Généralités
Enfin, Ottawa se prononça catégoriquement. Elle rompit avec Téhéran et adopta une vision manichéenne du monde, plutôt bushéenne [1]. Le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, annonça que tout le personnel diplomatique canadien fut rappelé et que tous les diplomates iraniens au Canada eurent reçu l’ordre de quitter le pays dans un délai de cinq jours.
Comme nous l’indiquâmes dans L’Iliade du Sept-Septembre [2], la manière dont M. Baird développa sa déclaration convenait par contre beaucoup moins. Il ne parla pas en ministre, mais en Achille aux pieds rapides. Il devait se faire le porte-parole de la colère d’Héphaïstos [3], et parla d’un ton épique, glorieux et sec, comme s’il s’adressait à Phoibos Apollon devant les murailles de Troie [4].
Or, M. Baird, avait une cause très simple et très claire à lever les boucliers pour la défendre, la paix mondiale ; et son exposé fut ce qu’on pouvait lire de plus embrouillé. Il reste à ajouter que les raisons de cette levée de boucliers d’Ottawa à l’égard de Téhéran sont multiples, et l’état de choses sur lequel elle avait à se prononcer fut le suivant :
- premièrement, « le Canada considère le gouvernement de l’Iran comme étant la menace la plus importante à la paix et à la sécurité mondiales à l’heure actuelle » ;
- deuxièmement, « le régime iranien fournit une aide militaire croissante au régime Assad » ;
- troisièmement, « il refuse de se conformer aux résolutions des Nations unies concernant son programme nucléaire » ;
- quatrièmement, « il menace régulièrement l’existence d’Israël et tient des propos antisémites racistes en plus d’inciter au génocide » ;
- cinquièmement, « il compte parmi les pires violateurs des droits de la personne dans le monde » ;
- sixièmement, « il abrite des groupes terroristes auxquels il fournit une aide matérielle ».
La diabolisation du régime iranien : quoi dire des sultanats arabiques ?
Préalablement, nous prenons en critique le deuxième point de l’annonce d’Ottawa, accusant le régime iranien de fournir « une aide militaire croissante au régime Assad », qui, selon la même source d’accusation, aurait brutalement écrasé, à l’aide des titans de Hadès, une révolution démocratique pacifique, menée par une foule de moines méditants.
Il n’est plus secret que l’Iran fournit une aide militaire croissante au gouvernement syrien ; les dirigeants iraniens eux-mêmes ne le cachent pas. Au contraire, ils ont déclaré, à plusieurs reprises, qu’ils ne permettraient pas « à l’ennemi de s’avancer en Syrie [5] ».Or, s’il est vrai que l’Iran fournit une aide militaire au gouvernement syrien, il est non moins vrai que la Turquie, le royaume de l’Arabie saoudite et l’émirat du Qatar fournissent, à leur tour, une aide militaire gigantesque aux groupes armés de la soi disant « opposition » syrienne, et facilitent la pénétration des combattants d’al-Qaïda dans le territoire syrien, non pour établir la démocratie démocratique, comme le croit toujours M. Baird, mais bien plutôt pour « guerroyer » contre les kafirs, les infidèles, voire les minorités chrétiennes et musulmanes hétérodoxes de la Syrie, et cela en brûlant églises et monastères et en massacrant civils et innocents. Ce que nous indiquons ici ne fut pas pris ni des chansons de troubadour ni des romans de chevalerie [6] ; au contraire, il fut bien rapporté et documenté même par les hâbleurs les plus fidèles au prétendu « Printemps arabe ». Lisons, ici, ce que les médias du monopole disent du rôle que jouent le califat turc et les émirats et sultanats arabiques dans la transportation des combattants d’al-Qaïda en Syrie :
primo, le journal américain The New York Times a indiqué la croissance des jihadistes en Syrie, qui est devenue un aimant attirant tous les islamistes d’al-Qaïda :
"The evidence is mounting that Syria has become a magnet for Sunni extremists, including those operating under the banner of Al Qaeda. An important border crossing with Turkey that fell into Syrian rebels’hands last week, Bab al-Hawa, has quickly become a jihadist congregating point [7].
