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La résistance des pays du tiers-monde et la solidarité des intellectuels occidentaux

7 avril 2004

Fallouja, Bagdad, Ramadi, Nasiriya - un peuple entier s’est levé pour affronter l’armée d’occupation coloniale, ses mercenaires, ses pantins et collaborateurs. Au départ, par des manifestations pacifiques de masse, ils furent massacrés par les troupes états-uniennes, britanniques, espagnoles et polonaises : des mains nues contre des tanks et des mitrailleuses. La résistance armée, au début une minorité, à présent indiscutablement la force la plus populaire, est soutenue par des millions.

Les armées coloniales, redoutant chaque irakien, tirent sauvagement dans les foules et battent en retraite ; elles assiègent des villes entières, tirent des missiles dans des quartiers populaires bondés ; leurs hélicoptères mitraillent les habitations, les usines, les mosquées. Aux yeux des soldats coloniaux, l’ennemi est partout et pour une fois ils ont raison.

La résistance résiste : de chaque bloc de maisons, de chaque maison et de tous les étages résonnent les coups de feu. La résistance est partout. Chaque maison est touchée mais la résistance continue. La population aide les combattants blessés, lave leurs blessures. Ils donnent de l’eau aux assoiffés pour désaltérer leur gorge brûlée et rafraîchir leurs mains — les armes automatiques sont brûlantes.

Et où sont passés les mercenaires occidentaux ? Les tueurs payés à 1000 $ par jour avec leurs gilets pare-balles, leurs lunettes noires, leurs fanfaronnades et leur arrogance. Ils ont disparu. Eux aussi ont vu les corps carbonisés de leurs anciens acolytes de massacre.

Des centaines d’Irakiens ont été tués, des milliers ont été blessés, plus encore vont mourir mais après chaque enterrement, des dizaines de milliers de plus, les pacifiques, les apolitiques, ceux qui attendent et observent les ont remplacés.

«  C’est une guerre civile », braille la presse bourgeoise. C’est prendre ses désirs pour des réalités. Les chiites et sunnites sont ensembles, frères et soeurs d’armes (oui, les femmes se battent aussi), se couvrant l’un l’autre lorsqu’ils affrontent les tanks.

Et la résistance gagne quelles que soient les «  proportions » - cinq, dix ou vingt Irakiens pour un soldat colonial. La résistance irakienne a dorénavant gagné la bataille politique. Aucun fonctionnaire installé par les forces d’occupation n’a d’avenir. Ils existent tant que l’armée US reste en place mais ils s’enfuiront par les toits de leurs bunkers lorsque les États-Unis se retireront.

Militairement, les États-Unis et les mercenaires ont subit des milliers de pertes : des morts et des blessés en pagaille tous les jours. A Washington, les militaristes en civil, les architectes de la destruction de l’Irak paniquent. «  Envoyons plus d’hommes ! », crient à l’unisson Rumsfeld, Wolfowitz et Kerry, le candidat-président.

Depuis son ranch du Texas, Bush appelle le chef de la résistance Moqtada Sadr un «  tueur ». Loin du front, de la boucherie et des massacres, sa télévision ne montre pas les enfants au visage déchiqueté. Une fois de plus, Bush est loin du champ de bataille, le Viêtnam et maintenant l’Irak. A présent, il peut réclamer un report d’appel au service, il est le président en personne qui déclara unilatéralement la fin de la guerre en mai 2003.

Maintenant, en avril 2004, il y a plus de 600 soldats états-uniens abattus alors que la résistance irakienne a répondu à Bush qui les avait appelés à intensifier leurs attaques. Elle a repris les rues à l’armée coloniale, elle a reconquis les villes et pleine de courage et de détermination, elle se maintient sur son terrain.

