RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Cours payé cours dû

Cet argument dit tout sur l’état de notre société québécoise. Je paie donc j’ai le droit, je peux payer donc je me fous de ceux qui ne peuvent pas payer. Cette notion mercantile, typiquement nord-américaine, fait ressortir la maudite française en moi. Pourtant, après 24 ans au Québec, je me sais totalement « assimilée ». Plus québécoise que française, je n’ai jamais essayé de recréer mes habitudes du vieux continent ici et je me suis toujours gardée de tomber dans le discours du type : « En France, c’est comme ça, en France on a cela et on fait ceci… » Sous-entendu, en France on est meilleur.

Je ne reviendrai pas sur les détails de la grève étudiante qui, malheureusement, n’a pu devenir un réel mouvement social faute d’implication de la part de la société québécoise : retraités, travailleurs et syndicats n’ont pas répondu « présents ». Il y a bien sûr des exceptions ! Il n’y a pas eu de mouvement social parce que notre société n’a tout simplement pas de conscience sociale. L’individualisme l’emporte sur le collectif. Le nombrilisme y est de mise, pour preuve la demande de recours collectif contre 25 établissements d’enseignement et le Procureur général du Québec par deux étudiants.

Kim Laganière, étudiante en techniques infirmières au Collège Montmorency, et Mihai Adrian Draghici, étudiant en histoire de l’Université Laval, réclament des dommages pour avoir été empêchés de suivre leurs cours lors de la session d’hiver 2012, ce qui les a retardés dans leur cheminement scolaire et professionnel. Leur avocat, Michel Savonitto, a expliqué « Ils [mes clients] ont un contrat avec les établissements d’enseignement, et ils sont en droit de demander que les services leur soient fournis conformément au contrat ». Tout se limite donc à la notion d’utilisateur-payeur et au droit individuel de recevoir les services pour lesquels on a payé. En effet, si je paie mon fournisseur Internet, je m’attends à ce qu’il me fournisse le service pour lequel j’ai payé. Il en est de même pour mon service de transport en commun, mes repas au restaurant et, vu la pente que nous prenons au Québec, il en sera bientôt de même pour mes soins de santé.

Mais le véritable débat ne se situe pas à ce niveau, individuel. Il se situe à un niveau collectif, sociétal. Dans quelle société les Québécoises et les Québécois veulent-ils vivre ? Quelles sont leurs priorités ? Quelle société veulent-ils construire pour les futures générations ? Que veulent-ils sauver d’une civilisation occidentale en crise ? Ce n’est qu’en s’efforçant de répondre à ces questions qu’ils pourront situer la grève étudiante dans son véritable contexte.

Bien sûr, des étudiants provocateurs ont dépassé les limites. Les médias et les autorités le leur ont fait payer, cher. Les médias, au service du pouvoir, les ont pointés du doigt, stigmatisant du même coup l’ensemble de la population étudiante. Je ne reviendrai pas sur les propos de M. Martineau ou de Mme Denise Bombardier, pour ne citer qu’eux. La description par ces mêmes médias de la reprise des cours à l’Université de Montréal et à l’UQAM n’a fait qu’enfoncer le clou. A l’UQAM, j’ai assisté comme simple observatrice à une levée de cours. Un peu moins d’une dizaine d’étudiants en grève est entrée dans un amphithéâtre pour lever le cours. Immédiatement, une jeune étudiante non gréviste a déclaré : « Je ne suis pas en grève moi ». Malheureusement, les étudiants carrés rouges qui procédaient à la levée de cours n’ont pas su défendre leur position et, peut-être, faire passer des carrés verts dans leur camp. Ils n’ont su que répondre « Ce n’est pas comme ça que ça marche ».

En effet, ce n’est pas comme ça que ça marche. La grève est un droit constitutionnel. Une grève est votée par des individus dans une perspective collective. Les individus s’expriment par le biais d’un processus démocratique : le vote. C’est la voix de la majorité qui l’emporte. Une fois le décompte effectué, l’individu devient partie intégrante de la volonté collective, exprimée démocratiquement. Un recours collectif basé sur la notion de contrat contredit et met en danger les fondements mêmes de la démocratie et notamment du droit de vote et du droit de grève. La démocratie, c’est permettre aux individus de s’exprimer pour parvenir à un consensus au service de la collectivité.

Où est la maudite française dans tout ça ? Ah oui, en France, la grève est une tradition, un droit incontesté. Tout le monde sait que faire une grève c’est perturber des activités pour attirer l’attention sur un problème, une situation, des abus, une frange de la société défavorisée, etc. Sans les grèves de 1936, les droits des ouvriers n’auraient pas été reconnus… Par essence, une grève veut déranger.

Quand une grève est votée et qu’une étudiante répond aux grévistes « Je ne suis pas en grève moi », cela me donne une idée. Le quatre septembre, si le candidat élu n’est pas celui pour lequel j’aurais voté, je refuserai de le reconnaître comme premier ministre. Tiens… c’est une pratique à laquelle recourent les États policés qui ont pour nom dictature.

Claude Jacqueline Herdhuin

URL de cet article 17598
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
L’Eglise et l’école, de Marceau Pivert
La laïcité séduit au XIXe siècle une bourgeoisie soucieuse de progrès et d’efficacité. Les socialistes en font également leur cheval de bataille. La séparation de l’Église et de l’École puis de l’Église et de l’État en 1905 en est le symbole, mais ce fragile compromis est bientôt remis en cause. Face à une contestation grandissante, la bourgeoisie et l’Église s’allient pour maintenir l’ordre social, politique et moral. Depuis les années 1920, leur offensive conjointe reprend une à une les conquêtes laïques. La (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

C’est seulement quand le nombre de cadavres de l’oppresseur est suffisamment grand qu’il commence à écouter.

Amilcar Cabral

Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.