, aux États-Unis, plus de 1300 brevets portent directement sur des cellules souches plus ou moins modifiées. Le brevetage du vivant est une réalité. Pour Hervé Chneiweiss, le formatage systématique des individus et la « nouvelle forme d’eugénisme » promus par « l’idéologie productiviste » sont aussi les signes d’un « corps social malade ».
Les religions, devraient - de mon point de vue - montrer que la transcendance n’interdit pas d’aller vers la science pour réparer le corps, mais que l’existence de l’homme est un miracle non seulement en termes d’insufflation de la vie mais même au vu des millions de contraintes physico-chimiques surmontées pour qu’il naisse. Se substituer au divin - pour les croyants -, cela devrait être autre chose.
Nous attendons l’argumentaire des religieux de toutes les religions notamment des oulémas « officiels » plus promptes à dégainer l’anathème ou l’arme fatale de la fetwa ( avis religieux) que de proposer une alternative à des croyants en perte de repère et perturbés dans leur foi par une science, qui par ses avancées, ne s’arrête pas de conquérir et d’offrir des « miracles » à l’homme qui investit plus dans le temporel que dans le spirituel.
Chems Eddine Chitour