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Maroc : Révolte et espoir à Béni Makada

Quartier populaire par excellence de Tanger, Béni Makada s’est distingué par son rôle avant-gardiste dans la contestation de la situation politique actuelle au Maroc. Personne ne connaît avec précision le nombre d’habitants de cet immense quartier prolétaire. Et son développement anarchique se poursuit toujours. Il attire vers lui une main-d’oeuvre essentiellement féminine bon marché venue de tout le Maroc. Les chômeurs de toute la région du nord et les petits paysans, chassés de leur terre par les promoteurs immobiliers et les hauts propriétaires terriens, viennent s’ajouter à une population déjà pléthorique de ce faubourg frondeur.

Dès l’aube, une véritable agitation s’empare de Béni Makada. Ouvrières et ouvriers par groupes , poches en plastique à la main contenant le repas de la journée, s’entassent dans des fourgonnettes qui vont les disperser dans les différentes usines des secteurs textile-habillement, câblages automobile, agroalimentaire, métallurgie etc.. Un peu plus tard, sur l’artère principale du quartier, femmes de ménage, peintres en bâtiment, maçons, carreleurs, plombiers et autres électriciens s’alignent sur le trottoir avec leurs instruments de travail pour vendre leur « savoir faire » à d’éventuels clients. Le quartier s’anime davantage encore avec l’ouverture des magasins, des boutiques des commerçants, des marchands ambulants de fruits et légumes et surtout avec cette catégorie particulière de vendeurs, poussés par la misère et le chômage, qui étalent à même le sol toute sorte de marchandises possibles et imaginables : des vêtements neufs ou d’occasion, des lunettes, des jouets pour enfants, des médicaments, des chaussures, des crèmes solaires, des produits de beauté, des livres, etc. etc. Le cri des vendeurs entremêlé aux klaxons des bus, des taxis et des voitures qui ont du mal à circuler donne une allure singulière à cette immense avenue.

C’est au bout de cette Avenue que se trouve la grande place du quartier baptisée pour la circonstance « Place du Changement ». C’est sur cette fameuse place poussiéreuse, depuis le 20 février 2011, que des hommes et des femmes anonymes et assoiffés de dignité se rassemblent tous les dimanches à 18h pour une longue marche pacifique. La manifestation ne réunissant que quelques centaines de personnes au début, grossit au fur et à mesure qu’elle traverse les autres quartiers populaires pour finir au centre-ville de Tanger avec plusieurs milliers de contestataires faisant ainsi de ces marches pacifiques hebdomadaires parmi les plus importantes du Maroc. Au passage des manifestants dans chaque quartier, des groupes entiers avec leurs étendards, banderoles et pancartes se joignent au cortège accueillis par les applaudissements des marcheurs. Ici ou là cependant, quelques rares « provocateurs » lancent des insultes et des pierres sur les contestataires ou sur les « forces de l’ordre », mais sont rapidement repérés et maîtrisés par un efficace « service d’ordre » du Mouvement du 20 février et les manifestants reprennent alors leurs slogans devenus désormais classiques :« silmiya, silmiya » (pacifique, pacifique). Mais le plus souvent, les marcheurs sont applaudis et encouragés du haut des terrasses et des balcons par des sympathisants qui se reconnaissent dans les revendications des jeunes du 20 février. Ces revendications sont d’ailleurs bien résumées dans des slogans simples et populaires scandés d’une manière rythmée par des milliers et des milliers de manifestants : « pourquoi sommes-nous là et pourquoi contestons-nous ? Parce que la vie est devenue trop chère pour nous » ou encore « les sardines sont trop chères alors que mon pays est sur deux mers » etc. Mais devant la Wilaya (préfecture), les manifestants ont crié de toutes leurs forces « liberté, dignité, justice sociale », « oh corrompus nous voilà  ! », « Makhzen dégage », « vive le peuple ! » au lieu de l’éternel « vive le roi ! », « sa majesté le peuple », « pouvoir au peuple », etc. etc. La remise en cause de la sacralité de la personne du roi, par des opprimés de surcroît , constitue presque un blasphème et en même temps un événement majeur dans un pays où, depuis des siècles, les sujets de sa majesté doivent se prosterner pour prouver leur servitude au commandant suprême.

