« Le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule, mais d’élever la foule vers l’élite . »
Gustave Le Bon
Depuis quelques mois un vent d’espoir souffle en Egypte : un homme ose défier le pharaon d’opérette qui a mené son pays à la ruine morale et matérielle. Il s’agit d’El Baradei, Avec 83 millions d’habitants, l’Egypte a un seul record à son actif : c’est le pays le plus peuplé des pays parlant arabe. L’’Egypte de Moubarak n’a pas la baraka ; ne brille guère par ses performances économiques. C’est le moins que l’on puisse dire à en juger par le bilan du « Raïs » depuis son arrivée au pouvoir, en octobre 1981. « La pauvreté, écrit Samir Gharbi touche près de 42% de la population et le chômage a plus que doublé (11% contre 5%). La structure économique est restée quasi inchangée alors que la livre égyptienne a perdu 87% de sa valeur face au dollar américain. En fait, l’économie égyptienne ne tient que grâce à l’aide extérieure, américaine surtout : 47 milliards de dollars en vingt-deux ans. » (1)
C’est donc un pays exsangue, plus connu pour ses émeutes de la faim que pour la pertinence des rodomontades de Moubarak à l’endroit de l’Algérie se permettant même de se citer en exemple, « C’est moi ou l’Algérie », disait-il pendant la tragédie nationale de l’Algérie pour arracher l’appui et l’aumône des Américains. Parmi les autres points à ajouter, le rôle peu glorieux de l’Egypte vis-à -vis de Ghaza. « Le régime égyptien, qui s’était rendu impopulaire par sa gestion de la guerre, une gestion fortement sujette à caution, notamment par son verrouillage hermétique des frontières avec Ghaza en plein déluge de feu sur la Palestine, vient d’aggraver son cas en annonçant l’édification d’un rempart métallique censé neutraliser les tunnels creusés entre l’Egypte et la Palestine pour desserrer un peu l’étau sur la population ghazaouie. Aujourd’hui, on reproche à l’Egypte d’entraver l’acheminement de l’aide internationale vers les Territoires occupés. Dernier fait en date : un convoi humanitaire, conduit par le député britannique George Galloway, s’est vu refuser l’accès à Ghaza par la mer Rouge (port de Noueiba), qui représente le chemin le plus court, rapporte l’AFP. » (2)
Un pays exsangue
La carrière politique de Moubarak commença sous le président de l’époque, Anouar el Sadate, qui le nomma chef de l’armée de l’air et ministre des Affaires militaires en 1972. Le président de l’époque, Anouar el Sadate, fut assassiné le 6 octobre 1981. Moubarak prit le pouvoir, le 14 octobre 1981. Il poursuivit les politiques de privatisation et de libéralisme économique « El infitah » déjà mises en place par Sadate Pour pouvoir autant « durer » et prendre en otage tout un peuple, il faut reconnaître au « Raï s » l’art de la magouille. Ainsi, il fit place nette lors des élections présidentielles « s’arrangeant » pour être le seul candidat.