Les preuves que la Syrie est devenue un aimant pour les extrémistes sunnites s’accumulent, y compris ceux qui opèrent sous la bannière d’al-Qaïda. Un important passage de frontière avec la Turquie, Bab al-Hawa, qui fut tombé dans les mains des rebelles syriens, la semaine dernière, devint rapidement un point de rassemblement pour les jihadistes (T. d. A.).
secundo, dans un reportage du journal britannique The Guardian la réalité sur le terrain devient plus obscure, lorsque le lecteur se rend compte que les soi disant « manifestations pacifiques », n’étaient, en effet, qu’une fabrication médiatique, et que la Syrie est gravement infestée par des milliers de combattants d’al-Qaïda :
"… But these were not average members of the Free Syrian Army. Abu Khuder and his men fight for al-Qaida. They call themselves the ghuraba’a, or "strangers" , after a famous jihadi poem celebrating Osama bin Laden’s time with his followers in the Afghan mountains, and they are one of a number of jihadi organisations establishing a foothold in the east of the country now that the conflict in Syria has stretched well into its second bloody year" ;
"Almost every rebel brigade has adopted a Sunni religious name with rhetoric exalting jihad and martyrdom" ;
"Religion is a major rallying force in this revolution [8] ;
"Abu Omar gave an order in Arabic, which was translated into a babble of different languages - Chechen, Tajik, Turkish, French, Saudi dialect, Urdu [9].
… Mais ceux-ci n’étaient pas de combattants moyens de l’Armée syrienne libre. Abu Khuder et ses hommes guerroient pour al-Qaïda. Ils se font appeler les ghuraba’a, ou les « étrangers », d’après un poème jihadiste célèbre, qui fait l’éloge des jours qu’avait passés Oussama Bin Laden avec ses partisans dans les montagnes afghanes ; ils font aussi partie de nombreuses organisations jihadistes qui ont déjà établi un point d’appui à l’Est du pays, maintenant que le conflit en Syrie entre sa deuxième année sanglante.
Presque chaque brigade rebelle sunnite a adopté un nom religieux de la rhétorique exaltant le djihad et le martyre ;
La religion est une force importante de ralliement dans cette révolution.
Abou Omar a donné un ordre en arabe qui fut traduit en un babillage de différentes langues - en tchétchène, en tadjike, en turc, en français, en dialecte saoudite et en ourdou (T. d. A.).
tertio, le journal étatsunien The Independent a publié un reportage sur le rôle du califat turc et des émirats et sultanats arabiques dans la transportation massive d’armes vers le territoire syrien. Évidemment, ceux qui bénéficient de cet arsenal sont des combattants d’al-Qaïda et non pas des moines aux robes blanches :
"Syrian rebels are being armed by Saudi Arabia and Qatar, The Independent has learnt, in a development that threatens to inflame a regional power struggle provoked by the 15-month-old uprising against the Assad regime.
Rebel fighters from the Free Syrian Army (FSA) have received weapons from the two Gulf countries, which were transported into Syria via Turkey with the implicit support of the country’s intelligence agency, MIT, according to a Western diplomat in Ankara [10].
The Independent a appris que les rebelles syriens sont armés par l’Arabie saoudite et le Qatar, ce qui entraine en effet un développement menaçant d’incendier un conflit de pouvoir régional, provoqué depuis 15 mois par le soulèvement contre le régime Assad.
Les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) ont reçu, de deux pays arabes du Golfe, des armes qui ont été transportées vers la Syrie à travers la Turquie dont les services de renseignement, MIT, appuient implicitement de telles opérations, selon un diplomate occidental à Ankara (T. d. A.).
Soit que nos gouvernants lisent les journaux soit qu’ils ne les lisent pas.
S’ils ne les lisent pas, une question sérieuse s’impose ici : sur quelles bases prennent-ils des décisions stratégiques déterminant l’avenir des millions de Canadiens, ainsi que la position de notre pays sur la scène internationale ? Quels sont les fondements de leurs justifications ? Certainement pas la bonhomie du premier ministre Stephen Harper ni la philanthropie philanthropique de M. Baird. Et ces fondements, sont-ils matériels concrets, soutenus par des données réelles du terrain ? Sont-ils idéologiques, prenant exclusivement en considération l’idéologie d’une telle ou telle partie des Canadiens en dépit des autres perspectives et points de vue ? Sont-ils arbitraires pour la simple raison que l’on ne lit pas ? Par contre, si nos gouvernants lisent bien les journaux, il faut, dans ce cas sonner, l’alarme ; car nous sommes devant une catastrophe politique : nos gouvernants se moquent de nous !
