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Abdelkrim, le grand oublié de l’histoire.

Abdelkrim, cet homme qui a tant aimé les montagnes et les vallées du Rif et de tout le Maroc, lui qui s’est dressé courageusement contre le joug colonial, n’a toujours pas sa tombe dans son propre pays près d’un demi siècle après sa mort.

Aujourd’hui encore et malgré une farouche volonté du pouvoir politique pour occulter le passé, son souvenir reste gravé dans la mémoire populaire et enfoui dans le coeur du peuple marocain.

Cet homme, dont la simplicité et la modestie impressionnaient toutes celles et ceux qui l’ont connu, a pu tenir tête, dans une véritable guerre de libération, à l’Espagne et à la France. Ce précurseur et grand oublié de l’histoire, qui est-il ?

Abdelkrim avec quelques milliers de combattants divisés en groupes très mobiles et une maîtrise parfaite du terrain, a infligé une humiliante défaite au général espagnol Silvestre pourtant à la tête d’une armée autrement plus puissante. C’était en juillet 1921 à Anoual dans le Rif marocain. La résistance l’a emporté sur l’envahisseur. De ce point de vue, on peut dire qu’Abdelkrim était le précurseur de la guérilla moderne. Plus tard, Hô Chi Minh puis Mao le citeront en exemple.

Abdelkrim devient avec cette victoire le symbole de la lutte anticoloniale et donne en même temps l’espoir aux peuples qui luttent pour leur libération.

La défaite espagnole a permis au général Miguel Primo de Rivera de s’emparer du pouvoir par un coup d’État. C’était le 13 septembre 1923. Il faut préciser également que c’est durant la guerre du Rif que s’est illustré par sa cruauté un certain Francisco Franco ce qui lui a valu d’être promu général !

Mais Abdelkrim veut libérer tout le Maroc. Il concentre ses troupes sur la ville de Fès occupée par la France comme l’essentiel du territoire marocain. Le maréchal Lyautey, jugé hésitant face aux avancées du guérilléro du Rif par le gouvernement de Paul Painlevé, est remplacé par un autre maréchal, Philippe Pétain. C’était en juillet 1925.

Abdelkrim était là encore l’un des premiers à avoir combattu le fascisme européen que représentaient Miguel Primo de Rivera, Francisco Franco et Philippe Pétain sur le sol de ce Rif où il aurait tant aimé se reposer définitivement.

A cette époque Abdelkrim était seul à combattre ces hommes qui seront responsables plus tard de la guerre civile(Espagne) et de la collaboration avec les nazis( France) dans leur propre pays.

La république du Rif était une autre création de cet homme tant méprisé par les colonialistes, impérialistes et autres fascistes. Après la victoire d’Anoual, Abdelkrim proclama la république dans un pays où les rois se succédaient les uns après les autres et ce depuis des siècles. Abdelkrim fut le premier président du Maroc moderne !

Le triomphe d’Abdelkrim fut aussi éphémère que sa république. Malgré un vaste mouvement de solidarité de la classe ouvrière européenne notamment française, Abdelkrim était seul avec ses combattants ; seul avec ses idées qui n’étaient pas vraiment dans l’air du temps : se battre contre le colonialisme, l’impérialisme, la domination, l’exploitation etc. etc. Il rêvait d’un Maroc, d’une Algérie, d’une Tunisie et de tout le Monde arabe totalement libérés et modernisés. Il faisait exploser dans cette région du monde des projets et des idées, pour l’époque, révolutionnaires.

Contre ce rêve, ces projets et ces idées, il avait face à lui deux États dont la France, une véritable puissance coloniale, trois généraux fascistes et non des moindres, le Makhzen et même les nationalistes bourgeois marocains.

Ses compagnons, des hommes rudes et austères habitués à la vie dure de cette région du Maroc coincée entre la méditerranée et des montagnes sauvages, étaient traités par Paul Painlevé de barbares et de bien d’autres adjectifs encore "..Ces barbares ! Ces populations obscures...qui diffèrent de nous, par la couleur de la peau et qui, ayant "tout à apprendre de l’Europe" n’en menacent pas moins la civilisation européenne".

