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Ben Ali, l’arbre qui cache la forêt

Frappé d’anathème, le clan Ben Ali va jusqu’à susciter l’opprobre des dirigeants français et étasuniens ! Après quelques semaines d’hésitation, les chefs d’états occidentaux se rendent à l’évidence et tournent subitement le dos à leur protégé. "La révolution du jasmin" comme on se plait à la nommer les a désarçonné à tel point qu’ils se mettent à applaudir à l’unisson le soulèvement du peuple tunisien. Voila qu’Obama en personne félicitant ce peuple qui vient de déposer un despote ami du "monde libre" ! Cet étonnant élan pro-démocratique ne peut dénoter qu’une vision confuse des évènements qui ont lieu en Tunisie. Beaucoup confondent ce soulèvement avec les révolutions colorées de l’Europe de l’Est. Certains vont jusqu’à comparer la révolution tunisienne aux manifestations d’une partie des iraniens pendant les dernières élections présidentielles alors que tout le monde sait maintenant qu’elles étaient manipulées en grande partie par les services spéciaux occidentaux. Une telle manoeuvre de récupération frise le ridicule. Les tunisiens ne se soulèvent ni contre un épouvantail communiste ni contre un épouvantail islamiste ! Les tunisiens se révoltent contre une dictature installée et soutenue pendant des décennies par les États-Unis et la France. Encore une fois, ces puissances se présentent face au monde non seulement comme les suppôts du diable mais comme des traitres à l’égard de leurs propres créatures.

Voila que les médias de la droite bien pensante se jettent d’une seule voix sur le cadavre froid de la bête, la dépeçant et étalant au soleil ses entrailles malodorantes. On cherche par tous les moyens à étouffer dans l’oeuf cette révolution naissante, encore en ébullition. Les dirigeants européens et nord-américains assimilent ce mouvement plus à une jacquerie qu’à une révolution. Il suffit donc de colmater tant bien que mal les brèches sociales par quelque aumône pour rétablir l’ordre. La fixation médiatique sur le clan Ben Ali / Trabelsi n’a pour but que de freiner l’élan revendicatif des masses en les détournant de leur grand dessein. Le conte de fée tunisien s’achevant avec la mort de l’ogre et la célébration du peuple-héros n’est qu’un leurre qui a lamentablement échoué. Ce que revendiquent les tunisiens ce n’est point seulement la tête d’un tyran mais et surtout le renversement d’un régime.

Le pouvoir réel en Tunisie est entre les mains du parti unique, une sorte de chiendent dont Bourguiba a semé les germes et qui étouffe le pays voilà plus de cinquante ans. Fondé en 1934 par Habib Bourguiba sous le nom du Néo-Destour, il prend en 1964 le nom de Parti socialiste destourien et devient en 1988, le Rassemblement constitutionnel démocratique. Protéen en apparence, ce parti fait montre d’une constance inébranlable. En l’espace d’un demi siècle, cette formation politique a progressivement investi les organes de l’état et de la société civile. L’enchevêtrement du RCD et de l’état est tel qu’il devient difficile de comprendre lequel des deux est au service de l’autre. Ultralibéral mais structuré à la stalinienne, il est à la tête de 9000 cellules implantées dans tous les lieux de travail, dans chacun des quartiers des villes et villages et même en rase campagne. Depuis l’indépendance, le chef de l’état a toujours été en même temps le président du parti. Le bureau politique recrute ses membres parmi les ministres en fonction. Passage obligé pour quiconque est à la recherche d’un travail, d’une aide sociale, d’une bourse d’études, d’une carte de soins ou même d’un permis de construire, il compte plus de deux millions deux cent mille adhérents "malgré eux". Le RCD constitue le seul ascenseur social pour les cadres de l’administration publique. Plus de dix milles fonctionnaires sont détachés auprès du parti alors qu’ils continuent à être payés par l’état. C’est ce quadrillage systématique de la société institué par Bourguiba qui a permis à Ben Ali et par la suite à son clan de tenir l’ensemble de la population en laisse. Depuis de longues années, un climat de peur et de méfiance asphyxie les gens alors que les pratiques mafieuses du chef de l’état et de sa famille contaminent une partie des fonctionnaires. C’est cette atmosphère explosive due à l’enrichissement illicite et tapageur des uns et à l’extrême appauvrissement des autres qui est à l’origine de cette révolution de la dignité et non du jasmin comme semblent vouloir la flétrir tous ces propagandistes étasuniens et français.

Combien ils ont raison les tunisiens de dédaigner l’os qu’on leur jette ! Faut-il être dupe pour croire que la révolution a abouti et que le fruit de leur sang leur sera servi par ceux-là même qui, il y a un mois, les affamaient, les méprisaient et les assassinaient !

On est vraiment flatté par la visite de secrétaire d’État adjoint pour le Proche Orient, Jeffrey Feltman qui en toute délicatesse vient discuter avec un gouvernement contesté par la population. C’est encore plus flatteur lorsque M. Feltman appelle les pays du monde arabe à tirer les leçons de la "révolution du jasmin".

N’en déplaise à ce cher monsieur, cette révolution est "la révolution du cactus" et si quelqu’un doit tirer une leçon de ce qui se passe en Tunisie c’est bien plutôt les États-Unis : C’est mal d’avoir placé une dictature à la tête d’un peuple qui ne vous a jamais voulu du mal. C’est mal de trahir un ami docile et fidèle . Mais c’est encore pire de vouloir récidiver !

Fethi GHARBI

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Aimé Césaire

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