Britannia règle les vagues. Plus qu’un déploiement d’un drapeau

Que devons-nous penser du groupe aéronaval massif de la marine et de l’armée de l’air envoyé en Asie de l’Est, dirigé par le tout nouveau porte-avions HMS Queen Elizabeth ?
Décrit par la marine comme « un déploiement véritablement mondial, de l’Atlantique Nord à l’Indo-Pacifique », il s’agit de la plus grande mobilisation navale depuis la Force opérationnelle des Malouines en 1982.

Il a reçu un énorme envoi médiatique, rappelant les anciennes actualités Pathé, conçues pour attiser le chauvinisme sur le front intérieur. Le Spectator annonçait qu’il s’agissait de la Royal Navy envoyant une "flotte de combat en Asie pour la première fois depuis le début de la guerre de Corée en 1950".

Objectifs de ce déploiement

Il y a plusieurs objectifs pour ce déploiement.

Le premier est d’affirmer la puissance navale britannique, aux côtés de celle des États-Unis – face à la croissance massive de la marine chinoise, qui est désormais la plus importante au monde (avec environ 350 navires et sous-marins dont, d’ici 2030, cinq porte-avions).

Ce faisant, la Grande-Bretagne réaffirme sa relation spéciale avec les États-Unis, une proximité illustrée par le fait que 250 des 1 600 membres d’équipage du HMS Queen Elizabeth sont des marines étasuniens, dotés de leur propre machine à pop-corn à bord.
La force porteuse est également un "projecteur de la puissance douce et dure de la Grande-Bretagne" pour le reste du monde, comme le dit le secrétaire à la Défense Ben Wallace. Le groupe de porte-avions de guerre retrace la route traditionnelle de l’Empire à travers le golfe d’Aden, démontrant la poursuite sérieuse de la Grande-Bretagne de son rôle renouvelé à l’est de Suez.

Wallace a déclaré que le groupe de transporteurs "battra le drapeau de Global Britain, projetant notre influence, signalant notre puissance, engageant nos amis et réaffirmant notre engagement à relever les défis de sécurité d’aujourd’hui et de demain..."

Cela explique pourquoi les navires visiteront plus de 40 pays et participeront à 70 engagements, dont des exercices de l’OTAN en Méditerranée, une escale à la base britannique d’Oman, d’autres exercices avec la marine indienne dans l’océan Indien, suivis d’encore plus exercices avec Singapour et la Corée du Sud.

« Ambiguïté stratégique »

Pourtant, malgré le fait que la Chine a récemment été déclarée « concurrent systémique » par la Grande-Bretagne, Boris Johnson ne suit pas tout à fait la ligne dure préconisée par le député Tobias Ellwood, président du comité de défense des Communes, ou Tom Tugendhat, député de droite du China Research Group. Johnson veut avoir son gâteau et le manger en conservant les politiques commerciales pro-chinoises de la majorité de la classe dirigeante britannique – établissant « des liens commerciaux plus profonds et plus d’investissements chinois » – sans s’aliéner les EU ou sa propre aile droite.

Lord Peter Ricketts, l’ancien conseiller à la sécurité nationale du Royaume-Uni, appelle cela une "politique d’ambiguïté stratégique". Il poursuit en disant : « Une façon moins aimable serait de dire que le gouvernement n’est pas en mesure de nous dire où se situera l’équilibre entre un défi concurrent [avec la Chine], une relation conflictuelle et une relation où nous avons besoin d’eux économiquement."

L’année dernière, le gouvernement s’est plié à la pression des États-Unis et a interdit à Huawei des réseaux 5G, a offert des passeports britanniques aux citoyens britanniques d’outre-mer à Hong Kong, a imposé des sanctions pour punir la Chine pour sa politique de modernisation au Xinjiang et a adopté une nouvelle loi sur la sécurité nationale et l’investissement. empêcher les entreprises liées à la Chine d’acheter des actifs britanniques sensibles.