« Ces barbares », avec des rêves dans la tête et les armes à la main menaçaient donc « la civilisation européenne ». Il faut les écraser.

Le maréchal Pétain et le dictateur Miguel Primo de Rivera ont scellé un accord en vertu duquel les deux armées, française et espagnole, doivent s’unir contre le rebelle rifain.

Abdelkrim, malgré le courage de ses combattants, ne pouvait affronter seul deux Etats en même temps. Il décida donc de se rendre à la France. C’était en mai 1926.

L’envahisseur l’a emporté sur la résistance ! La force brutale des armes a écrasé les idées de libération, de modernité et de prospérité que portaient Abdelkrim et ses compagnons.

Abdelkrim fut déporté à La Réunion. C’était un départ sans retour !

Cet exil définitif, n’a pas empêché les deux armées coalisées de se venger des populations civiles. Des armes chimiques, interdites par les conventions internationales, ont été utilisées notamment le gaz moutarde(l’ypérite). Les douars, les villages,et les souks du Rif ont été aspergés de ce gaz toxique. Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts dans des conditions atroces. Pourtant, la protection des civils était l’une des conditions de la reddition d’Abdekrim. Sa demande n’a pas été respectée. Mais comment aurait-elle pu l’être ? Les vainqueurs imposent toujours leur volonté aux vaincus. Cela rappelle étrangement, mais dans des condition très différentes, le comportement de l’armée israélienne et des phalangistes libanaises lorsqu’elles se sont vengées sur les réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila après le départ d’Arafat de Beyrouth vers Tunis. C’était en septembre 1982.

On peut légitimement s’interroger sur ce culte, poussé parfois jusqu’au fétichisme, qu’a le colonisateur ou l’occupant pour la mort et la souffrance des populations civiles.

Abdelkrim et sa famille passeront de longues et pénibles années d’isolement et de réclusion sur l’île de La Réunion. C’est au cours de son transfert vers la France et durant l’escale de Port-Saïd qu’Abdelkrim a « réussi à s’évader » avec l’aide de quelques nationalistes marocains, algériens et tunisiens. C’était en mai 1947.

Il s’est installé au Caire où il a repris son combat anticolonial et fondé le"Comité de libération du Maghreb arabe".

Fidèle à ses principes de résistant et à la mémoire de ses combattants tombés les armes à la main, Abdelkrim refusait de remettre ses pieds sur le sol marocain tant que le dernier soldat étranger n’aurait pas quitté le Maghreb.

« Je suis venu trop tôt » disait-il juste avant sa mort (2). Trop tôt pour que les idéaux, pour lesquels il a sacrifié sa vie et sa liberté, triomphent. Cétait un précurseur, un avant-gardiste et un internationaliste qui exigeait, pour son époque, presque l’impossible.

Abdelkrim s’est éteint au Caire le 6 février 1963 loin de son Ajdir natal.

Le visiteur étranger sera frappé par l’état de pauvreté dans lequel vivent aujourd’hui les habitants du Rif. Le combat de leurs ancêtres était aussi contre cette misère et pour un Maroc prospère, mais ils étaient écrasés par des ennemis beaucoup plus puissants. En partie, la France et l’Espagne coloniales sont responsables de cette situation. Mais le même visiteur remarquera également que dans beaucoup de foyers notamment les plus modestes, le portrait d’Abdelkrim est toujours accroché au mur comme pour se rappeler que son combat est toujours actuel.

Mohamed Belaali


1. Germain Ayache, cité par Chems Eddine CHITOUR in « L’épopée de l’Emir Abdelkrim El Khattabi »
http://www.alterinfo.net/L%C2%B4epopee-de-l%C2%B4Emir-Abdelkrim-El-Khattabi_a20679.html

2. http://www.humanite.fr/2004-05-22_Medias_1919-1926-la-guerre-du-Rif

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