Les masses de Béni Makada et des autres quartiers populaires de tout le Maroc relèvent la tête et défilent dignement contre l’arbitraire. Hommes, femmes et enfants marchent des heures durant avec une discipline remarquable, sans provoquer le moindre débordement, la moindre violence. Celle-ci vient directement ou indirectement du Makhzen. Les masses populaires tant méprisées par le pouvoir font ici preuve d’une maturité politique et organisationnelle magnifique. Le Mouvement est financé essentiellement par les marcheurs eux-mêmes. Il ne possède en tout et pour tout que deux fourgonnettes, dont une a été confisquée par le pouvoir, et quelques haut- parleurs. Mais cette misère matérielle est largement compensée par une conviction implacable dans la légitimité de leurs revendications.

Le rôle des femmes, voilées ou non, jeunes ou moins jeunes, dans ces manifestations « dominicales », malgré les pesanteurs sociales très fortes, reste essentiel. Leur présence massive dans ces marches, leur détermination, montrent, si besoin est, combien la femme marocaine aspire, à côté de l’homme, à révolutionner ses conditions d’existence. Elles savent que leur situation est pire que celle des hommes, que le régime ne lâchera rien sans combat, sans résistance et sans sacrifice. Elles ont compris que l’amélioration de leur sort passe par un changement profond et radical, c’est à dire par un réel combat politique. Alors elles ont décidé de se battre courageusement et pacifiquement. Malika, une femme d’un certain âge disait « ici dans notre quartier, nous sommes très nombreuses à avoir refusé d’aller voter pour la nouvelle constitution », et elle ajoute « cette comédie des élections nous a été jouée depuis l’indépendance, il faut que cela change pour de vrai ». A côté de malika, une autre femme avec son fils portait une petite pancarte sur laquelle on pouvait lire « pour la dignité nous nous battons ».

Ces marcheurs de la dignité du Mouvement du 20 février sont combattus non seulement par le pouvoir, son appareil répressif, ses médias et ses intellectuels, mais aussi par la plupart des partis politiques y compris l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), le Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) ou encore le Parti de la Justice et du Développement ( PJD islamiste) totalement soumis au Palais et, partant, complétement coupés du peuple et de ses aspirations au changement. Malgré cette coalition des forces réactionnaires, le Mouvement du 20 février arrive à mobiliser une partie de plus en plus importante du peuple marocain. Il est le produit des rapports sociaux, une conséquence de la lutte des classes. Les soulèvements populaires en Tunisie, en Égypte, au Yémen, à Bahreïn etc. n’ont fait qu’accélérer le mouvement de contestation. L’aiguisement de la lutte des classes au Maroc et l’apparition du Mouvement du 20 février ont dépouillé ces partis politiques de leur auréole idéologique et les ont montrés au peuple tels qu’ils sont réellement c’est à dire des partis domestiqués au service d’un pouvoir absolu et corrompu.

Béni Makada est plus qu’un quartier entré en résistance pacifique contre l’arbitraire et l’absolutisme, comme il a fait dans le passé contre l’administration internationale de Tanger. Il est la concentration et le reflet de toutes les humiliations, de toutes les injustices et de toutes les souffrances que lui inflige la caste au pouvoir depuis des décennies ; il est le miroir de tout le Maroc. Son combat et son espoir pour une nouvelle société est le combat et l’espoir de tout un peuple.

Mohamed Belaali

http://belaali.over-blog.com/

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Lorsque l’on tente, comme ce fut le cas récemment en France, d’obliger une femme à quitter la Burqa plutôt que de créer les conditions où elle aurait le choix, ce n’est pas une question de libération mais de déshabillage. Cela devient un acte d’humiliation et d’impérialisme culturel. Ce n’est pas une question de Burqa. C’est une question de coercition. Contraindre une femme à quitter une Burqa est autant un acte de coercition que l’obliger à la porter. Considérer le genre sous cet angle, débarrassé de tout contexte social, politique ou économique, c’est le transformer en une question d’identité, une bataille d’accessoires et de costumes. C’est ce qui a permis au gouvernement des Etats-Unis de faire appel à des groupes féministes pour servir de caution morale à l’invasion de l’Afghanistan en 2001. Sous les Talibans, les femmes afghanes étaient (et sont) dans une situation très difficile. Mais larguer des "faucheuses de marguerites" (bombes particulièrement meurtrières) n’allait pas résoudre leurs problèmes.

Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

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