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Le petit baron du sarkozysme

L’affaire W n’est pas qu’une affaire de plus sur le chemin fatal de la décomposition politique de la France. Elle révèle à elle seule tant de facettes de ladite décomposition que sa mise sous le boisseau - sort réservé depuis longtemps à nombre d’affaires troubles de la République - paraît décidément impossible. Il n’est même plus besoin de la nommer. Ici ou là , on ne parle déjà plus que de « l’Affaire ». Elle n’est pas accidentelle. Elle est le régime sarkozyste dans son essence et ses outrances.

Le gaullisme avait ses « grands barons » tenant leur légitimité d’un engagement de jeunesse pour la patrie ou des idées neuves, d’une carrière au service de l’Etat incarnée dans la Nation, de compétences juridiques ou techniques précieuses pour la construction du système politico-administratif de la Vème République. Ils étaient de Droite et à ce titre étaient justement combattus par d’autres hommes aux idées « progressistes ». Ils pouvaient être respectés pour ce qu’ils représentaient aux yeux du plus grand nombre : une sincérité au service d’un projet pour leur pays. Les générations suivantes d’hommes politiques vécurent plus ou moins adroitement sur le capital légué par le gaullisme, l’érodant et le dévoyant tout à la fois à mesure que l’on s’éloignait du souvenir de la figure tutélaire originelle. Alors vint le sarkozysme par qui tout vola en éclats. Et l’on en arriva presque à cultiver une certaine nostalgie des anciens grands barons oubliant ainsi qu’ils étaient pourtant des adversaires au conservatisme honni.

Détruisons d’emblée toute forme de fausse naïveté tellement de mise au sein de la plupart des organes de presse alors qu’enfle l’Affaire. Ils minimisent. Ils jouent à merveille l’étonnement. Ils attendent les preuves. Ils ne voient là qu’un épiphénomène dans un système démocratique au demeurant inébranlé. Cela nous rappelle la posture de Serge July en 1997 dans le film « Journal intime des affaires en cours » de Pierre Carles et Denis Robert. Il y déclarait doctement que la démocratie, contrairement aux apparences, se renforce sans cesse. C’était avant que Denis Robert, ancien journaliste de Libération, s’intéresse de trop près à l’affaire Clearstream. Au sein de la sphère médiacratique les choses ont peu bougé depuis que trop d’affaires, à commencer par l’affaire Elf, ont accouché d’une souris. Pour la grande majorité des éditorialistes, l’absence de preuves constitue probablement la preuve de l’absence. Aujourd’hui, Jean-Marie Colombani, longtemps patron du remarquable « quotidien de révérence », semble raisonner comme Serge July hier. Un matin de juillet dernier, il commentait sur France Culture l’interview - convenu comme à l’accoutumée - du chef de l’Etat lors du journal de 20 heures de France 2 diffusé la veille. Il déclara de sa voix monocorde et apaisante que David Pujadas avait été très bien et qu’il ne voyait pas quelles autres questions il aurait pu poser à M. Nicolas Sarkozy au sujet de son ministre des « affaires sociales ». Dans ce climat de dénégation fébrile mâtinée de prudence servile comment s’étonner que l’on traite de fascistes les quelques organes de presse qui s’honorent à exercer le métier fondant leur existence ? L’accompagnement du pouvoir n’est pas leur préoccupation. Ils savent que l’ivresse du pouvoir doit incessamment être combattue et qu’ils se doivent de participer à bâtir les frontières entre l’exercice contrôlé de la vie publique et la tentation de satisfaire des intérêts privés multiples.