Mais la classe dirigeante britannique est divisée. Comme le dit un diplomate britannique : « Il y a toujours de la confusion au sein du gouvernement au sujet de notre politique en Chine. »

Une classe divisée

En 2015, George Osborne, alors chancelier britannique de l’´Echiquier et principale voix pro-chinoise, a qualifié les relations en plein essor de la Grande-Bretagne avec la Chine d’« âge d’or ». Osborne, Cameron et May visaient à faire du Royaume-Uni le premier partenaire occidental de Pékin. Cette vision n’a pas disparu, même si elle est devenue compliquée par l’intensification de la pression étasunienne et nationale.

Le Trésor craint que la Chine n’impose des sanctions contre le Royaume-Uni si la Grande-Bretagne prend trop parti contre lui. La Chine a imposé des sanctions de représailles contre l’Australie, qui a adopté une ligne anti-chinoise très agressive et pensait pouvoir s’en tirer.

Le gouvernement oriente donc le cap entre les États-Unis, son principal partenaire stratégique, et la Chine, qui représente la richesse future. On peut voir cette ambiguïté dans le fait que, si l’envoi du Queen Elizabeth de 3,2 milliards de livres sterling semble décisif, le groupe de transporteurs ne va plus naviguer dans le détroit entre la Chine continentale et Taïwan, mais empruntera plutôt une route vers l’est vers le Japon. Ce détournement de la route initialement annoncée a suscité la fureur de faucons comme Iain Duncan Smith.

La marine des EU a décidé de même, ne voulant pas pour l’instant répéter la provocation de George W. Bush en 2005 – la dernière fois qu’un groupe aéronaval étasunien a traversé le détroit. Néanmoins, de plus petits navires étasuniens naviguent régulièrement dans les détroits. Depuis que Biden a pris ses fonctions en janvier, quatre destroyers américains ont fait le transit. Les États-Unis sont déterminés à s’immiscer dans l’arrière-cour de la Chine.

 https://www.facebook.com/thesocialistcorrespondent/posts/1991218654361637

COMMENTAIRES  

21/06/2021 12:07 par Walter Rizotto

"Brittania Rules The Waves" : La Grande-Bretagne domine (fait la loi sur) les mers.

21/06/2021 16:12 par babelouest

Étatnt devenus seuls sur les mers pendant que le reste du monde se cantonne à la terre ferme, qu’elle compte bien défendre, je ne souhaite plus à ces descendants de Nelson qu’à se vautrer sur un grand piège de mines quelque part, tout seuls comme des grands.

22/06/2021 14:28 par Georges Rodi

Sur le site du Grand Soir, dire que la marine chinoise est la plus importante du monde est quand même un peu osé.
En nombre de bateaux, oui, c’est ce que prétend le pentagone pour négocier un budget encore plus délirant, mais nous ne sommes pas obligé de raisonner comme un membre du congré américain.
En tonnage, la marine US est 2 fois plus importante que la marine chinoise.
1 porte-avions n’est pas égal à un garde-côte

L’US Navy a 11 porte-avions nucléaires en service, et chacun d’eux emporte autant d’avions que les 2 modèles conventionnels de la Navy chinoise.
Oui mais attention dit le Pentagone... La Chine en a 2 autres, en cours de construction...
Hein, l’US Navy aussi ? OK alors, pas vraiment de quoi s’inquiéter.
Et côté sous-marins d’attaque, ou lanceurs d’engins...? Idem, il n’y a pas photo.

Pour ceux qui s’inquiètent du côté des armes nucléaires... Pas de souci.
La Chine en possède un peu plus que la France (environ 300), les USA en ont 6000...

Ceci dit, la principale différence entre les 2, c’est que l’armée chinoise est défensive par nature.
Beaucoup de petits navires ne sont utiles qu’à proximité de ses propres côtes, ils sont incapables de traverser l’océan.
Alors que la présence militaire des US est mondiale, 800 bases quand même, c’est pas mal.

