J’ai rencontré Ilan dans ma découverte de la Palestine, début des années 2000. Homme exceptionnel dans tous les sens du terme, Ilan avait cette particularité d’être né dans une famille juive de France, avait milité dans l’extrême-gauche israélienne antisioniste, puis avait rejoint la résistance et les instances de l’OLP après la guerre de 1967. Vice-ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne il était aussi l’un des proches conseillers de Yasser Arafat et par-là, bien informé des moindres détails de la situation dans la région.
D’emblée, le contact s’est établi avec ce petit bonhomme d’allure joviale et d’une érudition hors du commun. J’ai eu l’immense privilège ces dernières années, de plusieurs rencontres avec celui qui, à chaque fois, m’enthousiasmait par son intelligence et ses analyses de la situation politique de la région. Sans oublier son inénarrable sens de l’humour, ni ses qualités d’écrivain. Ainsi que son goût insatiable pour les moules belges, au point d’en manger à chaque occasion qui lui était offerte !
Polyglotte, Ilan qui se disait « 100% juif et 100% arabe » était de santé précaire. Et les incessantes tensions qu’il avait dû affronter au quotidien n’ont rien arrangé à l’affaire. Tel ce jour où, dans son appartement à Ramallah, un missile israélien a traversé son salon de part en part, arrachant un coin entier de l’immeuble. On peut imaginer le choc émotionnel et le traumatisme que cela laisse dans la vie et la santé de n’importe quel individu…
La dernière fois que nous avons passé un moment ensemble, c’était il y a deux ans, lors d’un passage à Bruxelles où il animait une soirée-débat en duo avec Tariq Ramadan. La salle était comble, et une partie de l’auditoire était debout dans les allées pour écouter ce que ceux-là avaient à nous dire sur l’insoluble question israélo-palestinienne…
En fin de débat, Ilan m’avait fait signe pour nous éclipser et nous avons choisi un restaurant proche de son hôtel afin de dîner et échanger les dernières informations sur l’impossible situation en Palestine occupée. Arrivés vers 23h, nous nous sommes quittés vers 04h30 du matin, au moment où m’apercevant de l’heure, je lui ai demandé s’il ne fallait pas qu’il se repose un peu… Ilan m’a alors répondu, l’œil malicieux et le sourire en coin : « Oh, il est si tard !? Eh bien, Daniel, j’ai juste le temps de prendre une douche, faire ma valise et sauter dans un taxi parce que mon avion est à 06h30… »
Ironie de l’histoire, lui qui avait eu plusieurs passeports diplomatiques des années durant, en était privé depuis un certain temps par les autorités israéliennes, et ne pouvait dès lors plus rejoindre la Palestine où il vivait. Il résidait depuis en Allemagne, à Berlin, avec sa compagne et son fils dernier-né, dont il me disait que son plus grand bonheur était de le conduire chaque matin à l’école et d’aller le rechercher le soir. Pudique, Ilan cachait sa tristesse d’être ainsi coupé de ses racines. Mais pour qui le connaissait, elle était perceptible. Il restait évidemment en contact avec l’Autorité palestinienne, via les moyens de communication modernes, mais ce n’était pas simple et dans certains cas, c’était Mahmoud Abbas qui se déplaçait jusqu’en Allemagne pour rencontrer son vieil ami.
En signe d’amitié, Ilan a rédigé une magnifique préface intitulée « Les Témoins » dans mon livre sur les Missions civiles en Palestine. (« Si vous détruisez nos maisons, vous ne détruirez pas nos âmes » - 2005 - aux Ed. M. Pietteur).
Lui qui a tant œuvré pour tenter de concilier l’inconciliable, qui était une véritable bête politique, qu’il repose en paix et reste dans les mémoires de tous ceux qui sont épris de justice, comme un témoin de premier ordre dans l’avènement futur d’une région en plein bouleversement… et dont personne aujourd’hui ne peut augurer des résultats…
Daniel Vanhove –
Observateur civil en Palestine
PS : la page wikipedia d’Ilan Halévi (LGS).