Dany Lescault-Grenier nous explique la machine à gagner moubarakienne : « En 2005, après des pressions de la part des États-Unis, il gagna l’élection au suffrage universel avec 88,5% d’appuis. A la suite de l’élection, le président Moubarak fit emprisonner Ayman Nour, son principal opposant durant la course à la présidence. Tout semble indiquer que 2011 marquera la fin de la mainmise de Hosni Moubarak sur la présidence de l’Égypte. » (3)
« Sa succession est un enjeu important qui pourrait changer les relations qu’entretient l’Égypte avec les différents acteurs internationaux. Deux candidats semblent se distinguer, soit son fils Gamal Moubarak et Omar Suleiman. Actuel chef des services de renseignements égyptiens, Omar Suleiman est reconnu pour sa forte opposition aux Frères musulmans. En 2011, il aura 76 ans. Après 30 ans de règne, tout indique que 2011 marquera la fin de Hosni Moubarak comme président de l’Égypte. Sa présidence fut contestée sur le plan de l’ouverture démocratique et les deux candidats possibles à sa succession semblent tendre vers une continuité des politiques mises en place depuis 1981. (3)
On se souvient de la mascarade des dernières élections de 2005 dans une fausse démocratie... Mustapha Tossa décrit à sa façon comment : « Le Raïs a été reconduit haut la main, avec la bénédiction des Etats-Unis (..) Mascarade électorale, référendum déguisé et ouverture en trompe-l’oeil, c’est par ces mots durs et abrasifs que les détracteurs du Raïs égyptien ont décrit cette reconduction, en grande pompe démocratique, de Hosni Moubarak à la tête du pays. Une série d’éditoriaux de la presse américaine sous le titre violent et ironique Our man in Cairo (notre homme au Caire) trahissait la volonté de l’équipe de George Bush de transformer l’Égypte en laboratoire à ciel ouvert d’une démocratisation pacifiée. (...) » (4)
« Que s’est-il passé, entre-temps pour que, partie d’une attitude volontaire, étonnement, éruptive et totalement réactive aux voix de la réforme et du changement en Égypte, l’administration Bush s’engonce dans une surprenante timidité, quand, en réponse à ses exigences, le régime égyptien lui propose les ingrédients de ce que l’opposition égyptienne appelle une farce présidentielle ? Un multipartisme sous haute surveillance et une compétition électorale à sens unique. Plusieurs facteurs sont à l’oeuvre pour expliquer la paralysie américaine, à la tête desquels se trouve indéniablement le bourbier irakien. (...) Un travail d’argumentation et de conviction, d’offre de services et de menaces sur le thème : si l’Égypte applique les exigences démocratiques américaines à la lettre, cela ouvrirait un grand boulevard devant les forces radicales foncièrement hostiles aux USA pour s’emparer du pouvoir en Égypte, en référence au mouvement des Frères musulmans, tapi dans l’ombre attendant que son heure arrive. (...) L’autre facteur qui explique sûrement la brusque indulgence américaine à l’égard de Moubarak a trait à l’utilité régionale du régime égyptien. Nul n’ignore le rôle déterminant joué par le patron des services égyptiens, Omar Soulaymane, dans l’entente secrète entre Palestiniens et Israéliens pour faire aboutir le plan de retrait de Ghaza. (...) Omar Soulaymane est régulièrement décrit par les journaux israéliens comme le possible successeur de Hosni Moubarak. » (4)
2011, après 30 ans au pouvoir, Hosni Moubarak cédera sa place. Son fils paraissait être comme le principal candidat à sa succession. Un grain de sable dans le rouage de l’intronisation : Qui est l’homme par qui le scandale arrive ? Celui qui ose défier le Raïs, Mohamed El Baradei, est né le 17 juin 1942 au Caire en Égypte Il a été directeur général de l’Aiea à partir du 1er décembre 1997. Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (Aiea) de décembre 1997 à novembre 2009. Le retour d’El Baradei le 19 février a été fêté comme il se doit par les Egyptiens de tout bord.
