Alors, comment qualifier une campagne qui ne traite nullement les orientations incriminées au fond, qui insulte et juge de manière expéditive au nom du dogme d’un autre Saint Simon : Qui n’est pas pour moi est contre moi.
C’est tout simplement une campagne abjecte qui fait du journal qui l’orchestre une feuille au parfum vert-de-gris dont la volonté de surveiller, de pourchasser, d’évaluer, de juger semble nous dire je suis partout. ça me fait froid dans le dos.
En démocratie, la morale, c’est le respect en droit de l’autre être humain qui se manifeste notamment par la pratique de la conversation ou du moins celle du dialogue. Seul les fanatiques, voire les acteurs de l’impérialisme, quelle qu’en soit la couleur, s’en exonèrent au nom d’une foi aveugle ou de la logique implacable des marchés, les deux parfois, et ils excommunient tout contestataire ou simple protestataire. L’idée même de la preuve des autres est niée, alors qu’il est établi depuis longtemps que la vérité universellement convaincante se rencontre le plus souvent au croisement de preuves et de sincérités diverses.
Or, la vérité ne se décrète pas, la vérité peut être belle, mais elle est parfois désespérante, contraire à nos idées, souvent mortelle. Mais l’homme qui n’aurait plus le souci de la traquer aurait perdu son statut d’être humain : il serait comme un légume. Qui saurait prétendre avoir tout ausculté ? Que chacun, dont il ne serait pas digne de nier les raisons, dise franchement ce qu’il a à dire et qu’il le fasse, comme le recommandait Marc Bloch, en n’oubliant pas de préciser avec quelle identité.
Mais, revenons au commencement ou à une de ces occurrences, c’est-à -dire à la crise syrienne que j’estime suffisamment complexe pour ne pas laisser les activistes de tout bord guider l’action du gouvernement français qui manifeste déjà une étrange impatience et prend des décisions qui prouvent que dans ce domaine, le changement se passe dans la continuité des choix guerriers du pèlerin BHL et du Président Sarkozy, jusqu’à rendre encore moins crédible la voix de la France dans la région du Moyen-Orient. S’il vous plaît, ça n’est pas pour ça que j’ai voté Hollande ! La précipitation n’est jamais bonne conseillère et les décisions devraient se prendre en connaissance de cause à la lumière d’expertises diversifiées et à l’écoute de certains connaisseurs de la région qui, par ailleurs, ne manquent pas de manifester leurs craintes. Aussi bien Le Canard Enchaîné, que l’Editorial de Jean-Claude Souléry dans La Dépêche du Midi, et les témoignages de Marc le Fur, député UMP des Côtes-d’Armor, comme de Gérard Bapt, député PS de la Haute-Garonne, tous nous préviennent de la complexité de la crise, de l’étrangeté des alliances et par conséquent des intérêts stratégiques et économiques moteurs du conflit, du caractère religieux de la violence et des conséquences désastreuses d’une intervention armée. Refuser la complexité, c’est pratiquer la conspiration du silence et surtout trahir la mission de clarté dont je croyais les médias investis, c’est refuser de réamorcer le dialogue diplomatique et cultiver le manichéisme.
J’ai bien peur que certains de nos gensdelettres prennent le monde pour un bal masqué et qu’ils s’y promènent avec des faux nez, non pour voir sans être vu, mais pour profiter simplement de la fête et n’en extraire que des vérités négociées.
Pendant ce temps, et manière de relancer le débat sur les contours de la vérité, comme le fait remarquer Laurent Zecchini dans son article Prières contre le mur de Crémisan (Le Monde du 19-20 août), l’édification du mur de séparation ou plus précisément La barrière de sécurité, selon les Israéliens, se poursuit ; quand il sera achevé, précise-t-il, 9,5% de la Cisjordanie sera situé en territoire israélien. Autrement dit, la colonisation continue sans soulever la moindre protestation du côté de ceux qui voient de l’antisémitisme partout.
Anatole Bernard