Les chrétiens de la Syrie massacrés dans le silence
Dans le discours du gouvernement Harper sur la Syrie, il n’y a aucune allusion aux rôles du califat turc et des émirats et sultanats arabiques dans la transportation des combattants d’al-Qaïda en Syrie, aucune insinuation aux attaques terroristes menées par ces groupes contre les minorités religieuses chrétiennes et musulmanes hétérodoxes, aucune, sauf un profond silence qui fait éveiller, par contre, une foule de soupçons.
Un reportage publié dans le journal allemand Der Spiegel a indiqué que des milliers de Syriens s’étaient enfuis vers le Liban, pas nécessairement par peur du régime Assad, mais bien plutôt dû aux attaques menées par les troupes rebelles de la soi disant « révolution » syrienne. Le reportage a aussi souligné comment la minorité chrétienne de la Syrie souffre des attaques des groupes armés rebelles :
"… the women described what happened to their husbands, brothers and nephews back in their hometown of Qusayr in Syria. They were killed by Syrian rebel fighters, the women said " murdered because they were Christians, people who in the eyes of radical Islamist freedom fighters have no place in the new Syria [11].
… les femmes ont décrit ce qui est arrivé à leurs maris, frères et neveux dans leur ville natale de Qusayr en Syrie. Ils ont été tués par des combattants rebelles syriens, disent-elles, ils ont été assassinés parce qu’ils étaient chrétiens, et parce que, selon les combattants islamistes radicaux de la liberté, ils n’ont pas de place dans la nouvelle Syrie (T. d. A.).
Les faits que nous mentionnons ci-dessus ne font en aucun point partie de la propagande du gouvernement syrien ; au contraire, ils ont été reportés par Der Spiegel, un journal considéré comme l’un des plus remarquables médias du monopole, un fer de lance de la guerre impérialiste contre la Syrie ; ce qui nous pousse effectivement à nous demander ici, quelle réaction messieurs Baird et Harper pourraient avoir envers un tel reportage ?
Le vacarme de la guerre contre l’Iran
Depuis un an, nous n’avons cessé d’attiré l’attention des lecteurs du CRM [12]sur les intrigues des gouvernements de la Sainte-Alliance contre la Syrie. Nous avons suivi les chemins détournés par lesquels les médias du monopole cherchaient à s’emparer de l’opinion publique. Nous avons indiqué en même temps comment les intérêts stratégiques de l’impérialisme mondial ont croisé ceux de l’islamisme califal turc et du despotisme obscurantiste arabique, pour établir ainsi la Sainte-Alliance.
Or, en ce qui concerne notre pays et son positionnement sur la scène internationale, quelques faits prouvent, jour après jour et de façon frappante, à quel point le gouvernement Harper, par sa rupture avec l’Iran, s’implique dans la Sainte-Alliance.
Non seulement les reportages quotidiens en provenance de la Syrie renversèrent tous les masques de Dionysos, derrière lesquels se cachaient les visages des vrais acteurs de la tragédie syrienne, mais aussi les dieux de l’Olympe [13], qui jadis se protégeaient derrière les nuages [14], descendirent sur Terre, à la rencontre des titans de Tartare [15]. Ainsi, Stephen Harper s’habilla en Agamemnon et John Baird en Achille aux pieds rapides ; et les deux furent accompagnés de Benjamin Netanyahou, qui maîtrisa bien le rôle de Ménélas.
Face aux préparations pour une guerre à venir contre l’Iran, nous élevons la voix et nous l’ajoutons à celle de Michel Chossudovsky, et nous demandons à nos lecteurs de propager le message dans le monde entier :
Nous demandons à tout le monde aux États-Unis, en Europe de l’Ouest, en Israël, en Turquie et partout à travers le monde de s’opposer à ce projet militaire, de se soulever contre leurs gouvernements qui appuient une action militaire contre l’Iran et contre les médias qui servent à camoufler les implications dévastatrices d’une guerre contre l’Iran [16].
Communiquer avec l’auteur : fdakroub (chez) gmail.com
Page officielle de l’auteur : www.fidadakroub.net
Docteur en Études françaises (UWO, 2010), Fida Dakroub est écrivain et chercheur, membre du « Groupe de recherche et d’études sur les littératures et cultures de l’espace francophone » (GRELCEF) à l’Université Western Ontario. Elle est militante pour la paix et les droits civiques.