Les «  Arabes » résistent alors que la courge Sharon reste muette. Ses agents, Wolfowitz, Feith, Abrams et leurs sous-fifres, autrefois si loquaces, se taisent étrangement. Est-ce-qu’ils s’inquiètent qu’il pourrait y avoir une réaction massive contre ceux qui ont trafiqué les données pour que les États-Unis lancent une guerre, qui tuera ou estropiera des milliers de soldats états-uniens, dans le but de «  protéger » la prétention incontestée d’Israël de dominer le Moyen-Orient ?

Au début du printemps 2004, en avril pour être exact, les rêves d’un nouvel empire colonial se sont effondrés sur les inventeurs du Nouvel ordre mondial : cet empire unilatéral et incontesté. C’est la fin de la «  sphère de co-prospérité du grand Moyen-Orient » vu par Sharon, Wolfowitz, Blair et Cheney. La résistance irakienne a transformé le rêve de Rumsfeld et Wolfowitz d’une série de guerres contre la Syrie, l’Iran, Cuba et la Corée du Nord en un cauchemar de batailles de rues acharnées pour chaque bloc de maisons comme à Fallouja ou Bagdad (Quartier de Sadr).

L’héroïsme, la valeur, l’inspiration, la résistance massive des Irakiens est d’autant plus grande qu’ils se fondent sur leurs propres ressources, leur propre solidarité, leur propre histoire, leur conviction qu’ils seront un peuple libre ou descendront tous les soldats coloniaux dans une lutte acharnée.

L’expression ’Patria o Muerte’ prend une signification spéciale et toute particulière en Irak. Ce n’est pas le slogan d’un chef, d’une avant-garde, pour enhardir et inspirer le peuple, c’est la réalité vivante de tout un peuple. La patrie ou la mort est dans toutes les bouches aussi bien des jeunes combattants que des commerçants de rue ou les veuves voilées de noir.

Ces journées d’avril en Irak constituent une leçon pour tous les pays du tiers-monde et tous les candidats colonialistes : une résistance armée de masse ne peut être vaincue politiquement ou militairement. L’héroïsme de la résistance irakienne jette une ombre sur les lâches dirigeants arabes auto-proclamés : les monarques de Jordanie et d’Arabie saoudite, le «  président à vie » corrompu Moubarak, les collaborateurs de l’Ayatollah iranien. Pas un n’a bougé le petit doigt pour aider la lutte de libération nationale. Ils craignent que la résistance irakienne puisse leur mettre le feu au derrière.

Et les intellectuels occidentaux ? Depuis le début de la résistance, il y a un an, pas un seul intellectuel aux États-Unis parmi les dizaines de penseurs progressistes et critiques ( «  Not in My Name » ) n’a osé déclaré sa solidarité avec la lutte anticoloniale. J’entends qu’ils ont des «  problèmes à soutenir les fondamentalistes arabes, les terroristes, les antisémites, etc. »

Cela sonne comme un écho de ces intellectuels français qui s’opposèrent à la résistance populaire armée contre les nazis parce que «  les communistes y participaient ». Ou bien, plus tard, parce que les colons en Algérie «  avaient aussi le droit de rester en Algérie » (Albert Camus). Dans son livre «  Listen Yankee » (Yankee, écoute), C. Wright Mills s’adressa aux ’progressistes’ aux États-Unis qui refusaient de soutenir la révolution cubaine au début des années 1960. «  C’est une véritable révolution enracinée dans le peuple », écrivait-il. «  Vous pouvez faire la différence, vous pouvez faire partie de la solution ou partie du problème. »

Les intellectuels occidentaux sont un problème. Ils ne commandent pas les troupes, encore moins ni eux ni leurs enfants ou petits-enfants n’assassinent les écoliers irakiens. Ils se lient les mains. «  Mais nous sommes opposés à la guerre », se défendent-ils et s’empressent à soutenir le candidat Kerry qui soutient la guerre et appelle même à l’envoi de 40.000 hommes en renfort pour envoyer des missiles dans les quartiers populaires - avec le soutien de l’ONU sans doute.