L’affaire W est un système dans le système. Un système qui dépasse de loin la personne même de celui qui lui donne son nom bien malgré lui. Qu’y aurait-il d’incongru en effet à soupçonner que « la pompe à fric » amorcée à grands coups de largesses fiscales ne concerne qu’une seule des fortunes de France ? Il est plus que probable que d’autres grosses enveloppes sont manipulées par d’autres mains que celles des protagonistes de l’affaire en cours de traitement légitime par la presse d’investigation. On ne peut pas toujours compter sur les indiscrétions d’un majordome ou sur une riche héritière potentielle craignant d’être mal servie le moment venu. Ce qui frappe chez W c’est qu’il occupait - depuis peu il semble que l’on doive parler partiellement au passé - plusieurs positions clés du système bâti pour l’accession au trône élyséen de M. Sarkozy. Dans la politique d’autrefois, les grands barons étaient serviteurs de l’Etat. Dans la politique « moderne », renforcée par la rupture sarkozyste, les petits barons servent d’abord un homme réputé providentiel. Depuis des années notre serviteur zélé cumulait divers maroquins ministériels successifs avec la fonction officielle de trésorier de l’UMP et avec le rôle d’animateur du Cercle des plus gros donateurs de l’Ump. La presse en voie de « pipolisation » qui affectionne les portraits sans trop de reliefs de nos stars politiques a plusieurs fois salué l’ardeur au travail de W. On veut bien l’en croire.! Occuper trois emplois - tout en veillant à l’avenir professionnel de son épouse - ne vous laisse assurément que fort peu de loisirs.

Le système occulte patiemment édifié ne fait pas que servir l’ascension d’un homme. Certes, la politique spectacle est hors de prix et visiblement hors des limites fixées par les règles officielles du financement des partis politiques. L’autre grand mérite du discret système, moins facilement avoué, est le tissage de relations étroites entre gens de la « bonne » société comme Michel et Monique Pinson se plaisent à nous les dépeindre au cours de leurs voyages dans « les ghettos du gotha ». S’y côtoient les meilleurs représentants des mondes politique, économique et judiciaire ; s’y agrège quelques penseurs et éditorialistes mondains faiseurs de l’opinion. A l’heure où l’économique commande au politique sous le prétexte commode de l’impitoyable compétition internationale, quand la société est travaillée par l’individualisme forcené, un groupe social continue de se comporter indéfectiblement en classe au vrai sens du terme : la bourgeoisie. On y fonctionne en réseau quand dans le reste de la société l’essentiel des relations sont de vis-à -vis. Le plus beau trait d’intelligence de M. Sarkozy est d’avoir compris très tôt que pour atteindre le sommet il fallait d’abord construire un réseau ténu et multifonctionnel. La bourgeoisie a probablement un mépris dissimulé pour ce Président et ses petits barons à la culture douteuse et aux manières approximatives. Elle s’en sert pour tenir en main le politique, facilitant ainsi le maintien de ses privilèges. Une société dans la société. On pourrait nommer cela fracture sociale. Elle était dénoncée dès 1995. Et par un homme de Droite. Elle a été depuis largement consommée.

Ce petit monde opulent est tellement coupé de la réalité sociale qu’il peut, sans craindre le ridicule, plaider son innocence. W a certainement été imprudent, encouragé en cela par l’ambiance de la nouvelle façon de faire la politique. Cependant, c’est par son impudence qu’il nous sidère le plus. De cette impudence qui le conduisit à camper le rôle de l’offensé à une heure de grande écoute télévisuelle. Il pourra jouer ce rôle sans crainte d’un contredit sérieux tant que la courroie de transmission du parquet de Nanterre jouera de son côté son rôle protecteur. Le déni de démocratie réside essentiellement là  : le refus de désigner un juge pour instruire l’affaire dans ses diverses dimensions est insupportable au regard de la loi commune. Les hommes sont faillibles, le défaut de justice pour peser leurs fautes ne peut que les encourager à faillir. Aux yeux de l’opinion l’affaire est entendue, le discrédit total. Si l’on ne doit ni gouverner ni juger à partir de l’opinion dans son état brut, il demeure que la morale doit avoir toute sa place en matière d’administration des hommes et des choses. Ici, la morale est superbement piétinée. La justice est de plus en plus impitoyable pour la délinquance ordinaire, de moins en moins regardante pour la délinquance en col blanc. Les inspecteurs du fisc vont enquêter sur « les grosses berlines » des gens du voyage quand ils ne sont pas fichus de démasquer les fraudes de l’héritière la plus célèbre de France.

Désormais, « le petit baron » est le moins qualifié des ministres pour mener la réforme des retraites ou toute autre réforme d’intérêt général. Il doit partir. Puis, être jugé en citoyen ordinaire aux droits respectés.

Par Yann Fiévet (*)

publié dans Le Sarkophage - Numéro 20 - Septembre 2010

(*) Auteur du livre « Le monde en pente douce », Editions Golias, 2009.

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