En analysant des paragraphes présentés de manière volontairement anodine et purement bureaucratique, il est déjà possible de connaître quelques grandes mesures :
1) « Les normes de documentation seront simplifiées ».
Est-ce à dire que nous serons privés de notices, ces papiers qu’on lit parfois – quand ce n’est pas écrit trop petit - mais qu’on n’arrive jamais à replier convenablement, qui coincent dans les boîtes et qu’on finit par jeter à la poubelle ? On peut être positif et se dire « c’est bon pour la planète » puisque moins de papier imprimé, c’est moins d’arbres abattus, mais on aime bien quand même être un peu renseigné sur ce qu’on avale. Sauf que. Personne ne pense plus que les notices existent pour nous informer. Quand on a lu les effets secondaires très fréquents, fréquents, peu fréquents, rares, et qu’on a quand même avalé le comprimé, on n’a pas à se plaindre en cas de problème puisqu’on a été averti. Les notices permettent à l’industrie pharmaceutique de se dédouaner en cas de plainte, les supprimer signifie, comme vous l’avez compris, que l’industrie court vraiment peu de risques.
Et puis, la documentation, c’est aussi les sites Internet et notamment celui de la principale agence sanitaire de notre pays. Essayez donc de trouver la preuve que la plupart des dentifrices contiennent un pesticide bien connu et répertorié comme perturbateur endocrinien, vous n’y arriverez pas. Car l’industrie chimique est parvenue à infiltrer à peu près tous les centres de décision.
2) « L’industrie va rendre transparents les essais cliniques et les prix des produits pharmaceutiques ».
Cela, ça fait tiquer plutôt deux fois qu’une et avec deux bonnes raisons. D’abord, cela veut dire que, jusqu’à présent, les essais cliniques et les prix des médicaments étaient opaques. Ensuite, il est quand même bizarre de résumer en une formule lapidaire une mesure qui concerne à la fois des essais cliniques et des prix. On ne prétend pas tous être des scientifiques mais on se demande quand même où est le rapport.
3) « Les investisseurs seront assurés d’un haut niveau de protection juridique ».
Ouf ! Même après avoir causé une centaine ou un millier de morts, les investisseurs ne seront « ni responsables ni coupables » (et cela vous rappelle peut-être quelque chose ... ?). Les brevets seront donc cadenassés aussi car, c’est sûr, l’industrie pharmaceutique n’aime pas les génériques, ces ersatz destinés aux pauvres qui ne rapportent rien, ni les ersatz, ni les pauvres d’ailleurs.
4) « Les industriels vont évaluer l’efficacité et la sécurité des produits mis sur le marché ».
Là, on tremble. Cela voudrait-il dire que, jusqu’à présent, l’efficacité et la sécurité des produits n’étaient pas évaluées ? Ou bien, tout aussi grave, que dorénavant le suspect et l’enquêteur seront une seule et même personne ? Serons-nous tous des cobayes ou des rats de laboratoire ?
5) « La santé publique sera assurée de manière non discriminatoire ».
Merveilleux ! Donc, la santé est « publique » et les pouvoirs « publics » vont assumer la mission de réduire les déficits « publics » en laissant toute latitude à l’industrie chimique privée qui nous empoisonne au quotidien. Alors que sont prises des décisions drastiques pour limiter le déficit de la sécurité sociale, il n’est jamais fait mention des dépenses dues aux dommages causés par l’industrie chimique. En cette matière comme dans tant d’autres « les profits sont privés, les pertes sont publiques ». On s’en était déjà un peu aperçus ... C’est sûr, les médicaments deviennent des biens de consommation ordinaire (c’est-à-dire de consommation courante), la pub à la TV a déjà entrepris de nous en persuader, et nous verrons bientôt apparaître dans nos supermarchés des boîtes d’aspirine à côté des tubes de dentifrice et des sirops pour la toux à côté des poudres à lessiver. Parfum citron à côté de fraîcheur lavande. Pour un coup de mou, rendez-vous au rayon épices, vous y trouverez des vitamines en comprimés, en gélules ou en gouttes à avaler plusieurs fois par jour selon la « dose quotidienne recommandée ».
Un peu de chimie dans les assiettes pour être malade, un peu de chimie en boîte pour se soigner, pour l’industrie, c’est poche gauche, poche droite, mais toujours dans le même veston. Les lobbyistes ont bien travaillé, ils recevront leur enveloppe, leurs poches sont profondes. Et ceux des commissaires qui voudraient changer d’air seront accueillis à bras ouverts dans la succursale industrielle la plus proche.
Elisabeth Beague
23 janvier 2015