Ecoutons la journaliste nous décrire l’engouement et la sincérité de l’accueil : « Revenu en Egypte dans l’intention de se porter candidat à l’élection présidentielle, l’ex-patron de l’Aiea soulève l’enthousiasme d’une population qui avait perdu tout rêve de changement. J’étais dans la foule qui a accueilli Mohamed El-Baradei à l’aéroport du Caire le 19 février. Tous ceux qui étaient là ont eu l’impression d’assister à un moment historique. La presse a parlé de quelques centaines de personnes, mais, en réalité, on était des milliers. Toutes les générations étaient présentes : des enfants, des vieillards, mais surtout des jeunes, pleins de vie et d’espoir. (...) C’était un concentré d’Egypte, que le Dr El-Baradei a décrit ensuite à la télévision, où il s’est exprimé avec une sincérité palpable : « A mon retour, je me suis retrouvé en face d’un modèle réduit de l’Egypte. » (...) En observant cette foule à l’aéroport, j’ai senti un désir de changement chez les Egyptiens. Le désir de changer tout ce que nous vivons depuis des décennies ». (5)
« Nolens, volens, le régime de Hosni Moubarak, qui accapare le pays depuis des décennies, reconnaît que l’immobilisme ne peut plus durer. Ses hommes font à présent la promotion de Gamal, le fils du président, évoquant une « nouvelle pensée ». Cela revient à dire que le régime tel qu’il est aujourd’hui doit avoir une « pensée » bien archaïque. Ils croyaient pouvoir mener à bien leur projet d’introniser le fils comme successeur du père. Ils étaient sûrs d’arriver à leurs fins en faisant accroire que le fils serait la seule alternative au père. Nous étions à l’aéroport dès 10 heures. L’avion devait arriver à 15 heures, mais il a eu deux heures de retard. Certains commençaient à sentir la fatigue, la faim et la soif, mais personne ne songeait à repartir. Au contraire, d’autres arrivaient. Nous lisions les uns dans les yeux des autres, cette attente de voir notre espoir se concrétiser d’un instant à l’autre. On chantait l’hymne national, des chants patriotiques et on criait des slogans tels que : « El-Baradei, on est tous avec toi. On ne reculera pas ». (5)
« Pendant quelques instants, j’ai eu peur. Peur que tout cela se limite à un rêve, sans possibilité de le réaliser. Je me suis demandé si l’homme aurait le courage de tenir, s’il accepterait de prendre sur lui la responsabilité dont nous l’investissons, s’il pourrait résister à ce régime qui accapare le pouvoir et les ressources depuis si longtemps et s’il sortirait indemne des campagnes de dénigrement ayant pour but de salir sa personne, et à travers elles, le peuple tout entier. Finalement, sa voiture a pu se frayer un passage. Puis les gens sont repartis, seuls ou en groupes. Beaucoup avaient des pancartes arborant sa photo avec le slogan « El-Baradei président ! » « Puisqu’il n’est pas avec eux [le régime], ce doit être quelqu’un de bien. Mais est-ce qu’il ne va pas se faire écraser ? Ces gens-là , ma fille, sont sans foi ni loi ! » Nous avons besoin de reprendre confiance et de dépasser le sentiment d’impuissance qui nous inhibe. Les intellectuels, les artistes et les écrivains ont désormais le devoir de se montrer courageux et de saisir toutes les occasions d’en finir avec la tyrannie. Cette journée m’a fait comprendre que nous ne sommes pas impuissants. Nous pouvons agir. Maintenant. Tout de suite. » (5).
Le candidat de l’espoir
« Là -bas j’ai vu des paysans, venus de diverses régions d’Egypte, portant des banderoles où étaient inscrits les noms de leurs gouvernorats ; des gens à qui Mohamed El Baradei n’avait rien payé pour qu’ils viennent lui souhaiter la bienvenue. J’ai vu des familles égyptiennes participant pour la première fois à des événements politiques… Le nombre de femmes était notable, leur grand nombre témoigne du réveil des mouvements féminins égyptiens, et de la manière dont ils ont brisé les barrières des traditions et de la peur qui entravaient leur participation aux affaires publiques. (...) » (5)
L’écrivain égyptien Alaa El Aswany lui-même écrit sur son blog, pourquoi il faudrait être derrière Mohamed El Baradei aux prochaines élections : Le Dr Mohamed El Baradei a nombre de qualités impressionnantes qui l’ont rendu populaire. M. El Baradei a prouvé à quel point il aime le pays quand il a fait don de tout l’argent de son prix Nobel pour aider les habitants des bidonvilles, et a ensuite publiquement critiqué la corruption et l’oppression en Egypte, s’ouvrant les portes de l’enfer. Avec un peu de dissimulation il aurait pu rester ami avec le régime et obtenir un poste important au gouvernement s’il l’avait voulu, mais sa dévotion à la vérité a été plus forte que son intérêt personnel. Aussi, aux yeux des Egyptiens, M. El Baradei est-il un patriote qui est compétent et honorable, dont les mains ne sont pas tachées par la corruption ? Tout cela vaut au Dr El Baradei l’estime de tous les segments du spectre politique égyptien, depuis les Frères Musulmans jusqu’à la gauche en passant par les libéraux et même les Coptes de la diaspora. » (6)
Sa popularité ne cesse de grandir. Sur Facebook, plus de 51 groupes notamment « El-Baradei président 2011 » et « Avec El-Baradei, yes we can » se sont formés rassemblant près de 100.000 personnes favorables à sa candidature. Interrogé par la chaîne de télévision Dream TV, M.El Baradei s’est dit « prêt à être candidat à la présidentielle 2011, si le peuple me le demande, peu importe qui se présentera contre moi à l’élection ».