Le pentagone pense qu’il faudrait gonfler la présence face à la Chine.
Pourquoi ? La Chine est déjà littéralement entourée de bases américaines, au Japon en Corée, etc.
Mais bon sang, c’est pour défendre les valeurs démocratiques bien sûr.
Et c’est là qu’intervient le concept d’AMBIGUITE STRATEGIQUE.
Un truc inventé par les USA, parfaitement officiel.
Suivez bien, c’est très sérieux.

Cela consiste :
1/ à signer des traités avec la Chine qui reconnaissent que Taiwan est bel et bien une province Chinoise.
2/ et tout faire pour empêcher la réunification, car Taiwan est une.... démocratie.

Notez bien, c’est amusant, que lorsque Tchang Kaï-chek s’est réfugié à Taiwan avec ses fidèles, il y a mis en place une dictature qui n’a disparu que récemment.
Comme quoi la défense des valeurs démocratiques n’est utile que lorsque c’est décoratif dans les médias.
Les US défendent les démocraties en Amérique du Sud ? Ou la démocratie iranienne face à l’Arabie Saoudite ?

Notez aussi, pour ceux qui l’ignorent, que la France a été le premier pays développé à reconnaître que Taiwan fait partie de la Chine, en 1969 je crois.
Sacré Général de Gaulle, il avait ses défauts mais pas que : l’OTAN par exemple, très peu pour lui.
Une autre époque...

Tout comme le RU de B. Johnson, la France d’E. Macron est elle aussi dans l’Ambiguité Stratégique.
Notre ministre des armées Florence Parly a déclaré que nos sous-marins nucléaires se déplaçaient en mer de Chine.
C’est quand même une première cette déclaration... La dissuasion nucléaire française, c’est en particulier contre la Chine ?
Et en mai dernier, la France a participé à un exercice militaire avec le Japon et les US.
C’est là encore une première.
Les médias chinois l’ont bien noté.

Ajoutez à cela le Japon qui se militarise à tout va, l’Australie qui parle ouvertement d’un risque de guerre avec la Chine.
Et l’Inde qui s’agite pour faire bon poids.
Bref, et en essayant de se mettre un peu à la place des chinois, on peut comprendre qu’ils vont certainement renforcer leur défense pour répondre à la pression : il y a des voix qui préconisent plus d’armes nucléaires.

Face à ces interventions "démocratiques", il est clair que la militarisation de l’Asie va faire d’énormes progrès dans les années à venir.
Et si vous pensez que tout cet argent serait mieux placé ailleurs, pour lutter contre le réchauffement climatique par exemple, changez de trottoir.

Au fait, à propos de l’Inde, si l’un de vous trouve que nous partageons des valeurs avec l’ultranationaliste Modi, je vous remercie par avance de me préciser lesquelles...

23/06/2021 14:56 par Simon Korner

Merci, Georges Rodi, pour ce commentaire très utile qui indique clairement où se trouve la véritable puissance militaire - avec les États-Unis, dont la marine est alignée de manière agressive. Je pense que mon article aurait pu être plus clair à ce sujet.

24/06/2021 08:32 par Georges Rodi

Georges > Simon
... Pas de quoi :)
J’habite en Chine, et il peut être utile de donner le point de vue local, du moins, tel que je le comprends.

J’ai bien essayé d’intervenir sur les forums du Monde, de Libé, du Figaro et autres grands titres qui bouffent du chinois à longueur d’articles.
Sans succès évidemment.
Le simple fait de décrire ce que l’on voit ici... Je dois être considéré comme un agent de propagande.
Je vous assure que mon cerveau est propre, mais pas lavé.

Suite aux écrits de M. Vivas sur le Xinjiang, j’ai découvert le site du Grand Soir, très récemment,.
(Je n’ai pas lu son livre, qui n’est pas arrivé ici, mais j’ai vu son interview sur CGTN)
Et là, mes commentaires passent.
Super.

> Petit message aux Modérateurs.
Merci les gars.
> Et pour les Modératrices...
Merci les... Heu, c’est quoi l’équivalent féminin de gars ????

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