Alors où se placent donc les intellectuels occidentaux ces jours-ci alors que le peuple irakien a pris les armes pour résister au monstre militaire US ? Il y a deux camps : d’un coté, une nation tout entière combattant une armée coloniale d’occupation et de l’autre l’impérialisme US. Les intellectuels politiques sérieux et conséquents doivent se décider : refuser de prendre parti équivaut à être complice. La nonchalance intellectuelle est un luxe réservé aux intellectuels dans l’empire mais qui n’existe pas en Irak. Plus de 1000 intellectuels et professeurs ont été assassinés pendant l’occupation. Les questions ne sont pas obscures ni complexes. Un côté réclame des élections libres, la liberté de la presse et l’autodétermination alors que l’autre, celui des fonctionnaires coloniaux, interdit les journaux, nomme des dirigeants fantoches et assassine leurs opposants.

La paralysie des intellectuels états-uniens de gauche, leur inaptitude à exprimer leur solidarité avec la résistance irakienne est une maladie dont souffrent tous les intellectuels «  de gauche » dans les pays coloniaux. Ils ont peur du problème (la guerre coloniale) autant que de sa solution (la libération nationale)

En définitive, le confort et la liberté dont ils profitent, les honneurs académiques et l’adulation qu’ils reçoivent dans la métropole coloniale a plus de poids que le prix d’une déclaration simple de soutien aux mouvements de libération révolutionnaires.

Ils recourent à des «  équivalences morales » creuses, contre la guerre et contre les «  fondamentalistes », les «  terroristes », contre celui qui lutte pour sa propre libération et qui n’a pas payé tribut aux gardiens auto-proclamés des valeurs démocratiques occidentales. Il n’est pas difficile de comprendre cette absence de solidarité avec les mouvements de libération parmi les intellectuels progressistes des pays colonialistes : eux aussi ont été colonisés, soumis mentalement et matériellement.

Des milliers de gens humbles en Irak donnent une leçon pratique de solidarité à ces érudits : le 4 avril 2004, alors que pleuvaient les bombes d’hélicoptères et de chars, des milliers ont apporté de Bagdad à Fallouja de la nourriture et des médicaments à ceux qui luttaient, encerclés dans cette ville dont on se souviendra pour toujours comme du berceau de l’émancipation.

Est-ce que nos intellectuels le remarqueront ? Peuvent-ils au moins faire circuler une prise de position «  En notre nom » en solidarité avec la résistance irakienne ?

Pendant ce temps, la résistance populaire massive engagent les armées d’occupation surarmées et bien portantes dans un combat d’homme à homme. Ils ne demandent pas si leur voisin, ami ou camarade est sunnite, laïc, chiite, baathiste ou communiste, ils ne restent pas séparés lorsqu’une mosquée, une école ou un projet de logement est bombardé ou mitraillé. Ils se sont engagés à lutter, à se rallier à un mouvement national pour repousser les envahisseurs, les voleurs de pétrole et les criminels.

C’est dommage - plus pour eux que pour la contribution matérielle qu’ils pourraient apporter à cette lutte historique - que les intellectuels progressistes aux États-Unis aient choisi de s’abstenir et, une fois de plus, démontrent l’absence de signification des intellectuels occidentaux pour la libération du tiers-monde.

James Petras, professeur émérite de l’université d’État de New York à Binghamton (USA) et professeur associé de la St Mary’s University, Halifax (Canada).

 Traduction : J. Schretter

 Source : www.rebelion.org et
www.informationclearinghouse.info

Pour usage équitable uniquement.

***

 D’ autres article de James Petras :

Géopolitique du Plan Colombie 10 mai 2003

Situation actuelle en Amérique latine.1er juillet 2003

Cuba : La Responsabilité des Intellectuels. 15 juillet 2003

Le droit à la vie de la Révolution cubaine. 14 mars 2004

Elections américaines : leur avenir et le nôtre. 16 avril 2004

Transmis par : Cuba Solidarity Project


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