Son ouvrage, intitulé "La vida no es facil papi, la holandesa de las FARC" , retrace le parcours de Tanja Nijmeijer, de son arrivée dans le pays andin comme simple enseignante jusqu’à son adhésion complète au combat du groupe insurgé le plus vieux du continent. Le livre est avant tout la retranscription par l’écrit d’un travail qui a débouché sur un reportage vidéo autour d’Alexandra pour la télévision colombienne. Il aura fallu trois années d’attente et de demandes répétées pour que le commandant Jorge Briceño, alias Mono Jojoy, accepte la demande de l’auteur et que celui-ci puisse se rendre dans la jungle et s’entretenir avec la jeune femme. Un but atteint quelques semaines avant que l’aviation colombienne bombarde le campement et tue le chef guérillero en septembre 2010.
Qui donc est Tanja Nijmeijer ? Animée par une envie de savoir « comment était le monde au delà de l’Europe » (2) la jeune étudiante décide de partir en Colombie en 2001 afin de réaliser un stage comme enseignante d’anglais dans une école de la ville de Pereira. Là , elle se heurte à la réalité d’un pays en guerre contre une guérilla dont les motivations lui paraissent encore obscures. Elle se lie alors d’amitié avec un professeur de mathématique avec lequel elle s’initie à l’histoire latino-américaine et aux réalités socio-économiques de la Colombie, sa pauvreté et ses écarts. Elle entame alors une thèse sur les FARC qu’elle continuera lors de son retour en Hollande et commence alors à militer pour informer ses compatriotes sur la réalité politique colombienne et sur l’ingérence impérialiste nord-américaine dans le pays. C’est lors de son retour en Colombie en 2002 que Tanja franchit alors le Rubicon.
« Pourquoi êtes vous revenu ? - Je veux voir le processus révolutionnaire dans ce pays et comment les choses vont changer - Maintenant nous pouvons parler, si tu veux travailler je vais te mettre en contact avec un guérillero » (3). C’est ainsi que l’a accueilli celui qui s’avérait être bien plus qu’un enseignant de mathématique, mais également un milicien des FARC. La jeune femme intègre alors le réseau urbain de la guérilla et entame une double vie, semi-clandestine. Tanja Nijmeijer devient alors "Alexandra" . Elle s’initie aux premières actions en posant des explosifs en guise de représailles dans les entreprises qui refusent de payer l’impôt révolutionnaire de la guérilla. Son dévouement franchit les barrières de la capitale et son nom commence à circuler au sein des campements guérilleros situés dans les régions et collines alentours. Au début de l’année 2003, une infiltration des services d’intelligence colombiens porte un coup mortel au réseau urbain où se trouve Alexandra ; la plupart de ses camarades sont arrêtés peu avant l’exécution d’une opération dans la capitale. Isolée, la jeune hollandaise n’a d’autre solution que d’être évacuée par l’organisation et quitte Bogota pour San Vicente del Caguan (dans le Sud du pays). Là , elle amorce son entrainement physique et sa formation idéologique qui vont faire d’elle l’une des « meilleures incorporations » qu’a faite la guérilla ces dernières années. « Disciplinée comme peu, elle n’aime pas les médisances, elle est studieuse et solidaire » (4) dit un des ses chefs.
Jorge Enrique Botero rencontre pour la première fois la jeune combattante lors d’une visite au campement insurgé dans lequel elle se trouve. Lorsqu’elle le salue, l’accent trahit une provenance étrangère, « elle est Hollandaise, d’Hollande » l’informe l’un des guérilleros. Depuis, le journaliste n’a eu de cesse de la rechercher et de tenter de découvrir qui était cette jeune femme « au teint très blanc et aux cheveux châtains clairs » (5). A cela s’ajoute une notoriété involontaire lors de la découverte et la publication de son journal intime par l’armée colombienne. L’utilisation de sa propre famille afin de tenter de lui faire abandonner les rangs du groupe armé a complété une mise en avant médiatique et fait de Tanja cette "Holandesa de las FARC" connue du grand public (6).
Outre sa propre expérience, l’ouvrage nous révèle le quotidien de la guérilla. Il en ressort une organisation armée disciplinée, aux motivations politiques encore bien intactes malgré les qualificatifs voulant la réduire à un groupe "narco-terroriste" ou quasiment à une bande de criminels. « Lorsque vous arrivez dans le monde de la guérilla, ce qui vous frappe, c’est cette idéologisation qui habite ces territoires (...) la chose atteint un tel extrême qu’une fois, j’arrive et je demande l’heure à un groupe de garçons qui se trouvait là . Et l’un d’eux, très sérieusement, sans se moquer de moi, me dit "c’est l’heure de la révolution, du triomphe, c’est l’heure des peuples" (...) les guérilleros reçoivent quotidiennement de grandes doses d’éducation politique » témoigne Botero (7).
Militairement le groupe insurgé évolue et apprend au contact de son ennemi. La traque acharnée du gouvernement de Bogota à l’encontre d’Alfonso Cano n’a pour le moment pas réussi à aboutir sur la capture ou la mort du premier dirigeant. Celui-ci s’est exprimé publiquement lors d’une vidéo émise lors de la rencontre nationale pour la paix organisé par les masses paysannes à Barrancabermeja (Magdalena Medio) le dimanche 14 août 2011 (8). Cano y aborde la disposition des FARC à entamer une série de négociations afin de déboucher sur une solution politique du conflit. « Un acte de désespoir » de la guérilla ont déclaré certains, convaincus que celle-ci tente de se rapprocher du président Santos afin d’obtenir une trêve (9). Il est indéniable que le groupe insurgé a subi, depuis la présidence d’Alvaro Uribe, d’importants revers et que celui-ci a su les repousser hors des grands centres urbains. Mais les FARC sont loin d’être anéanties. Incapables, dans l’état actuel des choses, de prendre le pouvoir par les armes, tout comme quasiment impossible d’être vaincues militairement par Bogota à court terme, les insurgés savent que le conflit ne peut être résolu qu’autour d’une table de négociation (10). Selon Leon Valencia, membre de la Corporation Nuevo Arco Iris (observatoire du conflit) les cercles militaristes et le président Santos sont arrivés aux mêmes conclusions (11) ; encore faut-il que ces derniers acceptent de discuter avec les dirigeants de la guérilla sans pour autant exiger pour condition première que ceux-ci reconnaissent leur défaite militaire. Ce qu’ils ne feront pas.
En attendant les FARC restent actifs, et possèdent suffisamment de moyens et de ressources pour survivre encore longtemps.
Quant à Tanja, « elle est vivante » affirme le journaliste Jorge Enrique Botero, « des sources sûres me l’ont confirmé » (12). Elle se trouve donc certainement là bas, quelque part dans les montagnes colombiennes, ayant échappé une nouvelle fois à une mort certaine. Combien de temps encore saura-t-elle faire un pied de nez à la grande faucheuse ?
« Pourrait-on dire que ce qui résume Tanja c’est vaincre ou mourir ?
- Définitivement, je mourrai ici dans cette jungle ou on me verra a Bogota en première ligne » (13).
Loïc Ramirez