M.Moubarak ne serait pas sûr de l’emporter si le scrutin était libre, a expliqué l’ex-patron de l’agence onusienne, renouvelant ses critiques contre la corruption et la pauvreté et affirmant que tous les Egyptiens devraient avoir accès aux services médicaux et à une bonne éducation. Il est toutefois barré par la Constitution, qui impose aux candidats indépendants d’obtenir l’appui de 250 élus, dont au moins 65 membres de l’Assemblée nationale, 25 du Conseil consultatif (Sénat) et au moins dix élus municipaux, alors que le Parlement et les municipalités sont dominés par le parti au pouvoir, le Parti national démocratique (PND). (...) Les médias officiels et des responsables du PND ont déclenché une violente campagne contre M.El Baradei, le présentant comme étranger à son pays, incapable de gérer les affaires intérieures et facteur d’instabilité pour l’Egypte. « Je tente de mobiliser les masses populaires, qui sont pour le changement, afin de transformer le système égyptien en un système démocratique qui assure la justice sociale », a affirmé M.El Baradei. « Le premier pas de ce voyage est d’amender la Constitution pour garantir des élections libres et équitables », a-t-il poursuivi. Mardi 23 février, il a annoncé la formation d’une « Assemblée nationale pour le changement » appelant à des élections libres et à la fin des entraves pour les candidats à la présidentielle. Cette coalition rassemble des dirigeants des Frères musulmans et du mouvement Kefaya, Ayman Nour, et Alaa al-Aswany. (7)
Pour le pouvoir en place, écrit Abdelbari Atouan, il est l’épine dont il faut se débarrasser. En voyant les médias égyptiens s’acharner contre Mohamed El Baradei, on a l’impression de lire les organes officiels d’un parti crypto-communiste à la tête d’un Etat engagé dans une lutte sans merci pour la libération de la Palestine et contre l’occupation américaine de l’Irak et de l’Afghanistan. Ils le dépeignent en effet comme un agent des Etats-Unis, de mèche avec l’Oncle Sam pour dissimuler la réalité de la bombe israélienne et pour combattre le programme nucléaire iranien, voire nord-coréen. Ils lui reprochent même d’avoir contribué à l’invasion en Irak en affirmant que ce pays détenait des armes de destruction massive. Dieu est grand ! Voilà donc que l’Egypte se fait l’avocat de l’Iran et exprime sa solidarité avec la Syrie, qui a subi un bombardement israélien à Deir El-Zor, dans le nord-est du pays, sur ce qui aurait été une installation nucléaire ». (8)
« (...) A côté des vulgarités qu’ils déversent actuellement sur El Baradei, leurs invectives contre les Algériens à l’occasion du match de qualification pour la phase finale de la Coupe du monde de football [ l’Egypte n’a pas obtenu son ticket pour l’Afrique du Sud ] sont d’aimables plaisanteries. (...) Quant à nous, nous avons envie de remercier El Baradei, parce qu’il a brisé la peur et mis des bâtons dans les roues du processus d’intronisation de Gamal Moubarak en tant que successeur du père. » (8)
Nous ne pouvons que souhaiter bon vent à monsieur El Baradei, en espérant qu’il donne l’exemple à ces peuples musulmans harassés par les temps morts et qui rêvent d’un vent de liberté plus que d’un parfum de paradis selon le juste mot de Burhan Ghalioun. Amen.
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz